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10 avril 2015

«Conscience et lutte de classe», de Tom Thomas une critique de Gérard Bad

«Conscience et lutte de classe», de Tom Thomas

Ce texte est paru dans Echanges n° 120 (printemps 2007).

Conscience et lutte de classe

Tom Thomas

éd. Contradictions 10 euros

En ligne sur : www.philosophie.org/tom/conscience.html

Une crique sous forme de lettre, adressée à l’auteur en octobre 2006.

Dans l’ensemble et si nous mettons la question du parti de côté, il n’y a pas dans Conscience et lutte de classe de divergences insurmontables avec nous, puisque certaines questions sont toujours en traitement à Echanges et plus largement dans le « milieu révolutionnaire ». Ceci étant, ton livre, contrairement à ce qu’annonce le titre, traite peu de la question de la « conscience de classe », sauf dans la partie « Idéologie bourgeoise et lutte de classe » ; par contre le « fétichisme », lui, est mis en exergue. En fait « fétichisme et lutte de classe » aurait été plus approprié comme titre.

1 - Sur « la crise chronique, ou stade sénile du capital », tu considères que l’accumulation capitaliste se ralentit sérieusement (1) Voilà une proposition qui mériterait d’être étayée, car les pronostiqueurs de la crise finale du capitalisme ne manquent pas. Nous avons à Echanges déjà polémiqué avec Claude Bitot sur ce thème de la crise finale, qui de tout temps a été un sujet de discussion et d’appréciation des communistes. Même au sein de la gauche allemande, divers courants allaient s’affronter sur la crise, Rosa Luxemburg avec son Accumulation du capital, rejointe ensuite par Grossmann puis Mattick, qui vont développer une finalité catastrophique du Capital, chacun avec ses nuances. De l’autre nous avons Pannekoek, qui va critiquer cette théorie de l’effondrement.

Si l’on s’en tient à la période où cette polémique a éclaté, force est de constater que le capitalisme a survécu à sa grande crise de 1929 et que l’effondrement économique a bien eu lieu, mais que le capitalisme l’a surmonté. Il en résulte que sur cette question, nous ne pouvons qu’affirmer que sur l’arc historique qui va de la naissance du capital à sa fin, les communistes n’ont jamais véritablement pu situer dans le temps le moment fatidique de la fin du Capital.

La seule théorie que nous pouvons développer à ce sujet c’est que les contradictions du Capital se développent en spirales de l’inférieur au supérieur engendrant des crises de plus en plus importantes, annonciatrices de la révolution sociale.

Partant de ce postulat, nous utilisons plutôt le terme de « crise sociale » que celui de « crise du capital » bien que la crise sociale ne soit que l’expression de la crise globale capitaliste. Cependant comme les capitalistes ne cessent de reporter « la crise » sur les prolétaires, ils ne souffrent pas effectivement de cette crise, et l’accumulation se poursuit à coup de restrictions et de paupérisation (les contre-tendances).

La question de savoir si le capital est dans sa phase : sénile, décadente, en fin de cycle, agonisant, parasitaire... nous importe peu. C’est l’état du prolétariat qui nous intéresse, ses réactions contre la précarisation, la paupérisation... en bref son mouvement contre l’ordre des choses qui veut le détruire. Ce mouvement que tu décris très bien (page 58), mais aussi quand tu dis : « La conscience communiste n’est donc pas l’absorption d’une théorie toute faite, elle est le produit du long procès qui forme une révolution... » (pages 64, 65, 69). En fait il faut dire « sans mouvement révolutionnaire pas de théorie révolutionnaire, et sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire » - le communisme c’est le mouvement qui abolit l’ordre des choses et qui en prend conscience.

« Le socialisme moderne n’est rien d’autre que le reflet dans la pensée de ce conflit effectif, sa réflexion, sous forme d’idées tout d’abord dans les cerveaux de la classe qui en souffre directement, la classe ouvrière. »(Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Editions sociales, p. 93.)

Pour Lénine, seul va subsister « sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire » ce qui donne dans Que faire ? : « Il vaut mieux une dizaine de têtes intelligentes qu’une centaine d’imbéciles » (je cite de mémoire) et donc l’avant-garde, les révolutionnaires de profession, le Parti...

2 - Conscience, être, pensée. Pour nous c’est tout le contraire, la conscience ne saurait être détachée de l’« être conscient » (2). Ce concept de Marx est de la plus haute importance, car il se refuse de considérer la conscience comme extérieure au sujet. Seul le prolétaire qui souffre de sa condition de prolétaire (3), qui laisse sa vie à la porte de l’usine ou la perd au chômage, a une conscience vraie de sa situation. Seul celui qui souffre de la faim a une conscience vraie de la famine, l’autre est intellectuelle et donc une fausse conscience. Toute La Sainte Famille de Marx explique cela :

« Mais ces ouvriers de la Masse, ces ouvriers communistes, qui travaillent dans les ateliers de Manchester et de Lyon par exemple, ne font pas l’erreur de croire que la “pensée pure” les débarrassera de leurs patrons et de leur propre abaissement pratique. Ils ressentent très douloureusement la différence entre l’être et la pensée, entre la conscience, et la vie. Il savent que la propriété, le capital, l’argent, le travail salarié, etc., ne sont nullement de simples créations de leur imagination, mais des résultats très pratiques, très concrets de l’aliénation de leur être, qu’il faut donc les abolir de façon pratique, concrète, pour que l’homme devienne homme non seulement dans la pensée, dans la conscience, mais dans l’être de masse, dans la vie. »(Karl Marx, La Sainte Famille.)

Ce qui nous oppose généralement à tous les créateurs de partis et diffuseurs de conscience, c’est bien le fait que la conscience vraie est celle de l’être conscient (4), pris au sens de la classe consciente comme va le préciser Marx :

« Il ne s’agit pas de ce que tel ou tel prolétaire ou même le prolétariat entier se représente à un moment comme le but. Il s’agit de ce que, conformément à son être, il sera historiquement contraint de faire. » (La Sainte Famille.)

Voilà en quelque sorte une apologie du spontanéisme et une négation de tout présupposé théorique à la lutte de classe, encore confirmé par Marx :

« Dès qu’une classe qui concentre en elle les intérêts révolutionnaires de la société s’est soulevée, elle trouve immédiatement dans sa propre situation le contenu et la matière de son activité révolutionnaire : écraser ses ennemis. Prendre les mesures imposées par les nécessités de la lutte, et ce sont les conséquences de ses propres actes qui la pousse plus loin. Elle ne se livre à aucune recherche théorique sur sa propre tâche. » (Marx, Les Luttes de classes en France, 1848-1850)

Dans sa deuxième thèse sur Feuerbach, Marx dit que « la grande question fondamentale de toute philosophie, et spécialement de la philosophie moderne, est celle des rapports entre la pensée et l’être ». Pour Marx comme pour Engels, toute construction dualiste du rapport entre la Conscience et l’Etre doit être rejetée. C’est de l’unité de la conscience et de l’Etre qu’ils vont partir, notamment dans leurs œuvres de jeunesse principalement L’Idéologie allemande, et La Sainte Famille.

3 - Nous allons donc passer au rapport entre l’être et la conscience. L’être devient le sujet et la pensée le prédicat, ce qui veut dire que la pensée provient de l’être, et nom l’être de la pensée. L’être existe à partir de soi et par soi. L’être possède en lui-même son principe (Feuerbach).

Ce texte (L. Feuerbach) marquera le passage de l’idéalisme au matérialisme et mènera ensuite à la formule de Marx

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence sociale, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (préface à la Contribution à la critique de l’économie politique, 1859.)

En quoi diffèrent le matérialisme historique et le matérialisme bourgeois ?

« L’un et l’autre sont des philosophies matérialistes, c’est-à-dire que l’un comme l’autre reconnaissent la primauté du monde matériel extérieur, de la réalité de la nature, dont dérivent les phénomènes spirituels, sensation, conscience et idées. Là où ils s’opposent c’est en ce que le matérialisme bourgeois s’appuie sur les sciences de la nature tandis que le matérialisme historique est au premier chef une science de la société. »

Cette distinction est de la plus haute importance, et Marx ne cessera de répéter que ce qui nous intéresse c’est l’histoire de l’homme vivant en société. Dans L’Idéologie allemande, Marx indique que « la si célèbre unité de l’homme et de la nature a résidé de tout temps dans l’industrie ». Marx parlera d’une Nature socialisée (6) par l’homme. Pour Marx la société est l’achèvement de l’unité essentielle de l’homme avec la nature. Une polémique très vive surgira à propos de l’humanisme marxien. C’est Karl Korsch qui le premier va s’attaquer au volumineux ouvrage de Kautsky La Conception matérialiste de l’histoire, en montrant que Kautsky veut naturaliser l’histoire :

« Si le développement (dit Kausky) des sociétés humaines n’est pas lié intérieurement à celui des espèces animales et végétales au point que l’histoire de l’humanité ne représente plus qu’un cas particulier de l’histoire des Etres vivants, possédant les lois particulières de la Nature vivante. »

Pour le communisme, la nature doit être saisie comme Nature humaine sociale, c’est-à-dire une nature transformée par l’homme et maîtrisée par lui. Aussi le communisme « prend pour base de départ l’histoire des hommes vivant en société, l’histoire de la nature en tant que telle ne nous intéresse pas et si nous faisons intervenir les sciences de la nature c’est pour dire “l’industrie est le rapport historique réel de la nature et par suite des sciences de la nature, avec l’homme”. »(Manuscrits de 1844.)

Pannekoek, de son côté, précise :

« Le matérialisme bourgeois voit dans la signification du savoir une simple question de relation entre les phénomènes spirituels et les phénomènes physico-psycho-biologiques de la matière cérébrale. Pour le matérialisme historique, il s’agit des rapports de la pensée aux phénomènes qui sont expérimentés comme monde extérieur. Or la position de l’homme au sein de la société n’est pas celle d’un observateur pur et simple. Il constitue une force dynamique réagissant sur le milieu et le transformant. La société est la nature transformée par le travail. Pour le savant, la nature est la réalité objective donnée qu’il observe, et qui agit sur lui par l’intermédiaire de ses sens : le monde extérieur est l’élément actif et dynamique tandis que l’esprit est l’élément récepteur. Il insiste donc sur le fait que l’esprit n’est qu’une réflexion, une image du monde extérieur. C’est cette idée qu’exprime Engels quand il dégage la différence entre les philosophies matérialistes et idéalistes.

Mais la science des savants n’est qu’une partie de l’activité humaine dans son ensemble, qu’un moyen pour atteindre un but supérieur. Elle est la partie initiale, passive de son activité à laquelle succède la partie active : l’élaboration technique, la production, la transformation du monde par l’homme. (...) Voilà pourquoi le matérialisme historique voit tout d’abord dans les résultats de la science, ses concepts, ses substances, ses lois naturelles, ses forces - sans doute extraits de la nature - des créations du travail de l’esprit humain. » (Anton Pannekoek, Lénine philosophe, éd Spartacus.)

4 - Le matérialisme métaphysique de Lénine. La conception de Lénine et de ses disciples prend sa source auprès de Kautsky. Comme pour Kautsky, le point de départ de Lénine n’est pas la société humaine, mais la Nature. Le matérialisme historique est chez lui aussi un cas particulier du matérialisme philosophique.

« Le matérialisme admet d’une façon générale que l’être réel objectif (la matière) est indépendant de la conscience, des sensations, de l’ expérience humaine. Le matérialisme historique admet que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l’humanité » (Matérialisme et empiriocriticisme).

Lénine part de l’existence de la matière au sens philosophique, alors que Marx part de la « matière sociale », c’est-à-dire des rapports sociaux.

« Le matérialisme, en plein accord avec les sciences de la nature, considère la matière comme donnée première, et la conscience, la pensée, la sensation, comme donnée seconde »(Matérialisme et empiriocriticisme).

Avec Lénine, la conscience perd sa réalité et devient une simple propriété de la matière, un reflet, une copie de la matière qui seule est réelle. Le matérialisme naturaliste et métaphysique de Lénine sépare la conscience et l’être. Il en résulte une théorie qui traite encore du rapport sujet-objet qui revient au dualisme absolu de la pensée et de l’être, de l’esprit et de la matière (voir Karl Korsch, Marxisme et philosophie). Les conséquences pratiques de cette conception vont se retrouver dans toute la conception avant-gardiste du Parti de Lénine, s’appuyant non pas sur le prolétariat, mais sur la jeunesse instruite capable d’apporter de l’extérieur de l’« être conscient » la conscience politique.

« Les ouvriers, avons-nous dit, ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que du dehors. L’histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. De même en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. A l’époque dont nous parlons, c’est-à-dire vers 1895, cette doctrine était non seulement le programme parfaitement établi du groupe "Libération du Travail", mais elle avait gagné à soi la majorité de la jeunesse révolutionnaire de Russie. » (Lénine, Que faire ?).

Et Lénine de continuer :

« Ainsi donc, il y avait à la fois éveil spontané des masses ouvrières, éveil à la vie consciente et à la lutte consciente, et une jeunesse révolutionnaire qui, armée de la théorie social-démocrate brûlait de se rapprocher des ouvriers. »

Nous avons là, résumés, les propos de Mai 68, ceux de la Révolution culturelle chinoise et la problématique des intellectuels voulant instruire et éduquer la classe ouvrière. Dans le meilleur des cas nous aurons les « établis », ces intellectuels voulant comprendre de l’intérieur le monde ouvrier.

Contrairement à ce que Lénine écrivait, la doctrine socialiste n’est pas indépendante du mouvement de la classe. Elle ne fut pas « le résultat naturel, inéluctable, du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes », mais celui du mouvement émancipateur de la classe ouvrière, même spontané, comme la Commune de Paris dont Marx tira comme conclusion que la machine d’Etat devait être détruite. Chez Lénine, l’« être conscient » c’est-à-dire le prolétariat, n’est plus le prédicat, c’est pour lui la pensée (idéologie du parti) qui est le prédicat et qui fabrique l’Etre conscient. C’est du fidéisme sans dieu. Alors que pour le matérialisme historique, c’est la vie en société qui détermine la conscience et les superstructures de cette société. Pour les classes sociales il en est de même.

5 - Pour conclure provisoirement : le matérialisme historique et dialectique se veut être le dépassement des deux tendances philosophiques : le matérialisme et l’idéalisme. Il opère ce dépassement en remettant en question le débat matière-pensée (est-ce la matière qui détermine la pensée ou le contraire ?). Tout en reconnaissant en dernière analyse que la matière détermine la pensée, le matérialisme dialectique de Marx considère la pensée, la conscience, comme une expression matérielle, et pas comme une entité abstraite, n’ayant aucun rapport avec le dit monde matériel (au sens du matérialisme bourgeois). Le marxisme parle d’une réalité dialectique en mouvement, où chaque chose est le résultat de l’ activité humaine, donc d’une pratique sociale. Le monde réel est tout autant constitué d’objet que d’idées humaines.

« Si (...) nous voulons, dit Pannekoek, représenter notre monde d’expérience tout entier, le concept de matière physique ne suffit pas ; nous avons besoin d’autres concepts comme l’énergie, l’esprit, la conscience. » (Lénine philosophe.)

G. Bad

Notes

(1) Tu pourras trouver dans Echanges des textes allant dans ton sens, notamment « Continuité et discontinuité dans le déclin de l’accumulation mondiale... » (n° 117).

(2) « La pensée et l’être sont certes distincts mais en même temps ils forment une unité » (Manuscrits de 1844, Editions sociales, p. 90)

(3) Il faut préciser que nous ne voyons pas dans la misère que la misère mais son aspect actif révolutionnaire. Ceci pour ceux qui penseraient que nous sommes fatalistes et contemplatifs, culte de la classe ensoi et pas pour elle-même et tout le credo syndicaliste.

(4) Sur cette question de l’être conscient, vois un livre de Franz Jakubowski, Les Superstructures idéologiques dans la conception matérialiste de l’histoire (éd. EDI).

(5) L’identité sera elle aussi rejetée.

(6) « La nature est une nature humaine socialisée », Manuscrits de 1844, op. cit., p. 89.

 

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