ALLEMAGNE-LA BAISSE DU COÛT DU TRAVAIL ( septembre 2012)
Ce qu’une coalition entre le Parti socialiste et les Verts actuellement au pouvoir en France peut nous valoir peut être analysé à la lumière de ce qu’une même coalition, socialistes du SPD et Verts allemands (les Green), a fait en Allemagne il y a dix années, et qu’aucun gouvernement de droite n’avait jamais osé. La commission qui s’est tenue entre tous les protagonistes sociaux, patrons, syndicats et experts, et qui doit de nouveau se réunir peut aboutir au même consensus qui a présidé à ce qui, en Allemagne, fut appelé le comité Hartz, lequel s’était vu confier par le gouvernement Schröder la tâche de « réformer le marché du travail ».
Celui qui présidait ce comité d’experts, Peter Hartz, était le DRH de Volkswagen, un homme d’expérience dans les méthodes d’exploitation du travail, également membre du puissant syndicat de la métallurgie allemande, IG Metall.
Après ces dix années, les relations de travail ont été profondément modifiées en Allemagne, pratiquement sans oppositions notables ce qui vaut que méthode, dispositions et résultats pour le capital soient également loués, notamment en France. Sans doute concevrait-on mal que le comité éventuel d’experts chargés de la réforme des relations de travail en France soit le DRH de PSA ou de Renault, mais on trouvera toujours un expert « neutre » pour présider un tel comité, un expert ayant la confiance à la fois des patrons et des syndicats « responsables ». D’après une étude de l’OCDE publiée en 2011, les inégalités de revenu se sont aggravées beaucoup plus rapidement en Allemagne que dans n’importe quel autre pays d’Europe ; c’est là l’exemple de la prétendue prospérité de l’Allemagne. Il y a dix ans, l’économie allemande était fortement critiquée pour payer des salaires excessifs, pour avoir un marché du travail trop rigide et un système social beaucoup trop généreux. Un refrain qui sonne étrangement aujourd’hui à l’oreille des travailleurs français. Le problème, pour le gouvernement allemand d’alors, tout comme il l’est aujourd’hui pour le gouvernement socialio-vert en France, est de savoir comment modifier le contrat de travail et les accords sociaux, les acquis sociaux, sans provoquer de résistances.
Le gouvernement allemand choisit alors une manière différente de ce qui se pratiquait habituellement. Au lieu de chercher une confrontation frontale avec les secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière, il créa un marché du travail auxiliaire dominé par de bas salaires et par la réduction drastique des avantages sociaux. Ce fut le but de la commission Hartz, comme c’est ce qui s’amorce actuellement en France. En tant que membre du SPD et du plus grand syndicat allemand IG Metall, Hartz avait toutes les relations souhaitables pour mener à bien sa réforme. Il ne fait aucun doute que l’on peut trouver un personnage semblable en France. Dans le comité Hartz se trouvaient des experts en relations sociales, des consultants, des managers et des universitaires, des représentants syndicaux comme ceux du syndicat des services publics Verdi ou celui de la métallurgie IG Metall, et le ministre du Travail et des affaires sociales de Rhénanie-Westphalie du Nord, qui était aussi un bureaucrate syndical. On n’était pas loin de ce comité convoqué par le Premier ministre en France au lendemain de la victoire électorale du PS. En Allemagne, les dirigeants syndicaux n’avaient aucune objection quant à la création d’un secteur de bas salaires, pour autant que leurs positions et leurs privilèges dans les usines n’étaient pas remis en cause. En fait, ils répondirent avec enthousiasme aux propositions de réduire le coût du travail dans le but de renforcer la compétitivité de l’économie allemande sur le marché mondial. Bien que la situation syndicale en France soit différente de celle de l’Allemagne, il n’est pas interdit de penser que les syndicats français, soit directement comme pour la CFDT, soit indirectement, au-delà de déclarations de principe pour FO ou la CGT ne s’alignent déjà sur une telle position.
La commission Hartz présenta un tas de propositions pour contraindre les travailleurs à accepter différentes formes de travaux à bas salaires. La plupart ont été oubliées aujourd’hui. Parmi les propositions, celle de la création d’une Agence du personnel de services (Hartz I), qui donnait à l’Etat la fonction d’une agence de l’emploi. Les chômeurs se voyaient supprimer les avantages sociaux avec la création de dénommés « mini jobs », « midi-jobs » (Hartz II). La réorganisation de l’Office fédéral du travail en fonction du principe du « soutien mais obligation » (Hartz III) visait à accélérer le placement des emplois et organisait une pression sur les chômeurs pour les contraindre à accepter n’importe quoi. Tous les participants officiels sont d’accord avec l’idée que Hartz IV a été un succès, bien que les chômeurs aient perdu dans cette réforme tous droits à indemnisation au bout d’un an et se trouvent ensuite réduits à des miettes sociales. En effet, après une année de chômage, les travailleurs pouvaient seulement prétendre à une allocation de 347 euros mensuels et cela seulement après avoir épuisé leurs économies et si leur conjoint n’était pas capable de les nourrir. Ils devaient aussi prendre n’importe quel emploi, quels que soient leur qualification et leur salaire précédents. Quiconque tombait dans la trappe de Hartz IV n’avait plus guère de chances d’échapper à la pauvreté. Selon une étude du Joint Welfare Association, les ¾ de ceux qui sont tombés dans la trappe sont restés en permanence dépendants de Hartz IV. La simple menace de tomber dans la trappe de Hartz IV a contraint bien des chômeurs à prendre des emplois sous-payés, avec des réductions d’horaires et sans aucune sécurité d’emploi, de droits à la retraite et autres avantages.
Dans un commentaire lors de l’anniversaire de Hartz, le Suddeutscher Zeitung concluait : « Hartz IV a établi le principe qu’il est toujours préférable de travailler pour moins d’argent qu’une vie dans une dépendance permanente de l’Etat. » Les résultats des 4 lois Hartz peuvent être constatés dans les statistiques : sur les 42 millions de travailleurs, 29 millions ont encore un emploi avec la totalité des avantages sociaux, quelque 5,5 millions travaillent à temps partiel et 4,1 millions gagnent moins de 7 euros de l’heure, 4,5 millions dépendent de Hartz IV, y compris 1,4 million qui ont un travail mais ne peuvent gagner assez pour couvrir le nécessaire. Le secteur bas salaires a servi de levier dans toute l’économie. Au cours de la dernière décennie, l’augmentation du coût de l’unité de travail a été réduite au minimum ; le pays, sur ce point, est au plus bas de l’échelle européenne. Les associations patronales, les médias et les responsables des principaux partis ont célébré à l’envi la réforme Hartz comme un grand succès. Dans le Bild, Schröder loue les mesures prises comme un « bénéfice net pour la société », « payantes pour notre pays ». Si par « notre pays », Schröder comprend les 10 % plus riches de la société allemande, il a raison ; ceux-ci en ont énormément profité. Ici aussi les statistiques parlent d’elles-mêmes. En 2001, le revenu des 10 % plus riches était 8 fois plus élevé que celui des 10 % plus pauvres. Cet écart s’est accru dans les quatre années écoulées depuis le déclenchement de la crise économique.
Dans les années 1990, il n’était que de 6 contre un. En 2011, 924 000 millionnaires vivent en Allemagne, face à 4,5 millions soumis à Hartz IV. Aujourd’hui, ils seraient plus d’un million. La mission de Hartz et l’agenda prévu par le SPD et les Verts représentent la réforme du système welfare qu’aucun gouvernement conservateur n’avait jamais osé achever. Ces réformes furent seulement possibles avec l’actif soutien des syndicats. Peter Hartz lui-même ne put jamais jouir de son « succès ». En 2007, il est condamné à deux ans d’emprisonnement et à une sérieuse amende et il vit maintenant en marge de la société. Hartz était impliqué dans un scandale comprenant également les représentants syndicaux de Volkswagen, scandale si manifeste que l’appareil judiciaire s’est trouvé contraint d’agir.