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10 novembre 2018

L'ÉCONOMIE COLLABORATIVE, SA FONCTION AU SEIN DU CAPITALISME

ÉCHANGES 164 - ÉTÉ 2018

« A l'ère du numérique, l'imbrication de l'industrie et des services bouleverse le travail, son sens, son contenu, son organisation interne et fait appel au travail collectif Ces évolutions interrogent aussi l'emploi en qualité et en nombre ainsi que l'évolution générale des qualifications. Nouveaux métiers, nouvelles formations, de quels outils disposons-nous pour nous inscrire dans ce processus sans le subir ? La question des statuts des salariés se pose car le numérique accélère la mobilité, développe le travail à distance, va profondément modifier l'organisation du travail et favoriser de nouvelles formes d'emplois avec l'apparition de plateformes et de contributeurs indépendants. » (Extrait de Les Nouveaux Rapports industrie /services à l'ère du numérique, Avis du Conseil économique, social et environnemental présenté par Marie-José Kotlicki, octobre 2015).

 

Economie_collaborative

LE DÉVELOPPEMENT incessant des nouvelles technologies ne laisse plus de doute sur les re-structurations à venir. Il ne s'agit plus de minimiser les conséquences sociales du développement de l'informatisation de la société, nous sommes immergés dedans. Dans une brochure produite en l'an 2000, La Sphère de circulation du capital, j'attirai l'attention de mes camarades sur la tendance au « travail gratuit » du consommateur » en ces termes : « La société self-service a le pouvoir de déguiser la soumission, l'exploitation et même la servitude en liberté. Le libre-service, ce système, a, à première vue, un immense avantage, il supprime les domestiques (illustration : le poinçonneur des lilas). Plus besoin de serveurs, de vendeurs, de contrôleurs. Le problème (sans charges sociales) est reporté sur le consommateur qui devient un domestique, "libre" et "payant" qui va effectuer un travail gratuit et qui devra même payer pour ce travail les accès au Minitel, à Internet... Nous deve-nons des serveurs, des banquiers, des assureurs, des pompistes, des poinçonneurs, des téléphonistes, des portiers, des assembleurs kit, des hôteliers... plus le travail devient simple, plus il est possible de l'externaliser sur l'utilisateur (1). »

Depuis, jour après jour, secteur après secteur, les constats négatifs sur le tout-numérique tombent les uns après les autres. Tant et si bien que la structure juridique du salariat est remise en cause. La loi travail en France en est l'exemple type, cette loi cherchant à faire cohabiter le code du travail avec celui d'un droit à la personne dit souvent pour la bonne cause « universel ». Il faut voir dans ces mesures une tentative des gouvernements de gérer les nouvelles précarités et de donner un statut même provisoire au travail illégal (les auto-entrepreneurs). La classe moyenne non salariée n'est pas en reste, médecins, avocats, notaires... passent aussi à la trappe du big data. On entend par big data (ou mégadonnées) la capacité de gérer une masse énorme de données et de développer des entreprises plates-formes faisant appel à du courtage d'emploi. Uber par exemple n'emploie aucun chauffeur, mais utilise 250 000 chauffeurs contractants dans le monde en s'appuyant sur 2 000 informaticiens. Uber n'est que le haut de l'iceberg, nous retrouvons ce type d'emploi dans de nombreux secteurs de la société. Dans la vie courante chacun d'entre nous peut s'en rendre compte, par exemple il n'est plus possible de prendre rendez-vous chez un médecin sans passer par le Net : après avoir remplacé la secrétaire par une gestionnaire des agendas de plusieurs médecins par téléphone, celle-ci est maintenant remplacée par un robot du type de celui qu'utilisent les réservations hôtelières. La capacité du big data d'analyser, grâce aux algorithmes, des situations complexes en peu de temps a des conséquences inattendues. L'« affaire du petit Gregory » est remontée à la surface en France par le truchement du big data ; le juge chargé de l'affaire se suicidera. Dans les cabinets d'avocats, les algorithmes analysent toutes les jurisprudences numérisées, ils sont en mesure de laisser en place dix à quinze avocats, la où il en fallait cent auparavant. Le capitalisme du XXIe siècle vise à gérer le précariat, tout en donnant l'impression qu'avec un statut encadrant le droit à la personne, les individus peuvent être indépendants et mieux devenir leur propre employeur. C'est aussi cette idéologie qui est véhiculée pour que les salariés reprennent leur usine en liquidation sous la forme de société coopérative ouvrière de production (SCOP) exemple le fabricant de glace la Belle Aude. La mise en concurrence par le télétravail, le « Turc mécanique » d'Amazon, n'est pas neutre : sa fonction est de favoriser la concurrence par un système de mise aux enchères des tarifs des traducteurs et correcteurs de textes. Le salariat avec ses charges sociales est mis au rencard comme ringard et remplacé par des « indépendants libres ». Cependant, les masques tombent vite. Récemment les livreurs de Deliveroo se sont organisés (2) pour lutter contre le paiement des livraisons à la course les « Bikers ». Le sujet est si vaste, qu'il nous faudra encore et encore y revenir, pour le moment limitons nous à la dite économie collaborative et aux conséquences de la loi travail.

 

L'économie collaborative

Comme une graine qui attend les conditions favorables à sa germination et à son expansion, la graine de l'économie collaborative végétait sous sa forme primitive dite du « self service » qui a vu le jour avec l'apparition des grandes surfaces. Si au début les grandes surfaces en concurrence avec le petit commerce allaient encore utiliser des employés pour remplir votre caddie ou chariot après que vous soyiez passé en caisse, l'opération sera brève. Et rapidement le consommateur devra faire dès la prise en main du chariot de l'hypermarché, son affaire du self-service accepté, jusqu'à la remise en place du caddie. A ce stade, il y a bien une collaboration de l'individu consommateur avec le management de l'hypermarché, cependant elle se limite à une consommation collaborative (3). A cette époque on ne s'interroge pas sur ce type d'activité, même quand cette activité se prolonge jusqu'au montage de meuble en kit (une spécialité de la multinationale Ikéa). L'utilisation du consommateur comme relais inconscient du travail salarié va éclore au moment où les conditions objectives de l'utilisation scientifique de cette activité peuvent se transformer en travail, le mot travail à ce niveau de réflexion étant générique : il suppose indistinctement le salarié et le tra-vailleur indépendant non salarié, voire le bénévolat. Les conditions objectives du développement scientifique de ce travail vont se développer à partir de tâches rendues suffisamment simples pour pouvoir être externalisées sur le consommateur.

Ce sont les technologies de l'information et de la communication (TIC) qui vont permettre d'envisager l'intégration de l'activité du consommateur dans les stratégies financières des entreprises et du management. Désormais l'acte de consommation est aussi acte de travail, au sens où il se trouve en concurrence avec du travail salarié ; la sociologue Marie-Anne Dujarier brosse un tableau édifiant de ce phénomène : « Dans ce cas, le consommateur réalise seul, à l'aide d'un outil plus ou moins "intelligent", un travail opérationnel. Il produit de la valeur pour l'entreprise et remplace partiellement le travail que faisaient des professionnels (4). »

 

L'économie collaborative assèche actuellement les hypermarchés que le e-commerce ronge chaque jour. Aux Etats-Unis les hypers ont déjà fermé leurs portes et en France la réadaptation de Carrefour conduit ce dernier à une alliance avec Google (5) pour contrer Amazon et son partenariat avec Monoprix. Auparavant, ce fut toute l'industrie du disque et de la photographie qui fut kodakisée (6) par le numérique et ce n'est pas fini. L'année 2017 a connu d'importants bouleversements en relation avec l'utilisation du numérique par le consommateur pour gérer ses comptes en ligne, résultats des fermetures d'agences à la chaîne. De son côté L'Argus de l'assurance cite l'Observatoire des métiers de l'assurance « sur la période récente, un tassement des effectifs dédiés à la prospective et à la vente ». Et les effectifs commerciaux devraient continuer à diminuer dans les années à venir. La faute à Internet et aux plates-formes web et mobiles. Le client d'aujourd'hui prend en effet de plus en plus en charge des tâches qui étaient dévolues hier aux commerciaux. Il s'informe lui-même sur le site des assureurs ou à travers les comparateurs de prix. Et surtout, il peut contracter un contrat d'assurance en quelques clics.

La coproduction collaborative

 

Il s'agit, pour les entreprises, l'Etat et la fonction publique... de procéder à la captation de l'activité, bénévole ou pas (7), de l'utilisateur d'internet à des fins d'économies de personnel, mais aussi d'appropriation des données fournies par l'internaute. Il s'agit ,comme l'indique Marie-Anne Dujarier, du « crowd sourcing », qui signifie littéralement approvisionnement par la foule. Ce modèle de coproduction ne fait pas que repousser vers le consommateur des tâches standardisées et répétitives ; le crowd sourcing, à l'inverse, va s'abreuver d'informations et de productions dont il fera son commerce. L'utilisation de ces bénévoles du Net est une source de travail gratuit défiant toute concurrence et entrant dans une concurrence redoutable avec tout un pan du travail salarié au niveau mondial. L'exemple le plus connu de coproduction par les utilisateurs du Net c'est Wikipédia, qui reste encore gratuit pour les utilisateurs. Il y en a bien d'autres, comme le travail bénévole des conseils syndicaux de copropriété encadré par la loi Alur qui a obligé les syndics à mettre à disposition des conseils syndicaux un site internet, afin de faciliter la coproduction collaborative. La coproduction collaborative permet au propriétaires de sites d'exploiter cette source de travail gratuit. Pour exemple, les sites de généalogies étaient à leur début des sites ou-verts faisant appel au bénévolat. Une foi que le site était suffisamment alimenté par le « travail gratuit de bénévoles » il devenait payant (8).

De l'autoproduction dirigée Marie-Anne Dujarier explique bien comment ce manifeste le rapport de force pour faire plier le salarié et le consommateur en utilisant le sous effectifs : « Loin de n'être qu'une "technique" de gestion ou de vente, le marketing se fait "in-terne", se mêle d'organisation du travail et de la "gestion des ressources humaines". Il joue sur l'incitation (rétributions réelles et symboliques accordées aux employés qui participent au mouvement) ainsi que sur la contrainte ("on est contre, mais on n'a pas le choix", disent les agents). Une autre manière de faire passer le changement auprès des personnels au contact consiste à créer un sous-effectif. Ne pouvant faire face à une file d'attente exaspérée, les agents sont soulagés de pouvoir diriger le consommateur vers les au-tomates (bornes, Internet, téléphone). Cela fait baisser la pression, du moins provisoire-ment. Certains clients pourront, au passage, renforcer la croyance que les professionnels sont plus lents que les automates et accepter d'autant mieux l'autoproduction dirigée. »

La sociologue souligne que la production de masse entre en contradiction avec le désir de personnalisation des acheteurs. C'est sur cette contradiction que l'autoproduction dirigée va jouer en laissant un choix « libre » au consommateur, pour l'inciter à participer à la coproduction. Les exemples de ce type de choix sont nombreux sur Internet, notamment tous les constructeurs automobiles vous poussent à faire des simulations sur le véhicule de votre choix, couleurs... Cette impression de choix n'est possible qu'à partir de produits déjà fortement standardisés, une sorte de Lego du consommateur. Les prestations standardisées sont alors combinables pour être personnali-sées. C'est assez typique des fast-food où des produits standardisés peuvent s'assembler pour obtenir des sandwiches diversifiés ; de même pour les voyages, les fleuristes, les produits d'épargne, les assurances...

Salariés et consommateurs suivis à la trace Les TIC ont permis de mettre en place une géolocalisation des marchandises et des êtres humains, mais aussi des animaux. Ce suivi /es-pionnage de tout en temps réel va avoir un nom :

la traçabilité. De nombreuses professions utiliseront les TIC pour contrôler l'activité de leurs salariés, principalement dans les transports au début, mais le système s'est rapidement répandu à d'autres secteurs. Cette généralisation va aussi toucher le consommateur, Google et son service de messagerie permettant une traçabilité des internautes sur leur vie privé, leurs goûts, leurs objectifs, et projets légaux et illégaux utilisés maintenant par les Etats et services de police qui peuvent remonter toute une filière pour retrouver assassins et terroristes. Sans s'en rendre compte vraiment, l'internaute fait une grande partie du travail de la police, les renseignements généraux n'ont plus à se déplacer, ils scrutent en permanence le Net.

En résumé Dans ce texte j'essaye de montrer comment les NTIC permettent d'élargir le champ de l'exploitation et de l'accumulation du travail gratuit par l'utilisation d'un nouveau venu dans la danse macabre de la concurrence capitaliste. Ce concurrent c'est le consommateur qui, nous l'avons démontré, devient un redoutable concurrent du système du salariat puisqu'il travaille entièrement gratuitement. A ce redoutable concurrent il faut ajouter l'entrepreneur de soi un contractant en lisière du travail au noir. Le tout sera finalement cadré par la loi travail El Khomri, le rapport Badinter, les ordonnances Macron et la loi sur le télétravail (voir ci-dessous,p. 40 à45).

Gérard Bad (juillet 2016)

 

Notes

 

(1) La Sphère de circulation du capital, Echanges et mouvement, septembre 2000.

(2)En Collectif des livreurs autonomes de Paris.

(3 )En 1978, le terme consommation collaborative est utilisé par Felson et Spaeth pour désigner les « événements dans lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou des services économiques dans un processus qui consiste à se livrer à des activités communes ».

 

(4)Le Travail du consommateur, de McDo à eBay: comment nous coproduisons ce que nous achetons, de Marie-Anne Dujarier, La Découverte, 2008.

 

(5)En 1978, le terme consommation collaborative est utilisé par Felson et Spaeth pour désigner les « événements dans lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou des services économiques dans un pro-cessus qui consiste à se livrer à des activités communes ».Lundi 11 juin 2018, Carrefour s'allie officiellement en France avec Google. Il compte vendre dès 2019 ses produits via trois canaux numériques du géant américain : l'enceinte connectée Google Home, l'assistant Google, présent sur les smartphones, montres ou téléviseurs connectés, et la plate-forme de commerce en ligne Google Shopping, qui sera dotée en France d'une nouvelle interface pour gérer les listes de courses, notamment de produits frais.

(6) Le premier coup de semonce touchera l'entreprise Kodak qui refusa la numérisation, celle ci fut liquidée rapidement par la concurrence, au point que certains utilisent le mot kodakiser pour désigner ceux qui (employeurs, salariés, indépendants... résistent au « progrès ».

 

(7) Par exemple la déclaration des revenus sur Internet devenue obligatoire en France en 2018.

(8) « Sur Internet, c'est toujours la même chose : on crée un site gratuit et dès qu'il marche, on fait payer le service » (Le Travail du consommateur, p. 113). Voir aussi la neutralité du Net remise en cause par Trump et aussi la rivalité Chine/Etats-Unis sur les entreprises du Net.« Les restrictions imposées par l'administration américaine sur les investissements chinois dans les fusions-acquisitions de so-ciétés de haute technologie aux Etats-Unis ont un impact sur les projets des entreprises chinoises, a déclaré à Sputnik [agence multimédia lancée par le gouvernement russe] Mei Xinyu, de l'Institut de recherche en matière de coopération économique et commerciale auprès du ministère chinois du commerce. »

 

 

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