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2 mars 2018

Les ordonnances Macron, une révolution silencieuse dans les entreprises

Les ordonnances Macron, une révolution silencieuse dans les entreprises

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Publié dans Echanges N°165 automne 2018

Depuis le 1er janvier et jus­qu’au 31 dé­cembre 2018, en application des ordonnances Macron de 2017 sur les relations de travail et les représentations syndicales, un bouleversement total de ce qui existait depuis plus de soixante-dix ans s’est mis peu à peu en place (sauf dérogation consensuelle patron-syndicats jusque fin 2019) et a donné au patronat l’opportunité de signer en même temps des accords  d’entreprise spécifiques. Les médias n’abordent guère ce qui est pourtant de première importance pour l’ensemble des travailleurs.

Il est impossible d’analyser ce qui se passe dans la réalité des entreprises quant à l’application des ordonnances de 2017 sans évoquer des mesures antérieures dont ces ordonnances ne sont dans une certaine mesure que le prolongement d’une tendance de longue date à l’individualisation des relations de travail. En particulier, les ordonnances se conjuguent avec la loi du 20 août 2008 qui a profondément modifié les critères de représentativité syndicale (1). La représentativité, c’est-à-dire la capacité de discuter et de conclure des accords sur les relations de travail, a échappé en fait aux bureaucraties centrales des syndicats, est passé d’un quasi-automatisme national hors de tout contrôle de la base, au pouvoir donné à cette base de désigner quel syndicat la représenterait en se servant du processus électoral des élections de délégués du personnel. Schématiquement, pour les unités de plus de dix travailleurs, un syndicat était représentatif sur le plan d’une unité de travail s’il recueillait au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour de ces élections (ce qui a eu aussi pour effet d’éliminer les abstentions, votes blancs et nuls, limitant ainsi toute dissidence). L’addition des résultats d’entreprise d’au moins 8 % donnait la représentativité au niveau de branche et national, ouvrant le droit de participer à l’élaboration d’accords collectifs de branche ou nationaux. D’autres dispositions touchaient cette représentativité dans les « très petites entreprises » (TPE) de moins de dix travailleurs et la désignation par les centrales d’un simple observateur, le représentant de la section syndicale pour les entreprises de plus de cinquante travailleurs, une fiche de consolation pour les syndicats éliminés de la représentativité.

La loi El Khomri du 9 août 2016 a en quelque sorte donné un contenu à ce qui était un peu une coquille vide : au niveau de l’entreprise ou d’une seule unité de travail, le ou les représentants syndicaux qualifiés par la loi sur la représentativité pouvaient seuls, à l’insu des appareils bureaucratiques, débattre et conclure des accords d’entreprise ou d’établissement, accords dont des dispositions pourraient être dérogatoires aux dispositions des conventions collectives de branche et même du code du travail (voir les différents articles d’Echanges 2016-2017 sur cette loi et les luttes qui ont marqué son élaboration). Les ordonnances Macron n’ont fait qu’adapter ces dispositions à la nouvelle forme des organismes de représentation dans les entreprises.

Nous avons déjà souligné, après avoir défini les nouveaux organismes et leur fonction (2), que, lors de leur mise en place, des négociations, au seul niveau de l’entreprise ou de l’unité de travail, pourraient, en application des règles que nous venons d’évoquer, profiter de cette opportunité pour tenter d’adapter au plus près les conditions de travail aux conditions requises dans le procès de production spécifique à cet établissement. Bien que l’application des nouvelles dispositions soit un véritable bouleversement dans tout ce qui concourait aux relations de travail dans le cœur même des entreprises, on ne trouve guère mention de ces accords de mise en place des institutions nouvelles. Seul ce qui a été conclu dans les plus importantes firmes perce ce silence médiatique. On en trouverait plus dans les publications professionnelles, mais là aussi bien peu pour les PME et encore moins pour les TPE. Ce qui fait que les accords connus non seulement permettent de dégager des tendances mais constituent aussi une sorte de modèle pour les entreprises plus petites. Dans les lignes qui suivent nous allons tenter d’examiner le contenu de quelques-uns de ces accords.

Faire des économies

Avant d’examiner où en est la mise en œuvre des ordonnances Macron, il nous semble important de rappeler ce qu’elles modifient réellement dans l’exploitation du travail salarié. Pour l’essentiel, elles visent l’organisation des instances représentatives du personnel (IRP) et leur procédure de fonctionnement, mais en aucune façon le contenu des relations de travail c’est-à-dire les conditions d’exploitation du travail. Celles-ci restent, pour l’essentiel, fixées par toute la hiérarchie des réglementations : code du travail, accords collectifs de branche, d’entreprise, de site, et contrats individuels.

Derrière le jargon technocratique de présentation des ordonnances du genre « Libérer les énergies », « Changer l’esprit du droit du travail » (3), se dissimule une réforme qui ne vise qu’à faire faire des économies aux entreprises en rationalisant les IRP. Et, dans la foulée, « permettre une plus grande latitude de décision dans l’entreprise », ce que notait une autre commentatrice : « parvenir à dessiner un découpage électoral des IRP qui corresponde à leur fonctionnement opérationnel sur les sites » (4). En fait, si la réforme vise effectivement à une plus grande efficacité (essentiellement dans l’intérêt de l’entreprise, car une plus grande efficacité signifie une intensification dans l’exploitation de la force de travail), elles ne remettent pas en cause les pratiques antérieures concernant l’exclusivisme unilatéral des décisions dans le secret patronal concernant les informations économiques, financières et la politique sociale, domaines réservés aux agents du capital.

Lorsque l’on entre dans ce domaine des relations autour de l’exploitation de la force de travail – la base même du capitalisme dans la formation et le renouvellement du capital – on ne doit jamais perdre de vue ce qui se dissimule derrière ce qu’on essaie constamment, dans les faits et dans l’idéologie dominante, de présenter comme un consensus librement accepté :

– la violence latente de tout un système dans la prime obligation de « trouver un travail » tout simplement pour vivre ;
– les nombreuses formes de résistances individuelles et collectives pour limiter l’exercice de cette violence sinon pour y échapper ;
– les nombreuses formes d’encadrement de ces résistances, à la fois dans l’ensemble des réglementations et dans le conditionnement idéologique, tout ce qui tourne autour de la productivité du travail dans une maximalisation de la portion de valeur accaparée par le capital ;
– l’interdépendance de toutes les formes mondiales distinctes de cet encadrement qui contraint toute production spécifique à s’adapter constamment pour ne pas disparaître.

Cet affrontement constant entre le travail et le capital sous la forme de ses diversifications mondiales, avec la mise en œuvre de nouvelles techniques, dans des réactions de défense d’une activité capitaliste ou des conquêtes d’un secteur productif défini, contraint tout capitaliste à un remodelage permanent des structures de l’exploitation du travail et, partant, des résistances à ce remodelage et au remodelage des IRP devenues obsolètes. Comme toujours, ce remodelage n’est pas purement formel car il s’accompagne souvent d’une tentative de rendre le système plus efficace en termes de productivité. Il s’agit de serrer au plus près l’adaptation de l’activité individuelle et collective aux nécessités présentes d’une production définie dans une technique précise, tout en préservant le principe immanent de l’autorité décisionnelle des tenants du capital engagé dans cette production définie. C’est ce qui explique pourquoi, dans les réformes Macron, la transformation formelle des IRP contient à la fois l’affirmation d’une centralisation et – ce qui peut paraître contradictoire – le développement du rôle et du contrôle de la base, voire du travailleur individuel.

Centraliser

La centralisation opérée par les réformes Macron est évidente dans le fait que le comité social économique (CSE) concentre en un seul organisme ce qui était du ressort de trois organismes distincts : délégués du personnel (DP), comités d’entreprise (CE) et comités d’hygiène et de sécurité CHSCT) – n’ayant pas de relations entre eux. Ce n’est pas seulement une question de rationalisation entraînant d’importantes économies pour les entreprises et des bouleversements à l’intérieur même des syndicats, mais cela conduit à établir à l’intérieur des grandes entreprises une hiérarchie entre un CSE central et des CSE d’unités de travail, émanations du CSE central et soumis à son autorité. Le fait que les syndicats prétendent perdre près de 50 % de leurs représentants est un autre aspect de cette centralisation (5). Cette importante diminution des heures des différents représentants syndicaux, qui représente pour les grandes entreprises un profit non négligeable, permet d’ailleurs à celles-ci, dans nombre d’accords locaux, d’élargir le nombre d’heures de représentation au-delà des impératifs légaux, une monnaie d’échange pour obtenir des syndicats des concessions dans d’autres secteurs.

Parallèlement, et semble-t-il en contradiction avec cette centralisation, la réforme des IRP s’accompagne d’une place grandissante accordée aux cellules de base, non seulement dans les unités de travail distinctes (sous la forme de CSE de site et de commissions ad hoc sur ces sites) mais aussi des représentants de proximité (RP) qui sont autre chose que les simples délégués du personnel de l’ancien système dont les fonctions sont d’ailleurs dévolues dorénavant aux CSE général et de sites. A la fin de ce texte, nous examinerons plus en détail l’importance dans la réforme du référendum et du représentant de proximité qui sont les deux points principaux de cette importance donnée à la base et quel intérêt espère en tirer le capital eu égard à la productivité du travail.

Fin septembre 2018, le ministère du travail a établi une statistique sur ce qui avait été accompli à ce sujet dans le premier semestre 2018. C’est ainsi qu’il a été décompté :

– 8 814 créations de CSE accompagnées pour la plupart d’accords d’entreprise dont 4 848 dans des entreprises de moins de 50 salariés ;
– 213 dans les très grandes entreprises ;
– 582 dans les entreprises entre 20 et 50 salariés, accords conclus le plus souvent par des salariés non mandatés par des syndicats ;
– 364 référendums dans des entreprises de moins de 20 salariés.

Si l’on met ces chiffres en regard du nombre des entreprises petites ou grandes exploitant des salariés – plusieurs millions – on ne peut que conclure que, dans son ensemble, le patronat ne met aucune ardeur à se mettre en conformité avec la loi, ou tout au moins qu’il pratique un attentisme pour voir comment cela tourne chez ceux qui auront essuyé les plâtres.

Premiers accords

Vu le peu d’accords déjà conclus, il serait prématuré de tirer des conclusions sur l’impact réel des ordonnances Macron sur l’ensemble des conditions de travail et sur les représentations syndicales. Tout au plus peut-on souligner des tendances notamment des différenciations concernant l’intérêt des entreprises selon leur taille pour tel ou tel aspect de la réforme.

A y regarder de plus près, on s’aperçoit que ce sont les plus grosses entreprises dans tous les secteurs d’activité économique qui ont rapidement engagé des discussions avec les syndicats représentatifs et conclu des accords tant sur la création de CSE, souvent par établissement, et modifié dans la foulée sur les conditions de travail. C’est ainsi que l’on trouve, entre autres, sur la liste des 213 accords conclus : Renault, PSA, Thalès, Shell, Arcelor, Poclain, Axa, la SNCF.

Une première observation s’impose pourtant : pratiquement ces accords n’ont pas entraîné la création de conseils d’entreprise (seulement 2 sur les 8 000 et quelques accords) prévus pour discuter directement des salaires et conditions de travail.

Sur cette question des salaires et conditions de travail, ces premiers accords, pour l’ensemble des accords conclus, permettent de dire que plus on descend dans l’échelle des entreprises quant aux effectifs, plus le contenu des accords hors les IRP concerne uniquement les salaires et les conditions de travail. A ce sujet, on ne peut que souligner que, séparément et à la même époque, des accords de branche dans la métallurgie ont été conclus l’un pour l’extension des contrats de chantiers à toute entreprise métallurgique, l’autre pour un assouplissement de contraintes concernant les CDD et l’intérim. Tous les syndicats représentatifs, sauf la CGT, ont signé ces accords de branche, une concession syndicale présentée comme la contrepartie de concessions patronales dans les accords spécifiques concernant les CSE. Outre que des entreprises métallurgiques peuvent être engagées sur des chantiers divers, ces dispositions peuvent aussi profiter à l’ensemble des sous-traitants pour l’exécution de commandes limitées. Quant à l’assouplissement dans l’usage des CDD et de l’intérim (réduction du délai de carence interdisant l’emploi d’un précaire pour un même poste), il est bien évident que cela profite à l’ensemble de la métallurgie, sous-traitants compris, qui recoure massivement à ces contrats précaires permettant l’adaptation des coûts de main-d’œuvre aux fluctuations de la production. La signature de tels accords de branche confirme, si cela était nécessaire, que le capital a toujours prévu la possibilité d’utiliser tel ou tel moyen pour imposer des mesures favorables à l’ensemble des entreprises, évitant comme dans ces deux cas particuliers des discussions à la base et surtout des différenciations, sources de ­compétition.

En regard de ces accords globaux, l’engouement des grandes entreprises pour le représentant de proximité procède du même souci d’atteindre une productivité maximum dans le cadre ainsi fixé per la connaissance directe et l’intervention éventuelle au niveau de chaque travailleur. C’est ainsi que les accords conçus par les grandes entreprises révèlent leur intérêt pour le représentant de proximité (RP) dont nous donnerons une présentation ci-après. C’est ainsi entre autres que PSA opte pour 50 RP, que Renault va même plus loin avec des commissions de proximité sur l’ensemble de ses établissements (6), qu’Axa se dote de 120 RP, la Macif de 120 représentants de région, Air France de 120 RP. A la SNCF, des élections devront se dérouler en novembre dans le cadre d’un premier accord qui découpait l’entreprise en 33 CSE, accord signé par l’UNSA et la CFDT et contesté par la CGT et Sud (7). A l’inverse de ce que nous avons évoqué sur les salaires et conditions de travail, plus on descend dans l’échelle des entreprises, moins on trouve un intérêt quelconque pour le RP : c’est parfaitement compréhensible car plus l’entreprise est petite, plus les dirigeants connaissent directement le salarié, y compris même sa vie privée. Et alors nul besoin de RP.

L’illusion du référendum

Un autre aspect commun à tous ces accords est dans ce qu’avoue un peu cyniquement la DRH de la Maif : « Nous avons su saisir l’opportunité de ce nouvel accord pour rénover notre mode de représentation du personnel qui doit permettre au mieux d’accompagner la stratégie de la Maif. Nous avons également à cœur que ce schéma permette à l’ensemble de nos partenaires sociaux de se projeter dans un fonctionnement efficace et durable » (8). Ce que confirme une autre déclaration d’un responsable à propos de la mise en place des CSE d’Axa France : « Cet accord définit notre nouvelle architecture sociale suite à la mise en place des ordonnances Macron » (9).

Un autre point lui aussi provisoire, est dans les accords déjà conclus l’usage du référendum pour la mise en place des CSE dans les entreprises de moins de 20 salariés qui représentent à ce stade près de 5 % des accords CSE déjà conclus. La question que l’on peut se poser est pourquoi les moyennes et grandes entreprises n’ont pas utilisé cette possibilité, bien utile en cas de blocage des discussions, car le champ des ordonnances Macron a étendu à l’ensemble des relations sociales l’usage du référendum.

Cette possibilité d’un recours extensif du référendum peut passer pour une avancée démocratique, d’autant plus que non seulement l’employeur mais les syndicats à 30 % représentatifs et même une majorité de travailleurs peuvent en être les initiateurs, mais c’est une pure illusion. Car c’est uniquement l’employeur qui pose les termes du référendum et qui intervient, soit après épuisement des discussions autour d’un accord contractuel impossible, soit parce que les partenaires jugent que ces discussions sont inutiles. De toute façon, il constitue une sorte de diktat patronal car c’est l’employeur seul qui en fixe les termes. Et c’est une sorte de régression eu égard à ce que l’on nous présente comme une avancée démocratique dans le dialogue social. Les grandes entreprises, peuvent utiliser le référendum comme un moyen dilatoire de sortir d’une impasse et de court-circuiter un conflit ouvert (10). De toutes façons, plus l’entreprise est grande plus elle dispose de moyens, légaux ou pas, relationnels, structurels et financiers, pour résoudre les conflits sociaux, et le référendum n’est alors pour elles qu’une des cordes à leur arc dans les affrontements ­sociaux.

Place aux RP

Le dernier point qui semble avoir séduit les employeurs dans les accords déjà conclus concerne les « représentants de proximité » ; dans la grandes entreprises ayant mis en place les CSE, une place importante a été réservée à ces RP. C’est peut-être la seule véritable innovation dans les relations sociales telles qu’elles sont conçues par les ordonnances. Mais, dans la mesure où il s’agit d’une innovation, personne ne peut dire quel sera leur place réelle dans le processus de production et quel pouvoir ils détiendront dans les relations sociales dans un établissement défini.

« Les représentants de proximité, un véritable moyen de renforcer le dialogue social au quotidien », affirme un « cabinet de conseil et de formation en “performance sociale” » (11). Qu’est-ce que cela signifie en fait ? Pour le moment, seuls quelques commentaires peuvent le dire car aucune expérience directe ne vient donner un contenu concret à une réponse.

On peut s’interroger de prime abord sur le besoin réel de création d’une nouvelle catégorie de représentants du personnel dans un mouvement de fusion des instances, ce qui ne peut que laisser songeur, surtout que ladite ordonnance pose beaucoup de questions sur leurs missions réelles.

Le RP est obligatoire pour toute entreprise comportant au moins deux établissements. Leur mise en place se fait par accord dans les entreprises, accord qui doit en fixer le nombre, les attributions notamment en matière de santé, sécurité et de conditions de travail. Ces RP ne sont pas forcément des élus du comité social et économique. Ils peuvent êtres membres du CSE ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus en cours.

D’après le ministère du travail les RP peuvent « jouer un rôle en matière de présentation des réclamations (individuelles ou collectives) dans les différents sites géographiques de l’entreprise ».

Le but de la réforme est justement de faire en sorte que la représentation du personnel soit « en même temps » capable d’absorber les enjeux économiques et stratégiques de l’entreprise et de représenter les revendications collectives ou individuelles quotidiennes… La mise en place des RP permet « de constituer pour les salariés des interlocuteurs alternatifs aux managers, pour relayer leurs questions, difficultés ou attentes, de participer au soutien des salariés par l’écoute » (12).

Les représentants de proximité auraient ainsi des missions qui peuvent osciller entre celles des anciens délégués du personnel (DP) (réunions avec certaines questions, recevoir les salariés) ; les critères pour être un bon « RP » sont déterminés par « les organisations syndicales représentatives [qui] prennent en compte pour la proposition de leurs représentants de proximité leurs aptitudes en matière de rigueur et fiabilité, polyvalence, écoute, diplomatie et sens du contact , capacité d’analyse et de synthèse , efficacité et légitimité professionnelles (13).

Des « missions plus ou moins engageantes peuvent être confiées à ces nouveaux acteurs. Être à l’écoute du terrain afin de transmettre au CSE ou à la commission santé-sécurité, les suggestions des salariés en matière de prévention des risques professionnels et de conditions de travail. Les représentants de proximité pourraient aussi s’occuper par exemple de prévenir les situations de harcèlement, d’identifier les charges de travail excessives, de préconiser des améliorations dans l’organisation du travail du site, de recommander des actions de nature à améliorer la qualité de vie au travail du personnel, d’améliorer la communication interne ou encore de promouvoir la reconnaissance au travail (14) ».Derrière cette énumération se cache la lutte constante contre les facteurs individuels qui ont toujours été l’épine de base dans le pied de la productivité, l’élément essentiel dans la production de la plus-value et de la compétitivité, à savoir le jeu avec les normes, le sabotage, l’absentéisme, le turnover, etc. A la limite, on peut voir dans ces RP les mouchards de la direction.

La fin des revendications

Cette injonction d’être « à l’écoute du terrain » fait que « en pratique, le représentant de proximité peut être un salarié qui transmet au CSE les “suggestions” des salariés (et donc plus les “revendications”, mot banni du langage managérial) , non seulement en matière de prévention des risques, mais aussi d’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail. Pour ce faire, il faut être innovant et prévoir une communication rapide (15) ».
La notion de RP est donc lourde d’enjeux politiques et sociaux par-delà un cadre juridique élastique qui montre bien que « c’est en impulsant un dialogue social de proximité que les entreprises contribueront à “relativiser” le poids des changements politiques en montrant qu’ils ne sont pas seuls porteurs de transformations » (16).

Finalement, les seules conclusions que l’on puisse tirer dans la mise en œuvre des ordonnances Macron (il faudra attendre fin 2019 pour des affirmations viables) tiennent à la fois des tendances de la réforme elle-même et des premiers accords conclus :

– la rationalisation autour d’une centralisation des décisions
– une confirmation de la tendance historique à faire descendre évaluation et contrôle du travailleur au niveau individuel autour de la notion de participation.
– une dispersion des accords et contrôles dans des unités de travail distinctes au sein d’un même groupe de production permettant d’éviter des confits importants en limitant les conflits à un établissement voire à un simple atelier ou unité de travail dont les conditions ne seront pas similaires à celles d’une unité identique. Il est fort possible que des accords d’entreprise autour du CSE interdisent pratiquement les grèves de solidarité.

Il n’en reste pas moins que, même enserrée dans un cadre de plus en plus strict et individualisé, la lutte de classe peut toujours surgir inopinément dans un conflit ouvert qui sera d’autant plus violent que les forces d’encadrement traditionnelles auront été, en vertu de cette réforme Macron, engagées plus avant, sous une forme ou sous une autre, dans la participation à la « gestion » des conditions d’exploitation. L’exemple actuel de l’aciérie Ascoval dans les Hauts-de-France est là pour le démontrer.

H. Simon.

NOTES

(1) Voir «  La loi sur la représentativité syndicale et l’indépendance des syndicats », Echanges n° 129 (été 2009), p. 6.

(2) « Réforme des lois du travail. Que contiennent les ordonnances Macron ? – 1 : Les organismes de représentation au sein de l’entreprise », Echanges n° 161 (automne 2017). Voir aussi : « Que contiennent les ordonnances Macron ?– 2 : Les accords collectifs »; Echanges n°  162 (hiver 2017-2018).

(3) Muriel Pénicaud, ministre du travail, La Tribune (31 août 2017).
(4) « Organisez votre comité économique et social », Marie-Madeleine Sève, L’Usine Nouvelle (3 mai 2018).

(5) « Nous avons réussi à sauver les meubles…le résultat est donc plus conforme à nos attentes, même si au final avec cette nouvelle organisation nous perdons environ 50 % de nos moyens » (un syndicaliste  d’Air France). Ce chiffre confirme indirectement, ce que tout salarié sait, que le manque de militants syndicaux faisait que les mêmes cumulaient des postes dans les trois IRP alors existantes, car leur suppression en un seul organisme aurait dû entraîner une chute de 66 %.

(6) Entretien avec Maximilien Fleury, responsable des relations sociales et de la réglementation chez Renault, Liaisons sociales (21 juillet 2018).

(7) « Syndicats SNCF : après l’unité dans la grève, l’affrontement dans les urnes », AFP/La Voix du Nord (29 septembre 2018).
(8) Evelyne Llauro-Barrès, DRH de la Maif, dans « Ordonnances Macron : la Maif regroupe ses instances représentatives du personnel », https://www.argusdelassurance.com (18 mai 2018).

(9) Sybille Quéré-Becker, directrice du développement social d’Axa France, dans « Ordonnances Macron : Axa France revoit l’organisation de ses instances représentatives du personnel », https://www.argusdelassurance.com (18 juin 2018).
(10) Exemple du référendum à Air France du 4 mai 2018, et d’autres auparavant.

(11) Social Solutions & Partenaires http://www.socialsolu.com/

(12) Accord relatif à la transformation des instances représentatives du personnel et à l’exercice du droit syndical du 30 avril 2018 – groupe MAIF, http://www.miroirsocial.com/ (7 mai 2018).
(13) Ibidem, § 7.2.2.

(14) https://okness.fr/le-delegue-de-proximite-nouveau-levier-de-performance/
(15) Sylvain Niel, Liaisons Sociales Quotidien n° 17444 (10 novembre 2017), cité par Pascal Delmas in « Les représentants de proximité : derrière les mots, quelle réalité ? », note 14, http://www.miroirsocial.com/ (15 mai 2018).

(16) « De nouvelles pratiques pour relancer le dialogue
social », entretien de Sibel Demircan, chargée de recherche à la Fondation pour l’innovation politique, avec Jean Kaspar, ancien secrétaire général de la CFDT, http://www.fondapol.org/category/debats/page/186/ (25 avril 2008).

 

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