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30 juin 2009

Grève sauvage chez Total en Grande-Bretagne

De nouveau une grève sauvage qui rapidement fait tache d’huile

gr_ve_2« Pour moi et pour les 900 autres, les dés sont jetés. Je n’ai jamais encore fait grève de ma vie. Total doit comprendre que les chiens sont lâchés » (un ouvrier sur le site de Lindsey)

Dans le n° 128 d’Echanges (p.16) nous avions analysé une grève sauvage de travailleurs contractuels employés par des sous-traitants dans des chantiers d’aménagements de centrales électriques. Nous avions souligné qu’au-delà de certaines connotations nationalistes xénophobes, cette lutte avait signé un événement très significatif pour la lutte de classe dans le Royaume Uni : le retour des grèves sauvages et de grèves de solidarité de grande ampleur, précisément ce que la législation conservatrice des années 90 sous Thatcher avait cherché à éliminer et que les gouvernements Labour avaient préservé.

La grève sauvage qui vient de se dérouler dans la deuxième quinzaine de juin présente les mêmes caractères. Le fait qu’elle ait éclaté sur le même site et se soit  étendue dans les mêmes sites qu’en février dernier confirme bien cette tendance d’une libération de la camisole de force que toute cette législation prétendait imposer aux luttes. Avant d’aborder cette dernière lutte, il nous paraît nécessaire de rappeler brièvement de quel tissu était fait ce conditionnement législatif très contraignant de toute initiative de base dans le conflit capital-travail.

La grève n’est légale que si elle a été précédée d’un vote majoritaire par correspondance à bulletins secrets organisé par un syndicat sur une revendication précise concernant les seules conditions de travail des seuls travailleurs liés par contrat à une entreprise juridiquement définie (ce qui exclut toute grève à caractère politique ou toute grève de solidarité). Toute action découlant de ce vote majoritaire ne peut être lancée, pour cette seule revendication que dans un délai de six semaines après le vote en question. Les piquets de grève qui peuvent être établis au cours de cette action sont limités à  six travailleurs et ne peuvent concerner que l’entreprise considérée : tout piquet « secondaire » qui pourrait être établi ailleurs pour soutenir ou étendre la grève est strictement interdit. Une grève qui ne respecterait pas strictement cet arsenal de conditions est illégale et en même temps « inofficielle » car il est interdit, sous peine de sanctions sévères, à un syndicat de la patronner et de la soutenir même « officieusement ». Les sanctions pour le syndicat qui se placerait dans l’illégalité peuvent jusqu’à la confiscation de tous ses biens, ce qui n’est pas de pure forme car une telle confiscation a été prononcée à plusieurs reprises. En fait, aujourd’hui, aucun syndicat ne se risque à soutenir une grève sauvage, encore moins à organiser une grève « illégale »

Le théâtre d’origine de la présente grève sauvage est de nouveau la raffinerie Total de Lindsey (Lincolnshire) (Lindsey Oil Refinery, LOR) et la grève va s’étendre dans les autres sites en réparation ou construction des raffineries et des centrales électriques. Le point qui mérite d’être souligné est que tous ces mouvements touchent  d’une part le secteur privé (alors que la plupart des luttes  concernaient le secteur public ou parapublic) et d’autre part le secteur crucial de l’énergie au point que certains ont pu parler de coupures possibles d’alimentation électrique (une réminiscence des jours sombres de 1973 où l’Angleterre s’était trouvé sans chauffage, sans trains et contrainte à trois jours de travail par semaine) (1). Au même moment où éclate cette nouvelle grève, la Grande-Bretagne connaît depuis des mois une récurrence de grèves notamment dans les transports, les services municipaux et les postes ; la crise a aussi aggravé les difficultés de beaucoup des « assistés » (2). Une vague de grève dans ce secteur clé de l’énergie pourrait entraîner une crise sociale beaucoup plus grave. C’est la raison pour laquelle le porte parole du gouvernement tout affirmant que cette nouvelle grève de Lindsey est une affaire privée « entre la compagnie et les travailleurs » ajoute que le premier ministre « espère que cette situations sera résolue aussi rapidement que possible ». C’est assorti d’une observation lourde de menaces mais aussi aveu d’impuissance que « la position du gouvernement est que les grèves sauvages et les manifestations ne sont jamais la bonne réponse aux problèmes de relations sociales »

Sur le site de Lindsey, 9 entreprises sous-traitantes oeuvrent pour la construction d’une unité d’hydrodésulphurisation du pétrole de la raffinerie Total. Cette multinationale a déjà, lors de la grève de février dernier, souligné le retard pris dans cette construction (plus de 6 mois aujourd’hui), ce que des commentateurs financiers avait attribué à l’impossibilité d’imposer aux prolétaires britanniques une productivité « normale » (3). Total en rajoutera cette fois-ci en soulignant la « performance excessivement médiocre » et la « faible productivité » des travailleurs sur le site. La fin de la grève de février n’avait pas atténué la combativité sur le site de Lindsey. Le 6 mai dernier,  30 travailleurs du site s’étaient mis en grève, semble-t-il sur la même question de l’emploi de travailleurs non britanniques qui avait été au cœur de la grève de février. Aussi en mai une autre grève similaire avait éclaté sur le site de Milford Haven et avait commencé à faire aussi boule de neige (4). Il est possible que les sous-traitants tout comme Total aient voulu reprendre le dessus suite à la capitulation de février dernier et risquer ainsi l’épreuve de force. Il est difficile de dire si le moment était bien ou mal choisi : les deux syndicats GMB et UNITE impliqués dans la représentation des 30 000 métallos de la construction de ces unités industrielles organisaient présentement un vote  dans l’éventualité d’une grève sur les salaries et la sécurité d’emploi ; dans les préparatifs de ce vote, ils se heurtaient à un refus  de coopération de la part tant des entreprises concernées que du syndicat patronal de ce secteur.

Il est difficile de démêler l’origine du conflit tant du côté patronal que du côté ouvrier. La position patronale peut sembler dans la logique du monde des affaires : le sous-traitant Shaw terminant son programme de travaux trouve normal de licencier 51 (5) des travailleurs qu’il a employés jusqu’alors sur le chantier. Cela alors qu’au même moment un autre sous-traitant auquel est confiée une autre tâche embauche pour les travaux qu’il a sous-traité : il n’a, en principe, aucune obligation d’embaucher les travailleurs licenciés par l’autre sous-traitant. Mais l’ensemble des travailleurs de la sous-traitance voient les choses différemment au nom de conventions qui semblent plus coutumières qu’écrites (il est question dans les récits de la grève d’un « Blue Book » qui comporterait de tels engagements) et que leur respect dépende autant du rapport de forces que du bon vouloir patronal : s’il y a de l’embauche sur le chantier, les licenciés auraient une priorité d’embauche chez les autres sous-traitants. Une telle promesse aurait été réitérée lors du règlement de la grève de février 2009. Ils semblait aussi entendu qu'aucun licenciement n’aurait lieu tant que des ouvriers étrangers travailleraient sur le site .Tout le conflit va porter au départ dans le non-respect sur le site de cette « convention » et au-delà de ce non-respect, il est impossible de ne pas voir dans l’enchaînement de ce qui va suivre un prétexte dans une tentative de mise au pas des travailleurs dans une complicité tacite tant des sous-traitants que de Total.

L’annonce du licenciement des 51 est faite le jeudi 11 juin 2009. Presque dans l’instant  600 contractuels (6) du chantier de construction salariés de différents sous-traitants débraient et installent des piquets. 50 d’abord qui seraient plus de 300 le soir même, plus de 600 le lendemain rejoints par des centaines d’une raffinerie voisine ( Conoco Philips) avec lesquels ils barrent la route interdisant toute circulation notamment des camions citerne. Toute tentative de conciliation avec l’intervention d’ACAS (7) se heurte  à l’intransigeance tant des sous-traitants que de Total : le vendredi 19 juin tous ceux qui se sont mis en grève par solidarité sont licenciés, 647 reçoivent une lettre de licenciement précisant qu’ils seront réembauchés le lundi 22 juin au cas par cas, dans l’intention évidente de « faire le tri ». A ce moment 1 200 travailleurs (sur 1550  au total au travail sur le site de la raffinerie, permanents et temporaires) sont en grève. « Virés par des patrons cupides. Pas de travail au rabais. Rejoins la grève. Partage du travail » affirment les pancartes faites à la hâte sur l’entrée  bloquée du site. Les lettres de licenciement sont brûlées dans une sorte de show spectaculaire à la porte de la centrale.

C’est alors que, suivant le même schéma de propagation de la grève en février, la grève s’étend sur tous les autres sites des raffineries et centrales électriques. Le message envoyé par les grévistes de Lindsey est clair : « Cometh the hour, cometh the man (8) Si tu veux soutenir tes frères dans tout le pays, merci. Si tu n’es pas prêt de le faire, sache que la prochaine fois ce pourrait être toi. Tu dois combattre ça dès maintenant ». Le lundi 22 juin, 17 sites sont ainsi touchés par la grève dans toute la Grande-Bretagne (9) ; il est aisé de deviner les raisons de la rapidité de l’extension de la grève sauvage de solidarité indépendamment d’une similarité de situation : des piquets volants ont essaimé dans les sites proches (c’est tout autant interdit que les piquets de masse) (10), l’utilisation des portables  et du réseau (préexistant en partie) qui s’était constitué lors de la grève de février.

La raison d’Etat, devant cette extension et la menace d’un conflit social de grande ampleur, fait mettre au pas Total et ses sous-traitants qui finissent par accepter la médiation d’ACAS, d’autant plus facile que les syndicats GMB et UNITE, arguant qu’il s’agit non d’une grève sauvage mais d’un lock out soutiennent maintenant la grève en se sachant bien protégé »s par le rapport de force créé, à leur insu et leurs réticences du début,  par l’action des travailleurs.

Rapidement un accord est conclu : réintégration de tous les licenciés, pour les 60 licenciés d’origine il leur est garanti  quatre semaines de travail et l’intégration dans un autre emploi ou une indemnisation.

Cet accord est accepté par les grévistes et les grèves de solidarité sur les autres sites cessent immédiatement

Ces grèves sauvages répétées depuis le début de l’année posent des problèmes sur le front de la guerre de classe -qui ne concernent pas seulement les travailleurs britanniques.

Tout d’abord, on ne peut que souligner que toute législation visant à régler « pacifiquement » les conflits du travail ou a limiter le droit de grève ne pèse rien en face de travailleurs déterminés dans une solidarité de classe dont l’extension contraint le pouvoir à céder pour ne pas se trouver devant un mouvement de plus grande ampleur.

Même dans une situation de récession, les travailleurs qui se trouvent dans une situation de force, conscients en même temps de leur force collective peuvent engager une épreuve de force non seulement avec leurs employeurs mais aussi avec le pouvoir politique.

La guerre de classe se mène avec deux adversaires face à face. Dans le mouvement dont nous venons de parler comme des autres qui se sont déroulés dans ce secteur, on assiste à une offensive patronale qui tend, face à la détérioration économique à rétablir une profitabilité aux dépens des travailleurs et partant à affirmer son autorité au besoin en reniant les engagements antérieurs. Pour les travailleurs, la défense, dans cette période de crise, ne concerne pas les salaires mais directement les conditions de travail et leur emploi. Même si cette lutte ne concerne qu’un secteur, son extension spontanée à l’ensemble de ce secteur sur tout le territoire national, ne peut manquer d’avoir une influence sur d’autres luttes, pour l’ensemble des travailleurs ; mais il est difficile de savoir comment, où et quand. D’autant que l’adversaire le sait également et tente de parer d’avance à cette inconnue.

H.Simon juin 2009

Notes

(1) voir à ce sujet l’ouvrage de Cajo Brendel « Lutte de classe autonome en Grande-Bretagne, 1945-1977 » Echanges et Mouvement, toujours disponible

(2) Le chômage en Grande Bretagne a été masqué pendant longtemps par une mise en invalidité  plus que libérale de chômeurs par centaines de mille. Aujourd’hui la crise et le manque de moyens financiers contraint le gouvernement à promouvoir la « mise au travail » de ces « invalides »

(3) Financial Times, 7 février 2009

(4) Sur le site de construction d’une  usine de liquéfaction de gaz naturel de South Hook (Pays de Galles) un accord (Supplementary Project Agreement) stipulait qu’aucun travailleur étranger ne pouvait être embauché sur le site tant que des travailleurs britanniques pouvaient être recrutés pour le même emploi qualifié. Prétextant un manque de candidats britanniques, un sous-traitant Hertel amène sur le site 40 travailleurs polonais. Immédiatement, le 20 mai, 200 travailleurs débraient y compris les  40 nouveaux. La grève s’étend sur 16 autres sites voisins et  même jusqu’à Lindsey. Le 21 mai, la firme  renonce à cette nouvelle embauche et la grève cesse après un vote.

(4) suivant les sources les chiffres de ces premiers licenciés varient de 51 à 65

(5) de même que pour les premiers licenciés, celui de la deuxième vague de licenciement varie selon les sources entre 600 et 900

(6) ACAS : Advisory Conciliation and Arbitration Service, organisme officiel de médiation créé par les conservateurs lors des grandes réformes du droit de grève pour tenter de régler « pacifiquement » les conflits sociaux.

(7) sorte de proverbe anglais remontant au 14ième siècle que l’on retrouve dans différentes œuvres littéraires au 19ième dont Walter Scott et qui peut se traduire par « l’opportunité fait l’homme » ou « l’occasion fait le larron ». A l’origine, le proverbe aurait été « cometh the hour, cometh the thief »

(8) les principaux sites touchés sont les centrales de Sellaffield ( centrale atomique, Cumbria, 900 grévistes), Fiddlers Ferry (Cheshire) (450 en grève), Ratcliffe et Staythorpe (Nottinghamshire) (450 en grève), Didcot (Oxforshire) ( 360 en grève), Aberthaw (300 en grève) et South Hook (Pays de Galles sud) (600 en grève), Drax, Feerybridge et Eggborough (Yorkshire) (600  en grève), la raffinerie BP de Hull, 1 000 grévistes à Wilton Teeside (usine de carburant bio en construction)

(9) par exemple  200 travailleurs  installent un piquet de grève à l’entrée de la centrale électrique Eggborough dans le Yorkshire

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