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25 août 2015

CAPITALISME ET RENTE FONCIÈRE. (I)

Ce texte est paru dans Echanges n° 137 (été 2011).

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Dans un monde capitaliste dominé par la technique et par la place privilégiée donnée à l’industrie, dans nos sociétés « évoluées » où la part des revenus consacrée à l’alimentation s’est considérablement amenuisée, l’agriculture – c’est-à-dire l’exploitation du sol – est souvent reléguée au second plan. Bien sûr il n’en est pas de même lorsque l’on descend dans l’échelle économique des Etats pour arriver aux plus pauvres. Dans les pays « riches », on ne parle d’agriculture qu’occasionnellement, à propos de catastrophes naturelles (comme la sécheresse par exemple) ou lors des réactions paysannes aux effets de l’intrusion industrielle ou de la concurrence commerciale – ou encore lors de polémiques sur les questions plus générales liées à l’évolution du capitalisme, comme l’effet de serre ou les manipulations génétiques ou encore, mais seulement de temps à autre, lorsque des « insurrections de la faim » prennent une dimension suffisante pour briser le mur du silence médiatique. Mais les problèmes liés à l’utilisation du sol sont rarement abordés dans leur globalité, alors qu’ils sont le cœur même de la survie de l’humanité, même si cela ne semble faire qu’une partie peu importante de notre quotidien. En traitant du problème limité et largement médiatisé de l’accaparement actuel des terres par le capital, nous allons tenter d’aborder cette globalité sans avoir la prétention d’en faire une analyse exhaustive, mais avec l’espoir d’en faire un sujet de débat.

 

Lors des « émeutes de la faim » de 2007-2008, nous avions estimé (voir Echanges nos 124 [http://www.mondialisme.org/spip.php?article1243] et 125 [http://www.mondialisme.org/spip.php?article1194], printemps et été 2008) que la hausse du prix des matières premières (en premier lieu de l’ensemble des produits alimentaires) ayant déclenché ces émeutes n’était pas due à une limitation des ressources naturelles, mais à la crise générale de l’accumulation capitaliste (la baisse du taux de profit) : il s’agissait d’une nouvelle bulle spéculative de capitaux à la recherche de profits à court terme (1).
A la suite du krach de 1929, le gouvernement des Etats-Unis avait établi une régulation pour limiter l’effet des spéculations sur les produits alimentaires. A partir de 1990, cette régulation fut peu à peu écartée, sous la pression des banques et autres établissements financiers ou commerciaux œuvrant dans ce secteur spécifique avec des formules de plus en plus sophistiquées permettant toutes sortes de manipulations. On retrouve ici le même mouvement du capital qui, à la recherche de profits spéculatifs, fit sauter les frontières entre banques de dépôts et banques d’affaires (2).
En fait, la spéculation sur les marchés des matières premières alimentaires s’est amplifiée dès 2003 ; entre 2003 et 2008, cette spéculation sur les produits alimentaires de base est passée de 1,3 milliard de dollars à 317 milliards, concurremment avec d’autres bulles spéculatives dans lesquelles une masse énorme de capitaux recherchent à tout prix une rentabilité que la baisse du taux de profit dans la production ne leur procure plus. Mais il y a aussi une autre cause à cette envolée des prix et à la spéculation, tant sur les produits que sur les terres ; c’est le développement des cultures industrielles (maïs, canne à sucre, betterave sucrière, huile de palme, tous substituts des carburants dérivés du pétrole) portées par des politiques nationales ou les capitaux énormes du secteur de l’énergie.
Cette situation spéculative n’a pas disparu. Au contraire. Après un calme relatif, elle s’est diversifiée. D’une part, s’agissant de produits alimentaires, élément primordial pour la reproduction de la force de travail, les Etats ont pris tout un ensemble de mesures tendant, soit à protéger leurs propres ressources (notamment par des embargos), soit à s’assurer des approvisionnements réguliers à des prix le plus bas possible (souvent abaissés par des subventions intérieures). Le maintien à l’intérieur d’un Etat d’un approvisionnement minimal à un prix minimal est à la fois une garantie de paix sociale et de maintien d’un bas coût relatif de la force de travail.
Cela a toujours été une des politiques dans la concurrence capitaliste : dans chaque entité nationale, fournir au prolétariat au prix le plus bas le minimum alimentaire nécessaire pour réduire le coût de la force de travail (3).

 

En octobre 2008, la révélation d’un projet de location à long terme (à l’instigation du gouvernement sud-coréen) par la société Madagascar Future Enterprise, filiale du groupe coréen Daewoo Logistics Corporation, de 1 300 000 ha de terres de cette île (presque la moitié de toutes les terres arables) déchaîna toute une série de campagnes médiatiques, même si la situation politique instable de l’île laissait quelques doutes sur la réalisation de cette mainmise, une concentration nouvelle de l’appropriation des terres destinée à garantir finalement paix sociale et bas coûts de production coréens.
Dans la foulée, d’autres révélations du même genre suivirent et le flot des accaparements de terres arables à grande échelle n’a cessé de couler ; parmi ceux qui ont été révélés (et qui ne sont sans doute que la partie émergée de l’iceberg car le menu fretin échappe à toute publicité), citons :
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– au Mali, l’Office du Niger, création du colonialisme des années 1930, prévoit en 2010 la mise en œuvre de milliers d’hectares ; 360 000 au profit d’investisseurs étrangers contre 9 000 pour les paysans tchadiens, la plus grosse part allant à la Libye (100 000 ha loués pour trente ans renouvelables à la société Malibya, pour fournir du riz à la population libyenne). Cet investissement entraîne l’éviction des paysans maliens et pour ceux qui y échappent le problème de l’eau garantie prioritairement aux accapareurs. Dans la situation présente de la Libye on ne sait trop ce que deviendra ce projet ; mais, quels que soient les dirigeants du pays, le problème subsistera ;
– à Madagascar, Daewoo n’est pas le seul accapareur : un sous-traitant de l’Etat indien, Varum, propose aux paysans de leur louer leurs terres pour cinquante ans contre le versement de 30 % de la récolte, avec une promesse d’embauche. Une forme moderne du métayage ;
– l’Arabie Saoudite, qui s’était lancée dans l’ambitieuse idée d’être autosuffisante en blé en irriguant le désert, doit l’abandonner pour rechercher à travers le monde des terres agricoles à investir. Et explore pour ce faire le Sénégal, le Soudan, le Mali et l’Ethiopie. En Papouasie (Indonésie) 1 million d’hectares ont été offerts à l’Arabie Saoudite pour la culture des céréales. L’ampleur de ces opérations semble dépasser la simple recherche d’approvisionnements vers des buts spéculatifs ;
– en Russie, Hyundai loue 50 000 ha pour cultiver du maïs et du soja destinés à l’alimentation animale. Une Russie qui, pour attirer lesdits investisseurs, a autorisé en septembre 2008 les étrangers à acquérir des terres. La tendance, en cours de réalisation, est de transférer ce qui reste des fermes collectives d’antan ou propriétés de l’Etat russe en grandes fermes privées réalisant des économies d’échelle.

 

Parmi les plus actifs sur le marché actuel de la terre arable dans le monde, on trouve les Emirats arabes, la Corée du Sud, le Japon, la Chine. Avec des motivations diverses, depuis la garantie d’approvisionnement alimentaire jusqu’à la recherche de matière première industrielle, ces pays disposent de réserves financières suffisantes non seulement pour s’approprier la rente foncière mais pour assurer la fourniture du matériel nécessaire à une exploitation moderne à grande échelle. Parmi les victimes de ces prédateurs, on trouve toute l’Amérique latine mais aussi les Etats-Unis, les ex-pays soviétiques où le démantèlement des exploitations étatiques ou collectives offre un champ vierge et bien adapté de pénétration, le Sud-Est asiatique et la quasi-totalité des pays d’Afrique, là où la faiblesse et la corruption du pouvoir politique facilite les acquisitions et la dépossession des petits paysans exploitants souvent sans droits, d’usage ancestral mais mal défini.
Mais il n’y a pas que les Etats qui cherchent à acheter des terres pour garantir leurs approvisionnements en nourriture. Deux catégories de spéculateurs sont entrés également dans la compétition : d’un côté les fonds de pension, les banques et les fameux fonds spéculatifs « hedge funds » (4) (on cite Citadel Capital et Goldman Sachs qui ont acheté ou loué des dizaines de millions d’hectares de par le monde). Depuis 2006, 30 millions d’hectares, dont rien qu’en 2008, 8 millions d’hectares,  sont passées ainsi aux mains des « investisseurs » mondiaux (le Brésil en compte 5 millions depuis 2000 ; à titre de comparaison, la France compte 60 millions d’hectares de terres exploitées). Pour la seule année 2009, c’est cette dernière superficie qui a été achetée ou louée par des investisseurs étrangers dans les pays en développement. Cette concentration de l’exploitation des terres se fait aux dépens des 4 milliards de ruraux qui produisent l’essentiel de la nourriture On doit néanmoins relativiser cette tendance qui ne concerne depuis 2006 que 1 % des terres cultivées au niveau mondial ; par contre le champ possible d’extension de ce mouvement pourrait atteindre une grande dimension, du fait que les terres exploitables non mises en culture représentent 2,7 milliards d’hectares, dont même pas 1 % seraient ainsi ­accaparées.
D’un autre côté, un aspect plus important de cet accaparement des terres vient de l’entrée directe de l’agrobusiness parmi les propriétaires, à la fois pour garantir la source de son approvisionnement en matières premières et pour s’approprier ce faisant la rente foncière et maximiser ses profits, ne négligeant pas au passage les profits spéculatifs. Il est difficile dans ces énormes conglomérats d’évaluer la part des producteurs, de l’industrie alimentaire, des financiers : les simples coopératives agricoles se hissent, en intégrant des activités multiples en aval, au niveau de firmes industrielles ; de simples négociants en céréales parviennent aussi au niveau mondial en intégrant en aval les industries de transformation et en amont en acquérant des terres ; les industriels de la transformation des produits agricoles se développent en multinationales en remontant en amont jusqu’au même accaparement des terres. Quelques exemples parmi bien d’autres :
– créée en 2007, Agrogeneration fait son beurre des terres des ex-kolkhozes ukrainiens, avec déjà 20 000 ha exploités et un projet d’y ajouter 100 000 ha ;
– la Patagonie, déjà mise en coupe réglée par les multinationales de la viande, connaît un regain d’intérêt ; 10 % de son territoire sont aux mains d’investisseurs étrangers. En fait, c’est toute l’Amérique latine qui voit une expansion considérable des latifundia vers des cultures industrielles qui, souvent par la violence, éliminent les paysans et/ou les transforment en esclaves modernes (5) ;
– les terres du Mozambique, propriété de l’Etat, sont cultivées sans titres d’usage par 98 % des paysans ; une bonne part de ces terres sont en friche et Energem Biofuel Ltd, filiale du groupe canadien Eneergem, s’est implanté dans le sud du pays pour cultiver 60 000 de jatropha, une plante dont les graines oléagineuses sont utilisées comme biocarburant. La firme a poussé les paysans à abandonner leur droit d’usage et en emploie 500, payés 44 euros par mois. Le pays, qui a connu des émeutes de la faim encore récemment, manque cruellement de nourriture ;
– en avril 2011, la compagnie paraétatique chinoise Sauchi Hopefull a conclu un accord avec la fédération agricole de l’Etat de Goias au Brésil, pour développer et moderniser la culture du soja, dont elle achète déjà là 6 millions de tonnes. Si l’accord assure une sécurité d’approvisionnement à la Chine, qui de fait contrôlera toute la chaîne de production, il permet au Brésil d’échapper aux géants de l’agroindustrie, l’américain Cargill et le britannique Archer Daniels Midland ;
– au Mali, 100 000 ha ont été acquis par un pool de 22 investisseurs qui ont dépossédé 112 000 petits paysans et leur famille (près d’un million d’habitants en vivant au total) en « créant » en contrepartie 1 000 emplois d’esclaves agricoles (Le Monde du 10 juin 2011 : « Les fonds d’investissement participent à la ruée vers l’Afrique »)
La crise mondiale, dont les éléments que nous venons de développer peuvent être expliqués par la même cause, la baisse du taux de profit, a non seulement accentué les conséquences de cet accaparement des terres quelle qu’en soit l’origine, mais a favorisé une concentration dans tout le circuit de production, de transformation et de commercialisation des produits de la terre. La conséquence ultime en a été un accaparement encore plus étendu des terres. En fait, cet accaparement par les Etats hors de leur sphère nationale n’est qu’un autre aspect d’un mouvement général d’appropriation par le capital (sous ses différentes formes capitalisme libéral ou d’Etat) d’un moyen de production spécifique (6).
Comme dans les autres secteurs du développement industriel causant de multiples pollutions, l’industrialisation de l’agriculture conduit à un rendement décroissant, tant par l’épuisement des sols dû aux monocultures étendues que par des effets (prévisibles) des manipulations génétiques. Ce rendement décroissant fait que les investissements dans l’agrobusiness sont d’une rentabilité à court terme et de plus aléatoire, simplement par l’effet des conditions climatiques. Les géants de l’agrobusiness tentent de pallier ces effets climatiques en diversifiant leurs sources de production sur l’ensemble du globe, ce qui les rend tributaires de la logistique des transports (qu’ils tentent aussi de contrôler). On se trouve ainsi, partant d’un problème simple, la croissance d’une plante, devant un enchevêtrement complexe de causes et de conséquences concentré sur la notion du profit. Ce n’est pas un des moindres paradoxes de la situation actuelle du capitalisme, pris dans la nécessité de base de nourrir avec un minimum l’ensemble de la population mondiale, d’un côté détruisant un équilibre naturel et sa rentabilité par une utilisation intensive de la production du sous-sol, partie de la rente foncière que nous avons laissée de côté (une sorte de réserve d’énergie accumulée par les plantes au cours des temps), et de l’autre tentant d’en pallier les effets sur cette rentabilité par une sorte de fuite en avant dans des technologies nouvelles sources de nouveaux profits (depuis les manipulations génétiques jusqu’à la rationalisation dans l’utilisation de l’eau) (7). Cette fuite en avant entraîne elle-même des conséquences imprévisibles dont personne ne mesure l’impact (8).
Dans l’immédiat, l’impact est social à la fois par l’effet de cet accaparement des terres et par l’imprévisible instabilité du prix de la nourriture, les conflits autour de l’approvisionnement en eau (l’agriculture mondiale utilise 70 % des ressources en eau), la vulnérabilité des plus pauvres à la sécheresse ou aux inondations, symptômes isolés d’une crise globale autour de la production agricole qui peu à peu devient permanente, l’impact des changements climatiques et des mesures qui pourraient être prises pour y pallier étant plus marqué en Afrique, en Amérique Centrale et du Sud (9).
La médiatisation de cette irruption quelque peu brutale du grand capital dans des structures agricoles encore archaïques a déclenché une autre tempête médiatique autour d’un prétendu « néo-colonialisme », comme s’il s’agissait d’un phénomène similaire à ce que l’on a connu dans le passé, mais quand même présentant des traits spécifiques. S’il est certain que cette ruée récente sur les terres arables mondiales a été déclenchée par les mouvements spéculatifs dont nous avons parlé, elle s’inscrit néanmoins dans un processus qui dure depuis des siècles avec l’affirmation du capital, d’un capital qui envahit tous les espaces où existe des perspectives de profit, de réalisation d’une plus-value. Cela s’est fait et se fait encore sous nos yeux par une multitude de canaux dont les « bonnes raisons » ne sont souvent que la couverture d’une intégration toujours plus grande d’un secteur qui a souvent été à la traîne dans le développement du capital. C’est pour cela que nous pensons qu’il faut remonter aux sources pour voir la signification du mouvement présent autour de l’accaparement des terres.

 

 
Considérations générales  :
La genèse de la propriété foncière

 

La terre est la nourricière de tout le monde vivant, un monde qui en est

 

entièrement issu. Tous les éléments de cette terre, sol, eau, air contribuent à la vie de tout élément vivant, en même temps que tout ce qui vient du cosmos et sans lequel tout ce vivant n’aurait pu naître et se développer.
Chaque espèce vivante puise dans un environnement de quoi croître et se reproduire. Cet environnement définit un espace dans lequel elle trouve des conditions favorables à sa survie et à la perpétuation de l’espèce. Si cet espace ne convient pas à ces fonctions, elle se déplace pour trouver ces conditions favorables, sinon elle est condamnée à dépérir, à disparaître en tant qu’espèce.
Il est difficile de définir comment, pour certaines espèces, cet environnement propice à ces fonctions – vivre et se reproduire – a pu déterminer un territoire que cette espèce cherche à protéger non seulement contre ses prédateurs mais aussi éventuellement contre ceux de la même espèce ou d’espèces voisines qui risquent de perturber la perpétuation des individus peuplant ce territoire.
On ne sait guère, pour nombre d’espèces, comment existe et fonctionne cette notion de territoire, mais elle a souvent été observée chez les espèces dites « supérieures ». La prétention de l’espèce humaine d’être le terme ultime de la chaîne du vivant se traduit par l’affirmation d’une domination sur tout ce qui existe sur la terre et même éventuellement dans le cosmos (le terme « conquête de l’espace » est symptomatique de cette prétention dominatrice).
Considérant l’espèce humaine, cette notion de territoire affirmée par un seul être ou tout un groupe n’est pas absente des comportements : les humains affirment être détenteurs d’un espace défini par des droits et des règles.
Il est pourtant possible que dans des temps reculés, les êtres humains tout comme les animaux « supérieurs » vivant de la prédation (cueillette, chasse, pêche) aient dû délimiter un territoire qui pouvait leur assurer survie et reproduction. Mais cette utilisation de ce que le sol pouvait pourvoir n’était pas défini comme un droit, mais comme un usage qui pouvait être privatif. Lorsque cette possibilité d’usage ne correspondait pas à ce que l’on en attendait, on cherchait ailleurs un espace plus favorable. Ces « migrations » pouvaient avoir des causes diverses et n’étaient sans doute pas le plus souvent le résultat d’une décision entraînant un départ soudain. Entre autres causes, les variations climatiques, l’accroissement de la population, l’intrusion d’autres groupes de la même espèce poussés par ces mêmes causes, faisaient que ces mutations étaient progressives et pouvaient se dérouler sur de grandes périodes de temps.
Toutes proportions gardées et malgré les différences de situations, ce sont les mêmes raisons qui commandent les migrations d’aujourd’hui et les problèmes autour de la terre ; mais évidemment elles ont un tout autre caractère et d’autres conséquences. En ces temps reculés, sauf en cas d’occupation de terres vierges, ces migrations s’accompagnaient vraisemblablement de violence dans la conquête ou la défense de territoires. Même antérieurement à la culture ou l’élevage, il y avait également des migrations liées aux migrations animales ou végétales saisonnières ou autres. On peut observer qu’aujourd’hui, sous d’autres formes, les mêmes évolutions et les mêmes problèmes existent.
Il est difficile de dire à quel moment les êtres humains ont tenté de pallier les aléas climatiques en pratiquant culture et élevage de produits qu’ils récoltaient, chassaient ou pêchaient dans une reproduction naturelle. C’est-à-dire comment ils ont acquis une certaine maîtrise des processus naturels, ce qui présida vraisemblablement à la naissance de l’idéologie de la supériorité de l’être humain sur toutes les autres espèces et à celle de la possibilité de maîtriser la nature, en d’autres termes l’idéologie du progrès.
Tout comme il y avait déjà ce double nomadisme – la migration vers des terres plus nourricières ou à la suite des espèces migrants suivant les saisons ou les climats, les cultures ou l’élevage procédèrent vraisemblablement d’une version similaire du nomadisme causée par exemple par la recherche de pâturages ou de remplacement de terres épuisées (on peut en voir des exemples encore de nos jours).
Il est tout autant difficile de dire à partir de quel moment et dans quelles conditions ce nomadisme s’est transformé en sédentarisation, certainement liée à tout un ensemble d’innovations permettant de pallier les inconvénients de la culture ou de l’élevage nomades (par exemple drainage ou irrigation, amendements ou engrais naturels). Bien que cela ait dû se faire sur une longue période de temps et dans une cohabitation concurrentielle avec le nomadisme.
Quoiqu’il en soit, cette sédentarisation introduisait plusieurs problèmes :
– l’affirmation d’un droit d’usage d’autant plus identifié par rapport à une partie délimitée du sol que c’était celui que l’on avait travaillé, amélioré (irrigation , drainage, amendement) ;
– un conflit avec la partie nomade subsistante, polarisé dans des désaccords entre les éleveurs de troupeaux nomades et les sédentaires leur interdisant le passage sur « leur » terre. Les communaux de pacage, les forêts communales, les chasses non réservées sur ces parties communes, etc., témoignent de la persistance de cette notion que la terre appartient à tous. Des résurgences de ce communalisme ont pu apparaître pour de brèves périodes récentes en Russie ou en Chine, dans des survivances ou expérimentations limitées.
Un peu partout le conflit sédentaires-nomades fut résolu par l’affirmation juridique d’un droit de propriété de fractions du sol, et il a cessé pratiquement de jouer un rôle significatif.
Par contre, parallèlement à ce conflit relatif à l’usage nomade ou permanent du sol, se sont développées différentes formes d’appropriation faisant de la terre un moyen de production, l’appropriation individuelle du sol garantissant l’appropriation du produit de sa mise en valeur. Cette appropriation était la résultante du concours entre le droit d’usage de la portion de sol définie juridiquement et le travail effectué pour avoir ce produit, travail qui s’accomplissait par l’utilisation d’outils même rudimentaires.
Avant même le développement du capitalisme et son intrusion dans le domaine de la production agricole, les éléments qui se dégageaient de l’ensemble du procès de production agricole pouvaient se différencier en :
– la propriété du sol ;
– l’exploitation du sol c’est-à-dire son usage ;
– l’utilisation de techniques de production ;
– l’utilisation des produits.
Si l’agriculture (et ce qui subsiste des utilisations primitives des produits naturels du sol) reste essentielle pour la satisfaction des besoins humains de survie et de reproduction, la propriété du sol a engendré d’autres activités comme moyens de production, celle du sous-sol, celle de l’implantation d’une multiplicité d’installations immobilières. L’eau et l’air ont fait également l’objet d’appropriations complémentaires pour des utilisations spécifiques (où l’on retrouve également des utilisations communautaires) dont les limitations sont liées à l’appropriation du sol.

 

 
La rente foncière

 

Recherchant le sens présent de l’accaparement des terres fertiles par les multinationales ou des Etats, nous n’aborderons ici que la question de la rente

 

foncière (voir encadré p. 52) dans la production agricole.
Nous devons d’abord souligner qu’avec des caractéristiques propres, variables suivant les pays, l’agriculture participe au mode de production capitaliste, même lorsque cette participation reste encore marginale. Cette intégration est parallèle au développement industriel mais, en raison des spécificités de la production agricole (l’une d’elles, essentielle, est l’existence de la rente foncière), son développement a toujours été historiquement en décalage avec ce développement industriel, bien que de plus en plus cette intégration signifie aussi une interconnexion étroite entre deux mondes, industriel et agricole, de moins en moins séparés et participant d’un même développement global et mondial et en subissant les mêmes aléas.
Comme nous l’avons souligné au début de cet exposé, dans toutes les périodes historiques, la terre, quel que soit son mode de faire-valoir, est « donnée » dans le sens qu’elle existe telle quelle avec ses propres spécificités là où elle se situe dans sa composition et son environnement climatique. Elle est « disponible » pour être utilisée par toutes les espèces vivantes, la chaîne du vivant étant sa production naturelle, l’espèce humaine disposant éventuellement de tous les éléments de cette chaîne pour sa survie. Elle n’en dispose jamais sans un effort physique et/ou mental plus ou moins important en utilisant toujours des moyens matériels, c’est-à-dire une technique. Ceci qu’il s’agisse de tâches élémentaires (cueillette, chasse ou pêche) ou de tâches plus complexes comme la culture ou l’élevage : la technique et l’accomplissement d’une tâche (le travail ?) ne sont jamais, à chacune des étapes de l’évolution, que les prolongements de cette « mise à disposition » des produits du sol.
Mais ce passage suppose une modification de la relation de ceux qui utilisent les produits du sol avec ce sol .Si l’agriculture ou l’élevage ont pu être (et sont encore parfois aujourd’hui) itinérants, donc sans fixation sur un espace défini (bien que la jouissance de la récolte suppose déjà une appropriation temporaire), à partir du moment où ils se fixent (pour des raisons sans doute liées à des pratiques d’amélioration de la fertilité du sol), sur un espace géographique déterminé et identifié, apparaît la nécessité d’une appropriation individuelle ou collective.
D’un côté, l’appropriation (peu importe qui est le propriétaire, individuel ou collectif, exploitant ou non, et quel que soit le rapport social en découlant) suppose la détention d’un droit reconnu, coutumier ou plus souvent matérialisé par un titre juridiquement reconnu dans une société donnée (on peut penser que cette nécessité et d’autres touchant des pratiques agricoles obligatoirement collectives comme par exemple l’irrigation ont entraîné la formation d’entités autoritaires chargée de réglementer et d’intervenir en cas de litige). Ce passage des formes antérieures d’utilisation du sol vers son appropriation ne s’est pas faite en un jour ni sans conflits, comme celui que nous avons évoqué entre les nomades éleveurs et les sédentaires agriculteurs. Aujourd’hui encore il subsiste, même dans les pays industrialisés, des vestiges de formes d’usage communautaire du sol, par exemple des droits de pacage, d’exploitation forestière, de chasse ou de cueillette – mais ils ne sont souvent que des survivances du passé.
Même dans les périodes précapitalistes de propriété individuelle ou collective ou communautaire, quel que soit le mode d’exploitation ou d’usage du sol, le produit naturel ou cultivé ou élevé était consacré à l’alimentation de l’exploitant et de ceux qui étaient supposés lui procurer de quoi exploiter la terre (artisans) ou le protéger contre des prédateurs (hommes et animaux), souvent avec des relations de domination impliquant des obligations respectives (sociétés féodales). Avec l’extension des terres cultivables par le défrichage, l’amélioration du rendement des terres par de nouvelles pratiques culturales, un surplus a pu se dégager de cette économie de subsistance pour venir approvisionner les habitants des villes. Ceci se fit progressivement par l’institution d’un début de marché à travers des intermédiaires, des négociants qui achetaient aux paysans exploitants ou propriétaires et revendaient à ceux qui n’avaient aucun lien avec la terre.
Ce marché ne concernait pas seulement les produits alimentaires, car la terre avait toujours fourni des produits nécessaires à des protections contre les variations climatiques, les matériaux de construction dont le bois était un produit du sol, les fibres textiles des plantes et des animaux, le cuir pour les chaussures, etc. Quel que soit le mode d’utilisation du sol, par un propriétaire exploitant ou un exploitant non propriétaire, la terre reste un moyen de production très particulier en ce sens qu’elle n’a pas à être produite comme tout autre moyen de production et que, malgré l’usure éventuelle que lui confère son usage (appauvrissement), elle reste la plupart du temps disponible après cet usage. C’est ce qui donne au propriétaire foncier un droit bien particulier qui lui permet ou d’utiliser « sa » terre pour son propre usage ou d’en confier l’exploitation moyennant finance ou redevance en nature : d’une manière ou d’une autre, il bénéficie d’un revenu d’un moyen de production qu’il détient en vertu de ce droit de propriété sur cette terre, d’une rente foncière dont le montant dépend bien sûr non seulement de sa superficie mais aussi de sa qualité (climat, exposition, fertilité, facilité d’exploitation, etc..)

 

Dans le mode de production capitaliste – aujourd’hui partout dominant dans la production agricole (par rapport aux volumes produits, mais pas par rapport à la population, dont une grande part vit encore d’une production de subsistance précapitaliste), y compris pour les pays capitalistes d’Etat dits « socialistes », la terre commande toujours la rente foncière. Plus la terre entre dans le circuit de production capitaliste, devenant un instrument de production à part entière, plus la compétition capitaliste se concentre autour de la rente foncière qui est un des éléments de base de la fixation du coût du produit final. Elle fonctionne comme tout autre instrument de production avec l’originalité déjà signalée de pouvoir rester en l’état ; au terme de cette intégration complète dans le procès de production capitaliste, tous les éléments concourant à la production agricole sont identiques à toute autre production (sol, énergie, semences, produits chimiques, etc.), c’est-à-dire aboutissent à une production de plus-value. La compétition peut se concentrer sur l’un de ces éléments essentiels, la propriété du sol c’est-à-dire autour de la rente foncière.
Le passage d’une agriculture de subsistance (pour l’exploitant lui-même et sa famille, éventuellement le propriétaire ou tout autre disposant de la propriété d’une terre) à une agriculture de marché entrant dans le mode de production capitaliste, ne fût-ce que pour l’écoulement des surplus, se heurtait à l’existence du propriétaire foncier. Un exploitant louant la terre contre paiement de cette rente foncière, sous quelque forme juridique que ce soit, n’avait aucun intérêt à en préserver la qualité à long terme ; son intérêt n’était que de l’améliorer à court terme (fumure, engrais vert, assolement). Les seules possibilités pour l’exploitant d’accroître ses revenus consistaient soit à étendre les surfaces cultivables, soit à augmenter cette productivité du sol à court terme, soit, d’accord avec le propriétaire, à procéder à des améliorations de base permanentes du sol (drainage, irrigation, amendements, etc.) dont l’exécution influaient sur le montant de la rente foncière ; en général cet accroissement de production entraînait la nécessité d’accroître le capital variable ou son remplacement par des machines agricoles (avec l’augmentation conséquente de la productivité du travail).
Le développement du capitalisme industriel fit irruption dans le processus de production agricole d’une part en fournissant de plus en plus d’intrants (l’ensemble des matières premières : semences, amendements, engrais, produits phytosanitaires), d’autre part une partie de capital constant par toute une gamme de matériel agricole adaptée à chaque production et permettant une réduction considérable du capital variable, et finalement le contrôle de plus en plus important du marché des produits ­agricoles.
Ce développement s’est fait de manière totalement inégale (parfois à cause de problèmes politiques liés à la rente foncière, c’est-à-dire à la protection de la base sociale des petits propriétaires et des fermiers) au cours du xxe siècle, mais ses conséquences sur les structures agricoles finirent par s’imposer avec des problèmes de rentabilité, d’amortissement du capital constant dans lequel la terre et la rente foncière ne prenaient plus qu’une importance relative.
Une de ces conséquences fut la concentration de la production agricole sur de grandes exploitations – grandes par la superficie des terres exploitées, dimension requise pour la rentabilité de l’extension du capital constant, de la mécanisation. Cette concentration, dans les pays où l’existence de problèmes de structures de la propriété du sol freinait l’impact de la pression capitaliste, fut longtemps retardée jusqu’après la fin de la seconde guerre mondiale ; elle pose encore des problèmes aujourd’hui dans des pays comme la Chine ou l’Inde. Mais dans les pays « neufs », ou là où le capital a pu imposer sa loi (souvent brutalement), la grande propriété s’est installée sur des terres pratiquement vierges au prix de la dépossession des utilisateurs pour qui souvent la question de rente ne se posait même pas (Indiens d’Amérique du Nord ou d’Argentine par exemple).

 

L’appropriation de grands espaces agricoles est apparue dès le début du capitalisme avec les conquêtes du capitalisme marchand, sans être alors liée comme aujourd’hui aux pressions du capitalisme industriel. Tout colonialisme a vu de telles appropriations par la force au profit des grandes compagnies nationales (10), mais elles ont aussi sévi dans les semi-colonies qu’était, par exemple, toute l’Amérique ­latine.
Ce furent les premières intégrations de l’ensemble des processus de production agricole dans des groupes capitalistes. Le cas des Etats-Unis et celui de la Russie soviétique offrent des exemples parallèles de concentration des terres avec appropriation de la rente foncière, par des propriétaires privés en Amérique du Nord, par l’Etat en Russie. Mais cela ne pouvait se faire que s’il y avait des terres vierges sans propriétaires autres que les usagers du sol ou en cas de dépossession directe par la force là où la propriété était déjà définie (par exemple les révolutions russe ou chinoise). Par contre, là où ces possibilités étaient exclues à cause d’une multiplicité de propriétaires détenteurs de la rente foncière, la pression du capital pour s’introduire dans les processus de production agricoles a pris des formes très diverses.
L’exemple de la France est intéressant de ce point de vue, car on y trouve une multiplicité de situations selon les époques avant de parvenir au stade actuel d’une quasi-domination du capital avec seulement quelques situations résiduelles du passé.
Très tôt par rapport à l’évolution globale, la culture de la betterave sucrière a enchaîné une production agricole à une industrie : les industriels ont pu imposer des quotas de culture, des semences, des intrants et acheter la production de sucre et d’alcool à un cours imposé, variable d’ailleurs selon la qualité sucrière du produit. Le paysan exploitant fournissait le moyen de production essentiel, la terre et tout le capital variable (parfois des saisonniers étrangers recrutés par l’industriel) et assurait souvent le transport jusqu’à l’usine. Une telle situation fut en quelque sorte le prototype d’introduction des industries alimentaires dans les fermes d’élevage (volaille et porc notamment) : le paysan et sa rente foncière n’assumaient plus qu’une partie du capital constant et du capital variable ; son enchaînement était tel que sa situation fut souvent comparée à celle des artisans du textile dans les débuts du capitalisme. Par ce biais, les industries alimentaires intégraient pratiquement entièrement la production agricole dans le mode de production capitaliste, réduisant le paysan à une situation de totale dépendance comme tout salarié, mais sans avoir les charges liées à la propriété pas plus que celles liées au ­salariat.
Une autre voie d’introduction du ­capital se fit par le biais de la mainmise sur l’écoulement de la production. A l’origine, le surplus de l’autoconsommation de la production agricole était soit affecté en nature à la rente foncière, soit écoulée sur le marché, directement, ou par l’intermédiaire de négociants qui achetaient et revendaient aux utilisateurs industriels ou artisans. Les paysans étaient ainsi introduits dans le mode de production capitaliste. La crise des années 1930 et la dernière guerre mondiale accélérèrent un processus de concentration dans le circuit de vente de la production agricole. Par des voies diverses (coopératives agricoles notamment), cette concentration aboutit à la situation actuelle où, avec la concentration du commerce, ce sont les capitalistes de la distribution qui imposent des conditions draconiennes de production par exemple dans le secteur laitier ou des fruits et légumes, écrémant ainsi une partie de la rente foncière (11).
H. S.

ANNEXE

 

Une définition

 

La rente foncière est ce que perçoit le propriétaire de la terre, obtient de son usage comme moyen de production d’une marchandise quelconque ; comme indiqué dans le texte, nous n’évoquons dans cette étude que la production du sol excluant celle du sous-sol.
Sur le plus mauvais terrain, celui qui va déterminer la valeur du produit agricole, le propriétaire foncier obtient une rente absolue et rien d’autre.
Sur les autres terrains de qualité supérieure, le propriétaire obtient une rente supérieure à cette rente absolue, une rente différentielle qui s’accroît avec la qualité des terrains (qualité qui peut être améliorée par différentes techniques particulièrement aujourd’hui à travers d’énormes investissements dans l’accaparement des terres).
Les développements au sujet de la rente foncière nécessiteraient des pages et des pages. L’importance de ce sujet ressort du fait que presque la moitié des travaux de Marx lui sont consacrés par exemple dans « La nationalisation de la terre » (La Pléiade, tome 1, p 1473), dans
Le Capital, sixième section (la Pléiade tome 2, p 1285 à 1424) ou « La commune rurale et les perspectives révolutionnaires en Russie » (La Pléiade, tome 2 p 1537).
On trouvera une vue d’ensemble du sujet dans une série de textes du groupe Communisme et Civilisation « La question agraire » regroupée et accessible sur le site internet  [
http://www.robingoodfellow.info/pagesfr/textsrefonds/qagraire.pdf]

 

 

 

NOTES

 

(1) C’est une donnée constante que plus d’un milliard d’êtres humains (un sixième de la population mondiale) ont vu leur situation alimentaire déjà très médiocre s’aggraver pour une grande part à cause des spéculations sur les produits alimentaires. Mais l’impact réel diffère beaucoup suivant les Etats et à l’intérieur de chaque Etat suivant les classes sociales .En moyenne, 7 % du revenu sont consacrés à l’alimentation aux Etats-Unis, contre 45 % au Kenya et 49 % en Azerbaïdjan, chiffres qui ne révèlent pas les différences internes de chaque Etat entre classes ou groupes sociaux.

 

(2) « Le prix du blé, du maïs et du riz a augmenté de manière très significative mais ce n’est pas lié au niveau des réserves ou aux projections sur les moissons mais aux spéculations réagissant à la moindre information et spéculant sur l’état immédiat du marché » (Olivier Schutter, rapporteur de UN Food, International food crisis due to agribusiness and speculators – Bery Mason, 10 juin 2011, WSWS).

 

(3) Le débat sur les « corn laws » (lois sur les blés) en Grande-Bretagne au début du xixe siècle illustre bien cette nécessité pour le capital.

 

 

 

(4) Hedge funds, voir Echanges n° 132, p 52. La spéculation sur les marchandises et/ou sur les moyens de production de celles-ci ne concerne qu’en partie les produits de l’agriculture alimentaires ou industriels, avec peut-être une préférence pour les produits alimentaires en prévision d’un accroissement de la population mondiale.

 

 

 

(5) Voir « L’accaparement des terres en Amérique Latine ». Un article du Monde Magazine (4 juin 2001) explique comment les Indiens sont évincés de leurs terres qu’ils cultivent depuis des siècles pour céder la place à la monoculture de la palme ou de la canne.

 

(6) Aux Etats-Unis, situation jamais vue depuis trente années, en 2010, le prix de la terre agricole a monté de 13 % à 15 %, spéculation favorisée par les bas taux d’intérêt.

 

(7) Au-delà des diverses manipulations génétiques, des techniques d’irrigation ou des projets mirobolants de production hors sol sur les flancs ou le toit des gratte-ciels, le délire capitaliste trouve présentement son expression ultime dans une organisation internationale le « Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC ) » qui met au point des méthodes de « géoingéniérie » visant à trouver des « solutions » au réchauffement climatique, pas en réduisant les émissions de gaz nocifs, mais en palliant leurs effets : écran chimique stratosphérique de protection, tranformation chimique de la chaîne alimentaire marine pour absorption de CO2, etc.
(8) Des études récentes tentent des projections sur l’ensemble des problèmes alimentaires du globe : « Global Food crisis, the speculators playing with our daily bread » (The Guardian, 2 juin 2011). Les incidences des manipulations génétiques autour des OGM commencent à apparaître, beaucoup plus tôt que prévu selon les spécialistes : mutation de « mauvaises herbes » géantes à croissance rapide, résistantes à tous les herbicides et qui contraignent à un retour au désherbage manuel, apparition d’insectes prédateurs résistants à tous les insecticides ; ravages d’insecticides sur les colonies d’abeilles, etc.

 

(9) « Growing a better future » rapport d’Oxfam qui fait une projection estimant que dans les vingt ans à venir, les prix des denrées agricoles augmenteraient entre 60 % et 80 %. Le Monde (10 juin 2011) parle de « ruée vers l’Afrique ».

 

(10) La domination coloniale pouvait comporter des variantes dans l’imposition par la contrainte de productions spécifiques. Par exemple au Tchad sous la domination française, chaque exploitation était tenue de cultiver un demi-hectare de coton pour approvisionner l’industrie textile française. On pouvait y voir des similarités avec les contrats liant le paysan pour une production définie avec un industriel avec fourniture des semences et d’intrants mais là, c’était une obligation faite au détriment de la production vivrière pour l’autoconsommation. La dureté de ces « contrats » imposés entraîna à diverses reprises des révoltes réprimées dans le sang. On doit ajouter que les séquelles de cette situation ont perduré après la décolonisation en ruinant les producteurs de coton tchadiens mis en compétition sur le marché mondial.

 


(11) Là où préexiste une propriété et la rente foncière dispersée en une multitude de petits propriétaires exploitants ou d’exploitants non propriétaires, situation qui existe encore dans les pays européens et dominante dans des pays comme la Chine ou l’Inde, l’intégration capitaliste se fait essentiellement par le canal du marché, en gros par les trusts de la distribution ou du conditionnement alimentaire. Le capital soumet un procès de travail préexistant déterminé, par exemple la petite agriculture paysanne autonome. Le capital marchand collecte leurs produits et les revend. Il peut avancer les matières premières ou l’argent pour permettre au paysan d’assurer les transitions. On trouve  de nombreux exemple de ce type de pénétration notamment dans toutes formes d’élevage (porc et poulet) et dans les cultures céréalières ou industrielles (notamment avec l’introduction des semences OGM). Ce rapport de domination et de subordination prend la place de la traditionnelle autonomie des paysans se suffisant à eux-mêmes, des fermiers qui payaient simplement une rente en nature à l’Etat ou au propriétaire foncier.

 



 

 

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