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16 août 2016

Iran. Pas de répit après l’accord sur le nucléaire

« Keine Ruhe nach dem Atom-Deal », article non signé paru dans le n° 99 (hiver 2015-2016) de la revue allemande Wildcat, p. 32-34, et dans Echanges n° 155 (printemps 2016)

 Depuis 2012, après la répression du « mouvement vert » de 2009 et la suppression des subventions pour les moyens de subsistance et l’énergie par Ahmadinejad (1), l’Iran se retrouve confronté à une crise économique. Le FMI estimait le taux d’inflation pour 2013 à 25 % (en quatrième place du classement officiel) ; en réalité, il était à la mi-2013 déjà au-dessus de 40 %. Dans le même temps, le PIB reculait de 6,8 %. Le chiffre de la production automobile, par exemple, a baissé de plus de la moitié entre 2004 et 2013 (2).
Malgré les accords, la crise
Le nouveau régime du président Rohani, élu en 2013, est parvenu à réduire le taux d’inflation à 15 % en 2014 tandis que l’économie croissait de 4,3 %. En partie en conséquence de la « bulle espérance » liée à la conclusion des négociations sur le nucléaire, mais aussi d’un arrêt de la dépréciation de la devise iranienne et d’une émission d’emprunts de l’Etat qui ont fait rentrer de l’argent dans les caisses. Néanmoins, les revenus de l’Etat ont chuté par suite de l’effondrement des prix du pétrole.
Le gouvernement a alors réduit ses dépenses de 13 %, ce qui a entraîné une diminution de la demande en biens de consommation déjà faible. Les prévisions économiques semblent donc mauvaises ; les gouvernants eux-mêmes préviennent d’une récession. Pour 2015, le FMI table sur une croissance de 0,8 %. Et bien que le gouvernement ait fait de la lutte contre l’inflation une priorité, son taux s’est encore accru de 15 %. Le chômage atteint 10,6 % (2014) et ne fera que croître.
Selon les chiffres du régime, 30 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Quoique le salaire minimum ait plus que doublé, de 303 000 toman (3) en 2010 à 712 000 (si on y inclut les aides au logement et les allocations familiales, il se monte en fait à presque 1 million de toman), cette hausse demeure inférieure à l’inflation. Exprimé en dollars il a baissé, équivalant à 290 dollars autrefois contre 215 actuellement à cause de la dévaluation de la devise par rapport au dollar qui, malgré les sanctions, permettait de subvenir aux besoins de base.
Depuis la levée des sanctions, le régime cherche à attirer les investissements privés étrangers et, pour les attirer, cherche à réduire les salaires et à modifier le code du travail. La création de vastes zones franches économiques où les lois du travail ne s’appliquent pas ainsi que de nouveaux types de contrats de travail contenant des clauses telles que la possibilité, en cas de licenciement pour fait de grève, de ne verser aucun salaire pour les heures de travail effectuées, font partie de ces mesures incitatives.
Le cours intensif des privatisations de grandes entreprises, achetées avant tout par des institutions telles que les compagnies d’assurances, a entraîné, ces dernières années, le renouvellement de nombreux contrats de travail, pour la plupart en contrats à durée déterminée. Le vice-ministre du Travail et des Affaires sociales le confirmait récemment : « Au début de la révolution, environ 90 % des travailleurs avaient un contrat de travail à durée indéterminée ; ils sont aujourd’hui environ 90 % à avoir un contrat de travail à durée déterminée. » Il y a en outre des contrats de travail qui ne comportent que la signature du travailleur et que les employeurs peuvent modifier à tout moment. Plusieurs employeurs exigent même le paiement d’une caution au moment de l’embauche.
L’attente d’une issue positive aux négociations sur le nucléaire était relativement forte, toutes classes sociales confondues. Dans les discussions, les articles et les conversations privées, le plus grand nombre était d’avis que la menace de guerre en serait écartée mais aussi qu’au total il n’en sortirait que du mieux. Une bonne partie des gauches syndicalistes espérait, et espère encore, que le mouvement ouvrier allait se renforcer et qu’avec l’ouverture aux investissements étrangers l’opportunité de fonder des syndicats allait se présenter.
Alors que la couche moyenne « attend des jours meilleurs », l’augmentation des grèves et des manifestations ouvrières ces derniers mois montre que les travailleurs n’attendent pas. Le régime se prépare d’ailleurs à des affrontements très durs comme en témoignent une application plus rigoureuse de la loi et les brutalités opposées aux luttes.
Les travailleurs n’attendent pas
En 2014, le nombre des grèves et des manifestations d’ouvriers a nettement augmenté. La plupart des luttes étaient dirigées contre les privatisations et les licenciements collectifs, mais aussi contre le retard et l’irrégularité du versement des salaires, devenus la règle depuis des années. Le point culminant a été atteint en mai avec la grève de 5 000 travailleurs des mines de fer à Bafgh : 39 jours de grève, la plus longue depuis la révolution.Victorieux, les mineurs ont réussi à empêcher la privatisation partielle programmée de leur entreprise. En août, neuf ouvriers actifs dans la grève ont été arrêtés ; les travailleurs se sont alors remis en grève, et celle-ci ne s’est achevée que seize jours après lorsque le dernier emprisonné a été libéré. La grève a été soutenue par une vague de solidarité des femmes, de la parentèle, des voisins, etc. qui ont organisé de longs sit-in devant le bâtiment du gouverneur.
Au passage de l’année 2014 à 2015, une vague de protestation dans l’industrie automobile a prolongé le mouvement. Les ouvriers ont choisi une forme d’action simple, et en tant que telle non illégale, à savoir le boycott collectif des repas à la cantine. Leur détermination a mis le régime dans l’embarras : au bout de quatre jours, les travailleurs obtenaient une hausse de salaire de 20 % chez Pars Khodro ; chez Iran Khodro, au bout de dix jours. Cette tactique collective a galvanisé les militants ouvriers et la gauche, les travailleurs utilisant les assemblées de coordination comme espaces de discussion. On y a également débattu d’un boycott éventuel des bus d’entreprise et d’une marche en cortège de plus de dix kilomètres vers Téhéran.
En 2015, éclatèrent d’autres grèves et actes de protestation. A tel point que l’on pouvait en trouver presque quotidiennement des comptes rendus sur les sites d’information étatiques et proches du pouvoir. Il est malheureusement souvent difficile d’obtenir des informations sur le long terme.
Il y a eu quelques très longues grèves : ainsi, 120 travailleurs de l’usine textile Iran Barak ont fait grève pendant 45 jours. Une autre dans les aciéries d’Ahwaz a duré 35 jours ; une lutte des conducteurs du métro dans la même ville, 22 jours. Les 500 employés de la cimenterie Karoun ont cessé le travail pendant deux semaines. A noter, des manifestations et arrêts de travail persistants sur le champ gazier de South Pars, le plus grand champ gazier iranien, dont l’exploitation a commencé en 2003, avant les sanctions (4), et entré en sommeil depuis.
Le 5 décembre a débuté un conflit autour de la privatisation totale de la Persian Gulf Holding, le deuxième complexe pétrochimique le plus important du Moyen-Orient. Il est prévu que les 6 000 travailleurs passent d’ici peu définitivement sous contrats privés. Selon le portail d’informations Naft e ma, 3 000 travailleurs sont entrés en grève de la faim, ou boycottent la cantine, en plusieurs endroits, et menacent d’entourer les ateliers par une chaîne humaine.
Un coup d’œil sur une seule semaine en octobre 2015 montre l’étendue de ces luttes à tout le pays, massives mais isolées : dans trois entreprises pétrochimiques, les ouvriers se sont mis en grève entre deux et dix jours. Dans l’usine de granulés de castine* Ardakan, on a fait grève pendant cinq jours ; dans l’aciérie de Dorood, vingt-deux jours contre un retard dans le versement des salaires. A Téhéran, 105 travailleurs du textile de la province de Lorestan ont manifesté devant le siège de la Sécurité sociale. Les ouvriers de l’usine pétrochimique Farabi refusent de manger à la cantine depuis sept jours. Dans plus d’une quinzaine de villes, les enseignants manifestent pour une augmentation de leurs rémunérations et la libération des leurs emprisonnés. Les employés municipaux de Masdjed-Soleyman se rassemblent depuis trois jours pour réclamer le paiement de quatre mois de salaires en ­retard.
Les revendications ne sont pas particulièrement « radicales » mais, compte tenu des difficultés auxquelles s’exposent ceux qui luttent, elles sont le signe, malgré la violence de la répression, d’une colère qui monte de la base.

Le régime contre-attaque
Le régime réagit avec vigueur contre ces luttes au moyen de ses organes de sécurité et de ses tribunaux. Dans la raffinerie de pétrole de la ville de Bandar Abbas, les forces de sécurité ont utilisé contre les ouvriers grévistes des canons à eau qui ont causé d’importants dommages. Un rassemblement de mineurs à Zarand, qui avaient bloqué une des routes d’accès à la mine, a été dispersé par des gaz lacrymogènes et un travailleur, pris d’un malaise, est mort peu après. Des unités spéciales ont attaqué un rassemblement d’ouvriers de l’aciérie d’Ahwaz et sévèrement blessé un ouvrier.
Une statistique montre que le régime et le patronat ont licencié 1 167 travailleurs trop remuants dans vingt-trois entreprises, en quatre mois seulement. La justice islamique, elle aussi, prononce des peines très lourdes contre les protestataires ouvriers. Cinq mineurs de Tschador Malu, par exemple, ont été condamnés à une année de prison et à des coups de fouet ; c’est seulement en considération de leur âge et de leurs longues années de travail à la mine que le châtiment corporel a été commué en une amende et une condamnation à cinq ans de prison avec sursis.
Les militants et militantes ouvriers subissent une répression et des représailles pires encore sous le nouveau gouvernement. Ils sont nombreux à redouter que le régime profite de l’atmosphère favorable qui suit l’accord sur le nucléaire, non seulement pour isoler mais aussi pour persécuter plus fortement le mouvement ouvrier, et le détruire. Le régime est d’ailleurs parvenu jusqu’à maintenant à maintenir ces luttes séparées les unes des autres.
Au cours de ces dix dernières années, les militants ouvriers ont essayé plusieurs fois de fonder des syndicats indépendants, par exemple dans la raffinerie de sucre de canne à Haft-Tappeh ou bien chez les conducteurs de bus ; il y a eu de nombreux congrès de fondation. Les relations de ces petits syndicats avec les syndicats mondiaux n’ont pas permis d’imposer leur présence ; elles ont, au contraire, mené à des conflits entre leurs initiateurs et à une perte de confiance du côté des travailleurs. Notons que les ouvriers et ouvrières organisent aujourd’hui manifestations et grèves plutôt sur le mode de l’action directe et cherchent de plus en plus à sortir de l’usine, à propager leurs luttes dans les quartiers ouvriers où les habitants se solidarisent activement avec eux.

(traduit de l’allemand par J.-P. V.)

NOTES

(1) Voir Wildcat n° 86 [article traduit dans le n° 132 d’Echanges, p. 37 : http://www.mondialisme.org/spip.php?article1503 (NDT)] : à la fin 2010, Ahmadinejad a supprimé les subventions, une exigence du FMI et de la Banque mondiale depuis vingt ans que les précédents gouvernements avaient toujours refusée. Elles ont été remplacées par une compensation financière minime à la population : dans les premiers temps, l’Etat a versé 40 000 toman mensuels [11,74 euros] à environ 90 % de la population, alors que le prix de l’essence augmentait de 400 %, l’électricité de 300 % et le pain de 200 %.

(2) La production automobile a crû de 997 240 unités en 2007 à 1 648 505 en 2011 selon des données de l’OICA [Organisation internationale des constructeurs d’automobiles (NDT)]. Depuis, elle est entrée en récession : en 2012, elle s’est effondrée à 989 110 unités et en 2013 à 743 680. Il semble qu’elle ait quelque peu récupéré en 2014 avec une production de 1 090 846 véhicules. A cause de la faiblesse de la demande le cours des actions de l’industrie automobile a chuté de 24 % ces neuf derniers mois.

(3) En décembre 2015, 1 euro = 3 965 toman. En 2010, il valait 1 400 toman.

(4) Les Etats-Unis utilisent de plus en plus une section jusqu’alors peu connue de leur ministère des Finances, l’Office of Terrorism and Financial Intelligence (TFI), pour imposer les sanctions. Le TFI, soutenu à l’international, a banni plus de vingt institutions financières iraniennes du système bancaire mondial. Ce qui, à la fin 2011, a entraîné une dévaluation d’environ 30 % du rial [toman est l’ancien nom de la monnaie iranienne, devenue le rial en 1932, mais reste couramment utilisé. 1 toman équivaut à 10 rial (NDT)] iranien. Selon le ministère des Finances américain, l’Iran a perdu autour de 120 milliards de dollars de revenus depuis le début de l’application renforcée des sanctions en 2010. Le New York Times évaluait les mesures du TFI comme « le moyen de pression jusqu’à maintenant le plus efficace » (Telepolis, 23 juin 2014). Après les nouvelles sanctions mises en place par l’UE, les exportations de pétrole de l’Iran vers l’UE ont cessé totalement à partir de juillet 2012 ; des sanctions supplémentaires ont visé la banque centrale iranienne dont les comptes ont été gelés en Europe.

* Castine (de l’allemand Kalkstein) : pierre calcaire que l’on mélange au minerai de fer pour en faciliter la fusion. [NDT.]

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