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9 décembre 2007

FORMATION : De l’adaptation permanente à l’emploi, à la gestion des situations de crise de l’emploi ;

Descriptif : Echanges N° 109 Eté 2004

La formation tout au long de la vie, c’est le dernier missile de l’Union européenne, lancé à grand coup de publicité dans le monde du travail

Les récentes négociations entre l’Unice (le patronat européen) et

la Confédération

européenne des syndicats (CES) (1) ont placé la formation au cœur du traitement social du chômage et de l’employabilité. Quelle est donc la signification de ce nouveau terme, l’« employabilité » ? L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) (2), explique : « La meilleure sécurité qu’on puisse donner à un salarié, c’est un portefeuille de compétences bien rempli. C’est cela qui le rendra autonome et libre vis-à-vis de l’entreprise. Voilà le grand pari, qu’on a pu appeler le pari de l’employabilité. » (Anact, Développement des compétences, juillet 1999.) La meilleure, ce n’est donc plus de remplir notre portefeuille mais de nous donner une formation pour devenir « libre » de trouver ailleurs un emploi. Dans ce sens, l’ANACT cite une parabole : « Un Airbus A 320 vole vers

la Guadeloupe. Le

temps est calme et vous avez la perspective d’une semaine de vacances extraordinaire. Pour moi, c’est un peu ce que vivent certains salariés dans les entreprises : ça va bien, les résultats sont bons, leur présence dans l’entreprise n’est pas remise en cause, la tradition de l’entreprise est de garder ses salariés durant toute leur vie professionnelle. Un petit missile crève la coque du A 320. Manque de chance, vous étiez à côté du trou. Vous n’aviez pas mis votre ceinture et vous êtes aspiré. Vous vous retrouvez à neuf mille mètres d’altitude sans parachute. Vous voyez le résultat. Cette entreprise qui marchait bien est rachetée et les actionnaires décident que la marge nette n’est pas suffisante. Lors d’un plan social, vous vous retrouvez dehors. Vous qui êtes rentré il y a vingt ans avec un CAP d’employé de bureau, vous ne vous êtes pas préoccupé puisque tout allait bien. Vingt ans après vous vous retrouvez sur le marché du travail avec une expérience professionnelle relative et votre CAP d’employé de bureau. C’est comme si vous étiez à neuf mille mètres d’altitude, sans parachute. » Nombreux sont les travailleurs d’Europe qui sont déjà dans cette situation et nombreux seront ceux qui avec ou sans parachute seront victime de leur âge. Le piège de la réforme des retraites vient de se refermer (3) , propulsant des milliers de prolétaires dans le « couloir de l’employabilité » et de la misère jusqu’à 65 ans. Tel est, en résumé, la loi sur la formation tout au long de la vie que nous allons analyser plus en détail.

La formation tout au long de la vie

Voici donc le dernier missile de l’Union européenne (UE), lancé à grand coup de publicité dans le monde du travail. Tout a commencé à Lisbonne en mars 2000, quand la nomenklatura européenne a décidé de faire de l’ UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive à l’horizon 2010 ». Pour parvenir à cet objectif, les relais bureaucratiques de l’UE en France (gouvernement, patronat, syndicats...) viennent de pondre l’Accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle (ANI), qui a été entériné par les partenaires sociaux et est donc devenu applicable à partir de premier semestre de cette année. La gestation de cet accord avait débuté avec la décentralisation de la formation aux régions en 1982, sous le règne de la gauche. L’incubation devait se poursuivre en 1999. Les régions auront compétence sur l’ensemble de la formation des jeunes et, depuis 2002 et 2003, sur tout le dispositif des adultes. La région deviendra l’acteur public central qui coordonne la formation initiale de tous les publics. L’ANI est donc l’aboutissement de cette longue gestation. L’ANI se présente donc comme complément positif de la réforme des retraites. Il veut être un remède au déficit démographique (départ en retraite, baisse de la population active, vieillissement de la population) qui pourrait voir s’envoler les salaires et donc le coût du travail. Nos économistes appellent ce phénomène : tensions sur le marché du travail. La formation du xxie siècle se présente donc comme un instrument ayant pour fonction de maintenir le coût du travail dans une fourchette raisonnable pour le profit capitaliste. La rupture démographique sera compensée par le recours à l’immigration, par l’augmentation du taux d’emploi des plus de 50 ans. La formation devant accompagner ces mouvements, la réforme de la formation va être plus incisive. Elle veut « rendre chacun acteur de son évolution professionnelle et coresponsable du maintien de sa qualification » et, par opposition, de sa déqualification. Pour ce faire, rien n’est plus efficace que le volontariat contraint, pour une formation hors temps de travail - cela porte le nom de coinvestissement. Si donc le salarié coinvestit, comme tout investisseur capitaliste, il doit capitaliser quelques deniers à la fin de son parcours. Rien ne semble aller dans ce sens avec la belle réforme made in European Union.

Le contrat de professionnalisation, un contrat d’insécurité sociale

Le nouveau « contrat de professionnalisation » aura un seul avantage, c’est de mettre un terme à l’hypocrisie des trois autres qui disparaissent (contrat de qualification, contrat d’adaptation et contrat d’orientation). La formation veut agir sur les deux pôles extrêmes : les seniors, qui doivent se préparer à une nouvelle et radieuse fin de carrière en bossant cinq ans de plus ; et les jeunes, qui doivent se préparer à se faire virer dès 16 ans du collège pour faire faire des économies au secteur public (fermetures de classes et d’établissement). L’ANI le dit : « réduire la prolongation des études » et optimiser les investissements des régions dans l’apprentissage et les lycées professionnels. Le contrat de professionnalisation est un « bon contrat », qui va certainement encourager la jeunesse à perdre sa vie à la gagner. Pour les moins de 21 ans, la rémunération s’élève - ou plutôt s’abaisse - à 55 % du SMIC, avec une petite reconnaissance du diplôme : + 10 points si titulaire d’un bac pro où équivalent. Pour les 21 à 26 ans, on passe à 70 % du SMIC et, pour les plus de 26 ans, le mât de cocagne est atteint avec 85 % de

la RMA

de la convention collective de branche (la misère en dentelle). Le contrat de professionnalisation est un vrai contrat de paupérisation du monde du travail et un renforcement de l’exploitation sur toute la ligne. Les employeurs ont exigé des exonérations de cotisations des assurances sociales, des accidents du travail, des maladies professionnelles et des allocations familiales sur ce contrat. Ils ont exigé un coût du travail inférieur ou égal à celui de certains pays du « tiers monde et de l’ex-URSS » et ils l’ont obtenu.

Les trois types de formation

La disparition du système de classification (Parodie) et son remplacement par un système de classement par fonctions, codifié dans les nouvelles conventions collectives, marquaient un tournant sur la manière d’exploiter la force de travail. Ce qui devait dorénavant compter (ils ne cesseront pas de le dire), ce sera la compétence. Le diplôme n’est et ne sera reconnu qu’en fonction de ce critère, en fonction de l’initiative créatrice et surtout des fonctions qui y correspondent. L’adaptabilité au poste de travail n’est plus seulement une période de trois à un an - période d’essai -, elle devient permanente
  « tout au long de la vie ». Les trois types de formation correspondent à cette exigence de l’exploitation capitaliste :
  formations d’adaptation à l’emploi ;
  formations liées à l’évolution des emplois ou au maintien de l’emploi ;
  formations et développement des compétences. Ces trois points introduisent trois conceptions nouvelles :
  la contractualisation de la formation ;
  l’individualisation de la formation ;
  le coinvestissement de la formation. L’obligation de se former en permanence comme condition de son maintien dans l’emploi n’est pas encore incluse dans le contrat de travail, mais nous en sommes très près avec « la contractualisation de la formation ». La formation n’est plus principalement un critère de promotion dans l’entreprise, un critère de progression salariale. Elle devient la condition du maintien dans l’emploi. Quand vous entendez le mot « employabilité », c’est de cela qu’il s’agit. En fait, l’entreprise capitaliste du xxie siècle veut une force de travail compétitive tout le long de la vie, elle veut dans cet objectif continuer à individualiser le plus possible l’individu au travail et le fragiliser en permanence. Ici se pose la question de l’avenir du personnel qui, malade, n’est plus en mesure de fournir une force de travail compétente et compétitive... Toute restructuration d’entreprise, toute rationalisation informatique tend à bouleverser en permanence les structures sociales des entreprises et contraint le salarié à une remise en cause elle aussi permanente - remise en cause de la position sociale qu’il occupait et qui lui semblait stable et acquise. L’ANI va, comme dans le jeu de l’oie, résoudre ce problème en faisant retomber à la case départ le salarié touché dans le maintien de son poste. Tout comme le nouvel embauché, le salarié obsolète entre en « période de professionnalisation », tout comme on entre au purgatoire. L’ANI est très explicite à ce sujet quant aux personnes visées : « Les salariés dont la qualification est insuffisante au regard de l’évolution des technologies et de l’organisation du travail », « les salariés ayant vingt ans d’ancienneté ou plus de quarante-cinq ans » - nous voyons ici que l’expérience accumulée avec l’ancienneté disparaît, comme elle a disparu dans la plupart des conventions collectives où chaque année un salarié pouvait espérer 1% d’augmentation au titre de l’ancienneté -, « les femmes reprenant l’activité après un congé de maternité et les salariés après un congé parental » - la procréation, élever ses enfants devient une tare, la famille est en soi contreproductive -. En outre, « les travailleurs handicapés » posent problème. L’ANI insiste d’ailleurs particulièrement sur la « mission » de l’encadrement dans son rôle de recyclage de la force de travail des plus de quarante-cinq ans ou de plus de vingt ans d’ancienneté.

Le passeport formation ou le retour du livret ouvrier

Le terme de « passeport formation » (3) en lui-même n’est pas neutre, il est plus que cynique et considère que sur le marché du travail le salarié est dans un autre monde, celui de la fracture sociale, des exclus... Donc pour entrer dans une autre entreprise, il faudra un « passeport » sur lequel figureront :
  les diplômes obtenus et autres ;
  les actions de formation suivies ;
  les emplois tenus dans une même entreprise ;
  les décisions en matière de formation, prises en entretien professionnel ou lors d’un bilan de compétences.

La gestion des seniors

Avec la réforme des retraites, c’est-à-dire le passage de la retraite à 60 ans à 65 ans, il va falloir que les entreprises gèrent une force de travail pour laquelle aucun « Viagra » n’a été inventé. Pour cette force de travail, le manager se transforme en médecin d’entreprise et doit veiller à la bonne santé des compétences, signaler le moindre relâchement et pousser le senior à un « contrôle technique » par la « validation des acquis de son expérience » (VAE), dans le cadre de la loi du 17 janvier 2002, de sa capacité à se maintenir en poste.

La VAE

à proprement parler

Cette validation des acquis d’expérience veut être un remède : elle serait destinée à « réduire la “fracture” entre jeunes diplômés et anciens expérimentés », « renforcer l’employabilité dans le cadre de mobilités et reconversions internes », « remettre les faiblement diplômés dans le circuit de la formation continue », « sortir la formation diplômante de son carcan scolaire et renforcer le rôle tutorial du manager », « valoriser certains types de diplômes et inciter des salariés “cibles de professionnalisation” à les briguer ».

Le parcours du compétent

Allons donc aux sources de cette nouvelle lumière qu’est la compétence, comme dit le Medef (ex-CNPF), par la voix de son représentant Alain Dumont (4). Il commence par s’attaquer à la loi de 1971 sur la formation professionnelle « qui a mal répondu à ses objectifs premiers qui étaient le développement d’une “seconde chance” pour les gens qui n’avaient pas eu de “première chance” à l’école. La loi de

1971 a

profité plutôt aux salariés qualifiés des grandes entreprises. » Dans l’assurance, de nombreux salariés ont pleinement profité de formations dans le cadre de cette loi, avec diplôme à la sortie : CAP, BP ou BTS de l’assurance, qui leur assurait une augmentation de salaire ; cette possibilité a été liquidée avec la nouvelle convention collective. Mais le Medef vise d’abord à échapper à l’obligation de faire un chèque pour la formation. Alors on commence à s’interroger : « Mais place-t-on la formation en cœur de cible ou n’est-ce qu’un moyen au service de ce cœur de cible ? Est-ce qu’il nous faut une obligation de moyens ou une obligation de résultats ? La loi de 1971 n’est même pas une obligation de moyens, c’est l’obligation de dépenser ou de faire un chèque. » L’attaque est venimeuse. Autrement dit, la formation professionnelle jusqu’à présent n’a pas rendu le jus espéré. « Depuis trente ans, on a investi des sommes gigantesques en matière de formation, sur les publics en difficulté, dans le système éducatif, etc. Cela nous rend-il plus performants que nos voisins ? Quand vous savez qu’en Suède, l’essentiel des jeunes sort du système de formation initiale à BAC + 2. On ne peut pas dire que

la Suède

soit moins performante que

la France.

» Après avoir, minimisé l’importance des diplômes et la formation loi 1971, le Medef peut essayer de nous vendre sa camelote « compétence ». D’abord, il va définir dans quel contexte cette « compétence » peut émerger : « La compétence est la mise en œuvre des ressources d’un individu associé à des moyens fournis par l’entreprise, dans une situation de travail donnée. » Le mot compétence est toujours lié à celui d’employabilité, ou à un nouveau mot comme traçabilité. L’employabilité est un mot terrible puisque ses pendants sont l’exclusion, la non-insertion, l’externalisation. Quand vous entendez ce mot, vous êtes au cœur de la cible, vous avez mal géré votre parcours individuel et donc on vous flingue. On en revient à l’esprit de caserne, ce n’est plus le parcours du combattant mais le parcours du compétent. Le chef est important : « Il n’y a pas de compétence collective. Il y a un homme qui a été capable de coordonner et d’animer les ressources d’une équipe pour aboutir à un résultat. » Et puis on donne en exemple l’équipe de France qui a gagné grâce à Aimé Jacquet - théorie des chefs, théorie des grands hommes, on connaît. Le comble, c’est que l’on propose, au travers des accords d’entreprise, de faire gérer le système par les syndicats. « Cogestion » et « corporatisme » sont des mots qui vont très bien ensemble (air connu).

Gérard. Bad juin 2004

(1) C’est autour d’un document de travail présenté par

la CGC

, Accord sur le traitement social des restructurations, que les syndicats de

la CES

ont débattu.

(2) L’Anact est un organisme paragouvernemental, dont les positions sont proches de celles de

la CFDT. Internet

:www.anact.fr

(3) Voir Echanges n° 102 (automne 2002) : « La spoliation des retraités, un moyen pour le capital financier de contrecarrer la baisse du taux de profit. »

(4) Le livret ouvrier, mis en place par une série de mesures en 1803 et 1804, restera en vigueur jusqu’en juillet 1890. Sur ce document obligatoire étaient inscrit les noms des employeurs, les dates d’emploi du travailleur et les acomptes qui lui étaient versés. Il était visé par le commissaire de police ou le maire. Le patron devait en prendre connaissance au moment de l’embauche.

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