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18 avril 2020

ETUDES SUR LE CAPITAL-Suivi de deux études de - Franz MEHRING - Rosa LUXEMBOURG

engels_capital

TABLE DES MATIERES


NOTE DES EDITEURS......................................................................................................................................3
LE « CAPITAL » DE MARX............................................................................................................................5
EXTRAIT DE LA PRÉFACE AU DEUXIÈME LIVRE DU « CAPITAL ».................................................13
RESUME DU CAPITAL LE PROCES DE LA PRODUCTION DU CAPITAL (LIVRE PREMIER)......15
PREFACE........................................................................................................................................................15
PREMIERE PARTIE LA MARCHANDISE ET L'ARGENT..........................................................................17
I. La marchandise en soi..............................................................................................................................17
II. Procès d'échange de la marchandise.......................................................................................................18
III. La monnaie ou la circulation des marchandises.....................................................................................20
DEUXIEME PARTIE LA TRANSFORMATION DE L'ARGENT EN CAPITAL..........................................26
I. Formule générale du capital.................................................................................................................26
II. Contradiction de la formule générale.......................................................................................................28
III. Achat et vente de la force de travail........................................................................................................30
TROISIÈME PARTIE LA PRODUCTION DE LA PLUS-VALUE ABSOLUE..............................................32
I. Processus de travail et processus de mise en valeur.............................................................................32
II. Capital constant et capital variable.........................................................................................................33
III. Le taux de la plus-value..........................................................................................................................34
IV. La journée de travail..............................................................................................................................35
V. Taux et masse de la plus-value.................................................................................................................37
QUATRIÈME PARTIE LA PRODUCTION DE LA PLUS-VALUE RELATIVE..........................................39
I. Notion de la plus-value relative.................................................................................................................39
II. La coopération........................................................................................................................................39
III. Division du travail et manufacture..........................................................................................................42
IV. Machinisme et grande-industrie..............................................................................................................45
V. Nouvelles recherches sur la production de la plus-value.........................................................................51
COMPLÉMENT ET SUPPLEMENT AU IIIE LIVRE DU « CAPITAL »...................................................52
1. LOI DE LA VALEUR ET TAUX DE PROFIT. « PROFIT-RATE »................................................................52
2. LA BOURSE ..................................................................................................................................................62
FRANZ MEHRING : « LE CAPITAL »..........................................................................................................65
I. LES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT...............................................................................................................65
II. LE PREMIER LIVRE........................................................................................................................................67
ROSA LUXEMBOURG :..................................................................................................................................76
III. LES DEUXIEME ET TROISIEME LIVRES...........................................................................................................76

NOTE DES EDITEURS


L’ETUDE du Capital de Marx présente certaines difficultés. L'imprévu de la méthode, la profondeur de l'analyse, la multiplicité des points de vue nouveaux déroutent et, parfois, exigent du lecteur non averti un effort certain.
Il est préférable de commencer l'étude de la science marxiste par des ouvrages plus accessibles, mais, même pour ceux qui possèdent les premiers éléments de celle science, la lecture du Capital demande quelque peu de persévérance. Il est déjà possible de la rendre plus aisée, en prenant tout d'abord connaissance des commentaires autorisés que nous devons au cofondateur de la doctrine, à Engels lui-même.
La collection « les Eléments du communisme» se devait de s'efforcer de préparer les étudiants du marxisme à l'élude de son ouvrage essentiel. C'est dans ce but que nous avons réuni en une seule brochure quatre travaux d'Engels se rapportant à l'étude du Capital.
1. L'article « Le Capital de Marx » paru, les 21 et 28 mars 1868, dans le Demokratisches Wochenblatt de Leipzig, qui constitue une magistrale exposition du premier livre du Capital.
2. Un «Extrait de la préface au deuxième livre du Capital», consacré spécialement à la découverte de la plus-value.
3. Le « Résumé du Capital », où Engels, chapitre par chapitre, résume et commente la plus grande partie du livre premier du Capital. La rédaction de ce travail, enrichi de nombreuses notes explicatives, a été effectuée par les soins de l'Institut Marx-Engels-Lénine de Moscou.
4. Le «Complément et supplément au troisième livre du Capital »,paru en 1895 dans le Devenir social et qui est introuvable aujourd'hui. Nous en donnons une nouvelle version soigneusément revue et améliorée. Ce travail constitue l'introduclion indispensable à l'étude du troisième livre;

5;vient ensuite une étude sur « La Bourse ». Elle consiste en des remarques complémentaires sur le troisième livre du Capital. Nous donnons ce travail d'après la copie photographique, de l'Institut Marx-En gels-Lénine.
Nous avons cru utile d'ajouter en annexe un extrait de l'ouvrage classique de Franz Mehring : Karl Marx : Geschichte seines Lebens (Karl Marx, histoire de sa vie), où le grand publiciste expose la genèse du Capital et en analyse le premier livre, et quelques passages du méme ouvrage, dus à la plume de Rosa Luxembourg et dans lesquels la célèbre militante avec sa clarté coutumière, nous donne la substance des deuxième et troisième livres du Capital.
Nous avons la conviction que, ainsi composé, ce petit ouvrage pourra rendre de réels services à tous ceux. qui désirent entreprendre l'étude sérieuse du Capital.
Un mot encore. Le «Résumé du Capital» n'a pas été préparé par Engels pour l'impression ; Un travail d'élaboration était donc nécessaire. Nous avons complété les mots abrégés en mettant la partie complémentaire entre crochets [ ]. Nous avons, en plus, donné en notes, in-extenso, maints passages de Marx analysés par Engels.
A la fin de certains paragraphes figurent trois chiffres; le premier indique la pagination de l'édition allemande du Capital dont s'est servi Engels; des deux chiffres entre crochets, le premier indique la pagination de l'édition allemande moderne du Capital (Verlag für Literatur und Politik, Wien-Berlin S. W, 61, 1932), le deuxième se réfère à l'édition française en cours de parution aux Edition s Sociales.
Les notes non signées sont d'Engels.
Les notes des éditeurs sont signées (N. R.), celles du traducteur (N. T. ).

                                                                           LE « CAPITAL » DE MARX

Depuis qu'il y a des capitalistes et des ouvriers dans le monde, il n'est pas paru de livre qui fût de pareille importance pour les ouvriers que celui-ci. Les rapports entre le Capital et le Travail, l'axe autour duquel tourne tout notre système social actuel, y sont pour la première fois développés scientifiquement, et cela avec une profondeur et une netteté possibles seulement à un Allemand. Si précieux que soient et que resteront les écrits d'un Owen, d'un Saint-Simon, d'un Fourier, ïl était réservé à un Allemand d'atteindre la hauteur d'où l'on peut embrasser clairement, d'un seul coup d'oeil le domaine tout entier des rapports sociaux modernes, de même façon qu'apparaissent aux yeux du spectateur, debout sur la plus haute cime, les sites montagneux moins élevés.
L'économie politique nous enseigne jusqu'à maintenant que le travail est la source de toute richesse et la mesure de toutes les valeurs, de telle façon que deux objets dont la production a coûté le même temps de travail ont aussi la même valeur et que des valeurs égales étant généralement seules échangeables entre elles, ils doivent aussi être nécessairement échangés les uns contre les autres.
Mais elle enseigne en même temps qu'il existe une espèce de travail emmagasiné qu'elle appelle capital ; que ce capital grâce aux ressources qu'il renferme, multiplie par cent et par mille la productivité du travail vivant et réclame pour cela une certaine compensation qu'on appelle profit ou bénéfice. Comme nous le savons tous, les choses se présentent en réalité de la façon suivante : les profits du travail mort, accumulé, constituent une masse de plus en plus grande, les capitaux des capitalistes prennent des proportions de plus en plus colossales, alors que le salaire du travail vivant devient de plus en plus infime, et la masse des ouvriers vivant uniquement de salaire de plus en plus nombreuse et de plus en plus pauvre. Comment résoudre cette orientation?
Comment peut-il rester un profit au capitaliste si l'ouvrier reçoit la valeur entière du travail qu'il ajoute à son produit?
Et pourtant, puisque seules des valeurs égales sont échangeables, il devrait bien en être ainsi. D'autre part, comment des valeurs égales peuvent-elles être échangées, comment l'ouvrier peut-il recevoir la valeur entière de son produit, si, comme il est concédé par beaucoup d'économistes, ce produit est partagé entre les capitalistes et lui ?
L'économie reste jusqu'ici perplexe devant cette contradiction,écrit ou balbutie des formules embarrassées et vides. Même les critiques socialistes de l'économie n'ont pas été capables jusqu'ici de faire autre chose que de souligner cette contradiction; aucun ne l'a résolue jusqu'au moment où, enfin, Marx, poursuivant le processus de la formation de ce profit jusqu'à son lieu de naissance, a fait sur le tout la pleine lumière.
    Dans le développement du capital, Marx part du fait simple et notoire que, les capitalistes font valoir leur capital au moyen de l'échange ; ils achètent de la marchandise pour leur argent et la revendent ensuite pour une somme plus élevée qu'elle ne leur a coûté. Un capitaliste achète, par exemple, du coton pour mille thalers et le revend pour 1.100 thalers, « gagnant » ainsi 100 thalers. C'est cet excédent de 100 thalers sur le capital initial que Marx appelle plus-value. D'où provient cette plus-value ?
D'après l'hypothèse des économistes, seules des valeurs égales sont échangeables, et, dans le domaine de la théorie abstraite, la chose est juste aussi. L'achat du coton et sa revente ne peuvent donc pas plus fournir de plus-value que l'échange d'un thaler d'argent contre 30 gros d'argent et un nouvel échange de cette monnaie de compte contre le thaler d'argent, opération où on ne s'enrichit ni on ne s'appauvrit.
Mais la plus-value peut tout aussi peu provenir du fait que les vendeurs vendent les marchandises au-dessus de leur valeur, ou que les acheteurs les achètent au-dessous de leur valeur, car chacun d'eux à son tour étant tantôt acheteur, tantôt vendeur, il y a, par
conséquent, compensation. Cela ne peut pas plus provenir du fait que les acheteurs et les vendeurs s'exploitent réciproquement, car cela ne produirait pas de nouvelle valeur ou plus-value, mais ne ferait, au contraire, que répartir autrement le capital existant entre les capitalistes. Or, bien que le capitaliste achète et revende les marchandises à leur valeur, il en tire plus de valeur qu'il n'y en a mis. Comment cela se produit-il ?
    Dans les conditions sociales actuelles, le capitaliste trouve sur le marché une marchandise qui a cette propriété particulière que sa consommation est une source de nouvelle valeur, crée une nouvelle valeur, et cette marchandise c'est la force da travail.
Qu'est-ce que la valeur de la force de travail? La valeur de chaque marchandise est mesurée par le travail qu'exige sa production. La force de travail existe sous la forme de l'ouvrier vivant qui a besoin, pour vivre, ainsi que pour entretenir sa famille qui assure la persistance de la force de travail aussi après sa mort, d'une somme déterminée de moyens de subsistance. C'est donc le temps de travail nécessaire à la production de ces moyens de subsistance qui représente la valeur de la force de travail. Le capitaliste paye l'ouvrier par semaine et achète ainsi l'emploi de son travail pour une semaine. Messieurs les économistes seront jusque-là assez d'accord avec nous sur la valeur de la force du travail.
A ce moment, le capitaliste met son ouvrier au travail. Dans un temps déterminé, l'ouvrier aura livré autant de travail que son salaire hebdomadaire en représentait.
    A supposer que le salaire hebdomadaire d'un ouvrier représente trois journées de travail, l'ouvrier qui commence le lundi a rendu au capitaliste le mercredi soir la valeur entière du salaire payé. Mais cesse-t-il ensuite de travailler ? Pas du tout. Le capitaliste a acheté son travail pour une semaine, et il faut que l'ouvrier travaille encore les trois derniers jours de la semaine. Ce surtravail de l'ouvrier, au delà du temps nécessaire pour le remplacement de son salaire est la source de la plus-value, du profit, du grossissement toujours croissant du capital.
    Qu'on ne dise pas que c'est une supposition gratuite d'affirmer que l'ouvrier fait sortir de son travail en trois jours le salaire qu'il a reçu et que les trois autres jours il travaille pour le capitaliste. Qu'il ait besoin de juste trois jours pour restituer son salaire, ou de deux, ou de quatre, c'est d'ailleurs ici une chose tout à fait indifférente, et qui varie aussi selon les circonstances ; mais la chose principale, c'est que le capitaliste, à côté du travail qu'il paye, obtient encore du travail qu'il ne paye pas, et il n'y a pas là de supposition arbitraire, car le jour où le capitaliste ne recevrait continuellement de l'ouvrier qu'autant qu'il lui paye en salaire, ce jour-là, il fermerait son atelier, car tout son profit s'envolerait.
    Et voilà que nous avons résolu toutes ces contradictions. La formation de la plus-value (dont le profit du capitaliste constitue une partie importante) est maintenant tout à fait claire et naturelle. La valeur de la force du travail est payée, mais cette valeur est de beaucoup inférieure à celle que le capitaliste sait tirer de la force de travail, et la différence, le travail non payé, constitue précisément la part du capitaliste, ou plus exactement, de la classe capitaliste. Car même le profit que, dans l'exemple cité plus haut, le marchand de coton a tiré de son coton, doit nécessairement consister en travail non payé si les prix du coton n'ont pas augmenté. Il faut que le marchand ait vendu à un fabricant de cotonnades qui, outre ces cent thalers, puisse tirer encore pour soi un bénéfice de sa fabrication, et qui partage par conséquent avec lui le travail non payé qu'il a empoché. C'est ce travail non payé qui, en général, entretient tous les membres de la société ne travaillant pas. C'est avec lui qu'on paye les impôts d'Etat et des communes dans la mesure où ils atteignent la classe capitaliste, les rentes foncières des propriétaires terriens, etc. C'est sur lui que repose tout l'état social existant.
    D'autre part, il serait ridicule de supposer que le travail non payé ne s'est formé que dans les conditions actuelles où la production est le fait d'un côté des capitalistes et de l'autre des salariés. Au contraire, de tout temps la classe opprimée a dû faire du travail non payé. Pendant toute la longue période où l'esclavage fut la forme dominante de l'organisation du travail, les esclaves ont été obligés de travailler beaucoup plus qu'on leur donnait sous forme de moyens de subsistance. Sous la domination du servage et jusqu'à l'abolition de la corvée paysanne, il en fut de même ; et là apparaît même, de façon tangible, la différence entre le temps où le paysan travaille pour sa propre subsistance et celui où il fait du sur6travail pour le seigneur, parce que ces deux formes de travail s'accomplissent de façon séparée.La forme est maintenant différente, mais la chose est restée, et tant qu'

    une partie de la société possède le monopole des moyens de production, le travailleur, libre ou non, est forcé d'ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur des moyens de production.1
___________________
1 Capital, t. 1, p, 231.
                                                                                               II


    Dans l'article précédent, nous avons vu que chaque ouvrier qui est occupé par le capitaliste, fait un double travail : pendant une partie de son temps de travail, il restitue le salaire que lui a avancé le capitaliste, et cette partie de son travail est appelée par Marx le travail nécessaire. Mais ensuite, il doit encore continuer à travailler et produire pendant ce temps la plus-value pour le capitaliste, dont le profit constitue une partie importante. Cette partie du travail s'appelle le surtravail.
    Supposons que l'ouvrier travaille trois jours de la semaine pour restituer son salaire et trois jours pour produire de la plus-value pour le capitaliste. Cela veut dire, en d'autres termes, qu'il travaille, dans une journée de douze heures, six heures par jour pour son salaire et six heures pour créer de la plus-value. Mais on ne peut tirer de la semaine que six jours et même en y ajoutant le dimanche, sept jours seulement, alors que de chaque jour on peut tirer six, huit, dix, douze, quinze et même plus d'heures de travail. L'ouvrier a vendu pour son salaire une journée de travail au capitaliste. Mais qu'est-ce qu'un jour de travail ? Huit heures ou dix-huit ?
    Le capitaliste a intérêt à faire la journée de travail aussi longue que possible. Plus elle est longue, plus elle crée de plus-value. L'ouvrier a le juste sentiment que chaque heure de travail qu'il fait au-delà de la restitution de son salaire, lui est prise de façon illégitime; c'est sur son propre corps qu'il doit sentir ce que cela signifie de travailler un temps trop long. Le capitaliste lutte pour son profit, l'ouvrier pour sa santé, pour quelques heures de repos quotidien, pour pouvoir, en dehors du travail, du sommeil et du manger se manifester encore, en tant qu'homme.
Remarquons en passant qu'il ne dépend pas de la bonne volonté des capitalistes pris isolément qu'ils veuillent ou non s'engager dans cette lutte, car la concurrence contraint le plus philanthrope d'entre eux à se rallier à ses collègues et à faire accomplir une aussi longue journée de travail que ceux-ci.
    La lutte pour cette fixation de la journée de travail date de la première apparition d'ouvriers libres dans l'histoire et dure jusqu'aujourd'hui. Dans diverses industries, règnent des coutumes diverses concernant la journée de travail ; mais, en réalité, elles sont rarement observées.
C'est seulement là où la loi fixe la journée de travail et en contrôle l'observation, c'est là seulement qu'on peut vraiment dire qu'il existe une journée de travail normale. Et jusqu'à maintenant, ce n'est presque le cas que dans les districts industriels d'Angleterre. Là, la journée de travail est fixée à dix heures (10 heures et demie pendant cinq jours et 7 heures et demie le samedi) pour toutes les femmes et pour les garçons de 13 à 18 ans, et comme les hommes ne peuvent travailler sans ces derniers, ils tombent, eux aussi, sous la loi de la journée de dix heures. Cette loi, les ouvriers des fabriques d'Angleterre, l'ont conquise par de longues années de persévérance, par la lutte la plus tenace, la plus obstinée contre les fabricants, par la liberté de la presse, par le droit de coalition et de réunion, ainsi que par l'utilisation habile des divisions au sein de la classe régnante elle-même.
Elle est devenue la sauvegarde des ouvriers anglais, elle a été élargie peu à peu à toutes les grandes branches d'industrie et étendue, l'année dernière, à presque tous les métiers, du moins à tous ceux où sont occupés des femmes et des enfants. Sur l'histoire de cette réglementation légale de la journée de travail en Angleterre, l'ouvrage présent contient une documentation extrêmement détaillée.Le prochain « Reichstag de l'Allemagne du Nord » aura également à discuter une loi industrielle, et, par conséquent, à réglementer le travail dans les fabriques. Nous espérons que pas un des députés qui ont dû leur élection à des ouvriers allemands, n'ira à la discussion de cette loi sans s'être auparavant familiarisé complètement avec le livre de Marx. On peut obtenir beaucoup. Les divisions dans les classes régnantes sont plus favorables aux ouvriers qu'elles le furent jamais en Angleterre, parce que le suffrage universel contraint les classes dominantes à rechercher la faveur des ouvriers. Dans ces circonstances, quatre ou cinq représentants du prolétariat sont une puissance, s'ils savent utiliser leur situation, s'ils savent avant tout de quoi il s'agit; ce que les bourgeois ne savent pas. Et pour cela le livre de Marx leur met en mains la documentation toute prête.

    Nous laisserons de côté une série d'autres recherches très belles d'un intérêt plus théorique et nous nous contenterons d'en venir au chapitre final qui traite de l'accumulation du capital. On y prouve d'abord que la méthode de production capitaliste, c'està-dire, réalisée par des capitalistes d'une part et des salariés d'autre part, non seulement reproduit constamment son capital au capitaliste, mais produit toujours aussi en même temps la misère des ouvriers; de sorte que l'on veille à ce que, d'une façon constante et renouvelée, existent d'un côté des capitalistes qui sont les possesseurs de tous les moyens de subsistance, de toutes les matières premières et de tous les instruments de travail, et, de l'autre côté, la grande masse des ouvriers qui sont contraints de vendre leur force de travail à ces capitalistes pour une certaine quantité de moyens de subsistance, suffisants tout au plus, dans le meilleur des cas, pour les maintenir en état de travailler et pour faire grandir une nouvelle génération de prolétaires aptes au travail.
Mais le capital ne se contente pas d'être reproduit : il est continuellement augmenté et grossi et avec lui, sa puissance sur la classe non possédante des ouvriers. Et de même qu'il est reproduit lui-même dans des proportions de plus en plus grandes, le mode de production capitaliste moderne reproduit également à une échelle toujours plus grande, et en nombre toujours croissant, la classe des ouvriers qui ne possèdent rien.

    L'accumulation du capital reproduit les rapports du capital à une échelle plus large, plus de capitalistes ou de plus gros capitalistes à un pôle, plus d'ouvriers salariés à l'autre... L'accumulation du capital est donc l'augmentation du prolétariat.

    Mais comme pour faire la même quantité de produits, il faut toujours moins d'ouvriers par suite du progrès du machinisme, de l'amélioration de l'agriculture, etc., comme ce perfectionnement, c'est-à-dire, cet excédent d'ouvriers grandit plus rapidement que le capital lui-même, qu'advient-il de ce nombre toujours plus grand d'ouvriers ? Ils forment une armée de réserve industrielle qui, pendant les périodes d'affaires mauvaises ou médiocres, est payée au-dessous de la valeur de son travail et est occupée irrégulièrement ou encore tombe à la charge de l'assistance publique, mais est indispensable à la classe capitaliste pour les moments d'activité particulièrement vive des affaires, comme cela apparaît de façon tangible en Angleterre, mais qui, en tout état de cause, sert à briser la force de résistance des ouvriers occupés régulièrement et à maintenir leurs salaires à un bas niveau.

    Plus la richesse sociale est grande..., plus est grande la surpopulation relative ou l'armée de réserve industrielle. Mais plus cette armée de réserve est grande par rapport à l'armée ouvrière active [occupée régulièrement] et plus massive est la surpopulation consolidée [permanente], c'est-à-dire les couches d'ouvriers dont la misère est en proportion inverse de la peine de leur travail. Plus, enfin, la couche de la classe ouvrière partageant le sort de Lazare et l'armée de réserve industrielle sont grandes, plus est grand le paupérisme officiel. Telle est la loi générale, absolue de l'accumulation capitaliste.

    Telles sont, prouvées d'une façon rigoureusement scientifique - et les économistes officiels se gardent bien de tenter seulement de les réfuter - quelques-unes des lois principales du système social capitaliste moderne. Mais avec cela avons-nous tout dit ? Pas du tout. Avec la même netteté que Marx souligne les mauvais côtés de la production capitaliste, il prouve, de façon aussi claire, que cette forme sociale était nécessaire pour développer les forces productives de la société à un niveau qui permette le même développement vraiment humain pour tous les membres de la société. Toutes les formes sociales antérieures ont été trop pauvres pour cela. Seule, la production capitaliste crée les richesses et les forces de production nécessaires à cette fin, niais elle crée en même temps, avec la masse des ouvriers opprimés, la classe sociale qui, de plus en plus, est contrainte de revendiquer l'utilisation de ces richesses et de ces forces productives pour toute la société et non, comme aujourd'hui, pour une classe monopoliste.
(Demokratisches Wochenblatt, de Leipzig, 21-28 mars 1868.)

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                                             EXTRAIT DE LA PRÉFACE AU DEUXIÈME LIVRE DU « CAPITAL »


    Vers la fin du siècle dernier, régnait encore, comme chacun sait, la théorie phlogistique, d'après laquelle la nature de toute combustion consistait en ce que du corps en combustion il se détachait un autre corps, un corps hypothétique, une matière combustible absolue à qui on donnait le nom de phlogiston. Cette théorie suffisait à expliquer la plupart des phénomènes chimiques alors connus, non sans toutefois, dans certains cas, faire violence aux faits. Or, voici qu'en 1774, Priestley produisit une espèce d'air « qu'il trouva si pur ou si exempt de phlogiston que, par comparaison, l'air ordinaire paraissait déjà vicié » Il l'appela : air déphlogistisé. Peu dé temps après, Scheele produisit, en Suède, la même espèce d'air et prouva qu'il existait dans l'atmosphère. Il constata également qu'il disparaissait quand on brûle un corps dans son sein ou dans l'air ordinaire. Il l'appela donc « air à feu ».

    De ces résultats, il tira la conclusion que la combinaison qui naît de l'alliance du phlogiston avec un des éléments de l'air [c'est-à-dire dans la combustion], n'était que du feu ou de la chaleur qui s'échappait du verre2.

    Priestley et Scheele avaient tous deux produit l'oxygène, mais sans savoir ce qu'ils avaient sous la main. Ils « ne pouvaient se dégager des catégories « phlogistiques », telles qu'ils les trouvaient établies.» L'élément qui allait renverser toute la conception phlogistique et révolutionner la chimie restait, entre leurs mains, frappé de stérilité.
Mais Priestley avait immédiatement communiqué sa découverte à Lavoisier, à Paris, et celui-ci, partant de ce fait nouveau, soumit à l'investigation toute la chimie phlogistique ; c'est alors qu'il découvrit que la nouvelle sorte d'air était un élément chimique nouveau, que, dans la combustion d'un corps, ce n'est pas le mystérieux phlogiston qui s'échappe, mais bien ce nouvel élément qui se combine avec le corps, et il mit ainsi sur ses pieds toute la chimie qui, sous sa forme phlogistique, était mise à l'envers.
Et s'il n'est pas exact, contrairement à ce qu'il a prétendu par la suite, qu'il ait produit l'oxygène en même temps que Priestley et Scheele et indépendamment d'eux, il n'en reste pas moins celui qui a vraiment découvert l'oxygène par rapport aux deux autres qui l'avaient simplement produit, sans avoir la moindre. idée de ce qu'ils avaient produit.
    Marx est à ses prédécesseurs, quant à la théorie de la plus-value, ce que Lavoisier est à Priestley et à Scheele. Longtemps avant Marx on avait établi l'existence de cette partie de la valeur du produit que nous appelons maintenant plus-value ; on avait également énoncé plus ou moins clairement en quoi elle consiste : à savoir dans le produit du travail pour lequel l'acquéreur ne donne pas d'équivalent.Mais on n'allait pas plus loin. Les uns, les économistes bourgeois classiques, étudiaient tout au plus le rapport suivant lequel le produit du travail est réparti entre l'ouvrier et le possesseur des moyens de production. Les autres, les socialistes, trouvaient cette répartition injuste et cherchaient des moyens utopiques à mettre fin à cette injustice. Ni les uns ni les autres ne réussissaient à se dégager des catégories économiques qu'ils avaient trouvées établies.
    Alors Marx vint. Et il prit le contrepied direct de tous ses prédécesseurs. Là où ceux-ci avaient vu une solution, il ne vit qu'un problème. Il s'aperçut qu'il n'y avait ici ni « air déphlogistisé » ni « air à feu », mais de l'oxygène ; qu'il ne s'agissait ici ni de la simple constationd'un fait économique, ni du conflit de ce fait avec la justice éternelle et la vraie morale, mais d'un fait appelé à bouleverser toute l'économie, et qui, pour la compréhension de toute la production capitaliste, offrait la clef à qui savait s'en servir. Partant de ce fait, il examina toutes les catégories existantes, de même que Lavoisier partant de l'oxygène, avait examiné les catégories existantes de la chimie phlogistique.

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2 ROSCOE-SCHORLEMMER : Manuel complet de chimie, Brunswick, 1877 I, p. 3-18 (Note d'Engels.)
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                                                                            RESUME DU CAPITAL

                                                   Le procès de la production du capital (Livre Premier)


Préface à l'édition allemande

CINQUANTE années se sont écoulées depuis la mort de Karl Marx. Alors que cette période a suffi pour faire sombrer dans l'oubli total les oeuvres d'écrivains fort connus de leurs contemporains elle n'a été pour le Capital de Karl Marx qu'une marche triomphale, à travers le monde entier. Le résumé de cette oeuvre par Engels, que nous pouvons pour la première fois faire lire en langue allemande au prolétariat allemand, revêt donc, pour cette raison, une importance particulière.
Engels entreprit ce travail quand, à la demande de Marx, il écrivit pour la Fortnightly Review, revue libérale de gauche paraissant à Londres, un article sur le premier tome du Capital. Mais le rédacteur de la Fortnightly Review, renvoya à l'auteur la première partie de l'article, et Engels cessa d'y travailler.
Engels qui préparait son travail avec beaucoup de soin, avait commencé suivant en cela les directives précises de Marx par prendre des extraits du Capital ; le résumé que nous publions aujourd'hui en est le résultat.
Le 17 avril 1868, Engels écrivait à Marx

    Avec le temps limité dont je dispose, la dissection de ton livre me donne plus d'ouvrage que je ne le prévoyais ; car enfin3, une fois qu'on s'attelle à ce travail il faut au moins le faire à fond et pas seulement en vue de cet objectif spécial.

    Ce travail, Engels l'a effectué vraisemblablement dans la première moitié de l'année 1868 il n'a pas dépassé la quatrième partie. la Production de la plus-value relative, chapitre XIII : « Machinisme et grande industrie », sous-chapitre 6. Le résumé n'a pas été achevé Cependant, même sous cette forme, il rendra de précieux services au prolétariat, car, il résume magistralement en termes propres, les idées fondamentales du Capital. Engels nous montre la voie à suivre pour se pénétrer des enseignements du Capital. Aussi, le résumé sera-t-il un guide important dans l'étude de l'économie politique marxiste.

    Ce travail est, par endroits, difficile à comprendre. C'est qu'il n'est pas destiné à remplacer l'étude préalable d'oeuvres économiques marxistes élémentaires comme Travail salarié et capital , Salaires, prix et profits, comme les parties économique de l'article sur Karl Marx de Lénine et de l'Anti-Dahring d'Engels ; il doit seulement permettre au lecteur prolétarien de passer de l'étude de ces ouvrages, facilement compréhensibles, à celle du Capital.

    Seul Engels, le génial collaborateur de Marx, co-fondateur du matérialisme historique et du communisme scientifique, qui a lui-même exploré le domaine de l'économie politique, pouvait, dans son résumé, restituer le contenu du Capital sous une forme aussi claire et aussi condensée. Son art de la popularisation repose sur une maîtrise absolue de la méthode du màtérialisme dialectique. Le résumé est un modèle de recherche et
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3 En français dans le texte (N.T.)


d'exposition matérialistes. Les catégories économiques sont montrées dans leur développement historique. Engels n'a omis, dans son résumé aucune des transitions révélées par le Capital. Alors que les falsificateurs idéalistes du marxisme contestent la base matérielle qui sert d'assise aux catégories marxistes de l'économie politique, Engels, matérialiste, part toujours des conditions de production. Voilà pourquoi son résumé est une arme contre la déformation menchévik de l'économie marxiste dans le sens idéaliste.

    Le résumé est centré sur la théorie de la plus-value. Quand, en 1884, Deville fit paraître en France l'abrégé populaire du Capital, Engels lui reprocha, en particulier, d'y avoir mis des choses «inutiles pour l'intelligence de la théorie de la plus-value et de ses conséquences (et c'est cela justement qui importe pour un abrégé populaire) ». Engels étudie avec une attention particulière les lois de la production de la plus-value, car la production de plus-value, l'exploitation des ouvriers, éveille dans le prolétariat les forces de l'indignation, de la révolte. Par ailleurs, la production de plus-value aboutît à un tel épanouissement des forces productives que le cadre du mode de production capitaliste devient trop étroit, que le renversement de la bourgeoisie, l'instauration de la dictature prolétarienne, l’édîfication du socialisme deviennent possibles et néssaires.
    C'est dans la façon dont Engels met la production de la plus-value au centre de son travail qu'en apparaît le caractère rêvolutionnaire. Il traite des contradictions économiques de la production des marchandises, depuis la contradiction entre la valeur d'usage et la valeur d'échange, jusqu'à sa forme la plus élevée dans le capitalisme.
Dans la contradiction économique, il découvre la contradiction de classe il montre les classes en tant que supports des contradictions économiques. Soit par des citations de Marx, soit par des formulations personnelles, Engels met justement en relief le côté révolutionnaire et « révolutionnarisant » du capitalisme :

    La plus-value est le surtravail cristallisé et seule la forme de son extorsion distingue les diverses formations sociales.
Le capital ne se soucie donc nullement de la santé et de la vie de l'ouvrier, à moins d'y être forcé par la société.

Engels souligne que

    devant les ouvriers se dressent les puissances spirituelles du processus de travail en tant que propriété étrangère et force qui les domine.

    Combien lamentables paraissent à côté du résumé d'Engels les innombrables tentatives faites par les économistes bourgeois et social-démocrates (Kautsky, Borchardt, etc.) pour populariser et abréger le Capital, c'est-à-dire pour le vulgariser - au pire sens du mot - et le falsifier.

    II est regrettable qu'Engels n'ait pu terminer son travail. Cependant, même sous cette forme inachevée, il sera pour le lecteur un guide indispensable à travers le Capital.

    Le texte a été établi sur la base d'une vérification minutieuse du texte original, d'après les copies photographiques qui se trouvent à l'Institut Marx-Engels-Lénine. Nos additions, qui se bornent essentiellement à l'explication de mots étrangers, ont été placées entre crochets. Les indications paginales données par Engels se rapportent à la première édition allemande du Capital, tome I, Editions Otto Meissner ;les chiffres ajoutés entre crochets se rapportent à l'édition établie par les soins de l'Institut Marx-Engels-Lénine.
L'édition du résumé que nous publions aujourd'hui a été préparée par Horst Frochlich. INSTITUT MARX-ENGELS-LÉNINE.

                                             LIVRE PREMIER

                                                          Le procés de la production du capital

                                                                                          PREMIERE PARTIE

                                                                                LA MARCHANDISE ET L'ARGENT


I. La marchandise en soi

La richesse des sociétés dans lesquelles règne la production capitaliste consiste, en marchandises. La marchandise est une chose qui possède une valeur d'usage ; cette dernière existe dans toutes les formes sociales, mais, dans la société capitaliste, la valeur d'usage est en même temps le support matériel de la valeur d'échange.

    La valeur d'échange présuppose un tertium comparationis4 auquel elle est mesurée : le travail, la substance sociale commune des valeurs d'échange, plus précisément le temps de travail socialement nécessaire qui y est matérialisé.

    De même que la marchandise [revêt] un double aspect valeur d'usage et valeur d'échange, de même, le travail contenu en elle [est] doublement déterminé: d'une part comme activité productive déterminée, travail du tisserand, du tailleur, etc., « travail utile », d'autre part, comme simple dépense de force de travail humaine, travail cristallisé, abstrait. Le premier produit de la valeur d'usage, le second de la valeur d'échange ; seul, ce dernier est quantitativement comparable (la distinction entre travail skilled [qualité] et unskilled [non qualifié], travail composé et travail simple, le confirme).

    [La] substance de la valeur d'échange [est] donc le travail abstrait. Sa grandeur [se mesure] au temps employé. [Reste] encore à considérer la forme de la valeur d'échange.

    1. x marchandise A = y marchandise B, la valeur d'une marchandise exprimée en valeur d'usage d'une autre [marchandise] est sa5 valeur relative. L'expression de l'équivalence de deux marchandises est la forme simple de la valeur relative. Dans l'équation ci-dessus, y marchandise B est l'équivalent. En lui, x marchandise A reçoit sa forme valeur par opposition à sa6 forme naturelle, alors que y marchandise B reçoit en même temps, dans sa propre forme naturelle, la propriété de pouvoir être directement échangé.
La valeur d'échange est imprimée à la valeur d'usage de la marchandise par des conditions historiques déterminées. Elle ne peut donc l'exprimer dans sa propre valeur d'usage, mais seulement dans la valeur d'usage d'une autre marchandise. C'est seulement dans la mise en égalité de deux produits concrets du travail que le travail concret contenu dans l'un et dans l'autre révèle sa qualité de travail humain abstrait ; c'est-à-dire qu'une marchandise peut se comporter comme simple matérialisation de travail abstrait, non pas envers le travail concret contenu en elle-même, mais envers le travail concret contenu dans une autre espèce de marchandise.
    L'équation x marchandise A = y marchandise B implique. nécessairement que x marchandise A puisse être également exprimé dans d'autres marchandises, donc :
    2. x marchandise A = y marchandise B = z marchandise C =v mimarchandise D = u marchandise E . etc., etc.
C'est là la forme développée de la valeur relative. Ici, x marchandise A, en tant que simple matérialisation du travail qui y est contenu, ne se rapporte plus à une marchandise, mais à toutes. Mais par simple inversion, elle conduit à

4 Terme de comparaison. (N. T.)
5 Se rapporte à l'expression « x marchandise A,». (N. R.)
6 Se rapporte au- mot « marchandise ». (N. R.)
3. la deuxième forme, réfléchie, de la valeur relative.
y marchandise B = x marchandise A
z marchandise C = x marchandise A
v marchandise D = x marchandise A
u marchandise E = x marchandise A
etc., etc.
   Ici, les marchandises reçoivent la forme de valeur relative générate, dans laquelle, en tant que marchandiises, elles s’abstraient de leur valeur d'usage pour s'identifier, en tant que matérialisation du travail abstrait, dans [l’expression] x marchandise A. L'expression x marchandise A est la forme générique de l'équivalent pour toutes les autres marchandises, elle est leur équivalent général; le travail qui y est matérialisé vaut simplement comme réalisation de travail abstrait, comme travail général. Mais maintenant :
4. Chaque marchandise de la série peut prendre le rôle d'équivalent général; mais, simultanément, elles ne peuvent prendre [pour équivalent général] qu'une des marchandises [de la série] car si toutes les marchandises étaient des équivalents généraux, chacune en exclurait l'autre à nouveau.
La forme 3 n'est pas engendrée par x marchandise A, mais par les autres marchandises, objectivement. Il faut donc qu'une marchandise déterminée prenne le rôle [d'équivalent général] - elle peut changer pour l'instant - et c'est par là seulement que la marchandise devient intégralement marchandise. Cette marchandise particulière avec la forme naturelle [de laquelle] se confond la forme de l'équivalent général, est l'argent.
La difficulté de la marchandise réside en ce que, comme toutes les catégories du mode de production capitaliste, elle représente sous une enveloppe matérielle un rapport entre individus. Les producteurs rapportent leurs divers travaux les uns aux autres comme travail humain général, tandis qu'ils rapportent leurs produits entre eux en tant que marchandises, sans l'entremise des choses ils ne sauraient y parvenir. Le rapport entre les individus apparaît donc comme un rapport entre les choses.
Pour une société où prédomine la production des marchandises, le christianisme, [et plus] spécialement le protestantisme, [est] la religion appropriée.


II. Procès d'échange de la marchandise.

DANS l'échange, la marchandise démontre qu'elle est marchandise. Les possesseurs de deux marchandises doivent avoir la volonté d'échanger leurs marchandises resp[ectives] et, par conséquent, se reconnattre mutuellement la qualité de propriétaires privés. Ce rapport juridique, dont la forme est le contrat, n'est que le rapport de volontés, dans lequel se reflète le rapport économique. Le contenu de ce rapport [de droit et de volontés] est donné par le rapport économique même, P. 45 (90/95).

    La marchandise est valeur d'usage pour celui qui ne la possède pas, elle n'est pas valeur d'usage pour son possesseur7. D'où le besoin d'échange. Mais chaque possesseur de marchandise veut acquérir des valeurs d'usage qui lui soient spécifiquement utiles - en ce sens l'échange est un processus individuel. Par ailleurs, il veut réaliser sa marchandise comme valeur, par conséquent dans n'importe quelle marchandise, que sa [propre] marchandise soit ou non valeur d'usage pour le possesseur de l'autre marchandise. En ce sens, l'échange est pour lui un processus social général. Mais le même processus ne peut pas être pour tous les propriétaires de marchandises à la fois individuel et social général.Chaque possesseur de marchandise considère sa [propre] marchandise comme l'équivalent général, et toutes les autres marchandises comme autant d'équivalents particuliers de la sienne. Comme tous les possesseurs de marchandises font de même, aucune marchandise n'est équivalent général : par suite, aucune marchandise ne revêt la forme générale de valeur relative, dans laquelle toutes les valeurs s'égaleraient et pourraient être comparées comme grandeurs de valeurs. Elles ne se rapportent donc pas les unes aux autres comme marchandises, mais seulement comme produits. P. 47 [92/97].

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7 Engels emploie les mots de non-possesseur et non-valeur d'usage et dit littéralement : « La marchandise est valeur d'usage pour son non-possesseur, elle est non-valeur d'usage pour son possesseur. « (N. T.)

    Les marchandises ne peuvent se rapporter les unes aux autres comme valeurs, et par suite comme marchandises, que si elles se rapportent toutes à une autre marchandise quelconque comme équivalent général. Mais seul le fait social peut muer une marchandise déterminée en équivalent général : l'argent.

    La contradiction immanente de la marchandise en tant qu'unité directe de valeur d'usage et valeur d'échange, en tant que produit du travail privé utile... et en tant que matérialisation directe et sociale de travail humain abstrait, cette contradiction n'a pas de cesse avant d'avoir abouti au dédoublement de la marchandise en marchandise et argent. P. 48 [92-93/97].

    Toutes les autres marchandises n'étant que des équivalents particuliers de l'argent et celui-ci étant leur équivalent général, elles se comportent comme marchandises particulières à l'égard de l'argent, marchandise générale. Le processus d'échange donne à la marchandise qu'il transforme en argent non pas sa valeur, mais sa forme-valeur. P. 53 [97-98/100.
Fétichisme : une marchandise ne semble pas devenir argent parce que les autres marchandises expriment en elle leurs valeurs, mais ces dernières semblent au contraire exprimer leurs valeurs en elle parce qu'elle est argent.

                                III. La monnaie ou la circulation des marchandises.


                                     A. Mesure des valeurs (or = monnaie supposée).8


LA monnaie comme mesure de la valeur est la forme sous laquelle se manifeste nécessairement la mesure de la valeur immanente des marchandises : le temps de travail. La simple expression de la valeur relative de la marchandise en argent, x marchandise A = y argent, est son prix. P. 55 [99-100/105].
Le prix de la marchandise, sa forme argent, est exprimé en monnaie idéale ; c'est donc seulement l'argent idéal qui mesure les valeurs. P. 57 {101/105].

   Une fois réalisée la transformation de la valeur en prix, il devient techniquement nécessaire de développer davantage encore la mesure des valeurs pour aboutir à l'étalon des prix ; c'est-à-dire qu'une quantité d'or est fixée qui sert de mesure aux diverses [autres] quantités d'or. Le tout est essentiellement distinct de la mesure des valeurs qui, elle-même, dépend de la valeur de l'or ; quant à cette dernière, elle est indifférente pour la mesure des prix. P, 59 [l05-106/108].
Les prix étant formulés en appellations arithmétiques de l'or9, l'argent sert [alors] de monnaie de compte.
Si le prix, comme exposant de la grandeur de valeur de la marchandise est l'exposant de son rapport d'échange avec la monnaie, il ne s'ensuit pas réciproquement que l'exposant du rapport d'échange avec la monnaie soit nécessairement le rapport de sa grandeur de valeur.
En supposant que des circonstances permettent ou imposent de vendre une marchandise au dessus ou au-dessous de sa valeur, ces prix de vente, s'ils ne correspondent pas à sa valeur, n'en sont pas moins le prix de la marchandise, car ils sont :
1. la forme de sa valeur, l'argent, et
2. les exposants de ses rapports d'échange avec l'argent.
La possibilité de désaccord quantitatif entre le prix et la grandeur de valeur est donc donnée dans la forme prix elle-même. Cela ne constitue pas une défectuosité de cette forme ; celle-ci devient au contraire ainsi la forme adéquate d'un mode de production où la règle ne peut prévaloir qu'en tant que loi moyenne, à l'action aveugle, de l'irrégularité.
La forme prix peut ce[pendant aussi] dissimuler [une] contradiction qualitative, de sorte que le prix cesse, d'une façon générale, d'être expression de valeur... La conscience, l'honneur, etc., peuvent... par leur prix acquérir la forme marchandise. P. 60-61 [107/112].
La mesure des valeurs en argent, la forme prix, implique la nécessité de l'aliénation [vente] ; la mesure idéale des prix [implique] la [mesure] réelle. D'où la circulation.
                                                  B. Moyens de circulation.
                                                      a) La métamorphose des marchandises.


Forme simple : M-A-M (marchandise-argent-marchandise), dont le contenu matériel =M-M. Abandon de valeur d'échange, appropriation de valeur d'usage.

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8 Le texte de Marx dit, plus clairement : « Dans un but de simplification, nous supposons que l'or est la marchandise qui remplit les fonctions de monnaie. » (N. T.)

2. C'est-à-dire en noms monétaires ; livre, franc, ducat... (N, T.)

1. Première phase : M-A = vente, avec deux éventualités :celle de la non-réussite [de la vente] ou celle de la vente au-dessous de la valeur ou au-dessous du prix de revient, si la valeur sociale de la marchandise se modifie.

    La division du travail transforme le produit du travail en marchandise et nécessite par cela même sa transformation en argent.
En même temps elle remet au hasard la réussite de cette trans-substantiation. P. 60-67 [111-113/115-116]. Pour considérer ici le phénomène en lui-même, M-A présuppose que le possesseur de l’A (au cas où il n'est pas producteur d'or) a auparavant échangé d'autres M contre son A (la possession de l'A résulte pour lui de la vente antérieure d'autres M) : pour l'acheteur, le phénomène n'est donc pas seulement l'inverse = A-M, mais [encore] il présuppose de sa part une vente antérieure, etc., de sorte que nous nous trouvons dans une série infinie d'achats et de ventes.

   2 . La même chose se produit dans la deuxième phase, A-M. Achat, qui est en même temps une vente pour l'autre participant.
3. Le processus d'ensemble est donc un cycle d'achats et de ventes. Circulation des marchandises.
Cette dernière [est] toute différente de l'échange direct des produits ; d'une part les limites locales et individuelles de l'échange direct des produits sont brisées, la permutation du travail humain [est]développée ; d'autre part, il apparaît ici déjà que tout le processus est conditionné par des rapports naturels sociaux indépendants des personnes qui interviennent dans ces opérations. P. 72 [117/120].
L'échange simple s'est éteint dans le seul acte d'échange au cours duquel chacun [des partenaires] a échangé de la non-valeur d'usage pour de la valeur d'usage ; [mais] la circulation continue indéfiniment.

    P. 73 [118/121]. Voici un dogme économique faux : La circulation des marchandises exigerait nécessairement l'équilibre des achats et des ventes, chaque achat étant vente et vice-versa - ce qui reviendrait à dire que chaque vendeur amène son [propre] acheteur sur le marché.
1. L'achat et la vente constituent d'une part, un acte identique de deux personnes polariquement opposées, d'autre part, deux actes polariquement opposés d'une [même] personne. L'identité entre l'achat et la vente implique donc que la marchandise est inutile, quand elle n'est pas vendue, donc aussi que cette éventualité peut survenir.
2. M-A en tant que processus partiel est en même temps, un processus indépendant et implique que l'acquéreur de l'A peut choisir le moment où il transformera à nouveau cet A en M. Il peut attendre. L'unité intérieure des processus indépendants, M-A et A-M se meut, justement du fait de l'indépendance de ces processus, dans des contradictions extérieures, et lorsque la tendance qu'ont ces processus dépendants à devenir indépendants atteint une certaine limite, l'unité s'impose par une crise, dont la possibilité [est] par conséquent donnée ici même. En tant qu'intermédiaire de la circulation des marchandises, la monnaie est moyen de circulation.


                                                     b) Mouvement de la monnaie.
Chaque marchandise individuelle entre et sort de la circulation par l'intermédiaire de la monnaie ; la monnaie, elle, y reste toujours. Bien que, par suite, le mouvement de la monnaie ne soit que l'expression de la circulation des marchandises, cette dernière n'en apparaît pas moins comme le résultat du mouvement de la monnaie. Comme l'argent reste constamment dans la sphère de la circulation, la question se pose de la quantité d'argent qui y est contenue.
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10 Lettres grecques dans le texte d'Engels. (N. R.)

     La masse de l'argent circulant est déterminée par la somme des prix des marchandises (pour une valeur constante de la monnaie), et cette somme des prix par la masse des marchandises en circulation. Cette masse de marchandises étant supposée donnée, la masse de l'argent circulant varie avec les fluctuations de prix des marchandises. La même pièce de monnaie servant à la conclusion d'un certain nombre d'affaires dans un temps donné, on a pour un laps de temps déterminé :
somme des prix des marchandises par nombre de cycles d'une pièce de monnaie=masse de la monnaie fonctionnant comme moyen de circulation. P. 80 [125/126].

     Par suite, le papier-monnaie peut évincer l'or quand il est jeté dans une circulation saturée.
    Comme dans le mouvement de la monnaie n'apparaît que le processus de circulation des marchandises, la rapidité de ce mouvement révèle aussi celle de ses métamorphoses [les métamorphoses de la circulation des marchandises], son ralentissement [révèle] la séparation entre l'achat et la vente, le ralentissement des échanges sociaux. La circulation ne nous indique pas la cause de ce ralentissement; elle ne nous montre que le phénomène. Le philistin l'explique par la quantité insuffisante de moyens de circulation. P. 81 [125-126/126-127].
Ergo1:
1. Les prix des marchandises restant constants, la masse de la monnaie circulante augmente quand augmente la masse des marchandises en circulation ou que se ralentit le mouvement de la monnaie; et elle diminue vice versa [quand la masse des marchandises en circulation diminue ou que le mouvement de la monnaie s'accélère].

   2. Les prix des marchandises subissant une hausse générale, la masse de la monnaie circulante reste constante si la masse des marchandises diminue ou si la rapidité de la circulation augmente dans la même mesure.

    3. Les prix des marchandises subissant une baisse générale, - inverse de 2.
    Dans l'ensemble, on trouve une moyenne assez constante à laquelle seules les crises pour ainsi dire font subir des perturbations importantes.
                                                        c) Numéraire. Signe de valeur.


    L'étalon des prix est fixé par l'Etat, de même que l'appellation donnée à la pièce d'or déterminée - le numéraire et sa fabrication. Sur le marché mondial, les uniformes nationaux respectifs sont retirés (il est fait abstraction ici du trésor accumulé de la Monnaie), de sorte que le numéraire et les lingots12 ne se distinguent que par la forme.
- Mais la monnaie s'use dans la circulation, l'or en tant que moyen de circulation se différencie de l'or en tant qu'étalon des prix; le numéraire devient de plus en plus [le] symbole de son contenu officiel.

    Par là se trouve donnée d'une façon latente la possibilité de remplacer l'argent métallique par des jetons ou des symboles. D'où :
1. Monnaie divisionnaire de cuivre ou d'argent, dont la fixation par rapport à la monnaie or réelle est empêchée par la limitation de la quantité dans laquelle elle constitue un legal tender13. Son contenu purement arbitraire [est] fixé par la loi et sa fonction du numéraire devient ainsi indépendante de sa valeur. D'où le progrès possible vers des signes absolument sans valeur.
2. Papier-monnaie, c'est-à-dire papier-monnaie d'Etat avec cours forcé (la monnaie de crédit ne sera pas encore traitée ici). Dans la mesure où ce papier-monnaie circule réellement à la place de la monnaie d'or, il est soumis aux lois de la circulation monétaire. Seul, le rapport dans lequel ce papier remplace l'or peut faire l'objet d'une loi spéciale, à savoir: l'émission de papier-monnaie doit être limitée à la quantité dans laquelle l'or qu'il symbolise circulerait réellement14. Il est vrai que le degré de saturation de la circulation oscille, mais partout l'expérience fait apparattre un minimum au-dessous duquel il ne tombe jamais. Ce minimum peut être émis. En outre, quand le degré de saturation s'abaisse au minimum, une partie [du papier-monnaie] devient immlédiatement superflue. En pareil cas, la quantité totale de papier au sein du monde des marchandises ne symbolise cependant que la quantité d'or déterminée par ses lois immanentes, donc seule capable d'être symbolisée15. [Si] donc la masse de papier [constitue] le double de la masse d'or absorbée, chaque morceau de papier se déprécie [et tombe] à la moitié de sa valeur nominale. Tout comme si l'or avait subi une modification dans sa fonction de mesure des prix, dans sa valeur. P. 89 (133/133-134).

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11 Donc. (N.T.)
12 L'or monnayé et l'or en barres. (N. T.)
13 Moyen de paiement légal. (N. R.)


                                          C. La monnaie ou l'argent-monnaie.
                                                            a) La thésaurisation.


    Avec le premier développement de la circulation des marchandises se développe la nécessité et la passion de retenir le produit de M-A, l'A. Au lieu de servir simplement d'intermédiairé des échanges, cette métamorphose devient un but en elle-même. L'argent se pétrifie, devient trésor, et le vendeur se change en thésauriseur. P. 91 [135-136/135-136].

    Cette forme prédominante [prédomine] justement aux débuts de la circulation des marchandises. Asie. Avec le développement de la circulation des marchandises, chaque producteur de marchandises doit s'assurer le nervus rerum16, le gage social de la force, l'A Ainsi se constituent partout des hoards17.Le développement de la circulation des marchandises augmente la puissance de la monnaie, forme toujours disponible et absolument sociale de la richesse. P. 92 [1.36-137/136-138]. L'instinct de thésaurisation est par essence illimité. Au point de vue de la qualité ou de forme, la monnaie n'a point de limites et reste le représentant général de la richesse matérielle, parce qu'elle peut directement se transformer en n'importe quelle marchandise. Mais au point de vue de la quantité, toute somme réelle est limitée et n'a donc, comme moyen d'achat, qu'une action limitée. Cette contradiction ramène sans cesse le thésauriseur à son travail de Sisyphe de l'accumulation.

    A côté de cela, l'accumulation d'or et d'argent en plate18, [constitue] à la fois [un] nouveau marché pour ces métaux, et [une] source latente de monnaie.

    La thésaurisation sert de canal abducteur et adducteur de l'argent circulant dans les oscillations permanentes du degré de saturation de la circulation. P. 93 [139-140/139].

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14 Dans le texte de Marx « L'émission du papier-monnaie doit être proportionnée à la quantité d'or (ou d'argent) dont il est le symbole et qui devrait réellement circuler. » (N T)
15 Dans le texte de Marx : Le papier-monnaie n'est donc signe de valeur qu'autant qu'il représente des quantités d'or qui, comme toutes les autres quantités de marchandises, sont aussi des quantités de valeur. » (N. T.)
16 Le nerf des choses. (N. T.)
17 Trésors. (N. T.)
18 Objets précieux..(N. T.)


                                                          b) Moyen de paiement.
    Le développement de la circulation des marchandises fait surgir de nouvelles, conditions: l'aliénation de la marchandise peut être séparée chronologiquement de la réalisation de son prix.
La production des diverses marchandises nécessite des durées diverses; elles sont fabriquées à des saisons différentes; maintes marchandises doivent, être expédiées vers des marchés lointains, etc. X19 peut donc être vendeur avant que Y, l'acheteur, soit solvable. La pratique règle les conditions de paiement de la façon suivante : X devient créancier, Y débiteur, l'argent devient moyen de paiement. Le rapport entre le créancier et le débiteur est donc d'ores et déjà antagoniste. (Il peut en être ainsi indépendamment de la circulation des marchandises, par exemple dans l'antiquité et au moyen âge.) P. 97 -[140-141/1140-141].

    Dans ce rapport, l'argent fonctionne :
1. comme mesure de valeur pour la détermination des prix des marchandises vendues;
2. comme moyen d'achat idéal.
En tant que trésor, A avait été soustrait à la circulation ici, en tant que moyen de paiement20, A entre dans la circulation, mais seulement quand M en est sortie. L'acheteur-débiteur vend pour pouvoir payer, sous peine d'être saisi. A devient donc maintent le but même de la vente, par une nécessité sociale découlant des conditions mêmes de la circulation. P. 97-98 [141-142/141].

    La non-simultanéité des achats et des ventes, qui donne naissance à la fonction de l'argent comme moyen de paiement, apporte21, en même temps, une économie de moyens de circulation, la concentration des paiements en un endroit déterminé.
(Virements à Lyon, au moyen àge, espèce de clearing house où seul [était] payé le solde des créances réciproques. P. 98 [;143/ 142].

    Tant que les paiements se balancent, la monnaie ne fonctionne, que d'une manière idéale comme monnaie de compte ou mesure de valeur. Dès qu'il faut effectuer des paiements réels, elle ne se présente plus comme moyen de circulation, comme simple forme éphémère servant d'intermédiaire aux échanges; elle devient l'incarnation individuelle du travail social, la réalisation indépendante de la valeur d'échange, une marchandise absolue. Cette contradiction directe éclate, lors des crises industrielles et commerciales, au moment qui s'appelle la crise monétaire. Elle ne se produit que là, où se sont complètement développés l'enchaînement progressif des paiements et un système artificiel d'équilibre entre eux. Ce mécanisme subit-il, pour une raison quelconque, des perturbations d'ordre général, la monnaie renonce brusquement et sans transition à sa forme idéale de monnaie de compte pour devenir espèces sonnantes et trébuchantes. Elle ne peut plus être remplacée par des marchandises vulgaires. P. 99 [143-144/143].

    La monnaie de crédit résulte de la fonction de la monnaie comme moyen de paiement, les certificats de dettes circulent à leur tour et déplacent les créances. Avec le système de crédit s'étend à nouveau la fonction de la monnaie comme moyen de paiement, comme telle elle acquiert des formes d'existence propres, dans lesquelles elle hante la sphère des grandes transactions commerciales, tandis que la monnaie [métallique] est surtout refoulée dans la sphère du commerce de détail. P. 101, [145/144-145].

    Quand la production de marchandises atteint un certain niveau et une certaine étendue, la fonction de la monnaie-moyen de paiement dépasse la sphère de la circulation des marchandises, elle devient la marchandise générale des contrats. De versement en nature, les rentes, impôts, etc., se transforment en versement d'argent. Voir la France de Louis XIV (Boisguillebert et Vauban), par contre l'Asie, la Turquie, le Japon, etc. P. 102 [146/145].

    La transformation de l'argent en moyen de paiement exige - une accumulation d'argent pour les jours d'échéance - la thésaurisation qui disparaît dans le développement social continu comme forme indépendante d'enrichissement, reparaît à nouveau comme fonds de réserve des moyens de paiement. P. 103 [148/147].

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19 Dans le texte d'Engels l’acheteur et le vendeur sont désignés par A et B. Nous avons remplacé par X et Y pour éviter la confusion avec l'argent A (G. en allemand) (N. T.)
20 Marx écrit : « Le moyen de circulation s'est transformé en trésor, parce que le mouvement de la circulation s'était arrêté à sa première moitié. Le moyen de paiement entre dans la circulation, mais seulement après que la marchandise en est sortie » (N. T.)
21 Dans le manuscrit d'Engels.: donnent et apportent. (N- T.)


                                                                               c) La monnaie universelle.
Dans la circulation universelle, les formes locales du numéraire, de la monnaie divisionnaire, des signes de valeur se dépouillent et seule la forme de l'argent [métal] en barres sert de monnaie universelle. C'est seulement sur le marché mondial que la monnaie fonctionne pleinement comme la marchandise dont la forme naturelle est, en même temps, la réalisation sociale immédiate du travail humain in abstracto22. Sa manière d'être devient adéquate à son concept. P. 103-104 (Détails, 105) [148. Détails149-151/147-150].
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22 En général. (N.. T.)


                                                 DEUXIEME PARTIE

                     LA TRANSFORMATION DE L'ARGENT EN CAPITAL
                                           I. Formule générale du capital.


    La circulation des marchandises est le point de départ du capital. La production des marchandises, leur circulation et son développement, le commerce, sont donc partout les facteurs historiques qui font naître le capital. C'est de la création du commerce moderne et du marché mondial au XVIe siècle que date l'histoire moderne du capital. P. 106 (153/151).

    Pour ne considérer que les formes économiques engendrées par la circulation des marchandises, [nous constatons que] son dernier produit est l'argent et c'est là la première forme d'apparition du capital. Historiquement, le capital se dresse toujours en face de la propriété foncière sous forme de fortune monétaire, de capital marchand ou de capital usuraire, et, actuellement encore, tout nouveau capital entre en scène sous forme d'argent qui doit se transformer en capital au moyen de processus déterminés.

    L'argent en tant qu'argent et l'argent en tant que capital ne se distinguent tout d'abord que par la forme de leur circulation. A côté de M-A-M survient également la forme A-M-A, acheter pour vendre. L'argent, qui décrit dans ce mouvement cette forme de circulation, devient du capital, est déjà en lui-même, c'[est]-à-d[ire] par sa destination, du capital.

    Le résultat de A-M-A est A-A, échange indirect d'argent , contre argent. J'achète pour 100 livres sterling du coton que je revends 110 livres ; en fin de compte j'ai échangé 100 livres contre 110, de l'argent contre de l'argent.

    Si ce processus aboutissait à la même valeur monétaire qui y fut jetée initialement - 100 livres [issus] de 100 livres - ce [il] serait absurde. Mais que de, ses 100 livres le marchand tire 100, 110 ou seulement 50 livres, son argent n'en a pas moins décrit un mouvement particulier, tout à fait différent de la circulation des marchandises M-A-M. L'analyse des différences de forme qui distinguent ce mouvement de M-A-M permettra également de discerner la différence de contenu.

    Les deux phases du processus sont respectivement les mêmes que dans M-A-M. Mais il existe une grande différence dans son ensemble. Dans M-A-M, l'argent est l'intermédiaire, la marchandise le point de départ et l'aboutissant ; ici, c'est M qui est l'intermédiaire, A le point de départ et l'aboutissant. Dans M-A-M, l'argent est définitivement dépensé, dans A-M-A, il est seulement avancé et doit être retrouvé. Il revient à son point de départ - [il y a] donc ici déjà une différence sensible et palpable entre la circulation de l'argent en tant que monnaie et de l'argent en tant que capital.

    Dans M-A-M l'argent ne peut refluer à son point de départ que par la répétition de tout le processus, par la vente de marchandises fraîches, [nouvelles] ; le reflux est donc indépendant du processus lui-même. Dans A-M-A, par contre, il est conditionné d'avance par la structure même du processus, qui est incomplet s'il ne réussit pas. P. 110 [156/153].

    M-A-M, a pour but final la valeur d'usage, A-M-A, la valeur d'échange [en] elle-même.

    Dans M-A-M, les deux extrêmes ont la même forme économique23. Ce sont tous deux des marchandises et de même valeur. Mais ce sont en même temps des valeurs d'usage qualitativement différentes et le processus a pour contenu l'échange social. Dans A-M-A, l'opération paraît de prime abord tautologique, vide de contenu. Il semble absurde d'échanger 100 livres sterling contre 100 livres sterling, et par un détour au surplus. Une somme d'argent ne peut se distinguer d'une autre que par la grandeur; A-M-A ne reçoit son contenu que par la différence quantitative des extrêmes. On retire de la circulation plus d'argent qu'on n'y en avait jeté. Le coton acheté 100 livres est vendu par exemple 100 livres + 10 livres; le processus prend donc la forme A-M-A', où A' = A + ΔA.
Ce ΔA, cet incrément [accroissement] est de la plus-value. La valeur avancée initialement non seulement se maintient dans la circulation, mais encore s'accroît d'une plus-value, se valorise, et ce mouvement transforme l'argent en capital.

   Dans M-A-M, il peut, certes, également exister une différence de valeur entre les extrêmes, mais elle est purement fortuite dans cette forme de circulation et M-A-M ne devient pas absurde quand les extrêmes sont de valeur identique - au contraire, c'est même plutôt la condition d'un fonctionnement normal.
   La répétition de M-A-M trouve sa mesure et sa raison d'être dans un but final extérieur à la vente, et qui est la consommation, la satisfaction de besoins déterminés. Dans A-M-A, au contraire, le début et la fin sont identiques - de l'argent - et de ce seul fait, le mouvement est indéfini. Toutefois, A + ΔA est une quantité différente de A, mais néanmoins une somme d'argent limitée; si elle était dépensée elle cesserait d'être du capital; si elle était retirée de la circulation, elle [resterait] stationnaire sous forme de trésor24. Une fois donné le besoin de mise en valeur de la valeur, il existe aussi bien pour A' que pour A et le mouvement du capital est illimité parce qu'à la fin du processus son but est tout aussi peu atteint qu'au début. P. 111 [1b6-159/153-156]. En tant que support de ce processus, le possesseur d'argent devient capitaliste.

    Si dans la circulation des marchandises la valeur d'échange arrive tout au plus à une forme indépendante [celle de l'argent] par rapport à la valeur d'usage de la marchandise, ici elle apparaît brusquement comme une substance processive25, douée d'un mouvement propre et pour laquelle la marchandise et l'argent ne sont que de simples formes; bien plus, en temps que valeur originale, elle se distingue d'elle-même considérée comme plus-value. Elle devient de l'argent processif26 et, à ce titre, du capital. P. 116 [162/158].
A-M-A' semble, il est vrai, n'être qu'une forme propre au seul capital commercial [marchand]. Mais le capital industriel est également de l'argent qui se transforme en marchandise et, par la vente [de la marchandise], se retransforme en une somme d'argent supérieure. Des actes qui peuvent se passer entre l'achat et la vente, hors de la sphère de la circulation, n'y changent rien. Dans le capital portant intérêt, enfin, le processus se présente, directement [sous la forme] A-A', valeur qui est en même temps plus grande qu'elle-même27. P. 117 [162-163/158-159].

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23 Marx emploie seulement le mot « forme » Engels emploie Formbes limmtheit. difficilement traduisible : certitude, précision de forme, l'idée étant rigoureusement la même forme (N. T.)
24 Marx écrit : « Si elles sont dérobées à la circulation, elles -[ces sommes, se pétrifient sous forme trésor et ne grossissent pas d'un liard quand elles dormiraient là jusqu'au jugement-dernier » (N. T.)
25 Engels reproduit ici le mot employé par Marx : prozessierende Substanz, c'est-à-dire substance en voie de processus, en mouvement continu. (N. T.)
26 idem que 25
27 Marx écrit : « Enfin, par rapport au capital usuraire, la forme est réduite à ses deux extrêmes sans terme moyen ; elle se résume, en style lapidaire, en A-A', argent qui vaut plus d'argent, valeur qui est plus grande qu'elle-même. » (N. T.)


                            II. Contradiction de la formule générale.


    La forme de circulation par laquelle l'argent devient capital contredit toutes les lois développées ci-dessus relatives à la nature de la marchandise, de la valeur, de l'argent et de la circulation elle-même. Est-ce la différence purement formelle de l'ordre de succession [des deux phases opposées, la vente et l'achat inversé] qui a pu produire ce résultat ?

    Plus encore Cette inversion n'existe que pour une des trois personnes [pour un des trois contractants]. Capitaliste, j'achète de la marchandise à A et je la revends à B, A et B n'interviennent simplement que comme acheteur et vendeur de marchandises. Dans les deux cas, je ne suis à leur égard que simple possesseur d'argent ou simple possesseur de marchandises à l'égard de l'un [j'agis] comme acheteur ou argent, à l'égard de l'autre comme vendeur ou marchandise, mais à l'égard d'aucun, je ne suis capitaliste ou représentant de quelque chose qui serait plus que de l'argent ou de la marchandise.Pour A l'affaire a commencé par une vente, pour B, elle s'est terminée par un achat, par conséquent exactement comme dans la circulation des marchandises. De même, si je fondais le droit à la plus-value sur chacune des séries28 isolées, A pourrait vendre directement à B, et la chance de la plus-value tomberait.

    Supposons que A et B s'achètent directement des marchandises. En ce qui concerne la valeur d'usage, tous deux peuvent gagner. A peut même produire de sa marchandise plus que B n'en pourrait produire dans le même temps et vice-versa, de sorte que tous deux y gagnent. Mais [il en va] différemment avec la valeur d'échange. Ici, sont échangées des grandeurs de valeurs égales, même lorsque l'argent intervient comme moyen de circulation. P. 119 [164-165/161].
    Au point de vue abstrait, il ne se produit, dans la circulation simple des marchandises, outre le remplacement d'une valeur d'usage par une autre, qu'un changement de forme [métamorphose] de la marchandise. Dans la mesure où elle [la circulation des marchandises] n'amène qu'un changement de forme de sa valeur d'usage, elle [n'] entraîne, lorsque ce phénomène se réalise dans toute sa pureté [qu'] un échange d'équivalents. Il peut certes arriver que des marchandises soient vendues à des prix différents de leur valeur, mais seulement lorsque la loi de l'échange des marchandises a été violée. Dans sa forme pure, il [cet échange] est un échange d'équivalents ; [il ne représente] donc pas un moyen de s'enrichir. P. 120 [165-166/162].

    D'où l'erreur de toutes les tentatives de faire dériver la plus-value de la circulation des marchandises. Condillac, p. 121. [166/162-163]. Newmann, p. 122 [167/163].

    Mais admettons que l'échange n'ait pas lieu sous sa forme pure, que des non-équivalents soient échangés. Admettons que chaque vendeur vende sa marchandise 10% au-dessus de sa valeur. Tout demeurant égal, ce que chacun gagne comme vendeur, il le reperd comme acheteur. Tout comme si la valeur de l'argent s'était modifiée de 10% - De même si les acheteurs achetaient tout 10% au-dessous de la valeur. P. 123 [168169/164] (Torrens).

    L'hypothèse que la plus-value naît d'une hausse sur les prix présuppose qu'il existe une classe qui achète sans vendre, c'est-à-dire consomme sans produire, [une classe] à laquelle l'argent afflue sans cesse, gratuitement29. Vendre à cette classe des marchandises au-dessus du prix, c'est regagner en partie, par des moyens frauduleux, de l'argent qu'on avait donné sans rien recevoir en échange. (Asie mineure et Rome). Néanmoins, le vendeur reste toujours frustré et ne peut pas de cette façon s'enrichir, produire de la plus-value.

    Prenons le cas de l'escroquerie. A vend à B du vin qui vaut 40 livres contre du blé qui envaut 50. A gagne 10 [livres]. Mais A et B n'ont ensemble que 90. A a 50 et B [n'a] plus que 40. La valeur est déplacée, mais non créée. Dans son ensemble, la classe capitaliste d'un pays ne peut pas se léser elle-même. P. 126 [170/166].
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28 La série est ici l'ensemble des deux transactions : achat de la marchandise à A et vente de la marchandise à B. (N. T.)
29 Marx écrit « l'argent avec lequel une telle classe achète constamment doit constamment revenir du coffre des producteurs dans le sien, gratis, sans échange, de gré ou en vertu d'un droit acquis. » (N. T.)

    Donc, si l'on échange des équivalents, il ne se produit pas de plus-value; si l'on échange des non-équivalents, il ne se produit pas davantage de plus-value. La circulation des marchandises ne crée pas de nouvelle valeur.
    C'est pourquoi nous laissons de côté ici les formes les plus anciennes et les plus populaires du capital, le capital commercial et le capital usuraire. Si l'on ne veut pas expliquer la mise en valeur du capital commercial par la simple escroquerie, il faut recourir à de nombreux termes intermédiaires qui manquentt encore ici. Plus encore pour le capital usuraire et le capital portant intérêts. Plus tard, tous deux apparaîtront comme des formes dérivées; [on verra] également pourquoi ils apparaissent historiquement avant le capital moderne.
    La plus-value ne peut pas naître de la circulation. Mais en dehors d'elle. En dehors d'elle, le possesseur de marchandises est un simple producteur de sa marchandise, dont la valeur dépend de la quantité - mesurée d'après une loi sociale déterminée - de son propre travail qui y est contenu ; cette valeur est exprimée en monnaie de compte, par exemple dans un prix de 10. Mais cette valeur n'est pas en même temps une valeur de 11 livres; son travail crée des valeurs, mais pas de valeurs qui s'accroissent de leur propre chef30. Il peut ajouter de la valeur à une valeur existante, mais cela uniquement en y ajoutant du travail. Le producteur de marchandise ne peut donc pas produire de la plus-value, en dehors de la sphère de la circulation, sans entrer en contact avec d'autres possesseurs de marchandises.
    Le capital doit, par conséquent, surgir à la fois dans la circulation des marchandises et non en elle31. P. 128 [173/168].
Donc la transformation de l'argent en capital, doit être développée sur la base des lois immanentes à l'échange des marchandises, de façon telle que l'échange d'équivalents serve de point de départ. Notre possesseur d'argent, qui n'existe plus qu'à l'état de chrysalide capitaliste, doit acheter les marchandises à leur valeur, les vendre à leur valeur et néanmoins tirer à la fin du processus plus de valeur qu'il y en a jetée. Sa métamorphose en papillon doit se produire dans la sphère de la circulation et en même temps hors de cette sphère. Telles sont les données du problème. Hic Rhodus, hic salta !32. P. 129 [173174/168-169].

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30 Engels reprend le mot de Marx sich verwerlende Werte, « des valeurs qui se mettent en valeur »(N. T.)
31 Marx écrit : « Le capital ne peut donc pas résulter de la circulation, et il ne peut pas davantage ne pas résulter de la circulation. Il doit surgir à la fois en elle et non en elle. Un double résultat a été ainsi obtenu ». Ce passage n'existe pas dans la traduction Roy. (N. T. )
32 C'est ici Rhodes, ici saute ! C'est-à-dire Ici tu as l'occasion de montrer tes talents (N. R.)


                                 III. Achat et vente de la force de travail.


    La modification de valeur de l'argent, qui doit se muer en capital, ne peut pas se produire en cet argent lui-même, car il ne réalise dans l'achat que le prix de la marchandise; par ailleurs, aussi longtemps qu'il reste argent, sa valeur, ne change pas et, dans la vente, la marchandise ne fait que se transformer de sa forme naturelle en sa forme argent.
La transformation doit donc se produire dans la marchandise [au cours] du [processus] A-M-A, mais pas avec sa valeur d'échange, puisqu'on échange des équivalents; elle [cette transformation] ne peut donc naître que de sa valeur d'usage [de la marchandise] comme telle, c'est-à-dire, de sa consommation [de son utilisation].A cet effet, il faut une marchandise dont la valeur d'usage ait la propriété d'être source de valeur d'échange, et cette marchandise existe: [c'est] la force de travail. P. 130 [174-175/170].

    Mais pour que le possesseur d'argent trouve la force de travail en tant que marchandise sur le marché, il faut qu'elle soit vendue par son propre possesseur, c'est-à-dire qu'elle soit de la force de travail libre. Mais comme tous deux, l'acheteur et le vendeur, sont, en qualité de contractants, des personnes juridiquement égales, la force de travail ne doit être vendue que temporairement, car, dans la vente en bloc33, le vendeur ne reste pas vendeur et devient lui-même marchandise. Mais alors, au lieu de pouvoir vendre des marchandises où se trouve matérialisé son travail, il faut que le possesseur soit en mesure de vendre sa force de travail elle-même en tant que marchandise. P. 131 [175-176/1711.
    La transformation de l'argent en capital exige donc que le possesseur d'argent trouve sur le marché le travailleur libre, et libre à à un double point de vue. Il faut d'abord que le travailleur puisse disposer, en personne libre, de sa force de travail comme d'une marchandise lui appartenant, il faut ensuite qu'il n'ait pas d'autre marchandise à vendre et que, libre dans tous les sens du mot, il ne possède aucun des objets nécessaires pour réaliser sa force de travail. P. 132 [176/172].
    Notons en passant que le rapport entre le possesseur d'argent et le possesseur de la force de travail n'est pas un rapport naturel ou commun à toutes les époques, social, mais un rapport historique, le produit de nombreuses transformations économiques.
Ainsi, les catégories économiques considérées jusqu'ici portent également leur cachet historique. Pour devenir marchandise, le produit ne doit pas être fabriqué comme moyen de subsistance immédiat; la masse des produits ne peut prendre la forme marchandise qu'au sein d'un mode de production déterminé, le mode capitaliste, bien que la production des marchandises et la circulation puissent déjà avoir lieu là où la masse des produits ne devient jamais marchandise. L'argent dito34 peut exister à toutes les époques qui sont parvenues à un certain niveau de la circulation des marchandises ; les formes particulières de l'argent, depuis le simple équivalent jusqu'à la monnaie mondiale, présupposent des étapes différentes du développement; néanmoins, une circulation des marchandises très faiblement développées peut les produire toutes. Par contre, le capital ne surgit que lorsque se trouve donnée la condition définie plus haut, et cette condition embrasse [toute] une [période de l'] histoire universelle. P. 133 [177-178/173].
    La force de travail possède une valeur d'échange qui est déterminée, comme celle de toutes les marchandises par le temps de travail nécessaire pour sa production, donc aussi sa reproduction. La valeur de la force de travail est la valeur des moyens de subsistance nécessaires à la conservation de son propriétaire, à sa conservation dans un
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33 En Français dans le texte. (N. T.)
34 Pareillement. (N. T.)
état où il garde une capacité de travail normale. Celle-ci se juge d'après le climat, les conditions naturelles, etc., ainsi que d'après le standard of life35, donné historiquement dans chaque pays. Elles [ces conditions] varient,, mais sont fixes pour un pays déterminé et une période déterminée. Elle [la somme des moyens de subsistance nécessaires] comporte également les moyens de subsistance des hommes de remplacement, c'est-là-dire des enfants, de telle sorte que la race de ces possesseurs particuliers de marchandises se perpétue. De plus, pour le travail habile, elle [ idem] comprend également les frais d'apprentissage. P. 135 [178-180/174475].
La limite minimum de la valeur de la force de travail est la valeur des moyens de subsistance physiquement indispensables. Si le prix de la force de travail tombe à ce minimum, elle descend alors au-dessous de sa valeur, car cette dernière présuppose une qualité normale, non réduite, de la force de travail. P. 136 [180-181/175-176].

    La nature du travail implique que la force de travail ne soit consommée qu'après la conclusion du contrat et comme, pour de telles marchandises, la monnaie est le moyen de paiement le plus fréquent, elle [la force de travail] n'est payée, dans tous les pays du mode de production capitaliste, qu'après avoir été fournie. Partout, par conséquent, l'ouvrier crédite le capitaltiste36. P. 137 [181-182/176-177].
    Le processus de consommation de la force de travail est, en même temps, processus de production, de marchandise et de plus-value et cette consommation se déroule en dehors de la sphère de la circulation. P. 140 [183-184/178].

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33 En Français dans le texte. (N. T.)
34 Pareillement. (N. T.)
35 Niveau de vie. (N. T.)
36 Marx écrit : « Dans tous les pays où règne le mode de production capitaliste, la force de travail n'est donc pavée que lorsqu'elle a déjà fonctionné pendant un certain temps fixé par le contrat. Le travailleur fait donc partout au capitaliste l'avance de la valeur usuelle de sa force ; il la laisse consommer par l'acheteur avant d'en obtenir le prix ; en un mot il lui fait partout crédit. » (N. T.)


TROISIÈME PARTIE LA PRODUCTION DE LA PLUS-VALUE ABSOLUE
                     I. Processus de travail et processus de mise en valeur.


L 'acheteur de la force de travail la consomme en faisant travailler le vendeur. Ce travail, pour réaliser de la marchandise, doit d'abord réaliser de la valeur d'usage et, en cette qualité, il est indépendant des rapports spécifiques entre les capitalistes et les ouvriers. [Suit] une description du processus de travail en tant que tel. P. 141-149 [185-132/180 186].
Le processus de travail, sur la base capitaliste, revêt deux particularités :
1. l'ouvrier travaille sous le contrôle du capitaliste ;
2. le produit est la propriété du capitaliste, car le processus de travail n'est plus qu'un processus [mettant en jeu] de deux choses achetées par le capitaliste : la force de travail et le moyen de production. P. 150 [193-194/187].
Cependant, le capitaliste exige la valeur d'usage non pas pour elle-même, mais en tant que support de la valeur d'échange et plus spécialement de la plus-value. Le travail, dans ces conditions où la marchandise est unité de valeur d'usage et de valeur d'échange [est à la fois valeur d'usage et valeur d'échange], devient donc unité de processus de production et de processus de mise en valeur [devient donc à la fois processus de production et processus de mise en valeur]. P. 151 [194-195/188].
Donc, étudier la quantité de travail matérialisée dans le produit.
Par exemple, le fil. Dans sa fabrication sont nécessaires 10 livres de coton, mettons 10 sh. [shillings], et 2 sh. pour les moyens de travail, pour la broche, dont l'usure nécessaire dans le filage est ici dénommée brièvement « fraction de broche ». Il est donc entré dans le produit 12 sh. de moyens de production, c'[est]-à-[dire] à partir du moment où ce produit est devenu une véritable valeur d'usage, du fil en l'occurrence, et 2 sh. dès lors que seul le temps de travail socialement nécessaire a été représenté dans ces moyens de travail. Combien le filage lui ajoute-t-il [au produit] ?
Ici, le processus de travail [est] donc considéré sous un tout autre angle ; dans la valeur du produit, les travaux du planteur de coton, du constructeur de broches, etc., et du fileur sont, en tant que parties comparables, qualitativement identifiées au travail humain général, nécessaire, générateur de valeur et n'y entrent, par conséquent, qu'au seul point de vue quantitatif ; pour cette raison justement, ils sont quantitativement mesurables par le temps employé, étant bien entendu qu'il est du temps de travail socialement nécessaire puisque seul ce dernier est générateur de valeur.
Si l'on suppose que la valeur journalière de la force de travail = 3 sh. et que cette valeur journalière représente six heures de travail, qu'on fabrique par heure 1 2/3 livre de fil, donc en 6 heures, 10 livres de fil avec 10 livres de coton (comme plus haut), on constate qu'il est ajouté en 6 heures, 3 sh. de valeur et que le produit vaut 15 sh. (10 sh. + 2 + 3 sh.) ou 1 sh. 6 d. [d. le penny = 1/12 de shilling] par livre de fil.
Mais ici, pas de plus-value. Cela ne peut pas servir au capitaliste.
(Inepties de l'économie vulgaire. P. 157 [200/192])
Nous avons admis que la valeur journalière de la force de travail était de 3 sh. parce qu' 1/2 journée de travail ou 6 heures y [était] matérialisée. Mais cette 1/2 journée de travail [est] nécessaire seulement pour maintenir l'ouvrier pendant 24 heures, [ce qui] ne l'empêche nullement de travailler 1 /1 journée. La valeur de la force de travail et sa
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mise en valeur37 sont 2 grandeurs différentes. Sa propriété utile [de la force de travail] n'était qu'une condition sine qua non, mais ce qui a été décisif, c'est la valeur d'usage spécifique de la force de travail, source de plus de valeur d'échange qu'elle en possède elle-même. P. 159 [201-202'/193-194].
L'ouvrier travaille donc 12 heures par jour, file 20 livres de coton = 20 sh., use 4 sh. de broches, et le travail coûte 3 sh. = 27 sh. Mais dans le produit sont matérialisées : 4 journées de travail de [dans les] broches et de [le] coton, 1 journée de travail du fileur = 5 journées à 6 sh. = 30 sh., valeur du produit. Voilà la plus-value de 3 sh. : l'argent s'est transformé en capital. P. 160 [202-203/194-195]. Toutes les conditions du problème sont remplies. (Détails p. 160 [203/195].)
Le processus de mise en valeur est le processus de travail en tant que processus générateur de valeur à partir du moment où il est prolongé au delà du point où il fournit simplement un équivalent pour la valeur payée de la force de travail 38.
Le processus générateur de valeur se distingue du simple processus de travail en ce que ce dernier est considéré qualitativement, le premier quantitativement, et cela seulement dans la mesure où il contient du temps de travail socialement nécessaire. P. 161 [204/29-30]. Détail p. 162 [204-205/195].
En tant qu'unité du processus de travail et du processus de formation de valeur, le processus de production est production de marchandises; en tant qu'unité du processus de travail et du processus de mise en valeur [de production de plus-value], il est processus de production capitaliste de marchandises. - P. 163 [2'06/196-1971.
Réduction du travail composé au [travail] simple. P. 163-165 [206-207/197-1981.
II. Capital constant et capital variable.
Le processus de travail ajoute à l'objet du travail une valeur nouvelle et reporte en même temps la valeur de l'objet de travail sur le produit, donc la conserve par simple addition de la valeur nouvelle. Ce double résultat est atteint de la façon suivante : le caractère qualitatif, spécifiquement utile, du travail, transforme une valeur d'usage en une autre valeur d'usage et conserve ainsi la valeur mais le caractère abstrait général, quantitatif, générateur de valeur, ajoute de la valeur. P. 166 [207-209/199-2001.
P. ex. supposons que la productivité du filage sextuple. En tant que travail utile (qualificatif), il conserve en même temps six fois plus de moyens de travail. Mais, en nouvelle valeur, il ajoute seulement la même quantité qu'il ajoutait antérieurement; c.-à-d. que, dans chaque livre de fil on ne trouve que le 1/6 de la nouvelle valeur ajoutée auparavant. En tant que travail générateur de valeur il ne fait pas plus qu'avant P. 167 [209/200-201]. Inversement [c'est l'inverse qui se produit] quand la productivité du filage reste constante mais que la valeur des moyens de travail augmente. P. 168 [210/201].
Le moyen de travail ne cède au produit que la valeur qu'il perd lui-même. P. 169 [211-202]. C'est le cas à des degrés divers. Le charbon, les lubrifiants, etc., sont intégralement consommés. Les matières premières revêtent une forme nouvelle. Les instruments, les machines, etc. ne cèdent que lentement et partiellement leur valeur et l'usure est évaluée par expérience. P. 169-170 [211-212/202-203].
Mais ici l'instrument reste continuellement et en entier dans le processus de travail. Le même instrument compte donc entièrement dans le processus de travail et en partie
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37 Verwertung, mise en valeur ou, plus simplement, exploitation (N. T.)
38 Ce passage étant un des plus importants de ce résumé, nous citons ici le texte même de Marx : « La production de plus-value n'est donc autre chose que la production de valeur prolongée au-delà d'un certain point Si le procès de travail ne dure, que jusqu'au point où la valeur de la force de travail payée par le capital est remplacée par un équivalent nouveau, il y a simple production de valeur; quand il dépasse cette limite, il y a production de plus-value » (N. T.)
seulement dans le processus. de mise en valeur39, de sorte que la différence entre les deux processus se reflète ici dans des facteurs matériels. P. 171 [213/203]:
Inversement, la matière première qui fait des déchets, s'en va entièrement dans le processus de mise en valeur et [seulement en partie] dans le processus de travail, puisqu'elle réapparaît dans le produit moins les déchets.
Mais, en aucun cas, le moyen de travail ne peut céder plus de valeur d'échange qu'il n'en possède lui-même, il ne sert dans le processus de travail que comme valeur d'usage et ne peut, par conséquent, céder que la valeur d'échange qu'il possédait déjà antérieurement. P. 172 [214/204].
Cette conservation de la valeur [est] très précieuse pour le capitaliste, ne lui coûte rien. P. 173-174 [215/205].
Donc, la valeur conservée ne fait que réapparaître; elle était présente, et seul le processus de travail ajoute de la valeur nouvelle. Et, en vérité, dans la production capitaliste [il y a] plus-value, excédent de la valeur du produit sur la valeur des générateurs de produits consommés (moyens de production et forces de travail). P. 175-176 [216-217/206-207].
Ici, se trouvent décrites les formes d'existence que revêt la valeur initiale du capital lorsqu'elle se dégage de sa forme argent pour se muer en facteurs du processus de travail :
1. dans l'achat de moyens de travail et
2. dans l'achat de force de travail.
Le capital investi dans les moyens de travail ne change donc pas de valeur dans le processus de production nous l'appelons capital constant.
La partie investie dans la force de travail change de valeur, produit 1. sa propre valeur et 2. de la plus-value40[nous l'appelons] capital variable. P. 176 [217-218/207].
Le capital n'est constant que par rapport au processus de production spécial au cours duquel il ne se modifie pas; il peut se composer tantôt de plus tantôt de moins de moyens de travail et la valeur des moyens de travail achetée peut monter ou baisser, mais cela n'affecte pas ses rapports [les rapports du capital] avec le processus de production. P. 177 [218-219/207208]. De même, peut varier la proportion dans laquelle un capital déterminé se divise en [capital] constant et [capital] variable, mais dans chaque cas donné, le c reste constant et le v variable. P. 178[219/208-209].
III. Le taux de la plus-value.
C = 500 £ = 410 + 90.41 (= c+v) . A la fin du processus de travail, où v s'est transformé une fois en force de travail, on obtient42.
c +v+ p= 590
410 + 90 + 90 = 590
Admettons que c se compose de 312 [livres sterling] de matières premières, de 44 [livres] de matières auxiliaires et de 54 [livres] d'usure de machines = 410. [Supposons que] la valeur de toute la machinerie se monte à 1.054 [livres]. Si cette dernière entrait tout entière dans le calcul, on obtiendrait pour c 1.410 des deux côtés, et la plus-value resterait toujours 90. P. 179 [220-221/210-211].
comme la valeur de c ne fait que réapparaître dans le produit, la valeur des produits obtenue est différente de la valeur engendrée dans le processus43. Cette dernière n'est
34
39 Marx donne l'exemple d'une machine qui s'userait en 1 000 jours. Elle cède journellement 1/1000é de sa valeur. Mais elle fonctionne cependant dans sa totalité. Donc dans le processus de travail, on compte avec une machine entière et dans le processus de mise en valeur avec 1/1000e de machine par jour. (N. T.)
40 Elle reproduit sa propre valeur plus un excédent : la plus-value. (N. T.)
41 c=410 v = 90
42 C est le capital initial, c le capital constant, v le capital variable et p la plus-value. (N. T.)
43 Marx écrit : « La valeur réellement nouvelle, engendrédans le cours de la production même, est donc
donc pas c + v+ p, mais : v + p. La grandeur de c est donc indifférente pour le processus de mise en valeur, c'[est]-à-d[ire- que] c =0. P. 180 [221-222/211-212].
C'est aussi ce qui se passe pratiquement, ainsi qu'on peut le voir dans le calcul commercial ; p[ar] ex[emple] dans la détermination du bénéfice que tire un pays de son industrie, on déduit [les sommes payées pour] les matières premières importées. P. 181 [222-223/213]. Sur le rapport de la plus-value avec le capital total [voir] le nécessaire au livre III.
Donc : taux de la plus-value =p/v, plus haut 90/90 = 100%
Le temps de travail durant lequel l'ouvrier reproduit la valeur de sa force de travail - dans des conditions capitalistes ou autres - est du travail nécessaire; le travail effectué en sus, qui produit de la plus-value pour le capitaliste, [est du] surtravail. P. 183-184 [224-225/214]. La plus-value est du surtravail cristallisé et seule la forme de son extorsion distingue les diverses formations sociales.
Exemples de l'erreur qu'il y a à faire entre c dans les calculs. P. 185-196 [226-237/215-225] (Senior).
La somme du travail nécessaire et du surtrav-ail = la journée du travail.


IV. La journée de travail
    Le temps de travail nécessaire est constant. Le surtravail est variable, mais dans certaines limites. Il ne peut jamais être [à] 0, sinon la production capitaliste cesserait.
Il ne peut jamais atteindre 24 heures pour des raisons physiques et la limite maximum est, en outre, toujours affectée par des causes morales. Mais ces limites sont très élastiques. L'économie exige que la journée de travail ne soit pas plus longue qu'il ne convient pour user normalement l'ouvrier. Mais que signifie normalement ? Il y a une antinomie et seule la violence peut décider. D'où la lutte entre la classe ouvrière et la classe capitaliste pour la journée de travail normale. P. 198-202 [239243/227-231].

    Le surtravail dans les époques sociales antérieures. Tant que la valeur d'échange n'est pas plus importante que la valeur d'usage, le surtravail [est] plus modéré, p [ar] ex [emple] chez les anciens : là seulement où était produite directement de la valeur d'échange - argent et or - [on trouve un surtravail effroyable]. P. 203 [244/231-232]. De même dans les Etats esclavagistes d'Amérique jusqu'à la production de masses de coton pour l'exportation. De même, corvée, p [ar] ex [emple] en Roumanie.

    [La] corvée [est le] meilleur moyen de comparaison avec l'exploitation capitaliste, car elle fixe le surtravail sous forme d'un temps de travail à fournir spécialement. Règlement organique de la Valachie. P. 204-206 [244-247/232-233].
De même qu'il s'agit là d'une expression positive de la soif de surtravail, de même les Factory-Acts44 en sont des expressions négatives.
    Les FactoryActs. Celui de 1850. P. 207[248/235]. 10 h 1/2 et 7 h 1/2 le samedi – 60 heures par semaine. Profit des fabricants obtenu en tournant la loi. P. 208-211 [249-252/236-239].
    Exploitation dans les branches non limitées ou limitées seulement plus tard : industrie de la dentelle, p. 212 [252/239] ; poterie, p. 213 [253 et 254/240-241] ; allumettes, p. 214 [255/242] ; papiers peints, p. 214-217 [256-257/242-244] ; boulangeries, p. 217-222 [257-262/244-248] ; cheminots, p. 223 [262 et 263/248-249]; couturières, p. 223-225
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différente de la valeur du produit obtenu. Elle n'est pas, comme il semblerait au premier coup d'oeil ;
c + v + p ou 410 liv, sterl. + 98 liv. sterl. + 90 liv. Sterl. Mais v + p ou 90 liv. sterl. + 90 liv. sterl. ; elle n’est pas 590 , mais 180 liv. sterl. (N.T.)

[263-265/249-250] ; forgerons, p. 226 [265-266/251] ; travail de jour et travail de nuit in shifts [système des relèves] : a) métallurgie p. 227-236 [266-274/251-258].
    Ces faits démontrent que le capital ne considère pas l'ouvrier comme autre chose que de la force de travail, dont tout le temps est du temps de travail à réaliser partout où cela est possible, que la longévité de la force de travail est indifférente aux capitalistes. P. 236-238 [275-27x/259-260]. Mais cela ne se tourne-t-il pas contre les intérêts des capitalistes eux-mêmes. Comment remplacer ce qui s'use rapidement ? - La vente organisée des esclaves à l'intérieur des Elats-Unis a élevé à la hauteur d'un principe économique l'usure rapide des esclaves; de même en Europe pour l'importation des ouvriers en provenance des districts agricoles, etc. P. 239 [277-278/261]. Pocrhousesupply45. P. 240 [278-279/261-262]. Le capitaliste ne voit que la surpopulation à tout moment disponible et la consomme. La race en dépérit-elle ? Après moi le déluge46. Le capital ne se soucie donc nullement de la santé de la vie de l'ouvrier, à rhoins d'y être forcé par la société... et, par suite de la libre concurrence, les lois immanentes de la production capitaliste valent pour chaque capitaliste comme lois externes coercitives. P. 243 [281-282/264-265].

    La fixation d'une journée de travail normale [est le] résultat d'une lutte de plusieurs siècles entre le capitaliste et l'ouvrier.
    Au début, les lois [sont] faites pour prolonger le temps de travail, aujourd'hui [pour] l'abaisser. P. 244 [282-283/265266]. Le premier Statut of labourers 47  23 Edouard III [en]48 1349 fut promulgué sous le prétexte que la peste avait tellement décimé la population que chacun devait travailler davantage. Aussi, la loi fixait-elle [le] maximum des salaires et [la] limite de la journée de travail. En 1496, sous Henri VIII, la journée de travail des ouvriers agricoles et de tous les artisans (artificers) en été - mars à septembre - va de 5 a. m. à 7 et 8 p. m.49, avec une heure, 1 h 1/2 et 1/2 heure = 3 heures de pause. En hiver de 5 a.m. jusqu'à la nuit. Ce statut [n'a] jamais [été] rigoureusement appliqué. Au XVIIIe siècle, la semaine de travail complète n'est encore pas à la disposition du capital (sauf chez les ouvriers agricoles). Voir polémique du temps. P. 248-251 [284-286/266-268]. C'est seulement la grande industrie qui y parvint et au delà elle abattit toutes les barrières et exploita l'ouvrier de la façon la plus éhontée. Le prolétariat résista dès qu'il se fut repris. Les cinq lois de 1802 à 1833 [sont purement] nominales, car [elles ne prévoient] pas d'inspecteur50. C'est seulement la loi de 1833 qui créa une journée de travail normale dans les quatre industries textiles : de 5,30 a.m. à 8,30 p.m:., temps durant lequel [les] young persons51 [de] 13-18 ans ne peuvent être occupés que 12 heures avec 1 h. 1/2 de pause. Enfants de 9-13 ans: 8 heures seulement, et travail de nuit des enfants et des young persons interdit. P. 253-255 [291-293/272-273].
Système des relais et abus destinés à le tourner. P. 256 [293. 294/273-276]. Enfin, loi de 1844 qui assimile les femmes de tous les âges aux young persons, réduit [le temps de travail des] enfants 6 h. 1/2, et met un frein au système des relais. Mais, en revanche, [les] enfants de 8 ans [sont] désormais tolérés. En 1847, enfin, le bill des dix heures pour les femmes et les young persons. P. 259 [296/277]. Tentatives des capitalistes contre [cette loi]. P. 260-268 [297-305/277-286]. Un flaw52 dans la loi de 47 permit ensuite la loi de compromis de 1850, p. 269 [306/286], qui fixe la journée de travail (les young persons et women53 à 5 journées de 10 h. 1/2, une journée de 7 h. 1/2 = 60

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44 Lois sur les fabriques. (N. T.)
45 Fourniture d'ouvriers par tes maisons de pauvres. (N. T.)
46 En français dans le texte. (N. T.)
47 Loi sur les ouvriers. (N T )
48 23. Edouard III, 1349 est entre parenthèses, dans le texte de Marx. Cela signifie : loi promulguée dans la vingt-troisième année du règne d'Edouard 111, en 1349 (N.T )
49 Ante meridiem et post meridiem, avant midi et après-midi, c'est-à-dire de 5 h. du matin à 7 et 8 h. du soir. (N. T.)
50 Marx écrit : « De 1802 à 1833. le Parlement émit cinq lois sur le travail mais il eut bien soin de ne pas voter un centime pour les faire exécuter aussi restèrent-elles lettre morte. » (N. T.)
51 Jeunes gens. (N T.)
52 Défaut. (N. T.)
53 Femmes. (N. T.)
heures par semaine, et cela entre 6 [heures du matin] et 6 heures [du soir]. Ainsi, la loi de 1847 est en vigueur pour les enfants. - L'exception de l'industrie de la soie, v[oir] p. 270 [306-307/286-287]. En 1853, le temps de travail pour les enfants est également limité entre 6 et 6 heures,P. 272 [308-288]
Le Printworks Act54, 1845, ne limite presque rien. Enfants et femmes peuvent travailler 16 heures !
[Les] blanchisseries et teintureries [en] 1860, [les] fabriques de dentelles [en] 1861, [les] poteries et de nombreuses autres branches [en] 1863 [tombent] (sous le coup de la loi sur les fabriques ; lois spéciales promulguées la même année pour les blanchisseries en plein air et les boulangeries). P. 274 [310/290].
La grande industrie crée donc tout d'abord la besoin de limitation du temps de travail, mais il se trouve ensuite que le même surmenage s'est étendu peu à peu aussi à toutes les autres branches P. 277 [312/292].
L'histoire montre en outre que, notamment avec l'introduction du travail des femmes et des enfants, l'ouvrier « libre » isolé est sans défense contre le capitaliste et succombe, de sorte qu'ici s'engage la lutte de classe entre ouvriers et capitalistes. P. 278[313 / 293].
En France, la loi de 12 heures pour tous les ouvriers et [toutes les] branches de travail [est promulguée] seulement en 1848. (Voir toutefois p. 253 [291/2721 note concernant la loi française sur le travail des enfants [promulguée] en 1841 et qui ne fut réellement appliquée qu'en 1853, dans le seul département du Nord d'ailleurs.) En Belgique, «liberté du travail » totale ! En Amérique, le mouvement des 8 heures. P. 279 [315/294].
L'ouvrier sort donc du processus de production tout autrement qu'il y est entré. Le contrat de travail n'a pas été l'acte d'un agent libre; le temps pour lequel il lui est loisible de vendre sa force de travail est en réalité le temps pour lequel il est forcé de la vendre, et seule l'opposition de masse des ouvriers leur conquiert une loi d'État qui les empêche eux-mêmes de se vendre au Capital par un libre contrat, et de se vouer, eux et leurs descendants, à la mort et à l'esclavage. Le catalogue pompeux des inaliénables droits de l'homme est remplacé par la modeste magna charte55 de la loi sur les fabriques. P. 280-281 [316/295-296].


V. Taux et masse de la plus-value.
Avec le taux [de la plus-value] est donnée en même temps sa masse. Si la valeur journalière d'une force de travail est de 3 sh[illings] et si le taux de la plus-value = 100 %,sa masse journalière [de la plus-value] = donc 3 sh pour un ouvrier.
1. Comme le capital variable est l'expression monétaire de la valeur de toutes les forces de travail occupées simultanément par un capitaliste, la masse de la plus-value produite par eux = le capital variable multiplié par le taux de la plus-value. Les deux facteurs peuvent varier, d'où la possibilité de diverses combinaisons. La masse de la plus-value peut changer, même avec un capital variable en diminution lorsque le taux monte, donc, quand la journée de travail est prolongée. P. 282 [318-319/298-299].
2. Cette augmentation du taux de la plus-value se heurte à des limites absolues en ce sens que la journée de travail ne peut jamais être portée jusqu'à 24 heures pleines, la valeur totale du produit quotidien d'un ouvrier ne pouvant donc jamais être à la valeur de 24 heures de travail. Pour obtenir la même masse de plus-value, le capital variable ne peut donc être remplacé; à l'intérieur de ces limites, que par une exploitation accrue du travail. Important pour expliquer divers phénomènes qui résultent de la tendance contradictoire du capital :1. Réduire le capital variable et le nombre des ouvriers occupés
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54 Loi concernant les impressions sur coton. (N. T.)
55 Droits fondamentaux du peuple anglais, conquis dans la révolution du xii- siècle. (N. R )
et -2. Produire néanmoins la plus grande masse possible de plus-value. P. 283284 [319-320/299].
3. Les masses de valeur et de plus-value produites par divers capitalistes pour une valeur donnée et un même degré d'exploitation de la force du travail sont en raison directe des grandeurs des parties variables de ces capitaux. P. 285 [321/300]. Cela [est] en apparence contraire à tous les faits.
Pour une société donnée et une journée de travail donnée, la plus-value ne peut être augmentée que par l'augmentation du nombre des ouvriers; c'[est]-à-dire] de la population ; pour un nombre d'ouvriers donné, [elle ne peut être augmentée] que par la prolongation de la journée de travail. Toutefois, cela n'est important que pour la plus-value absolue.
Il apparaît maintenant que toute somme d'argent ne peut pas être transformée en capital, qu'il existe un minimum : le prix de revient d'un ouvrier unique et des moyens de travail nécessaires.
Pour vivre lui-même comme ouvrier, il lui faudrait, avec un taux de plus-value de 100 %, avoir déjà deux ouvriers; et il ne pourrait encore faire aucune économie. Même avec huit [ouvriers], il est toujours un petit patron. C'est pourquoi au moyen âge, les gens [étaient] violemment empêchés de se transformer de maîtres ouvriers en capitalistes, grâce à la limitation du nombre des compagnons susceptibles d'être employés par un maître. Le minimum de richesse nécessaire pour former un véritable capitaliste varie avec les diverses époques et branches économiques. P. 288 [322-324/301-3031].
Le capital est arrivé à primer le travail et veille à ce qu'il soit travaillé convenablement et intensivement. Il oblige, en outre, les ouvriers à effectuer plus de travail qu'en exige leur entretien et, pour l'extorsion de la plus-value, il est supérieur à tous les systèmes de production antérieurs reposant sur le travail forcé pur et simple.
Le capital a repris le travail avec les conditions techniques existantes et n'y change rien tout d'abord. Le processus de production [étant] donc considéré comme processus de travail, l'ouvrier se comporté à l'égard des moyens de production non pas comme à [l'égard] du capital, mais comme [à l'égard] des moyens de sa propre activité utile. Mais [si le processus de production est] considéré comme processus de mise en valeur [il en va] autrement. Les moyens de production deviennent des moyens d'absorption du travail d'autrui. Ce n'est plus l'ouvrier qui emploie les moyens de production, ce sont ceux-ci qui emploient celui-là. P. 289 [325/304]. Au lieu d'être consommé par lui, ils le consomment lui-même comme le ferment de leur propre processus vital, et le processus vital du capital n'est que le mouvement du capital en tant que valeur créant de la plus-value... La simple transformation de l'argent en moyens de production confère à ces derniers un titre juridique et coercitif au travail et au surtravail d'autrui.
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                                   QUATRIÈME PARTIE

                LA PRODUCTION DE LA PLUS-VALUE RELATIVE
                                     I. Notion de la plus-value relative.


    Pour une journée de travail donnée, le surtravail ne peut être accru que par la diminution du travail nécessaire; mais ce résultat abstraction faite de l'abaissement du salaire au-dessous de la valeur [de sa force du travail] ne peut être atteint que par la réduction de la valeur du travail, donc par l'abaissement du prix des denrées de subsistance nécessaires. P. 291-292 [327-329/7-8]56. Cette dernière, de son côté, ne peut être obtenue que par l'augmentation de la force productive de travail, par un bouleversement57 2 du mode de production lui-même.
    La plus-value produite par la prolongation de la journée de travail est [de la plus-value] absolue : celle produite par raccourcissement du temps de travail nécessaire est de la plus-value relative. P. 295 [330/9].
    Pour abaisser la valeur du travail, l'augmentation de la force productive doit porter sur des branches d'industrie dont les produits déterminent la valeur de la force de travail, moyens de subsistance habituels, succédanés, leurs matières premières, etc. Démonstration de la façon dont la concurrence fait apparaître la force productive accrue dans le bas prix des marchandises. P. 296-299 [330- 334/10-13].
    La valeur de la marchandise est en raison inverse de la force productive du travail et il en est ainsi également de la valeur de la force de travail puisqu'elle est déterminée par le prix des marchandises. Par contre, la plus-value relative est en raison directe de la force productive de travail. P. 299 [13].
Ce n'est pas la valeur absolue de la marchandise qui intéresse le capitaliste, mais seulement la plus-value qui y est enfermée. La réalisation de la plus-value implique le remplacement de la valeur avancée. Mais comme d'après P. 299 [334/131 le même processus qui accroît la force productive abaisse le prix des marchandises et augmente la plus-value qu'elles renferment, on s'explique comment le capitaliste, pour lequel il ne s'agit que de produire de la valeur d'échange aspire sans cesse à réduire la valeur d'échange de la marchandise. Voir Quesnay. P. 300 [335/14].
    Dans la production capitaliste, l'économie de travail obtenue par le développement de la force productive de travail ne poursuit donc nullement une diminution de la journée de travail. Cette dernière peut même être prolongée. Dans les ouvrages des économistes à la Mac-Culloch, Ure, Senior et tutti quanti, on peut donc lire à telle page que l'ouvrier doit de la gratitude au Capital pour le développement des forces productives58, et, à la page suivante, qu'il doit manifester cette gratitude en travaillant à l'avenir 15 heures par jour au lieu de 10. Ce développement des forces productives ne vise à réduire que le travail nécessaire et à prolonger le travail pour le capitaliste. P. 301 [336/15].


II. La coopération


    D'APRES la p. 288 [323/1-302], un capital individuel assez important pour employersimultanément un grand nombre d'ouvriers appartient59 à la production capitaliste; c'est seulement quand il est lui-même complètement affranchi du travail que l'employeur devient intégralement capitaliste. La collaboration d'une foule d'ouvriers, travaillant en même temps et dans le même lieu sous les ordres du même capitaliste, et en vue de la production de la même espèce de marchandise, constitue le point de départ historique et formel de la production capitaliste. P. 302 [337/16].
__________________________________________
56 Les références à l'édition du « Capital » se rapporte à partir d'ici au tome II.
57 Engels emploie ici le mot de Umwaelzung, qui signifie bouleversement, révolution. Marx emploie directement le mot révolution. (N. T.)
58 que le temps de travail nécessaire s'en trouve abrégé, précise Marx IN. T.)


    Il n'y a donc tout d'abord qu'une différence quantitative par rapport à ce qui était auparavant, quand le même employeur occupait moins d'ouvriers. Mais une modification [survient] bientôt.
Déjà le grand nombre d'ouvriers garantit que l'employeur reçoit véritablement du travail moyen, ce qui n'est pas le cas chez le petit patron, tenu néanmoins de payer la valeur moyenne du travail dans sa petite entreprise ; les inégalités se compensent [donc] pour la société, mais pas pour le patron isolé. La loi de la productiosn de valeur en général ne s'applique donc complètement pour chaque producteur qu'à partir du moment où il produit en tant que capitaliste, occupe simultanément beaucoup d'ouvriers et met d'emblée en mouvement du travail social moyen. P. 303304 [337-339/16-17].
    Mais, d'autre part : Economie des moyens de production par la seule grande entreprise, moindre cession de valeur des parties constantes du capital, résultant seulement de sa consommation [du capital constant] commune dans le processus de travail du grand nombre [d'ouvriers]. Et ainsi les moyens de production acquièrent un caractère social, avant que l'acquière le processus de travail lui-même (jusqu'ici simple juxtaposition de processus identiques). P. 305 [340/18].
    Ne considérer ici l'économie des moyens de production que dans la mesure où elle fait baisser le prix des marchandises et, par là, réduit la valeur du travail. La façon dont elle modifie le rapport de la plus-value au capital total avancé (v + c) ne sera étudiée qu'au livre III. Ce découpage [du sujet] est tout à fait dans l'esprit de la production capitaliste; présentant les conditions de travail à l'ouvrier comme indépendantes de lui, son économie apparaît également comme une opération particulière, qui ne le regarde pas et qui est, par conséquent, distincte des méthodes par lesquelles est accrue la productivité de la force de travail consommée par le capital.
    La forme de travail dans laquelle beaucoup d'ouvriers travaillent côte à côte et ensemble, d'après un plan général, dans un même processus de production ou dans des processus de production connexes s'appelle coopération. P. 306 [340/18]. (Concours de forces. Destutt de Tracy.)
    La somme de la force mécanique des ouvriers isolés diffère essentiellement du potentiel de force mécanique qui se déploie lorsque de nombreuses mains coopèrent en même temps dans la même opération indivise (levier et fardeau, etc.). La coopération crée par avance une force productive qui est en elle-même et pour elle-même une force de masse.
    En outre, dans la plupart des travaux productifs, le simple contact social engendre une émulation qui augmente le rendement individuel, de telle sorte que 12 ouvriers, au cours d'une journée de travail commune de 144 heures, fournissent un produit plus grand que 12 ouvriers en 12 [heures de travail] séparées, ou un ouvrier en douze journées de travail consécutives. P. 307 [341/19].
    Bien que de nombreux ouvriers accomplissent la même besogne ou une besogne analogue, le travail individuel de chacun peut représenter une phase différente du processus de travait (chaîne de gens qui se passent un objet60), la coopération épargnantà nouveau du travail. De même, quand une construction est commencée de divers côtés à la fois. L'ouvrier combiné ou l'ouvrier total a des mains et des yeux devant et derrière et possède à un certain degré le don d'ubiquité. P. 308 [342/20].

___________________________________________
59 Dans le texte de Marx : « La production capitaliste ne commence... en-fait à s'établir que là où un seul maître exploite beaucoup de salariés à la fois. a(N. T.)
60 Marx donne l'exemple des maçons qui forment la chaîne pour faire passer des pierres du pied d'un échafaudage au sommet: k Chacun d'eux exécute la même manaeuvre, et néanmoins toute.; les manceuvres individuelles, parties continues d'une opération d'ensemble, forment diverses phases par lesquelles doit passer chaque pierre et les vingt-quatre mains du travailleur collectif la font passer plus vite que ne le feraient les deux mains de chaque ouvrier isolé montant et descendant l'échafaudage ». (N. T.)


    Dans les processus de travail compliqués, la coopération permet de répartir les opérations séparées, de les accomplir simultanément et ainsi de réduire le temps de travail pour la fabrication du produit total. P. 308 [343/20].
Dans de nombreuses sphères de production, il existe des moments critiques où beaucoup d'ouvriers sont nécessaires, par exemple les récoltes, la pêche au hareng, etc. Ici, seule, la coopération est de mise. P. 309 [343/21].
D'une part, la coopération étend le champ de la production et devient par suite une nécessité pour les travaux qui s'appliquent à de grandes étendues (assèchements, construction des routes, etc., construction de digues) ; d'autre part, elle le contracte en concentrant les ouvriers dans un seul local, épargnant ainsi des frais. P. 310 [344/21].
Dans toutes ces formes, la coopération est la force productive spécifique de la journée de travail combinée, la force productive sociale du travail. Elle découle de la coopération même. En collaborant avec d'autres selon un plan, l'ouvrier se débarrasse des limites posées à son individualité et développe ses possibilités créatrices.
    Or, des ouvriers salariés ne peuvent pas coopérer sans que le même capitaliste les emploie simultanément, les paye et les munisse de moyens de travail. Le degré de coopération dépend donc de la quantité de capital que possède un capitaliste. La condition exigeant une quantité déterminée de capital pour muer son propriétaire en capitaliste, devient maintenant condition matérielle pour la transformation des nombreux travaux individuels disséminés et indépendants les uns des autres en un processus de travail social combiné.
    De même, la primauté du capital sur le travail [qui n'était] jusqu'ici que la conséquence formelle du rapport entre les capitalistes et les ouvriers [devient] maintenant condition nécessaire pour le processus de travail même, le capitaliste représente la combinaison dans le processus de travail. Dans la coopération, la direction du processus de travail devient [la] fonctionn du capital et à ce titre elle [la fonction] acquiert des caractères spéciaux. P. 312.[346/23].
    Conformément au but de la production capitaliste (mise en valeur aussi grande que possible du capital) cette direction a en même temps, pour fonction l'exploitation aussi grande que possible d'un processus de travail social et [est], par conséquent, conditionnée par l'antagonisme inévitable entre exploiteurs et exploités. En outre, le contrôle de la juste utilisation des moyens de travail. Enfin, la connexion des fonctions des divers ouvriers se trouve en dehors d'eux, dans le capital, de sorte que leur propre unité leur apparaît comme l'autorité du capitaliste, comme une volonté étrangère. La direction capitaliste est donc double [par son contenu]. (1. processus de travail social pour la fabrication d'un produit, 2. processus de mise en valeur d'un capital) et est despotique par sa forme. Ce despotisme développe maintenant ses formes particulières : Le capitaliste qui vient tout juste d'être délivré personnellement du travail cède maintenant la surveillance subalterne à une bande organisée d'officiers et de sous officiers qui sont eux-mêmes les salariés du Capital. Dans l'esclavage, les économistes comptent ces frais de surveillance parmi les faux-frais61 de la production dans la production capitaliste, ils identifient la [fonction de] direction, dans la mesure où elle est conditionnée par l'exploitation, avec la [cette] même fonction dans la mesure où elle découle de la nature du processus de travail social. P. 313-314 [346-348/23-25].
    Le commandement suprême dans l'industrie devient l'attribut du Capital, comme, au temps de la féodalité, le commandement suprême à la guerre et dans les tribunaux était l'attribut de la propriété foncière. P. 314 [348/25].
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61 En français dans les textes de Marx et d'Engels. (N. T.)

 

    Le capitaliste achète 100 forces de travail individuelles et reçoit en échange une force de travail combinée de 100. Il ne paye pas la force de travail combinée de 100 En entrant dans le processus de travail combiné, les ouvriers ont déjà cessé de s'appartenir, ils sont incorporés au capital. C'est ainsi que la force productive sociale du travail apparaît comme une force productive immanente au capital. P. 315 [349/25].
    Exemples de coopération chez les Egyptiens de l'antiquité. P. 316 [349-350/261.
    La coopération naturelle au début de la civilisation chez les peuples chasseurs, les nomades ou les communautés indiennes repose : 1. sur la propriété commune des conditions de production ; 2. sur l'adhérence naturelle de l'individu à la tribu ou à la communauté primitive. - La coopération sporadique, dans l'antiquité, au moyen âge, et dans les colonies modernes repose sur la domination directe et la violence, la plupart du temps sur l'esclavage. La coopération capitaliste, par contre, présuppose [l'existence de] l'ouvrier salarié libre. Historiquement, elle apparaît en opposition directe à l'économie paysanne et à l'entreprise artisanale indépendante (corporative ou non) et ainsi comme une forme historique propre au processus de production capitaliste et le distinguant [des autres]. Elle est la première modification que subit le processus de travail, par sa subordination au Capital. Ici, apparaissent aussitôt : 1. le mode de production capitaliste en tant que nécessité historique pour la transformation du processus de travail en processus social, ensuite 2. cette forme sociale de processus de travail en tant que méthode du Capital en vue de l'exploiter d'une façon plus rémunératrice par l'augmentation de ses forces productives, P. 317 [351/26-27].
    La coopération, pour autant qu'elle a été considérée jusqu'ici, sous sa forme simple, coïncide avec la production sur une grande échelle, mais ne constitue pas la forme fixe caractéristique d'une époque particulière de la production capitaliste, et elle subsiste encore aujourd'hui là où le Capital opère sur une grande échelle sans que la division du travail ou le machinisme y jouent un rôle important. Aussi, bien que la coopération [soit] la forme fondamentale de toute la production capitaliste, sa forme simple apparaît elle-même ou en tant que forme particulière à côté de ses formes plus développées. P, 318 [351/27].
                               III. Division du travail et manufacture.
    La manufacture, forme classique de la coopération fondée sur la division du travail, prédomine de 1550 à 1770 environ. Elle naît :
1. Soit par la réunion de divers artisans dont chacun effectue une opération partielle (p [ar]- ex [emple] : manufacture de voitures), l'artisan individuel perdant très vite son aptitude à exercer son métier tout entier, mais [n'en devenant] que plus habile dans son métier partiel; le processus est donc transformé en une fragmentation de l'opération globale dans ses diverses parties. P. 318 [352/28].
    2. Ou encore un grand nombre d'artisans qui font le même travail ou un travail similaire sont réunis dans la même fabrique et, peu à peu, les diverses opérations, au lieu d'être accomplies successivement par le même ouvrier, sont séparées et accomplies simultanément par des ouvriers différents (aiguilles, etc). Au lieu d'être l'oeuvre d'un artisan, le produit est maintenant l'oeuvre d'une association d'artisans dont chacun n'accomplit qu'une opération partielle. P. 319-320, [353-354/29].
    Dans les deux cas, son résultat est : un mécanisme de production dont les organes sont des hommes. L'exécution [du travail] reste professionnelle; chaque processus partiel traversé par le produit doit être exécutable manuellement, donc toute analyse véritablement scientifique du processus de production est exclue62.
Justement, à cause de la nature professionnelle [du travail], chaque ouvrier se trouve enchaîné aussi complètement à une fonction partielle. P. 321 [354/30]. De la sorte, dutravail [est] économisé par rapport à l'artisan, et cela [ce phénomène est] encore accentué par [la] transmission à [la] génération suivante. De la sorte, la division manufacturière du travail correspond à la tendance des sociétés antérieures à rendre les métiers héréditaires : castes, corporations, etc. P. 322 [355-356/30-31].
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62 Dans Marx : « Composée ou simple, l'exécution ne cesse de dépendre de la force, de l'habileté, de la promptitude et de la sûreté de main de l'ouvrier dans le maniement de son outil. Le métier reste toujours la base Cette base technique n'admet l'analyse de la besogne à faire que dans des limites très étroites. » (N. T.)


Subdivision 63 des outils par l'adaptation aux divers travaux partiels : 500 variétés de marteaux à Birmingham. P. 323-324 1357-358/32-331.
    Du point de vue du mécanisme global de la manufacture, cette dernière revêt deux aspects : montage purement mécanique de produits partiels indépendants (montre) ou séries des processus interdépendants dans un atelier (aiguille).
Dans la manufacture, chaque groupe ouvrier fournit à l'autre sa matière première. D'où condition fondamentale : chaque groupe doit fabriquer en un temps donné, une quantité donnée, il en résulte donc une continuité, régularité, uniformité et intensité du travail tout autres [bien supérieures] que dans la coopération elle-même. Ici donc, loi technologique du processus de production : le travail doit être du travail socialement nécessaire.P. 329 [36236].
    L'inégalité du temps nécessaire pour les diverses opérations fait que les différents groupes d'ouvriers sont de force et de grandeur différentes (dans la fonte de caractères d'imprimerie; 4 fondeurs et 2 casseurs pour 1 frotteur). La manufacture crée donc un rapport mathématique ferme pour l'importance quantitative des divers organes de l'ouvrier global, et la production ne peut être étendue qu'à la condition d'embaucher un multiple du groupe global. En outre, le fait de rendre certaines fonctions indépendantes - surveillance, transport des produits de local à local, etc. - ne devient rémunérateur qu'à partir du moment où la production atteint un certain niveau. P. 329-330 [362-363/36-37].
    La liaison de diverses manufactures en une manufacture globale se produit également, mais continue de manquer de la véritable unité technologique, qui ne prend naissance qu'avec la machine. P. 331 [36438].
    De bonne heure, les machines font déjà leur apparition dans la manufacture - sporadiquement - moulin à farine, moulin à bocarder, etc., mais seulement en tant qu'accessoire. La principale machine de la manufacture est l'ouvrier collectif combiné, qui possède une perfection beaucoup plus grande que l'ancien ouvrier individuel routinier, et dans lequel toutes les imperfections, qui sont souvent développées par la nécessité chez l'ouvrier partiel, apparaissent comme une perfection. P. 333 [366/40]. La manufacture développe des différences parmi ces ouvriers partiels, skilled et unskilled64 voire une hiérarchie achevée des ouvriers. P. 334 1366-367,/40-411.
    La division du travail [est] 1. générale (dans agriculture, industrie, navigation, etc.), 2.spéciale (en genres et espèces65) 3. de détail [ou individuelle] (dans l'atelier). Cette division sociale du travail a également des points de départ variés. 1. Au sein de la famille et de la tribu, [on a] une division naturelle du travail d'après le sexe et l'âge, à quoi [s'ajoute] l'esclavage par la violence contre les voisins qui l'étend [qui étend la division du travail]. P. 335 [368-369/41-42]. 2. Diverses communautés, suivant la situation, le climat, le degré de civilisation obtiennent des produits divers et ces derniers sont échangés là où ces communautés entrent en contact. L'échange avec les com-munautés étrangères est, par la suite, pour chaque communauté un des principaux moyens de surmonter sa dépendance à l'égard de la nature par l'approfondissement de la division naturelle du travail. P. 336 [369/42].
    La division manufacturière du travail présuppose, d'une part, un certain degré de développement de la division sociale du travail, d'autre part, elle approfondit cette dernière - c'est là la division territoriale du travail. P. 337-338 [370-371/43-44].
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63 Marx parle de différenciation et de spécialisation des instruments de travail. (N. T.)
64 Qualifié, non qualifié. (N. T.)
65 Artrn und Unternrten : peut se traduire différemment suivant le contexte. Il faut surtout retenir ici l'idée de classification analogue à la clsslification zoologique ou botanique en embranchements, classes. ordres. (N. T.)


    Toutefois, [il y a] toujours entre la division sociale et [la division] manufacturière du travail, cette différence que la première produit nécessairement des marchandises tandis que dans la seconde l'ouvrier partiel ne produit pas de marchandises66. D'où, dans celle-ci, [la division manufacturière] organisation concentrée67, dans celle-là morcellement et désordre de la concurrence. P. 339-341 [372-374/45-461..
    Sur l'organisation antique de la communauté indienne. P. 341342 [374-376/46-471. La corporation. P. 343-344 [376-377/48]. Tandis que dans toutes [les formations économiques] existe cette division du travail dans la société, la division manufacturière du travail est une création spécifique du mode de production capitaliste.
    Le corps de travail qui fonctionne dans la manufacture, est, comme dans la coopération, une forme d'existence du capital. La force productive résultant de la combinaison des travaux apparaît donc comme force. productive du capital. Mais tandis que la coopération ne modifie en rien le mode de travail de l'individu, la manufacture le révolutionne ; elle estropie l'ouvrier68, incapable d'effectuer une production indépendante, puisqu'il n'est plus qu'un accessoire de l'atelier du capitaliste. Les puissances spirituelles du travail disparaissent du côté du plus grand nombre pour se développer du côté d'un seul [individu]69. C'est la division manufacturière du travail qui oppose les puissances spiri-tuelles du processus du travail aux ouvriers [à qui elles apparaissent] comme [la] propriété d'autrui et [comme des forces] qui les dominent. Ce processus de scission qui commence déjà dans la coopération se développe dans la manufacture, se complète dans la grande industrie, qui sépare la science du travail en tant que puissance productrice indépendante et l'oblige à se mettre au service du capital. P. 346 [379/50].
Passages à l'appui. P. 347 [379-380/51-52].
    La manufacture [qui est] par un côté une organisation déterminée du travail social, n'est, par l'autre côté, qu'une méthode particulière de production de plus-value relative. P. 350 [382383/53]. Signification historique [traitée dans] le même passage.
Obstacles au développement, de la manufacture même pendant sa période classique: limitation du nombre des ouvriers maladroits par la prédominance des [ouvriers] adroits. Le travail des femmes et des enfants se heurte souvent à la résistance des hommes qui se prévalent jusqu'au bout des laws of apprenticeship70 même là où [elles sont] superflues ; insubordination continuelle des ouvriers, car l'ouvrier global ne possède pas encore de squelette indépendant71 des ouvriers [individuels]. - Emigration des ouvriers. P. 353-354 [386-387/55-56].
    En outre, elle [la manufacture] n'était pas en mesure de bouleverser ou seulement de dominer toute la production sociale. Sa base technique étroite entra en conflit avec les besoins de production créés par elle-même. La machine devenait nécessaire, et la manufacture avait justement appris déjà à la construire. P. 355 [387/56-57].
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66 Marx ajoute « Ce n’est que leur produit collectif qui devient marchandise. » (N.T.)
67 Marx - « La division manufacturière du travail suppose une concentration de moyens de production dans la main du capitaliste. s (N. T.)
68 Au sens figuré, Marx écrit: « Elle estropie le travailleur, elle fait de lui quelque chose de monstrueux en activant le développement factice de sa dextérité de détail en sacrifiant tout un monde de dispositions et d'instincts producteurs. » (N. T.)
69 Formulation un peu différente chez Marx : »Les puissances intellectuelles de la production se développent d'un seul côté parce qu'elles disparaissent sur tous les autres. » (N. T.)
70 Lois sur l'apprentissage. (N. T:)
71 Marx montre que malgré la division des opérations, l'habileté manuelle reste la base de la manufacture. Lé où l'ouvrier est professionnellement adroit, il est insubordonné ; l'ouvrier global que constitue la manufacture n'a pas encore de squelette, c'est-à-dire d'armature mécanique (machines) permettant de plier l'ouvrier. (N. T.)


                                      IV. Machinisme et grande-industrie.


                                                                       a) Le machinisme en soi.


    LA révolution du mode de production, qui part de la force de travail dans la manufacture, part ici du moyen de travail. Toute machine développée se compose : 1. du moteur, 2. des courroies de transmission, 3. de la machine-outil. P. 357 [389/59].
La révolution industrielle du xviii e siècle a pour point de départ la machine-outil. Elle est caractérisée par le fait que l'outil - sous une forme plus ou moins modifiée - passe de l'homme là la machine et est mû par cette dernière. Il est pour le moment indifférent que la force matrice soit une force humaine ou naturelle72. La différence spécifique est que l'homme ne peut employer que ses propres organes, tandis que la machine, dans certaines limites, peut employer autant d'outils qu'on veut. (Rouet 1, « Jenny73 » : 12 à 18, fuseaux.)
    Dans le travail au rouet, [ce n'est] pas la pédale, la force [motrice], mais le fuseau qui est entraîné par la révolution - au début, l'homme [est] encore partout simultanément force de travail et surveillant. La révolution des machines-outils, au contraire, ae rendu d'abord nécessaire le perfectionnement de la machine à vapeur et l'a d'ailleurs réalisé. P. 359-360 [391-392/61-62], puis p. 361-362 [393-394/63-641.
    Deux espèces de machinismes dans la grande industrie ou bien 1. coopération de machines du même genre (powerloom74, enveloppe-machine75), qui résume le travail d'une grande série d'ouvriers partiels par la combinaison de divers instruments ; [on trouve déjà] ici l'influence technologique par l'impulsion motrice ;[commune] - ou 2. système de machines, combinaison de diverses machines partielles (filature). Cette dernière trouve sa base naturelle dans la division du travail de la manufacture.
Mais aussitôt [apparaît] une différence essentielle. Dans la manufacture, chaque processus partiel devait être adapté à l'ouvrier ; ici [ce n'est] plus nécessaire ; le processus de travail peut être objectivement démembré en ses parties constituantes, qui échoient ensuite à la science et à l'expérience basée sur elle, afin d'être accomplies par les machines. - Ici [se trouve] reproduit le rapport quantitatif entre les divers groupes ouvriers, en tant que rapport entre les divers groupes de machines. P, 363-366 [395-398/ 64-66].
    Dans les deux cas, la fabrique constitue un grand automiate (qui ne fait au surplus que se perfectionner à nouveau!) et [c'est] là sa structure adéquate p. 367 [398-399/66-67], et sa forme la plus achevée est l'automate constructeur mécanique, qui a supprimé la base professionnelle et manufacturière de la grande industrie et, ainsi seulement, a donné lieu à la forme achevée du machinisme. P. 369-372 [400-403/68-701.
    Connexions76 entre la révolution dans les diverses branches, jusqu'aux moyens de communication. P. 370 [401-402/69-70].
    Dans la manufacture, la combinaison des ouvriers est subjective ; ici 77[nous avons affaire à] un organisme mécanique de production objectif, que l'ouvrier trouve tout fait et qui ne peut fonctionner que grâce à des travaux communs ; le caractère coopératif du processus de travail est mainteant une nécessité technique. P. 372-373 [404/71].
    Les forces productives qui résultent de la coopération et de la division du travail ne coûtent rien au capital ; les forces naturelles, vapeur, eau, rien non plus. Pas davantage les forces découvertes par la science. Mais ces forces ne peuvent être réalisées que par un appareil approprié, lequel ne peut être construit qu'à grands frais, et de même lesmachines-outils coûtent beaucoup, plus cher que les anciens outils. Mais ces machines ont une durée beaucoup plus grande et un champ de production beaucoup plus étendu que l'outil et cèdent, par conséquent, au produit, une part de valeur relativement beaucoup plus faible qu'un outil ; et c'est ainsi que le service gratuit fourni par la machine (et qui ne réapparaît pas dans la valeur du produit) est beaucoup, plus grand qu'avec l'outil. P. 374, 375-376 [404-405, 406/71-72].
    Baisse du prix [de revient] beaucoup plus importante dans la grande industrie que dans la manufacture grâce à la concentration de la production. P. 375 [406/73].
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72 Vent, eau, vapeur, etc, (N. T.)
73 machine à filer. (N. T.)
74 Métier à tisser à vapeur. (N. T.)
75 Machine pour la fabrication des enveloppes. (N, T.)
76 Mara écrit : « Le bouleversement du mode de production dans une sphère industrielle entraîne un bouleversement analogue dans une autre. » (N T.) 4. Dans le système du machinisme. (N. T.)
77 Dans le système du machinisme (N.T.)

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   Les prix des produits finis démontrent combien la machine a réduit le coût de la production et [indiquent] que la partie de la valeur due aux moyens de travail augmente relativement, mais diminue en valeur absolue. La productivité de la machine se mesure donc à la proportion dans laquelle elle remplace la force de travail humaine. Exemple p. 377-379 [408-410/74-76].
    En admettant qu'une charrue à vapeur remplace 150 ouvriers touchant un salaire annuel de 3.000 livres, ce salaire annuel ne représente pas tout le travail accompli par eux, mais seulement le travail nécessaire ; or, ils fournissent en plus le surtravail. Si la charrue à vapeur, par contre, coûte 3.000 livres, c'est là l'expression monétaire de tout le travail contenu en elle ; et si donc la machine coûte autant que la force de travail à laquelle elle se substitue, le travail humain représenté en elle est toujours beaucoup plus petit que celui qu'elle remplace. P. 380 [411/76].
    En tant que moyen de réduire le coût de la production, la machine doit toujours coûter moins de travail qu'elle n'en remplace. Mais pour le capital, sa valeur doit être inférieure à celle de la force de travail qu'elle remplace. C'est pourquoi certaines machines peuvent être avantageuses en Amérique qui ne le sont pas en Angleterre (par exemple pour casser les pierres) Aussi, par suite de certaines limitations légales, on peut voir soudain surgir des machines qui, auparavant, n'étaient pas avantageuses pour le capital. P. 380-381 [411_412/76-77].


b) Appropriation de la force de travail par la machine

    Comme la machinerie contient elle-même la force qui la meut, la valeur de la force musculaire tombe. - Travail des femmes et des enfants, augmentation immédiate du nombre des salariés par enrôlement des membres de la famille qui n'effectuaient pas jus-que-là un travail salarié. La valeur du travail de l'homme [est] ainsi répartie sur la force de travail de toute la famille, donc dépréciée. Pour qu'une famille vive, il faut que 4 [personnes] fournissent au capital non seulement du travail, mais encore du surtravail là où auparavant il n'y en avait qu'une. Ainsi, en même temps que le matériel & l’exploitation, se trouve également élargi le degré d'exploitation. P. 383 [414/79].
   Autrefois, la vente et l'achat des forces de travail [étaient] un rapport de personnes libres, maintenant, on achète des mineurs ou des demi-mineurs, l'ouvrier vend maintenant femme et enfants, devient un marchand d'esclaves. Exemples p. [384-385-[415-416/81].
   Dégradation physique. - Mortalité des enfants d'ouvrier p. 386 [417-418/81-82], également avec l'exploitation industrielle dee l'agriculture (gangsystem78). P. 387 [418/82].
Dégradation morale. P. 389 [419/83]. Article relatif à l'instruction et résistance des fabricants à cet article79. P. 390 (421/84).
L'entrée de femmes et d'enfants dans la fabrique brise enfin la résistance opposée par l'ouvrier adulte au despotisme capitaliste. P. 391 [422/86].
   Si la machine réduit le temps de travail nécessaire à la production d'un objet, elle devient aux mains des capitalistes le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail bien au delà de ses limites naturelles. D'urne part, elle crée de nouvelles conditions qui permettent cela 80 au Capital, d'autre part [elle crée] de nouveaux motifs à cet effet.
    La machine est capable d'un mouvement perpétuel limité uniquement par la faiblesse et la volonté81de la forcee de travail humaine qui l'assiste. La machine qui, à raison de 20 heures de travail par jour s'use en 7 ans, engloutit pour le compte du capitaliste juste autant de surtravail, mais en deux fois moins de temps que celle qui, à raison de 10 heures de travail, s'use en 15 ans. P.393 [424/87].


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78 Système des bandes ou équipes. « Des femmes mariées travaillant par bandes avec des.jeunes filles et des jeunes garçons, sont mises à la disposition d'un fermier pour une certaine somme par un homme qui porte le nom de chef de ban de,gannmasterl et qui ne vend les bandes qu'entières„ Sixth Report on Public Henith, 1964. cité par Marx. (N T )
79 Il s'agit d'un article de loi spécial stipulant que dans tontes les industries soumises à la loi sur les fabriques, une instruction élémentaire serait la condition légale de l'utilisation productive à des enfants de moins. de quatorze ans. (N. T. )

80 Marx écrit : « Elle [la machinel crée et des conditions nouvelles qui permettent au capital de lâcher bride à cette tendance constante qui la caractérise et des motifs nouveaux qui intensifient sa soif du travail d'autrui. » (N. T )

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Le risque d'usure morale 82 de la machine - by superseding 83 - est également moindre encore dans ces conditions. P. 394[424/88].
    En outre, une plus grande quantité de travail est absorbée sans extension des installations en bâtiments et machines ; ainsi donc, non seulement la plus-value grandit avec la prolongation de la journée de travail, mais encore les éléments nécessaires à son
obtention diminuent relativement. Cela [est] plus important dans la mesure où la part fixe du capital prédomine largement, comme c'est le cas dans la grande, industrie. P. 395 [425/88].
    Dans la première période de la machine, où elle revêt un caractère de monopole, les profits [sont] énormes, d'où la volonté avide d'allonger davantage encore, d'allonger démesurément la journée de travail. Avec la généralisation de la machine, ce bénéfice du au monopole disparaît et la loi s'impose en vertu de laquelle la plus-value provient non pas du travail remplacé par la machine, mais du travail employé par elle, donc du capital variable. - Mais cela est nécessairement réduit dans le machinisme par les grandes installations (bâtiment et outillage).
    Il y a donc dans l'application capitaliste de la machine une contradiction immanente pour une masse donnée die capital, elle n'augmente l'un des facteurs de la plus-value, son taux, qu'en réduisant l'autre, le nombre des ouvriers. Dès que la valeur de la marchan-dise produite mécaniquement devient la valeur sociale régulatrice de cette marchandise, cette contradiction apparaît et pousse elle aussi à nouveau à la prolongationn de la journée de travail. P. 397 [428/90].

    Mais, en, même temps; en mettant en liberté des ouvriers éliminés, ainsi qu'en enrôlant les femmes et les enfants, la machine engendre une population ouvrière superflue obligée d'accepter la loi dictée par le capital.
C'est pourquoi elle renverse toutes les barrières morales et naturelles de la journée de travail. D'où aussi ce paradoxe que le moyen le plus formidable de réduire la journée de travail devient le moyen infaillible de transformer la vie entière de l'ouvriier et de sa famille en temps de travail disponible pour la mise en valeur du capital. P. 398 [428/91].

    Nous avons déjà vu comment la réaction de la société intervient en fixant la journée de travail normale ; et sur cette base se développe maintenait l'intensification du travail. P. 399 [429/92].

    Au début, avec l'accélération de la machine, l'intensité du travail augmentait en même temps que s'allongeait la journée de travail. Mais bientôt le point [est] atteint où les deux [facteurs] s'excluent [mutuellement]. Toutefois [il en va] autrement avec la fixation [de la journée de travail]. L'intensité peut désormais s'accroître, autant de travail peut être fourni en 10 heures qu'ordinairement en douze ou plus, et il y a là pour la journée de tra-vail intensifiée une multiplication du potentiel, et le travail est mesuré non seulement d'après sa durée, mais d'après son intensité. P. 400 [430/92-93].

    C'est ainsi qu'en 5 heures de travail nécessaire et en 5 heures de surtravail peut être obtenue la même plus-value que, pour [une] intensité moindre, en 6 heures de travail nécessaire et 6 heures de surtravail. P. 400 [430/92-93]
   Comment le travail est-il intensifié ? Dans la manufacture, il a été démontré (note 15984), par exemple dans la poterie, etc., que la simple réduction de la journée de travail [est suffisante], la productivité ayant été accrue dans d’énormes proportions. Dans le travail mécanique, la chose était beaucoup plus douteuse. Mais preuve R. Gardner, p. 401-402 [431-432/93].
    Dès que [la] réduction de la journée de travail [devient] loi, la machine devient le moyen de tirer de l'ouvrier un travail phus intense, soit par greater seed85, soit par less hands in relation to machine86. Exemples p. 403-407 [433-436/94-97]. Simultanément s’accroissent l'enrichissement et l'extension de la fabrique, comme la démonstration [en est fournie] aux p. 407-409 [437-438/98;100].
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81 Engels emploie ici le mot de Beschraenktheit, qui peut signifier à la fois « exiguïté », «peu d'étendue » et, au sens figuré, « étroitesse d'esprit ». Dans le passage résumé par Engels, Marx emploie le mot Eigenwillen, qui veut dire « entêtement », « mauvais vouloir », « obstination » (N. T.).
82 Le lecteur comprendra sans peine toute l'importance de ce chapitre. Engels résume d'un mot des notions qui lui sont familières. C'est le cas de l' « usure morale ». Marx entend par là le risque que court la machine de se démoder plus ou moins rapidement. Les machines se perfectionnant sans cesse, le capitaliste a intérêt à user le plus rapidement possible celles qu'il vient d'acheter, dans la crainte de la concurrence de machines plus récentes. (N. T.)
83 Par le remplacement. (N. T.)


c) L’ensemble de la fabrique dans sa structure classique.

    Dans la fabrique, la machine assure la conduite opportune de l’outil, les différences qualitatives du travail, développées dans la manufacture, [sont] donc ici supprimées, les ouvriers de plus en plus nivelés, [on ne trouve] tout au plus que des différences d'âge et de sexe. La division du travail est ici [la] répartition des ouvriers entre les machines spécifiques. Ici, [règne] seulement la division entre ouvriers principaux, qui sont réellement occupés à la machine-outil, et feeders87(cela [est vrai] seulement pour le selfactor88, à peine pour le throstle89, encore moins [pour le] Powerloom correct90) ; en outre, surveillants, engineers91 et stokers92, mechanics93, joiners94, etc., classe agrégée extérieurement seulement à la fabrique. P. 441-442. [441-442/102-103].
    La nécessité d'adapter l'ouvrier au mouvement continu d'un automate exige un apprentissage dès la jeunesse, mais non plus comme dans la manufacture où un ouvrier reste attaché toute sa vie durant à une fonction partielle. Il peut se produire des chan-gements de personnes à la même machine (relay-system 95) et, en raison du peu de difficulté de l'apprentissage, les ouvriers peuvent être transférés d'une machine à une autre. Le travail de manoeuvre est très simple ou alors incombe de plus en plus à la machine. Cependant, la division manufacturière du travail se maintient traditionnellement au début et devient elle-même un moyen d'exploitation accrue du capital. L'ouvrier devient pour toute son existence un rouage de machine partielle. P. 413 [443/104].
    Toute la production capitaliste, dans la mesure où elle n'est pas seulement processus de travail, mais aussi processus de mise en valeur du capital, a ceci de spécifique que l'ouvrier n'emploie pas la condition de travail, la condition de travail au contraire employant l'ouvrier ; mais c'est seulement avec le machinisme que ce renversement des rôles acquiert une réalité techniquement tangible. En se transformant en automate, le moyen de travail se dresse au cours du processus de travail face à l'ouvrier comme du capital, comme du travail mort qui domine et use jusqu'à l'épuisement la force de travail vivante. Dito les forces spirituelles du processus de production en tant que puissance du capital sur le travail... L'habileté particulière, individuelle, de l'ouvrier ainsi dépouillé n'est plus qu'un accessoire infime et disparaît devant la science, les forces naturelles énormes et la masse de travail social qui sont incorporées au système mécanique. P. 414-415 [444445/104-105].

    Discipline de caserne dans la fabrique, code des fabriques. P. 416 [445-446/105-1061.
Conditions physiques de la fabrique. P. 417-418 [447-449/106108].
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84 Engels renvoie ici à la note 159 de Marx lui-même c’est-à-dire au rapport des inspecteurs du travail du 3 octobre 1855. (N. T.)
85 Rapidité accrue. (N. T.)
86 Moins d'ouvriers par rapport à la machine. (N. T.)
87 Manoeuvres.- (N. T.)
88 Machine à filer automatique. (N. T.)
89 Machine à filer. (N. T.)
90 Métier à tisser amélioré. (N. T. )
91 Ingénieurs. (N. T.)
92 Chauffeurs. (N. T.)
93 Ouvriers mécaniciens. (N. T.)
94 Menuisiers. (N. T.)
95 Travail par équipes. (N. T.)

           c'ou d') Lutte des ouvriers contre le système de la fabrique et la machine.

 
    Cette lutte, permanente depuis [qu'existe] la condition capitaliste, apparaît ici tout d'abord comme une révolte contre la machine en tant que base matérielle du mode de production capitaliste. Machine à tisser les rubans et les galons. P. 419 [449-450/ 108-109]. Luddites. P. 420 [451/110].C'est seulement plus tard que les ouvriers distinguent entre le moyen de production et sa forme d'exploitation sociale.
    Sous la manufacture, la division perfectionnée du travail [est] plus un moyen de remplacer virtuellement des ouvriers. P 4921 [451/110-1111. (Excours96 sur l'agriculture, éviction [des ouvriers chassés de leur terre]). P.. 422 [452-453/lll-112].
Mais dans le machinisme, l'ouvrier est effectivement évincé, la machine lui fait directement concurrence. Hand loom weavers97. P: 423 [453./ 112]. Dito les Indes.P. 424 [454/1131.
Cette action [est] permanente, car la machine s'empare sans cesse de nouvelles branches de production. La figure indépendante et étrangère que la production capitaliste donne au moyen de travail par rapport à l'ouvrier se mue à cause de la machine en antagonisme total. C'est pourquoi [il y a] d'abord révolte de l'ouvrier contre l'instrument de travail. P. 424 [454-455/113].
    Détails sur l'éviction de l'ouvres par la machine. P. 425-4200 [455-457/113-116]. La machine, moyen de briser la résistance ouvrière contre le capital par l'éviction. P. 427-428 [458-460/117119].
    L'économie libérale prétend que la machine, qui élimine des ouvriers, met en même temps en liberté du capital qui peut employer ces ouvriers. Mais au [le] contraire [est vrai] : toute introduction de machines fixe du capital, diminue sa [partie] variable, augmentes sa partie constante, ne peut par conséquent que limiter la capacité d'emploi du capital. En fait et c'est bien ce que pensent aussi les apologistes du capital - ce n'est pas du capital - qui est libéré de cette façon ; ce sont les moyens de subsistance de l'ouvrier déplacé [congédié] qui sont mis en liberté, l'ouvrier est détaché des moyens de subsistance ce que l'apologiste exprime en disant que la machine met en liberté des moyens de subsistance pour l'ouvrier. P. 429-430 [460-462/119-120].
    Passage à développer (très bien pour Fortnightly 98). P. 431-432 [463-464/121]. Les contradictions inséparables de l'emploi capitaliste de la machine n'existent pas pour les apologistes parce qu'elles ne résultent pas de la machine elle-même, mais de son emploi capitaliste. P. 432 [464/122].
    Extension de la production par les machines, directement et indirectement, et, par suite, augmentation possible du nombre des ouvriers existant jusque-là mineurs, esclaves dans les Cotton states,99 etc. Par contre, éviction des Ecossais et des Irlandais par les moutons avec [l'introduction des] manufactures lainières. - P. 433-434 [466-467/123-124].

    Le machinisme accentue la division sociale du travail beaucoup plus que [l'a] fait la manufacture. P. 435 [468/124].

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96 Digression. (N. T.)
97 Tisserands manuels. (N. T.)
98 Revue libérale anglaise. Voir introduction. (N. T.)
99 Etats coloniaux. (N. T.)

c’’ ou e) Machine et plus-value.

    Le premier résultat de la machine [est l’] - augmentation de la plus-value et, en même temps, de la masse de la production, qui la représente et dont se nourrissent la classe capitaliste et ses fidèles ; - donc augmentation du nombre des capitalistes ; nouveau besoin de luxe et, en même temps, moyen de le satisfaire.
La production de luxe grandit, ainsi que les moyens de transport (qui absorbent cependant peu de forces ouvrières dans les pays développés) (Démonstration p. 436 [469/1261), enfin grandit la classe domestique, les modernes esclaves domestiques, dont le matériel est fourni par la mise en liberté100. P. 437 (474/126). Statistique.
    Contradictions économiques. P. 437 [470/1271.
    Possibilité d'une augmentation absolue du travail dans unè branche par suite de la machine et modalités de ce processus. P. 439-440 [472-473/129-130].
    Elasticité énorme, aptitude à une extension soudaine et par bonds de la grande industrie à un haut degré de développement. P. 441 [474/130]. Répercussion sur les pays producteurs de matière[ premières. Emigration par suite de la mise en liberté d'ouvriers.
Division internationale du travail entre pays industriels et agraires. Périodicité des crises et de la prospérité. P, 442 [475-476/132-133]. Flux et reflux de l'ouvrier dans ce processus d'extension. P. 444[477/134].
    Historique à ce sujet. P. 445-449 [477-483/134-1391.
   Sur l'éviction de la coopération et de la manufacture par la machine (les étapes intermédiaires, p. 450-451 [483-485/139-140]. Eviction également des entreprises n'ayant pas le caractère de la fabrique. Branches d'industrie dans l'esprit de la grande industrie - Travail à domicile [en tant que] département extérieur de la fabrique. P. 452 [486/141-142].
Dans le travail à domicile et la manufacture moderne, l'exploitation [est] encore plus éhontée que dans la fabrique proprement dite. P. 453 [486/142] Exemples : Imprimeries londoniennes. P. 453 [487/142]. Imprirnerie, triage des chiffons. P. 454 _[487/1431. Tuilerie. P. 455 14::/1431. Manufacture moderne eu général. P. 456 [489/1441. Travail à domicile Dentelle. P. 457-459 [49(1.492:/145-148]. Tressage de la paille. P- 460 [4(3.3/148]. Transformation en système de fabrique à la limite extrême de l'exploitabilité: Wearing Apparel101 par la machine à coudre. P. 462-466 [495-498/149-15+41.
   Accélération de cette transformation par l'extension des lois obligatoires sur les fabriques, qui suppriment la routine basée sur une exploitation illimitée. P. 467 [500/153j. Exemples : Poterie P. 467 [440/154] - Allumettiers- P.468 [501/155]. De plus, des lois sur les fabriques, sur le travail irrégulier, [résultant] de la flânerie des ouvriers, ainsi que des saisons ou de la mode. P. 470 [503/157].[Périodes de] surmenage à côté de [périodes de) paresse par suite de la saison dans le travail à domicile et la manufacture- P. 471 [503/157].
    Clauses sanitaires des lois sur les fabriques. P. 473 [506/1591. ,Clauses relatives à l'éducation. P. 475 [508-509/161-162].
Renvoi des ouvriers uniquement à cause de leur âge, dès qu'ils sont adultes, qu'ils ne conviennent plus au travail et qu'ils ne peuvent plus vivre du salaire d'enfant, cependant
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100 C'est-à-dire par l'éviction des ouvriers des branches productives (N. T.),
101 Fabrication des articles de confection. (N. T.)
qu'ils n'ont appris aucun travail nouveau. P. 477 [510/163].

   Suppression des mysteries102 et de la pétrification traditionnelle de la manufacture et du métier par la grande industrie qui transforme le processus de production en une application consciente des forces naturelles. Elle seule, par conséquent, est révolutionnaire par rapport à toutes les formes antérieures. P. 479 [512/ 1651. Mais en tant que forme capitaliste, elle laisse subsister pour l'ouvrier la division pétrifiée du travail, et comme elle bouleverse journellement la base de cette dernière, l'ouvrier en périt. Par ailleurs, dans ce changement nécessaire des activités du même ouvrier [réside] la revendication de la variété la plus grande possible des activités de ce dernier et les possibilités de la révolution sociale. P. 480-481 [512-513/165-166].
    Nécessité d'étendre la législation sur les fabriques à toutes les branches d'industrie où ne règne pas le système des fabriques. P. 482 et suivantes [514-515/167-168]. Acte de 1867. P. 485 [518520/170]. Mines, note 486 et suivantes [521-528/172-175].
    Action des lois sur les fabriques dans le sens de la concentration, généralisation du système de la fabrique et, ainsi, de la forme classique de la production capitaliste, accentuation de ses contradictions inhérentes, maturation des éléments de bouleverse-ment de l'ancienne société et des éléments générateurs de la nouvelle. P. 486-493 [528-529/178].
    Agriculture. Ici, l'éviction par les machines [est] encore plus aiguë. Remplacement du paysan par l'ouvrier salarié. Destruction de la manufacture familiale agricole. Accentuation des entagonismes entre la ville et la campagne. Morcellement et affaiblissement des ouvriers agricoles, tandis que les ouvriers urbains sont concentrés, d'où salaire des ouvriers agricoles [réduit] au minimum. En même temps vol de la terre: Couronnement du mode de production capitaliste [:] destruction de la source de toute richesse : de la terre et de l'ouvrier. P. 493-496 [534-532/179-182].


V. Nouvelles recherches sur la production de la plus-value103

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102 Les usages mystérieux des artisans, qui se conservèrent jusqu'au XVIIIe siècle. (N. T.)
103 Le manuscrit se termine ici. (N. R.)


COMPLÉMENT ET SUPPLEMENTAU IIIe LIVRE DU « CAPITAL »


Depuis que le troisième livre du Capital est soumis au jugement du public, il donne matière à des interprétations nombreuses et variées. Il fallait s'y attendre. Dans cette édition, j'ai tenu avant tout à établir un texte aussi authentique que possible, à donner, autant que possible, les derniers résultats des acquisitions de Marx, dans les termes mêmes de Marx, à n'entrer en scène que quand c'était absolument inévitable, et, dans ce cas alors, à ne laisser aucun doute au lecteur sur la personne qui s'adressait à lui. On m'en a blâmé ; on a pensé que j'aurais dû transformer les matériaux qui étaient à ma disposition en un livre systématiquement élaboré, en faire un livre104, comme disent les Français, en d'autres termes, sacrifier l'authenticité du texte à la commodité du lecteur.
Mais ce n'est pas ainsi que j'avais compris ma tâche. Rien ne justifiait un pareil remaniement : un homme tel que Marx a le droit d'être entendu lui-même, de livrer à la postérité ses explications scientifiques dans l'intégrité complète de sa propre exposition. Puis, je n'avais aucune envie de mettre ainsi la main sur la succession d'un homme si éminent c'est ce que j'aurais cru faire, cela m'aurait semblé une félonie.
Enfin, ce travail aurait été complètement vain. Car il est bien inutile de se mettre en frais pour les gens qui ne peuvent ni ne veulent lire, et qui, pour le premier livre déjà, se sont donné plus de peine à le mal comprendre qu'il n'en était nécessaire pour le bien comprendre. Pour ceux, au contraire, qui veulent véritablement comprendre, c'est l'original même qui était le plus important. Mes remaniements auraient eu pour eux, au plus la valeur d'un commentaire, et d'un commentaire sur quelque chose de non publié, d'inaccessible. A la première controverse, il aurait fallu invoquer le texte original ; à la deuxième, à la troisième, sa publication in extenso eût été inévitable.
De pareilles controverses sont compréhensibles sur une oeuvre fournissant tant de contributions nouvelles, travail de premier jet, rapidement esquissé et, en partie, plein de lacunes. Mon intervention peut être utile pour dissiper les obscurités, pour mettre au premier plan des points dont la valeur n'apparaît pas assez dans le texte, pour ajouter quelques compléments importants au texte écrit en 1865, demandés par l'état des choses en 1895. Il y a deux questions surtout où une courte explication me paraît nécessaire.


                                                                        1. LOI DE LA VALEUR ET TAUX DE PROFIT.

                                                                                               « Profit-rate »
Il était à prévoir que la solution de la contradiction apparente entre ces deux facteurs prêterait matière à discussion autant après qu'avant la publication du texte de Marx. Plus d'un s'était attendu à un vrai miracle et il se trouve désillusionné quand il découvre, au lieu du tour de passe-passe attendu, une solution purement rationnelle, prosaïque, sensée de la contradiction. Le plus joyeux de ces désillusionnés est naturellement l'illustre, le célèbre Loria. Il a enfin, nouvel Archimède, trouvé le point d'appui grâce auquel un petit diable de son calibre peut soulever l'oeuvre compacte du géant qu'est Marx et le mettre en miettes. Quoi, s'écrie-t-il dans son indignation, c'est là une solution? Mais c'est une pure mystification. Les économistes, quand ils parlent de valeur, parlent de la valeur qui s'établit réellement dans l'échange.


Mais considérer une valeur à laquelle les marchandises ne sont ni vendues, ni ne peuvent l'être (ne possono venderdi mai) c'est ce qu'aucun économiste ayant un grain d'intelligence n'a fait- ni ne fera... Quand Marx prétend que la valeur, à laquelle les 'marchandises ne sont jamais vendues, est précisément proportionnée au travail qui y est contenu, il ne fait que reproduire, en l'intervertissant, la phrase des économistes orthodoxes: que la valeur à laquelle les marchandises sont vendues n'est pas proportionnée au travail qui y est consacré... Cela n'avance pas de dire, comme Marx le fait, que, malgré l'écart entre les prix particuliers et les valeurs particulières, le prix total de toutes les marchandises coincide avec leur valeur totale ou avec la quantité de travail contenue dans la masse totale des marchandises. Car si la valeur n'est autre chose que le rapport où une marchandise s'échange avec une autre, la simple notion d'une valeur totale est une absurdité, un non sens... une contradicio in adjecto.
Tout au début de son ouvrage, Marx dit que l'échange ne pourrait identifier deux marchandises que grâce à un élément identique et égal qu'elles contiendraient, la masse de travail égaie contenues en elles. Et, maintenant, il se contredit gravement en assurant que les marchandises s'échangent suivant une relation toûte différente de la masse de travail qu'elles contiennent. Quand vit-on une si complète réduction à l'absurde, une plus grande banqueroute théorique ? Quand vit-on jamais un suicide scientifique se produire avec plus de pompe et de solennité? (Nuova antalogia, 1er février 1895, pages 478-479.)

p77
104 En français dans le texte.
   Notre Loria est tout heureux. N'a-t-il pas eu raison de traiter Marx comme un autre lui-même, comme un charlatan ordinaire? Vous le voyez, - Marx se moque de son public tout comme Loria il vit de mystifications, tout comme le plus petit des professeurs italiens d'économie politique. Mais pendant que le doucereux méridional peut se permettre cela parce qu'il sait bien son métier, Marx, homme du Nord, lourd et grossier, tombe de maladresse en maladresse, entasse non-sens sur absurdité, si bien qu'il ne lui reste plus que le suicide solennel.
    Réservons pour plus tard l'affirmation que les marchandises ne sont jamais vendues à des valeurs déterminées par le travail, ni ne peuvent l'être. Tenons-nous, ici, simplement à l'affirmation de M. Loria que « la valeur n'est que la relation où une marchandise s'échange avec une autre et que, par suite, la simple notion d'une valeur totale est une absurdité, un non-sens, etc. ».
Le rapport suivant lequel deux marchandises s'échangent, leur valeur, est donc quelque chose de purement accidentel, venu de l'extérieur, pouvant être aujourd'hui ceci et demain cela. Qu'un quintal métrique de froment s'échangee contre un gramme ou un kilogramme d'or, cela ne dépend pas le moins du monde de conditions inhérentes à cet or ou à ce froment, mais de circonstances complètement étrangères à tous deux. Sans quoi, ces conditions devraient entrer en compte dans l'échange, le dominer en somme, et avoir une existence autonome indépendamment de l'échange, si bien que l'on pourrait parler d'une valeur totale des marchandises. C'est un non-sens, dit l'illustre Loria. Le rapport dans lequel deux marchandises s' échangent toujours est leur valeur et voilà tout. La valeur est donc identique au prix, et chaque marchandise a autant de valeur que de prix. Et le prix est déterminé par l'offre et la demande, et qui veut en savoir plus est fou s'il compte sur une réponse.
Il y a pourtant une petite difficulté. A l'état normal, offres et demandes se balancent. Divisons donc toutes les marchandises du monde en deux moitiés, un groupe pour l'offre et un groupe égal pour la demande. Supposons que chacun représente un prix de 1.000 milliards de marks, francs, livres sterling, etc. Cela fait ensemble un prix au valeur de 2.000 milliards. Non-sens, absurdité, dit M. Loria. Les deux groupes peuvent représenter ensemble un prix de 2.000 milliards, mais pour la valeur c'est autre chose. Est-ce le prix ? Alors, 1.000 + 1.000 = 2.000, mais si c'est la valeur, 1.000 - 1.000 = 0. Au moins dans le cas présent, où il s'agit de l'ensemble des marchandises. Car, ici, la marchandise de chacun ne vaut 1.000 milliards que parce que chacun veut et peut donner cette somme pour la marchandise de l'autre. Mais, réunissons la totalité des marchandises de l'un et de l'autre dans les mains d'un troisième, le premier n'a plus de valeur en main, le second n'en a pas davantage, et le troisième n'a rien du tout de sorte qu'à la fin personne n'a plus rien. Et nous admirons la supériorité avec laquelle notre Cagliostro du Sud a si bien manipulé la notion de valeur qu'il n'en est plus resté la plus légère trace.Voilà bien le comble de l'économie politique vulgaire105.


    Dans les Archiv für sociale Gesetzgebung de Braun, VII, no 4, Werner Sombart fait une exposition excellente, dans son ensemble, de l'esquisse du système de Marx. C'est la première fois qu'un professeur d'Université allemande parvient à voir, en somme, dans les écrits de Marx, ce que Marx a dit véritablement. Il déclare, en effet, que la critique du système de Marx ne peut consister en une réfutation - à laquelle peut bien s'essayer un politicien - mais en un développement complet du système. M. Sombart, comme bien on pense, s'occupe naturellement de notre sujet. Il cherche à déterminer l'importance que présente ; La valeur dans le système de Marx, et arrive aux résultats suivants :
La valeur n'apparaît pas dans l'échange des marchandises produites suivant le mode capitaliste : elle n'est pas conçue par les agents de la production capitaliste ; ce n'est pas un phénomène empirique, mais un phénomène logique, un phénomène de pensée. Le concept de valeur dans sa détermination matérielle chez Marx n'est pas autre chose que l'expression économique du phénomène de la force productive sociale du travail comme base dé la réalité économique ; la loi de la valeur, dans un ordre économique capitaliste, gouverne les phénomènes économiques en dernière instance ; ce qui veut dire que, d'une façon générale pourcet ordre économique, la valeur des marchandises est la forme spécifique historique où, en dernière instance, se fait jour la force productive du travail qui domine tous les phénomènes économiques. - Voilà jusqu'où va Sombart. On ne peut dire que cette conception de la loi de la valeur dans la forme de production capitaliste soit inexacte ; elle me parait toutefois un peu trop large et susceptible d’être exprimée d’une manière serrée, plus précise ; elle n’épuise pas, à mon avis, toute l’importance de la loi de la valeur pour le sphases de développement économique de la société, régies par cette loi.
Dans le Social-potitisches Zentratblatt de Braun (25 février 1895,, n° 22), îl se trouve un article également excellent, de Konrad-Schmidt, sur le troisième volume du Capital. Il montre principalement comment Marx, en tirant le profit moyen de la plus-value, a résolu une questionn que jamais l'économie politique n'avait posée: Comment est déterminée la hauteur de ce taux de profit moyen et d'où vient-il que ce soit 10 au 15 pour cent et non 50 ou 100 pour cent. Mais, sachant que la plus-value que s’approprient en première main les capitalistes industriels est la source exclusix:e d'où découlent profit
54-78

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105 Le même homme « connu par sa renommée », pour parler comme Heine, s'est senti forcé, un peu tard sans doute, de répondre à ma préface au treizième volume quand elle eut paru en italien dans le premier fascicule de la Rassegna de 1895 Cette réponse se trouve dans la Riforme sociale du 25 février 1893. Après m'avoir chargé de flagorneries, inévitables chez lui et par cela même doublement haïssables, il déclare qu'il ne lui était pas venu à l'esprit d'escamoter, à son profit, les contributions de Marx à la conception matérialiste de l'histoire. Il les avait déja reconnues en 1883, à vrai dire très superficiellement, dans un article de revue. C'est pour cela qu'il les passe sous silence avec tant d'entêtement là où il le faut, par exemple dans son livre, où Marx n'est nommé pour la première fois qu'à la page 139, et seulement à l'occasion de la petite propriété foncière en France Et maintenant, il déclare avec audace que Marx n'est pas le promoteur de cette theorie. Si ce n'est pas Aristote qui l'a fait pressentir, Harrington du moins, et dès 1656, l'a proclamée, et elle a été développée par une pléiade d'historiens, de politiques, de juristes et d'économistes bien avant Marx. Tout cela peut se lire dans l'édition française de l'ouvrage de Loria. Bref, un plagiaire accompli. Après que je l'eus empêché de faire, à l'avenir, le fanfaron avec des emprunts faits à Marx, voilà qu'il prétend audacieusement que Marx se pare aussi de plumes volées comme il le fait lui-même. - De mes autres attaques. il conclut que Marx n'a jamais eu l'in-tention d'écrire un deuxième ou un troisième volume du Capital. « Et maintenant Engels me répond et triomphe en m'opposant le deuxième et le troisième volumes : très bien ! -et je me réjouis tant de l'apparition -de ces deux volumes auxquels je dois de si nombreuses jou;séanees intellectuelles, que jamais victoire ne m'a été aussi chère que m'est aujourd'hui cette défaite .. si toutefois défaite il y a. En est-ce une en fait ? Est-il véritablement vrai que Marx ait écrit, pour être publié, cet amas de notes sans lien que Engels a classé avec une amitié pieuse ? Est-il vraiment permis de supposer que Marx.. avait confié à ces pages le soin de couronner son oeuvre et son système? Est-il sûr, en fait, que Marx aurait publié ce chapitre sur le profit moyen où la solution promise depuis tant d'années se réduit à la plus désolante mystification, à la plus vulgaire des phraséologies? Il est au moins permis d'en douter... Tout cela montre, à ce qu'il me semble, que, après avoir publié son admirable (splendido) livre, Marx n'avait pas l'intention de lui donner un successeur ou de confier à ses héritiers, et en dehors de sa propre responsabilité, le soin de compléter son oeuvre gigantesque. »
Voilà ce qui se trouve écrit page 267. Heine ne pouvait parler de son public allemand, public de philistins, avec plus de mépris qu'en disant : l'auteur finit par se faire une habitude de son public, comme si c'était un être raisonnable, Quelle idée l'illustre Loria peut-il donc se faire du sien ? Il termine avec une nouvelle charge d'éloges qui fondent sur moi pour mon malheur. Et notre Sganarelle devient un Balaam qui vient pour maudire, mais dont les lèvres dirent, malgré lui, les a « paroles de bénédictions et d'amour ». Le bon Balaam était bien connu pour monter un âne qui était plus judicieux que son maître. Pour cette fois, Balaam a évidemment laissé son âne à la maison.


et rente le problème se résout de lui-même. Cette partie du travail de Schmidt pourrait avoir été écrite spécialement pour les économistes à la Loria si ce n'était pas peine inutile de vouloir ouvrir les yeux de ceux qui ne veulent pas voir.
Scbmidt a lui aussi, ses réserves formelles sur la loi de la valeur. Il l'appelle une hypothèse scientifique imaginée pour expliquer le procès l'échange réel, et qui se justifierait, aussi, comme point de départ théorique nécessaire, lumineux, inévitable même pour les prix de concurrence, phénomènes qui paraissent y contredire. Sans la loi de la valeur, à son avis, toute vue théorique sur le mouvement économique de la réalité captaliste tombe. Et, dans une lettre qu'il m'a permis de citer, - Schmidt soutient que la loi de la valeur, précisément dans la forme de production capitaliste, -n’est qu’une fiction, encore qu'elle soit théoriquemcnt nécessaire.
D'après moi, cette conception n’est pas justifiée. La loi de la valeur a pour la production capitaliste, une importance beaucoup plus grande et plus précise que celle d’une pure hypothèse sans parler de fiction nécessaire.
Sombart et Schmidt- je n’ai cité l’illustre Loria que comme une des pages les plus réjouissantes de l’économie vulgaire- ne voient pas assez qu’il s’agit pas ici d’un pur procès logique, mais d’un procès historique, et de sa réflexion dans la pensée, la recherche logique de ses rapports internes. Le passage décisif se trouve dans Marx, t. X, p 59. (Edit. Costes) :


    Toute la difficulté vient de ce que les marchandises ne sont pas simplement échangées comme marchandises, mais comme produit de capitaux qui prétendent participer à la masse totale de la plus-value en proportion de leur grnadeur, ou à grandeur égale, dans une mesure égale.


    Que l’on suppose, pour illustrer cette distinction, que les travailleurs soient en posséssion de leurs moyens de production, travaillent en moyenne des temps égaux, avec une intensité égale et échangent ensemble directement leurs marchandises. Alors, deux ouvriers, en un jour, auraient ajouté à leur produit, par leur travail, une quantité égale de valeur nouvelle, mais le produit de chacun aurait une valeur différente suivant le travail déjà incorporé auparavant dans les moyens de production. Cette dernière par de valeur représenterait le capital constant de l’économie capitaliste; la part de la valeur nouvelle surajoutée, transformée en moyens de subsistance de l’ouvrier, serait le capital variable, et la part restant encore de la nouvelle valeur formerait la plus-value qui appartiendrait à l’ouvrier. Les deux ouvriers, déduction faite de la part « constante » de la valeur qui n’était qu’une pure avance, ont alors obtenu des valeurs égales. Le rapport entre la partie représentant la plus-value et la valeur capitaliste des moyens de production – qui exprimerait le profit – serait différente chez chacun d’eux. Mais, comme chacun d’eux récupère dans l’échange la valeur des moyens de production, ce serait là une circonstance absolument indifférente.


    L’échange des marchandises à leur valeurs, ou approximativement à leurs valeurs, exige donc un degré d’évolution bien inférieur à l’échange au prix de production pour lequel un certain niveau du développement capitaliste est nécessaire. Abstraction faite de la soumission des prix et du mouvement des prix à la loi de la valeur, il est donc conforme à la réalité de considérer les valeurs de smarchandises non seulement théoriquement, mais aussi historiquement, comme l’antécédent des prix de production. Cela est vrai pour les cas où les moyens de production appartiennent à l’ouvrier, et cela se trouve dans le monde ancien comme dans le monde moderne, chez les paysans cultivant lui-même et possédant son fonds, et chez l’artisan. Cela s’accorde avec l’opinion que nous avons exprimée autrefois, c'est-à-dire que le développement des produits en marchandises résulte de l'échange entre différentes. communautés, non de l'échange entre différents membres d'une seule et même communauté. Cela s'applique à l'état primitif comme aux états postérieurs, fondés sur l'esclavage et le servage, et à l'organisation corporative des artisans, aussi longtemps que les moyens de production fixés dans chaque branche de production ne sont pas facilement transportables d'une sphère à l'autre, et que les différentes sphères de production se comportent ensemble, dans certaines limites,comme des pays étrangers ou des communautés communistes (Marx, t. X. p. 62-63.)


Si Marx avait pu encore travailler le troisième livre, il aurait sans doute développé ce passage d'une façon importante. Tel qu'il est rédigé, ce passage ne présente qu'une esquisse de ce qu'il y aurait à faire sur la question. Examinons-la donc d'un peu plus près.
Nous savons tous qu'aux commencements de la société les produits étaient consommés par les producteurs eux-mêmes, et que ces producteurs étaient organisés en communautés d'organisation plus ou moins communiste ; que l'échange du superflu de ces produits avec des étrangers, d'où naît la transformation des produits en marchandises, lest de date postérieure, n'a lieu d'abord qu'entre quelques communes isolées, de souche différente, puis, plus tard, s'établit dans l'intérieur de la commune, et amène la dissolution de celle-ci en groupes de familles plus ou, moins grands. Mais, même après cette dissolution, les chefs de familles qui pratiquent l'échange entre eux restent des paysans qui travaillent, produisent tout oe dont ils ont besoin avec l'aide de la famille dans leur propre ferme et n'acquièrent par l'échange du superflu de leur produit qu'une faible partie des objets nécessaires. La famille ne se livre pas seulement à l'agriculture et à l'élevage du bétail, elle transforme les produits en articles de consommation, moud elle-même encore, par endroits, à l'aide du moulin à bras, fait le pain, file, teint, tisse le lin et la laine, tanne le cuir, élève et répare des constructions en bois, fabrique ustensiles et outils, menuise et forge assez souvent, de sorte que la famille ou le groupe de familles se suffit à lui-même pour les choses 'essentielles.
Le peu qu'une pareille famille avait à acquérir par l'échange ou à acheter consistait, en Allemagne, jusqu'au milieu du XIXe siècle, en objets produits par les artisans, c'est-à-dire en choses dont la fabrication était bien connue du paysan, et qu'il ne produisait pas lui-même, soit parce que la matière première ne lui était pas facilement accessible, soit encore parce que l'article acheté était bien meilleur ou bien moins coûteux.
Le paysan du moyen âge connaissait donc assez exactement le temps de travail nécessaire à la fabrication des objets qu'il acquërait par échange. Le forgeron, le charron du village travaillaient sous ses yeux, de même que le tailleur et le cordonnier, qui, dans ma jeunesse, allaient chez nos paysans des bords du Rhin, de maison en maison, et transformaient en vêtements et chaussures les matières premières apprêtées par les paysans.
Le paysan, comme les gens à qui il achetait, étaient des travailleurs, les articles échangés étaient les propres produits de chacun.
Qu'avaient-ils dépensé dans la création des produits?
Du travail et rien que du travail : pour remplacer les outils, créer la matière première, pour la mettre en oeuvre, ils n'ont donné que leur propre force de travail ; comment peuvent-ils donc échanger ces produits qui sont les leurs avec ceux d'autres producteurs autrement que dans le rapport du travail dépensé ? Le temps de travail dépensé dans ces produits n'était pas seulement la seule mesure propre à la détermination quantitative des grandeurs à échanger; il n'y en avait absolument pas d'autre qui fût possible.
Ou bieu pense-t-on que le paysan et l'artisan aient été assez stupides pour échanger le produit d'un temps de travail égal à dix heures contre celui d'une seule heure de travail de l'autre?
Pour toute la période primitive de l'économie naturelle paysanne, il n'y a pas d'autre échange possible que celui où les quantités de marchandises échangées ont la tendance à se mesurer de plus en plus d'après les masses de travail incorporées en elles. Du moment où l'argent s'introduit dans cette forme économique, la tendance à se conformer à la loi de la valeur (comme l'a formulée Marx, nota bene) devient, d'un côté, plus manifeste encore et si, d'un autre côté, elle est troublée par les interventions du capital usuraire et de la rapacité fiscale, les périodes nécessaires pour que les prix se rapprochent en moyenne des valeurs, à une grandeur négligeable près, sont déjà plus longues.
Il en est de même pour l'échange entre les produits des paysans et ceux des artisans des villes. Tout d'abord, il a lieu directement, sans l'intervention du marchand, les jours de marché, dans les villes où le, paysan vend et fait ses achats. Là, non seulement les
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conditions de travail de l'artisan sont connues du paysan, mais celles du paysan le sont aussi d el’artisan. Car celui-ci est encore une manière de paysan, ayant non seulement verger et potager, mais très souvent encore un petit bout de champ, une ou deux vaches, des cochons, de la volaille,etc. Les gens du moyen âge étaient donc capables de calculer, le suns et les autres avec assez d’exactitude, les coûts de production pour le smayières premières, le smatières secondaires, le temps de travail, au moins pour les articles d’un usage journalier et général.
Mais dans cet échange réglé par la mesure du quantum de travail, comment calculer ce dernier, même d’une façon indirecte, relative, pour des produits qui exige un travail long, interompu par des intervales irréguliers, d’un rapport peu sûr, par exemple le blé, le bétail ? Et bien mieux chez des gens qui ne savent pas calculer ? Evidemment, par un long procès d’approximation en zigzag, de nombreux tâtonnements dans l’obscurité, où, comme ailleurs, on n’apprenait qu’à ses dépents.
Mais la nécessité, pour chacun de rentrer, en somme, dans ses débours, remit toujours les choses dans le bon chemin et le petit nombre d'espèces d'objets mis en circulation, aussi bien que la stabilité souvent séculaire de leur production, permît d'atteindre le but. Et ce qui montre bien que l'on ne mit pas trop de temps pour fixer assez approximativement la grandeur relative de la valeur de ces produits, c'est que la marchandise où elle apparaît le plus difficilement à cause du long temps de production de chaque pièce particulière, le bétail, fut la première marchandise-argent assez généralement reconnue. Pour que cela pût avoir lieu, il fallait, que la valeur. du bétail, son rapport d'échange avec toute une série d'autres marchandises ait atteint une fixité relativement privilégiée et reconnue, sans contestation, sur le domaine de nombreuses tribus. Les gens d'alors étaient certainement assez intelligents - ceux qui élevaient le bétail aussi bien que leurs pratiques - pour ne pas donner, sans recevoir équivalent en échange, le temps de travail dépensé par eux. Au contraire: plus les gens sont rapprochés de l'état primitif de la production marchande - comme les Russes et les Orientaux, par exemple - plus ils perdent de temps, maintenant encore, à vouloir obtenir, par des manoeuvres longues, opiniâtres, le dédommagement complet du temps de travail dépensé pour un produit.
A la suite de cette détermination de la valeur par le temps de travail, s'est donc développée la production marchande tout entière et avec elle elle les différentes relations ou les diverses faces de la loi de la valeur s’affirment, comme cela est exposé dans la première section du premier tome du Capital, c'est-à-dire les conditions où seul le travail est producteur de valeur. A vrai dire, ce sont des conditions qui se réalisent, sans arriver à la conscience de ceux qui y participent et qui ne peuvent être abstraites de la pratique journalière que par une recherche théorique difficile; qui agissent, par conséquent, à la manière de lois naturelles, ce que Marx a démontré être, nécessaire de par la nature de la production marchande. Le progrès le, plus importait et le plus marquant fût le passage à l’argent-métal, qui eut aussi pour conséquence que désormais la détermination de la valeur par le Temps de travail n'apparut plus visiblement à la surface de l’échange des marchandises. L'argent devint pratiquement la mesure décisive de la valeur, et cela d'autant plus que les marchandises mises dans le commerce furent plus nombreuses, qu'elles vinrent de pays plus éloignés, que moins, par conséquent, il devenait facile de contrôler le temps de travail nécessaire à leur fabrication. L'argent lui-même vint, au début, en grande partie de l'étranger; et même quand il fut acquis comme métal précieux dans le pays, d'une part le paysan et l'artisan ne pouvaient estimer qu'approximativement le travail qu'il représentait, d'autre part la conscience de la propriété du travail comme mesure de la valeur était déjà assez obscurcie pour eux par l'habitude de calculer avec de l'argent; l'argent commença à représenter, dans la conception populaire, la valeur absolue.
Bref : la loi de la valeur de Marx est générale autant, toutefois, que le sont des lois économiques, pour toute la période de la production marchande simple, c'est-à-dire jusqu'au moment où celle-ci subit une modification par l'apparition de la forme de production capitaliste. Jusqu'alors, les prix, gravitent autour des valeurs déterminées par la loi de Marx, et oscillent autour de ces valeurs, si bien que plus la production marchande simple se développe, plus les prix moyens de longues périodes non interrompues par des bouleversements extérieurs coïncident avec les valeurs dans des limites négligeables.


La loi de la valeur de Marx est donc économiquement valable pour un espace de temps qui s'étend du commencement de l'échange transformant les produits en marchandises au XVe siècle de notre ère. Mais l'échange des marchandises date d'une époque qui remonte, en Égypte, au moins à 3.500 peut.être 5.000, à Babylone à 4.000, peut-être 6.000 ans avant notre ère: La loi de la valeur a donc régné pendant une période de 5 à 7 milliers d'années. Et l'on admire alors la profondeur de M. Loria, qui appelle la valeur s'affirmant directement et universellement pendant cette période une valeur à laquelle les marchandises ne sont jamais vendues ou ne peuvent l'être, et dont un économiste, qui possède encore une étincelle de bon sens, ne peut s'occuper !
Nous n'avons pas encore parlé du marchand. Nous pouvions reculer l'étude de son intervention jusqu'à maintenant, où nous passons de la production marchande simple à la production capitaliste. Le marchand était donc l'élément révolutionnaire de cette société où tout alors était stable, stable pour ainsi dire par hérédité; où le paysan n'acquérait pas seulement son champ par héritage, et d'une façon presque inaliénable, mais encore sa situation de propriétaire libre, de fermier libre ou dépendant, ou de serf l'artisan de la ville, son métier et ses privilèges corporatifs ; tous les deux leur clientèle, leur marché, leur habileté formée dès la jeunesse en vue de la profession dont ils devaient hériter.
Dans ce monde parut le commerçant, qui devait être la cause de la révolution, non comme révolutionnaire conscient, au contraire. comme chair de leur chair, sang de leur sang. Le marchand du moyen âge n'était pas du tout individualiste, c'était un partisan de l'association, comme tous ses contemporains. Dans la campagne régnait l'association communale (Markgenossenschaft), née du communisme primitif. Chaque paysan avait, à l'origine, une terre égale, avec des pièces de terre égales, de différentes qualités, et une part proportionnellement égale de droits dans la terre communale. Quand la communauté de la Mark devint fermée, aucune nouvelle terre ne fut plus répartie; il se produisit, grâce aux héritages, etc., une subdivision des terres et des subdivisions correspondantes du droit communal. Mais, l'arpent entier resta l'unité, si bien qu'il y eut des moitiés, quarts et huitièmes. d'arpent avec moitié, quart, huitième de droits dans la terre commune. Sur le modèle de l'association communale se guidèrent toutes les associations d'intérêt postérieures, et surtout, les corporations dans les villes dont l'organisation n'est que l'application de la constitution communale rurale à un privilège de metier au lieu d'une terre limitée. Le centre de toute organisation était la participation égale de chaque associé à l'ensemble des privilèges et avantages assurés à l'ensemble de l'association, ce qui s'exprime encore d'une manière frappante dans le privilège de la Garnnahrung, de 1527, à Elberfeld et à Barmen. (Tnum : Industrie am Niederrhein, 11, 165 et suivantes.) De même, dans les exploitations minières, où chaque portion de mine était égale et pouvait être partagée comme la parcelle de terre avec ses charges et ses obligations. De même encore, et tout autant, dans les associations de marchands, qui donnèrent naissance au trafic maritime. Les Vénitiens et les Génois, dans les ports d'Alexandrie ou de Constantinople, chaque « nation » dans son propre fondaco (maison d'habitation, hôtellerie, entrepôt, endroit où l'on étalait et vendait les marchandises, bureau central) formaient des associations commerciales, complètes, qui étaient fermées aux concurrents et aux clients; ils vendaient à des prix convenus entre eux, leurs marchandises avaient une qualité déterminée garantie, par un contrôle public et souvent par une marque; ils couvenaient ensemble des prix à payer aux indigènes pour leurs pro-duits,etc... Les Hanséates ne se comportaient pas autrement au Pont-Allemand (Tydske Bryggen) à Bergen, en Norvège, et leurs concurrents anglais et hollandais les imitaient. Malheur à celui qui avait vendu au-dessous du prix ou acheté au-dessus. Le boycottage qui l'atteignait, le conduisait à une ruine absolue, sans compter les punitions directes que l'association infligeait au coupable. Des associations plus étroites furent encore fondées dans des buts déterminés, par exemple la Maona de Gênes, maîtresse, pendant de longues années, des mines d'alun de Phocée, en Asie mineure, et de l'île de Chio pendant les XIX et XVe siècles; La grande association commerciale de Ravensberg, qui, depuis la fin du XIXe siècle, fit du négoce avec l'Italie et l'Espagne et y fonda des comptoirs; la société allemande d'Augsbourg, avec les Fugger, Welser, Vcehlin, Hoeschstetter, etc., les Hirschvogel, etc., de Nuremberg, qui, avec un capital de 66.000 ducats et trois vaisseaux, prirent part à l'expédition portugaise dans les Indes de 1505-1506, et réalisèrent un bénéfice net de 150; suivant d'autres de 175 pour cent. (HEYD : Levantehandel, 11 524) ; et toute une série d'associations, les Monopolia, qui excitèrent tant la colère de Luther.
Nous rencontrons ici, pour la- première fois, un profit et un taux de profit. Les efforts des marchands s'emploient consciemment et intentionnellement à rendre égale taux de profit pour tous les participants. Les Vénitiens au Levant, les Hanséates dans le Nord, payaient chacun les mêmes prix pour leurs marchaisdises que leurs voisins; elles leur coûtaient les mêmes frais de transport; ils en obtenaient les mêmes prix et achetaient le char-gement qu'ils prenaient, au retour, aux mêmes prix que n'importe quels marchands de leur « nation ». Le taux de profit était donc égal pour tous. Dans ces grandes sociétés commerciale, la répartition des bénéfices se fait au prorata des parts de capital engagé , comme la répartition des droits communaux aux prorata des parcelles de terre, ou au bénéfices de la mine au prorata des portions de mine. L’égalité du taux de profit qui, dans son complet développement, est une des conséquences finales de la production capitaliste, se montre ici dans sa forme la plus simple, comme un point d’où le capital est sorti historiquement, comme un descendant direct de L'association communale, qui, elle-même, descend directement du communisme primitif.
Le taux de profit primitif, était naturellement très élevé, le négoce était plein de risques, non seulement à cause de la piraterie qui sévissait alors très fortement, mais encore parce que les nations concurrentes se permettaient souvent toute sorte de violations dès que l'occasion s'en offrait; enfin, la vente et les conditions de vente reposaient sur des privilèges accordés par des princes étrangers qui, souvent, rompaient ou rapportaient les concessions. Le bénéfice devait donc comprendre une forte prime d'assurance.
Le négoce était lent, la conclusion des affaires demandait beaucoup de temps, et, aux meilleures époques, qui n'étaient jamais de longue durée, le commerce était un monopole et donnait des profits de monopole. Ce qui montre que le taux de profit en moyenne était très élevé, c'est l'élévation des taux d'intérêt qui, en somme, devaient toujours être inférieurs au taux des bénéfices commerciaux ordinaires.
Ce taux de profit, égal pour tous, et que la corporation rendait élevé, n'avait qu'une valeur locale à l'intérieur de l'association, ici de la «nation». Vénitiens, Génois, Hanséates, Hollandais avaient une nation qui leur appartenait en propre et, plus ou moins aussi, dans le début, un taux de profit spécial pour chaque, débouché particulier. Le nivellement de ces différents taux de profit des associations s'opéra par la concurrence. D'abord, cela se fit pour les taux de profit des différents marchés pour une seule et même nation. Si les marchandises vénitiennes produisaient plus de bénéfices à Alexandrie qu'à Chypre, Constantinople ou Trébizonde, les Vénitiens employaient un capital plus grand pour Alexandrie et le retiraient du commerce avec les autres marchés.
Puis, dut se produire le nivellement successif des taux de profit pour les différentes nations apportant sur les mêmes marchés les mêmes marchandises ou des marchandises semblables, et, fort souvent, quelques-unes de ces nations furent écrasées et disparurent de la scène. Ce procès fut continuellement interrompu par des événements politiques jusqu’à ce que tout le commerce du Levant fut ruiné à la suite des invasions mongoles et turques; les grandes découvertes géographiques et commerciales ne firent qu’actuiver cette ruine après 1492, et la rendirent enfin définitive.
L’ agrandissement consécutif du domaine commercial et la révolution connexe dans les routes commerciales n'apportérent d'abord, aucune modification essentielle dans la façon dont se faisait le commerce. Dans les Indes; en Amérique ce furent encore des associations, qui prirent la partie la plus importante du commerce. Mais d'abord, les nations qui étaient derrière ces aasociations étaient plus grandes. A la place du Catalan négociant au Levant, ce furent tous les pays qu'unissait l'Espagne qui firent le négoce avec l'Amérique; à côté d'elle, deux grands pays, l'Angleterre et la France ; et même les plus petits, la Hollande, le Portugal étaient au moins aussi forts que Venise, la plus-grande et la plus forte des nations commerçantes de la période précédente. Cela donna au marchand voyageur, au marchant adventurer des XVIe et XVIIe siècles, un appui qui rendit l'association, protégeant ses membres par les armes, de plus en plus inutile, et les frais qu'elle occasionnait de plus en plus pesants. La richesse se développa alors isolément avec une rapidité remarquable, si bien que des marchands isolés pouvaient consacrer maintenant, à une entreprise, des fonds en aussi grande quantité qu'autrefois toute une association. Les compagnies commerciales, là où elles existaient encore, se transformèrent, pour la plupart, en corporations armées, qui, avec la protection et la suzeraineté de la métropole, se mirent à conquérir des pays entiers nouvellement découverts et à les exploiter sous forme de monopole. Mais plus les colonies établies par les Etats se multiplièrent dans ces nouvelles régions, plus, l'association commerciale dut regresser devant le marchand isolé et le nivellement des taux, de profit devint de plus en plus l'affaire de la concurrence.
Jusqu'à présent, nous n'avons appris à connaître un taux de profit que pour le capital commercial, car, à ce moment, celui-ci seul et le capital usuraire le donnaient. Mais voilà que va se développer le capital industriel. La production, était encore, pour la plus grande partie, entre les mains d’ouvriers qui étaent encore en possession de leurs propres moyens production, dont le travail, par conséquent, n'ajoutait pas de plus-value à un capital; s'ils devaient donner une part du produit sans compensation à un tiers, c'était sous forme de tribut aux seigneurs féodaux. Le capital du marchand ne pouvait donc tirer son profit, au moins au début, que des étrangers acheteurs des produits de son pays, ou de ses compatriotes acheteurs de produits étrangers; ce ne fut qu'à la fin de cette période, en Italie, au moment de la ruine du commerce avec le Levant que la concurrence étrangère et le placement rendu plus difficile purent forcer l'artisan producteur de marchandises d'exportation à céder les marchandises au-dessous de leur valeur à l'exportateur. Nous voyons ici que dans le commerce de détail intérieur des producteurs particuliers entre eux, les marchandises étaient vendues en moyenne à leur valeur tandis que, dans le commerce international, pour les raisons que nous avons données, elles ne l'étaient pas. C'est tout le contraire du monde actuel où prévalent les prix de production dans le commerce de gros et dans le commerce international, tandis que, dans le petit commerce des villes, la constitution des prix est réglée par des taux de profit tout différents. Si bien que, maintenant, par exemple, la viande d'un boeuf subit une augmentation de prix plus grande pour aller d'un marchand en gros de Londres aux consommateurs de Londres, que du marchand en gros de Chicago au marchand en gros de Londres, transports compris.
L'instrument qui produisit peu à peu cette révolution dans la constitution des prix fut le capital industriel. Les rudiments s'en étaient déjà formés au moyen âge et dans trois domaines : navigation, mines, industrie textile. La navigation exploitée comme elle l'était par les Républiques maritimes de l'Italie et de la Hanse était impossible sans matelots, c'est-à-dire sans salariés (dont les conditions de salaires pouvaient être cachées sous forme d'associations à participations aux bénéfices), et sur les galères de l'époque, sans rameurs, salariés ou esclaves. Les mines, à l'origine entre les mains d'associations ouvrières, s'étaient transformées, presque dans tous les cas, en sociétés par actions pour l'exploitation de ces industries au moyen de salariés. Et, dans l'industrie textile, le marchand avait commencé par prendre directement à son service les petits tisserands, en leur fournissant le fil, en leur donnant un salaire fixe pour les payer du tissage fait pour son compte, en devenant de simple acheteur, une espèce de Verleger (éditeur, entrepreneur).
Nous avons maintenant sous les yeux les premiers débuts de la formation de la plus-value capitaliste. Nous pouvons laisser de côté les exploitations minières qui sont des corporations-monopoles fermées. Pour les armateurs, leurs profits doivent être au moins égaux aux bénéfices ordinaires plus une augmentation extraordinaire pour assurance, détérioration des bâtiments, etc. Mais qu'en était-il des entrepreneurs de l'industrie textile qui commencèrent à mettre directement en concurrence, sur le marché, des marchandises fabriquées au compte du capitaliste, avec les marchandises de la même espèce fabriquées au compte de l'artisan?
Le taux du profit du capital commercial, existait déjà, au moins pour une localité déterminée. Il correspondait à peu près à un taux de profit moyen. Qu'est-ce qui pouvait pousser le marchand à se charger du travail supplémentaire de l'entrepreneur (Verleger)? Uniquement l'espoir d'obtenir un profit plus grand avec un prix de vente égal à celui des autres. Et il avait l'espoir d'y arriver. Prendre le petit tisserand à son service

c'était briser les barrières imposées à la production où le producteur vendait son produit terminé et rien d'autre. Le marchand capitaliste achetait la main-d'oeuvre qui possédait peut-être encore son instrument de production, mais n'avait déjà plus la matière première. En assurant ainsi au tisserand une occupation régulière, il en profitait pour réduire son salaire, de façon à ce qu'une partie du temps de travail fourni demeurât impayée. L'entrepreneur s'appropria ainsi une plus-value qui vint s'ajouter à son ancien bénéfice commercial. Pourtant, il lui fallait employer un, capital supplémentaire pour acheter le fil et le laisser aux mains du tisserand jusqu'à ce que la pièce fût finie, alors qu'autrefois il n'avais qu'à payer le prix entier au moment de l'achat. Mais d'abord, dans la plupart des cas, il avait déjà employé du capital extra en avances au tisserand, et la servitude de sa dette fut telle que ce dernier fut contraint de se soumettre aux nouvelles conditions de production. De toute manière, le compte peut s'établir d'après le schéma suivant :
Supposons que notre marchand exploite son commerce d'exportation avec un capital de 30.000 ducats, sequins, livres sterling, etc. Il emploie, disons, 10.000 à l'achat de marchandises du pays pendant que 20.000 sont destinés aux marchés d'outre-mer. Son capital se reproduit en deux ans, ce qui fait, pour une année, 15.000. Notre marchand veut alors faire tisser pour son propre compte, devenir entrepreneur. Combien de capital doit-il consacrer â cette opération ? Supposons que le temps de production d’une pièce correspondant à celles qu’il vend, soit, en moyenne deux mois, ce qui est certainement beaucoup. Supposons encore qu’il doive tout payer comptant. Il doit donc avancer suffisamment d’argent pour livrer deux mois de fil à son tisserand. Comme il recouvre 15.000 par an, il achète, ens deux mois, pour 2.500 de pièces de tissus. Mettons que, de ceux-ci, 2.000 représentent la valeur du fil et 500 le salaire du tissage, notre marchand a donc besoin d’un capital supplémentaire de 2.000. Nous supposons que la plus-value qu’il s’approrie du tisserand, grâce à sa nouvelle méthode, ne représente que 5 pour cent de la valeur d el’objet ; ce qui fait un très modeste taux de plus-value égal à 25 pour cent.
(2.000 c + 500 v + 125 pl ; pl’ = 125/500 = 25% ;
pr’=125/2500 = 5%).
Notre homme, avec son renouvellement annuel de 15.0000, fait un surprofit de 750 et a, par conséquent, récupéré son capital additionnel en 2 ans 2/3.
Mais, pour augmenter sa vente et, par là-même, son roulement, pour faire, avec le même capital, en moins de temps, le même profit ou, dans le même temps qu'autrefois, des profts plus grands, il donne une petite partie de sa plus-value à l'acheteur, vend moins cher que ses concurrents. Mais, ceux-ci se transformeront également peu à peu en entrepreneurs, et, ainsi, le surprofit se réduira pour tous au profit ordinaire, ou à un profit plus petit pour le capital qui s'est augmenté chez tous. L'égalité du taux de profit est rétablie de nouveau, peut-être à un niveau différent parce qu'une partie de la plus-value produite à l'intérieur pays a été cédée aux acheteurs étrangers.
L'établissement de la manufacture, fit faire le pas suivant à l'industrie dans la voie de sa soumission au capital. Celle-ci aussi permet au manufacturier, qui est, généralement encore, sort propre exportateur, an XVIIe et au XVIIIe siècles, jusqu'en 1850 presque par toute l’Allemagne, et en quelques endroits encore de nos jours, d eproduire à meilleur compte que son vieux concurrent l’artisan. Le même procès se reproduit : la plus-value acquise par le manufacturier capitaliste lui permet, ainsi qu’à l’exportateur qui partage avec lui, de vendre à meilleur marché que ses concurrents jusqu’à ce que se soit généralisé le nouveau mode de production : alors le nivellement s’opère. L’ancien taux de profit commercial même quant son nivellement n’est que local, reste le lit de Procuste, d’où l’on retranche sans pitié l’exédent de la plus-value industrielle.
Si c’est par le bon marché des produits que s’est développée la manufacture, la grande industrie l’a beaucoup dépassée, qui, avec ses incessantes révolutions de la production, abaisse de plus en plus les coûts de fabrication des marchandises et supprime impitoyablement tous les modes de production antérieurs. C’est elle, enfin, qui livre définitivement le marché intérieur au capital, met fin à la petite production, à l’économie naturelle où la famille paysanne se suffisait à elle-même, supprime l’échange direct entre les petits producteurs et met toute la nation au service du capital. Elle égalise de même les taux de profit des différentes branches du commerce et de l’industrie à un taux de profit général et assure enfin à l’industrie, par ce nivellement, le rang dû à sa puissance, tandis qu’elle supprime la plus grande partie des difficultés qui empêchaient jusqu’alors le capital de se transporter d’une branche dans une autre. C’est ainsi que se complète, dans l’échange général, la transformation des valeurs en prix de production. Cette transformation se poursuit donc d’après ces lois objectives sans ceux qui y prennent part en aient conscience ou qu’ils le veuillent. Le fait que la concurrence réduit les profits qui dépassent le taux général au niveau général et retire, ainsi la plus-value qui dépasse la moyenne au premier industriel qui l’a possédée, n’offre pas de difficulté théorique. Il n'est que plus considérable dans la pratique, car les sphères de production qui produisient une plus-value excédentaire, par conséquent possèdent un capital variable élevé et un faible capital constant, c'est-à-dire un capital d’une composition organique intérieure, sont précisé ment celles qui, par leur nature, sont soumises le plus tard et le plus incomplètement à l'exploitation capitaliste : en premier lieu l’agriculture.
Pour ce qui concerne l’élévation des prix de production au-dessus de la valeur des marchandises qui est nécessaire pour élever au niveau du taux moyen de profit la plus-value déficitaire contenue dans les produits des sphères à composition organique élevée, cela parait, au premier abord, théoriquement très difficile, mais, comme nous l'avons vu, dans la pratique, se passe le plus facilement et le plus rapidement.
Car, quand les marchandise de cette classe commencent à être produites suivant le mode capitaliste et apparaissent dans le commerce capitaliste, elles entrent en concurrence avec des marchandises de même espèce, qui, fabriquées, d'après des méthodes précapitalistes, sont, par conséquent, plus chères. Ainsi, le producteur capitaliste, même en renonçant à une partie de la plus-value arrive, néanmoins, à s'assurer les taux de profit en cours dans sa localité qui, à l'origine, n'était pas en rapport direct avec la plus-value parce qu'il est né du capital commercial bien avant que soit institué le mode de production capitaliste et qu'un taux de profit industriel ait donc été possible.


                                                                            2. La Bourse 106
1. Le rôle détenu par la Bourse dans la production capitaliste en général ressort du livre III, cinquième section, notamment chapitre XXVII. Mais, depuis 1865, date à laquelle le livré fut rédigé, des modifications sont survenues qui assignent aujourd'hui à la Bourse une importance accrue et toujours croissante, et qui marquent la tendance pour le développement ultérieur à concentrer dans les mains des boursiers la totalité de la production industrielle comme agricole, l'ensemble des moyens de circulation, de communication comme toutes les fonctions de l'échange. Ainsi, la Bourse devient lè représentant le plus éminent de la production capitaliste elle-même.
2. En 1865, la Bourse n'était encore qu'un élément secondaire dans le système capitaliste. Les papiers d'Etat représentaient la grande masse des valeurs boursières et, encore, leur masse était-elle relativement petite. A côté de cela, il y avait les banques par actions, qui dominaient sur le continent et en Amérique; en Angleterre elles s'apprêtaient seulement à engloutir les banques privées des aristocrates. Mais dans une mesure encore relativement insignifiante.
Les actions des compagnies de chemin de fer, de même, n'existaient encore qu'en faible quantité par rapport à maintenant. Des établissements directement productifs, mais seulement peu sous forme de sociétés par actions. A cette époque, l' «oeil du ministre»
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106 FREDERICH ENGELS :. Pemarques complémentaires sur le troisième livre du Capital (1895). D'après la copie photographique de I lnstitat lllarx-Engels-Lenine. (N. R.)
était encore une superstition insurmontée et, comme les banques, surtout dans les pays les plus pauvres, en Allemagne, en Autriche, en Amérique, etc.


Là Bourse était donc encore, en ce temps, un lieu où lés capitalistes se soutiraient l'un à l'autre leurs capitaux accumulés, et qui n'intéressait directement les ouvriers que comme nouvelle pièce à conviction de l'action générale démoralisante de l'économie capitaliste et comme confirmation des paroles de Calvi disant que la prédestination, alias le hasard, décide déjà dans cette vie du salut et de la damnation, de la richesse, c'est-à-dire la jouissance et la puissance, et de la pauvreté, c'est-à-dire la privation et la servitude.
3. Il en est maintenant autrement. Depuis la crise de 1866, l'accumulation s'est faite à un rythme toujours accéléré voire de telle manière qu'en aucun pays industriel, et en Angleterre moins qu'ailleurs, l'extension de la production n'a pusuivre l'accumulation et que l'accumulation de chaque capitaliste particulier ne pouvait être totalement employée dans l'agrandissement de sa propre affaire; l'industrie cotonnière déjà en 1845, escroquerie des chemins de fer. Avec cette accumulation, s'est également accru le nombre des rentiers, des gens rassasiés par la montée régulière des affaires, qui ne désiraient donc que s'amuser ou bien n'occuper que des postes de tout repos de directeur ou d'administrateur de compagnies. Et tertio, afin de faciliter l'investissement des capitaux liquides flottants, furent créés, partout où cela n'avait pas encore été fait, de nouvelles formes légales desociétés à responsabilité limitée, et les obligations des actionnaires, dont la responsabilité était jusque-là illimitée, furent également plus ou moins réduites (sociétés par actions en Allemagne, en 1890, 40 % de la souscription 4!).
4. Après cela, transformation progressive de l'industrie en entreprises par actions. Toutes les branches, l'une après l'autre, ont le même sort. En premier lieu, le fer, qui exige maintenant des fonds considérables (auparavant les mines, là où elles n'étaient pas encore partagées). Puis, l'industrie chimique dito. Constructions de machines. Sur le continent, l'industrie textile; en Angleterre, seulement encore dans quelques régions du Lancashire (filature Oldham, tissage Burnley, etc... Coopérative de tailleurs, celle-ci seulement comme première étape pour retomber dans les mains des patrons à la première crise) ; brasseries (il y a quelques années les brasseries américaines furent bazardées au capital anglais, puis les Guinness, Bass, Allsopp). Ensuite, les trusts, les entreprises énormes à direction commun (comme l'United Alcali). La firme particulière habituelle n'est de plus en plus qu'une première étape pour amener l'affaire à un niveau suffisamment élevé pour qu'on puisse la «fonder ».
De même pour le commerce, Leafs, Parsons, Morleys, M. Dillon, toutes sont fondées. Il en va déjà pareillement des maisons de détail, et pas seulement sous l'apparence de la coopération comme chez les grands magasins (à la « Stores »).
De même pour les banques et autres instituts de crédit également en Angleterre. - Une quantité infinie de nouvelles sociétés toutes à responsabilité limitée. Jusqu'aux vieilles banques comme Gilyns, etc., qui se transforment avec sept actionnaires privés en sociétés à responsabilité limitée.
5. De même dans le domaine de l'agriculture. Les banques énormément grossies, surtout en Allemagne, avec toutes sortes de noms bureaucratiques qui, de plus en plus, deviennent les créanciers hypothécaires; grâce à leurs actions, la propriété véritable des terres est transférée à la Bourse, et cela encore davantage lorsque les biens tombent aux mains des créanciers. Ici, la révolution agricole, de la culture à grande échelle agit puissamment; si cela continue, on peut prévoir que le territoire de l'Angleterre et de la France passera en Bourse.
6. Enfin, tous les investissements à l'étranger se font sous forme d'actions. Pour ne parler que de l'Angleterre: les chemins de fer américains, du Nord et du Sud (consulter la liste des valeurs) Goldberger, etc.

7. Ensuite, la colonisation. Celle-ci est aujourd'hui une véritable succursale de la
Bourse, dans l'intérêt de laquelle les puissances européennes ont, il y a quelques années, partagé l'Afrique, et les Français, conquis Tunis et le Tonkin. L'Afrique est directement affermée (Niger, Afrique du Sud, Sud-Ouest africain allemand et Afrique orientale allemande) et le Mozambique et le Natal accaparés pour la Bourse du Rhodésia.


ANNEXES
Franz Mehring : « LE CAPITAL 107 »

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I. Les douleurs de l’enfantement.
Quand Marx déclina l'invitation d'assister au congrès de Genève parce qu'il jugeait plus important pour les travailleurs d'achever son oeuvre principale -il pensait n'avoir écrit jusque-là que des vétilles- que de participer à un congrès quelconque, il avait en vue la besogne entreprise depuis le 1er janvier 1866: mettre au net et rédiger le premier livre. Et, au début, l'affaire allait bon train, car «il avait naturellement plaisir à lécher l'enfant après tant de douleurs d'enfantement ».
Ces douleurs d'enfantementt avaient duré à peu près deux fois autant d'années que la physiologie demande de mois pour la fabrication d'un enfant normal. Marx pouvait dire avec raison que jamais peut-être une oeuvre de cette nature n'avait été écrite dans des conditions plus difficites. 1l n'avait cessé de s'assigner des délais pour en finir, « en cinq semaines » comme en 1851, ou «en six semaines» commeen 1858, mais ces projets se heurtaient à sa propre critique impitoyable et à son incomparable scrupulosité, qui l'incitaient toujours à de nouvelles recherches et que ne pouvaient ébranler même les exhortations impatientes de son plus fidèle ami.
Fin 1865, son travail était achevé, mais ce n'était encore qu'un manuscrit géant qui, sous cette forme, ne pouvait être édité par personne que par lui, pas même par Engels. De janvier 1866 à mars 1867, Marx tira de cette masse énorme le premier livre du Capital dans son texte classique, comme un «tout artistique », ce qui constitue bien l'illustration la plus brillante de sa fabuleuse puissance de travail. Ces cinq trimestres furent, en effet, remplis par d'incessantes maladies qui mirent même ses jours en danger en février 1866, par une accumulation de dettes qui «lui cassaient la tète», enfin, et surtout, par les absorbants travaux préparatoires au congrès de Genève de l'Internationale.
En novembre 1866, le premier paquet du manuscrit parvenait à Otto Meissner, à Hambourg, éditeur démocratique, chez qui Engels avait déjà fait paraître son petit ouvrage sur la question militaire prussienne. A la mi-avril 1867, Marx apporta lui-même le reste du manuscrit à Hambourg et trouva en Meissner un «gentil garçon» avec qui tout s'arrangea après de courtes négociations. En attendant les premières épreuves de l'impression qui s'effectuait à Leipzig, Marx rendit visite à son ami Kugelmann, à Hanovre, dont l'agréable famille, lui réserva l'accueil le plus hospitalier. Il passa là des semaines heureuses qu'il compta lui-même parmi «les plus belles et les plus riantes oasis dans le désert de l'existence». Une circonstance contribua aussi quelque peu à son humeur joyeuse, et une circonstance à laquelle il n'était nullement habitué: les milieux cultivés de Hanovre le reçurent avec considération et sympathie; et, le 24 avril, il écrivait à Engels:
C'est que nous avons tous deux auprès de la bourgeoisie « cultivée » une position toute différente de ce que nous savons.
Et Engels répondait le 27 avril:
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107 Extrait de FRANZ MsnaiNe, Kart Marx. Histoire de sa vie, Leipzig 1920 (3e édition).


Je me suis toujours imaginé que ce satané livre, que tu as couvé si longtemps, était la cause première de ta poisse et que tu ne sortirais de cette poisse que le jour où tu en serais délivré. Ce travail éternellement inachevé t'écrasait physiquement, intellectuellement et financièrement et je comprends fort bien qu'une fois débarrassé de ce cauchemar, tu te croies maintenant devenu un autre homme, d'autant plus que le monde, dès que tu vas y entrer, ne te paraîtra pas si morose que par le passé108.
Engels y attachait l'espoir d'être bientôt débarrassé de ce «commerce de chien». Tant qu'il y était plongé il n'était bon à rien; la chose avait surtout empiré depuis qu'il était principal, à cause des responsabilités accrues.
Marx lui répondit à ce sujet le 7 mai:
J'espère, et j'ai la ferme conviction, que dans une année je serai suffisamment riche pour pouvoir réformer de fond en comble ma situation économique et voler de nouveau de mes propres ailes. Sans toi, je n'aurais jamais pu mener mon oeuvre à bonne fin et, je te l'assure, j'ai toujours eu comme un poids sur la conscience à constater que c'était principalement à cause de moi que tu laissais gaspiller dans le commerce et rouiller ta force merveilleuse et que, par-dessus le marché, il te fallait encore prendre ta part de mes petites misères109.
En vérité, ni dans les années qui suivirent ni même d'une façon générale Marx n'est devenu «riche» et Engels dut rester encore quelques années dans le «commerce de chien»; néanmoins, l'horizon commençait à s'éclaircir.
Marx devait depuis longtemps une lettre à un adepte, l'ingénieur des mines Siegfried Meyer, qui avait vécu jusque-là à Berlin et qui, vers cette époque, émigra aux Etats-Unis; durant ces journées de Hanovre; Marx paya sa dette avec des paroles qui mettent une fois de plus en lumière son «insensibilité». Il écrivait :
Vous devez avoir très mauvaise opinion de moi, d'autant plus mauvaise si je vous dis que vos lettres ne m'ont pas seulement procuré une grande joie, mais m'ont été une véritable consolation durant la douloureuse période où je les reçus. Savoir assurer à notre parti un homme de valeur, à la hauteur des principes, me dédommage du pire. En outre, vos lettres étaient remplies de la plus agréable amitié pour moi personnellement et vous concevez que, en lutte acharnée avec le monde (officiel), je puis sous-estimer cela moins que tout. Pourquoi donc alors ne vous ai-je pas répondu ? Parce que je ne cessais de flotter au seuil de la tombe. Je devais, par conséquent, mettre à profit le moindre moment où j'étais capable de travailler pour achever mon oeuvre, à laquelle j'ai sacrifié la santé, le bonheur de vivre et la famille J'espère que cette explication se suffit. Je me ris des hommes dits pratiques et de leur sagesse. Si l'on voulait être un boeuf on pourrait, naturellement, tourner le dos aux douleurs de l'humanité et s'occuper de sa propre personne. Mais je me serais vraiment tenu pour impratique110 si j'étais mort sans avoir entièrement achevé mon oeuvre, au moins en manuscrit.
Dans l'humeur joyeuse de ces journées, Marx a également pris au sérieux un certain Warnebold, avocat absolument inconnu de lui, qui lui transmettait le prétendu désir de Bismarck : Celui de l'utiliser, lui et ses grands talents, dans l'intérêt du peuple allemand. Non pas que Marx eût été enchanté de cette tentative de l'appâter ; il se sera dit, en effet, comme Engels : « La façon de penser et l'horizon du bonhomme sont caractérisés par le fait qu'il juge tout le monde d'après lui-même» . Mais, revenu au terre à terre de tous les jours, Marx aura difficilement cru au message de Warnebold. Dans l'état encore inachevé de la Contédération de l'Alllemagne du Nord, quand le danger d'une guerre avec la France au sujet du commerce luxembourgeois venait à peine d'être conjuré, il était impossible que Bismarck songeât à heurter de front la bourgeoisie - elle venait tout juste d'entrer dans son camp et regardait déjà d'un fort mauvais oeil ses lieutenants Bucher et Wagener - en prenant à son service l'auteur du Manifeste communiste.
Ce n'est pas avec Bismarck, mais avec une de ses parentes qu'à son retour à Londres
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108 Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 153. (Edit. Costes.)
109 Idem p. 159
110 Dans le sens d'inutile. (N. T.)


Marx eut une petite aventure. Il la raconta, non sans une certaine gêne, à Kugelmann. Sur le paquebot, une jeune Allemande, qui l'avait déjà frappé par son maintien tout militaire, lui demanda des renseignements sur les gares londoniennes; d'où il résulta qu'elle devait attendre son train pendant quelques heures; ces quelques heures, Marx, en bon cavalier, l'aida à les passer en lui faisant faire une promenade à Hyde-Park.
C'est alors que j'appris qu'elle s'appelait Elisabeth de Puttkamer et qu'elle était la nièce de Bismarck, chez qui elle venait de passer quelques semaines à Berlin. Elle avait sur elle tout l'annuaire militaire, cette famille fournissant abondamment notre «vaillante armée» d'hommes d'honneur et de belle taille. C'était une jeune fille instruite et gaie, mais aristocrate et « noir-blanc » jusqu'au bout des ongles. Elle ne fut pas peu étonnée quand elle apprit qu'elle était tombée dans les mains d'un «rouge»111.
Mais la petite dame n'en perdit pas pour cela sa bonne humeur. Dans une lettre gentillette, elle exprimait à son cavalier avec un respect « enfantin » les «remerciements les plus cordiaux» pour la peine qu'il s'était donnée avec elle, «créature sans expérience»; ses parents faisaient également savoir leur plaisir d'apprendre qu'il y a encore des gens aimables en voyage.
A Londres, Marx termina la correction de son livre. Cette fois encore, il ne manqua pas de pester contre la lenteur de l'impression. Mais le 16 août 1867, à deux heures du matin, il pouvait tout de même annoncer à Engels qu'il venait d'achever la correction de la dernière feuille (la 49e).
Ce volume est donc fini. C'est à toi seulement. que je dois d'avoir pu le faire! Sans ton dévouement pour moi, il ne m'eût pas été possible de faire les travaux énormes nécessités par les trois volumes. Je t'embrasse le coeur rempli de gratitude... Salut mon cher, mon très cher ami112
II. le premier livre.
Dans le premier chapitre de son ouvrage, Marx résuma une fois de plus ce qu'il avait exposé dans son livre de 1859 sur la marchandise et l'argent. Il le fit non seulement par souci d'être complet, mais aussi parce que la chose n'avait pas été tout à fait bien comprise, même par des personne intelligentes, preuve que quelque chose devait clocher dans l'exposition, plus spécialement l'analyse de la marchandise.
Au nombre de ces personnes intelligentes ne comptaient certes pas les savants allemands qui avaient jeté l'anathème justement sur le premier chapitre du Capital, en raison de son « obscure mystique ».
Une marchandise parait au premier coup d'oeil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une chose très complexe, pleine de subtilités métaphysiques et d'arguties théologiques. En tant que valeur d'usage il n'y a en elle rien de mystérieux. La forme du bois, par exemple, est changée si l'on en fait une table. Néanmoins, la table reste bois, une chose ordinaire et qui tombe sous les sens. Mais dès qu'elle se présente comme marchandise, c'est une toute autre affaire. A la fois saisissable et insaisissable, il ne lui suffit pas de poser ses pieds sur le sol; elle se dresse pour ainsi dire sur sa tète de bois en face des autres marchandises et se livre à des caprices plus bizarres que si elle se mettait à danser113.
Cela, les têtes de bois le prirent mal, qui produisent en quantité industrielle subtilités métaphysiques et arguties théologiques, mais qui sont incapables de créer quoi que ce soit d'aussi concret qu'une ordinaire table de bois.
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111 Lettres â Kugelmann p. 66. Editions sociales internationales, Paris.
112 Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 189-190.
113 Capital, t. i, p. 83/84, E. S. 1948.


En fait, sous l'angle purement littéraire, le premier chapitre compte parmi ce que Marx a écrit de plus important. Il passa ensuite à l'analyse de la façon dont l'argent se transforme en capital. Si, dans la circulation des marchandises, des valeurs identiques s'échangent les unes contre les autres, comment le possesseur d'argent peut-il acheter des marchandises à leur valeur, les vendre à leur valeur et tirer néanmoins de la transac-tion plus de valeur qu'il n'y en a jeté? Il le peut uniquement parce que, dans les conditions sociales actuelles, il trouve sur le marché une marchandise d'une nature tellement singulière, dont la consommation est source de nouvelle valeur. Cette marchandise est la force de travail.
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Elle existe dans la personne de l'ouvrier vivant qui a besoin d'une somme déterminée de moyens de subsistance pour son propre entretien et celui de sa famille, laquelle assure la continuation de la main d'oeuvre même après sa mort. Le temps de travail nécessaire pour fournir ces moyens de subsistance représente la valeur de la force de travail. Mais cette valeur payée en salaire est inférieure à la valeur que l'acquéreur de la main-d'oeuvre parvient à tirer de cette dernière. Le travail accompli par l'ouvrier en sus du temps nécessaire pour le remplacement de son salaire constitue la source de la plus-value, de l'augmentation continue du capital. Le travail non payé de l'ouvrier entretient tous les membres non travailleurs de la société; c'est sur lui que repose tout l'édifice social où nous vivons.
Il est vrai que le travail non payé n'est pas en lui-même une particularité de la société bourgeoise moderne. Depuis qu'il existe des classes possédantes et non possédantes, la classe non possédante a toujours dû fournir du travail non payé. Tant qu'une partie de la société détient le monopole des moyens de production, l'ouvrier doit, de gré ou contre son gré, ajouter au temps de travail nécessaire pour son entretien un temps de travail en excédent, afin de produire les moyens de subsistance destinés aux détenteurs des moyens de production. Le travail salarié n'est qu'une forme historique particulière du système du travail non payé qui règne depuis la séparation des classes, une forme histo-rique particulière qui doit être étudiée comme telle pour être justement comprise.
Pour la transformation de l'argent en capital, le possesseur d'argent doit trouver sur le marché l'ouvrier libre, libre en ce double sens qui il dispose comme personne libre de sa force de travail en tant que marchandise lui appartenant, et qu'il n'a pas d'autre marchandise à vendre; donc qu'il est séparé de tous les objets nécessaires à la réalisation de sa force de travail. Ce n'est pas là un rapport historique naturel, car la nature ne produit pas d'un côté des possesseurs d'argent et de marchandiseset de l'autre des êtres possédant seulement leur force de travail. Mais ce n'est pas non plus un rapport social commun à toutes les périodes de l'histoire; c'est le résultat d'un long développement historique, le produit de nombreuses transformations économiques, de toute une série de vieilles formations disparues de la production sociale.
La production des marchandises est le point de départ du capital. La production des marchandises, la circulation des marchandises et leur circulation développée - le commerce forment les conditions historiques qui président à son apparition. De la création du commerce moderne et du marché mondial au XVIe siècle date l'histoire moderne du capital. L'illusion des économistes vulgaires voulant qu'il se soit trouvé à une certaine époque une élite travailleuse accumulant des richesses et une masse de gueux paresseux n'ayant rien eu à vendre au bout du compte que leur propre peau est une fade puérilité: une puérilité aussi fade que la pénombre dans laquelle les historiens bourgeois plongent la désagrégation du mode de production féodal, qu'ils présentent comme l'émancipation de l'ouvrier et non pas, du même coup, comme la transformation du mode de production féodal en mode de production capitaliste. En même temps que les ouvriers cessaient d'appartenir directement aux moyens de production, comme les esclaves et les serfs, les moyens de production cessaient de leur appartenir, comme chez le paysan et l'artisan travaillant à leur compte. Par une série de méthodes violentes et cruelles, que Marx décrit en détail dans son chapitre sur l'accumulation primitive, en se fondant sur l'histoire anglaise, la grande masse de la population fut dépouillée de la terre, des
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moyens de subsistance et des instruments de travail. Ainsi prirent naissance les ouvriers libres dont le mode de production capitaliste avait besoin; le capital est venu au monde dégouttant de sang et de boue par tous ses pores, de la tête aux pieds. A peine dressé sur ses propres jambes. non seulement il maintint, mais encore il reproduisit à une échelle sans cesse croissante la séparation entre le travailleur et la propriété des conditions qui permettent la réalisation du travail.
Le salariat se distingue des formes antérieures de travail non payé par le fait que le mouvement du capital est démesuré, que son appétit de surtravail est insatiable. Dans les formations sociales-économiques où la valeur d'usage prédomine dans le produit, et non sa valeur d'échange, le surtravail est limité par un cercle plus ou moins large de besoins, mais la nature de la production ne donne pas lieu à un besoin illimité de surtravail. Il en va autrement quand prédomine la valeur d'échange. Producteur du labeur d'autrui, soutireur de surtravail et exploiteur de la main-d'oeuvre, le capital surpasse de loin en énergie, en étendue et en efficacité tous les processus de production antérieurs, basés sur le travail forcé direct. Il ne s'agit pas pour lui du processus de travail, de la production de valeurs d'usage, mais du processus de mise en valeur, de la production de valeurs d'échange, dont il pourra tirer plus de valeur, qu'il n'y en a investi. L'appétit de plus-value ignore la satiété ; la production de valeurs d'échange ne connaît pas les limites que la satisfaction des besoins assigne à la production de valeurs d'usage.
De même que la marchandise est unité114 de valeur d'usage et de valeur d'échange, de même, le processus de production de la marchandise est unité de processus de travail et de processus générateur de valeur. Le processus générateur de valeur dure jusqu'au moment où la valeur de la main-d'oeuvre payée en salaire est remplacée par une valeur égale. A partir de ce point, il devient processus de production de plus-value, processus de mise en valeur. Unité de processus de travail et de processus de mise en valeur, il devient processus de production capitaliste, forme capitaliste de la production des marchandises. Dans le processus de travail, l'ouvrier et le moyen de production coo-pèrent ; dans le processus de mise en valeur, les mêmes parties constituantes du capital apparaissent comme capital constant et capital variable. Le capital constant se convertit en moyens de production matériel brut, produits accessoires, instruments de travail, et ne change pas de valeur dans le processus de production. Le capital variable se convertit en force de travail et change de valeur dans le processus de production : il reproduit sa propre valeur plus un excédent, la plusvalue, qui peut elle-même varier, être plus grande ou plus petite. De la sorte, Marx se trace une voie parfaitement claire pour l'étude de la plus-value dont il trouve deux formes, la plus-value absolue et la plus-value relative, qui ont joué des rôles différents, mais l'un et l'autre décisifs, dans l'histoire du mode de production capitaliste.
De la plus-value absolue est produite, quand le capitaliste prolonge le temps de travail au delà du temps nécessaire pour la reproduction de la force de travail. Si tout allait selon ses désirs, la journée de travail aurait vingt-quatre heures, car plus est longue la journée de travail et plus est grande la plus-value produite. Inversement, l'ouvrier a le juste sentiment que chaque heure de travail fournie en sus de l'équivalent du salaire lui est soutirée injustement. Son propre corps est là pour montrer ce que signifie travailler trop longtemps. La lutte pour la longueur de la journée de travail n'a pas cessé depuis la première apparition historique d'ouvriers libres jusqu'à maintenant.
Le capitaliste lutte pour son profit et la concurrence l'oblige - fût-il personnellement un homme probe ou un coquin - à prolonger la journée de travail jusqu''aux extrêmes limites des possibilités humaines. L'ouvrier lutte pour sa santé, pour quelques heures de repos quotidien, afin de pouvoir exercer une activité humaine en dehors du «travailler, manger et dormir». Marx décrit de la façon la plus impressionnante le demi-siècle de guerre civile menée en Angleterre par la classe capitaliste et la classe ouvrière; cette guerre civile commença avec la naissance de la grande industrie, qui incita les capitalistes à renverser toutes les limites que la nature et les coutumes, l'âge et le sexe,
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114 Est à la fois valeur d'usage et valeur d'échange. (N. T.)
le jour et la nuit, traçaient à l'exploitation du prolétariat elle durera jusqu'à la pro-mulgation du bill des dix heures, conquis par la classe ouvrière comme un puissant obstacle social qui l'empêche de se livrer elle-même et son espèce par un contrat volontaire, à la discrétion absolue du capital.
De la plus-value relative est produite quand le temps de travail nécessaire pour la reproduction de la force de travail est réduit au bénéfice du surtravail. La valeur de la force de travail est réduite quand la force productive du travail est accrue dans les branches d'industrie dont les produits déterminent la valeur de la force de travail. Pour cela, il faut un bouleversement continu du mode de production, des conditions techniques et sociales du processus de travail. Les explications historiques économiques, technologiques et psycho-sociales développées à ce sujet par Marx dans une série de chapitres traitant de la coopération, de la division du travail et de la manufacture, du machinisme et de la grande industrie, ont été reconnues même par les bourgeois. comme des sources fécondes de découverte scientifique.
Marx ne montre pas seulement que le machinisme et la grande industrie ont engendré une misère effroyable, comme aucun mode de production ne l'avait fait avant eux; il montre aussi que, dans son «révolutionnement» ininterrompu, la société capitaliste prépare une forme sociale plus élevée. La législation des fabriques est la première réac-tion consciente et systématique de la société sur la structure antinaturelle de son processus de production. En réglementant le travail dans les fabriques et la manufacture, cette législation n'apparaît tout d'abord que comme une ingérance dans les droits d'exploitation du capital.
Mais la rigueur des faits oblige bientôt à réglementer aussi le travail à domicile et à intervenir dans l'autorité paternelle, c'est-à-dire à reconnaître qu'avec la base éconcmique de l'antique famille et du travail à domicile qui lui correspond, la grande industrie disloque elle-même les vieilles conditions de la famille.
Si terrible et si dégoûtante que paraisse dans le milieu actuel la dissolution des anciens liens de famille, la grande industrie, grâce au rôle décisif qu'elle assigne aux femmes et aux enfants, en dehors du cercle domestique, dans des procès de production socialement organisés, n'en crée pas moins la nouvelle base économique sur laquelle s'élévera une forme supérieure de la famille et des relations entre les sexes. Il est aussi absurde de considérer comme absolu et définitif le mode germano-chrétien de la famille que des modes oriental, grec et romain, lesquels forment d'ailleurs entre eux une série, progressive. Même la composition du travailleur collectif par individus de deux sexes et de tout âge, cette source de corruption et d'esclavage sous le règne capitaliste, porte en soi les germes d'une nouvelle évolution sociale115.
La machine, qui dégrade l'ouvrier pour n'en faire que son appendice, crée en même temps la possibilité de porter les forces productives de la société à un niveau élevé qui permettra un développement humain pour tous les membres de la société, ce pourquoi toutes les formes sociales antérieures étaient trop pauvres.
Après avoir étudié la production de la plus-value absolue et relative, Marx développe la première théorie rationnelle du salaire que connaisse l'histoire de l'économie politique. Le prix d'une marchandise est sa valeur exprimée en argent et le salaire est le prix de la force de travail. Ce n'est pas le travail qui apparaît sur le marché, mais l'ouvrier qui offre sa force de travail, et le travail ne prend naissance qu'avec la consommation de la marchandise «main-d'oeuvre». Le travail est la substance et la mesure immanente des valeurs, mais lui-même n'a pas de valeur. Cependant, le salaire semble payer le travail parce que l'ouvrier ne le reçoit qu'une fois le travail accompli. La forme du salaire efface toute trace de division de la journée de travail en travail payé et travail non payé. C'est l'inverse de ce qui se passe avec l'esclavage. L'esclave semblait ne travailler que pour son maître, même dans la partie de la journée de travail où il ne faisait que remplacer la valeur de ses propres moyens de subsistance; tout son travail apparaît comme du travail
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115 1,. Capital, t. II. p. 168. E. S. 198.
non payé. Dans le salariat, au contraire, le travail non payé lui-même apparaît comme payé. Dans un cas, le rapport de propriété dissimule le travail effectué pour son propre compte par l'esclave; dans l'autre, le rapport d'argent dissimule le travail gratuit de l'ouvrier salarié.
On conçoit, par, conséquent, écrit Marx, l'importance décisive de la transformation de la valeur et du prix de la force de travail en salaire ou en valeur et prix du travail lui-même. Sur cette forme apparente, qui rend invisible le rapport réel et fait apparaître exactement son contraire, repose toute la notion juridique de l'ouvrier comme du capitaliste, toute la mystification du mode de production capitaliste, toutes ses illusions de liberté, toutes les billevesées apologétiques de l'économie vulgaire.
Les deux formes fondamentales du salaire sont le salaire horaire et le salaire aux pièces. A la lumière des lois du salaire horaire, Marx démontre le vide intéressé des phrases prétendant qu'une limitation de la journée de travail doit faire baisser le salaire C'est exactement le contraire qui est vrai. Une diminution passagère de la journée de travail réduit le salaire, mais une diminution durable l'élève; plus est longue la journée de travail, plus le salaire est bas.
Le salaire aux pièces n'est pas autre chose qu'une forme modifiée du salaire au temps; c'est la forme du salaire qui correspond le mieux au mode de production capitaliste. Il prit une grande extension durant la période manufacturière proprement dite; dans la phase du développement tumultueux de la grande industrie anglaise, il fut un moyen d'allonger le temps de travail et de réduire les salaires. Le salaire aux pièces est très avantageux pour le capitaliste, parce qu'il rend en grande partie superflue la surveillance du travail et qu'il offre, par-dessus le marché, les occasions les plus diverses d'amputer le salaire et d'accomplir d'innombrables autres escroqueries. Pour les ouvriers, il entraîne en revanche de grands désavantages : éreintement par le surtravail qui doit augmenter le salaire, alors qu'il tend, en fait, à le réduire, concurrence accrue entre les ouvriers et affaiblissement de leur conscience solidaire, apparition de parasites qui s'interposent entre les capitalistes et les ouvriers, d'intermédiaires qui détachent du salaire payé un fragment considérable, et ainsi de suite.
Le rapport entre plus-value et salaire fait que le mode de production capitaliste non seulement reproduit sans cesse le capital, mais encore engendre en permanence le paupérisme des ouvriers: d'un côté les capitalistes qui sont les propriétaires de tous les moyens de subsistance, de toutes les matières premières et de tous les instruments de travail, et de l'autre la grande masse des ouvriers qui sont obligés de vendre leur force de travail à ces capitalistes pour une quantité de moyens de subsistance tout juste suffisante dans le meilleur des cas à les maintenir en état de travailler et à élever une nouvelle génération de prolétaires capables de travailler. Mais le capital ne fait pas que se reproduire, il s'accroît et se multiplie sans répit ; et Marx consacre le dernier chapitre du premier livre à ce «processus d'accumulation».
La plus-value découle du capital, mais le capital découle aussi de la plus-value. Une partie de la plus-value produite annuellement est consommée en tant que revenu par les classes possédantes, parmi lesquelles elle se répartit, cependant qu'une autre partie est accumulée sous forme de capital. Le travail non payé soutiré à la classe ouvrière est maintenant un moyen de lui soustraire de plus en plus de travail non payé. D'une façon générale , d'ailleurs, le capital primitivement avancé devient, au cours de la production, une grandeur de plus en plus infime quand on le compare au capital directement accumulé, c'est-à-dire à la plus-value ou au surproduit qui revient au capital, soit dans la main qui a accumulé, soit dans une main étrangère. La loi de la propriété privée reposant sur la production et la circulation des marchandises se mue en son contraire direct par le jeu de sa propre dialectique interne et inéluctable. Les lois de la production des marchandises semblent fonder le droit de propriété du travailleur sur son propre travail. Des possesseurs égaux de marchandises étaient face à face ; pour chacun d'eux, le moyen d'appropriation de la marchandise de l'autre n'était que l'aliénation de sa propre marchandise et cette marchandise ne pouvait être produite que par le travail. Maintenant, la propriété apparaît, du côté du capitaliste, comme le droit de s'emparer du travail d'autrui non payé ou du produit de ce travail, du côté de l'ouvrier comme
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l'impossibilité de s'approprier le produit fabriqué par
lui-même.
Lorsque les prolétaires modernes eurent commencé à discerner ce rapport, lorsque le prolétariat urbain de Lyon eut fait sonner le tocsin, que le prolétariat agricole d'Angleterre lâcha le coq rouge, les économistes vulgaires inventèrent la «théorie de l'abstinence» d'après laquelle le capital prend naissance grâce à l' «abstinence volontaire» de la classe capitaliste, théorie que Marx fouaille tout aussi impitoyablement que Lassalle l'avait fouaillée avant lui.
Mais ce qui contribue réellement à l'accumulation du capital, c'est l' «abstinence » imposée aux ouvriers, l'abaissement forcé du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, ayant pour but de transformer partiellement en fonds d'accumutation du capital le fonds de consommation nécessaire des ouvriers. Nous trouvons là l'origine réelle des jérémiades sur la vie «luxueuse» des ouvriers, les litanies interminables sur la bouteille de champagne que des maçons auraient un jour vidée pour leur petit déjeuner, les recettes de cuisine à bon marché des réformateurs sociaux chrétiens et tout ce qui appartient à ce domaine de la mesquinerie capitaliste.
Voici donc ce qu'est, en fait, la loi générale de l'accumulation capitaliste. La croissance du capital implique la croissance de sa partie variable ou partie transformée en force de travail. Si la composition du capital reste invariable, si une quantité déterminée de moyens de production a toujours besoin de la même masse de force de travail pour être mise en mouvement, la demande de main-d'oeuvre et le fonds de subsistance des ouvriers grandissent en relation directe avec le capital, d'autant plus vite que le capital grandit plus vite. De même que la reproduction simple reproduit continuellement le même rapport capitaliste, de même, l'accumulation reproduit le rapport capitaliste à un niveau supérieur : augmentation du nombre des capitalistes ou de leur importance à un pôle, augmentatiom du nombre des ouvriers salariés à l'autre. L'accumulation du capital est donc la multiplication du prolétariat, et, dans le cas envisagé, elle a lieu dans les conditions les plus favorables pour les ouvriers. Une partie plus grande de leur propre surproduit - qui augmente et se mue en nouveau capital - leur revient sous forme de moyens de paiement, en sorte qu'ils peuvent élargir le cercle de leurs besoins et accroître leur fonds de consommation, de vêtements, de meubles, etc. Toutefois, le rapport de dépendance où ils se trouvent n'en est pas modifié, pas plus qu'un esclave bien vêtu et bien nourri cesse pour cela d'être un esclave. Ils doivent continuer de fournir une certaine quantité de travail non payé, qui peut diminuer il est vrai, mais jamais jusqu'au point où le caractère capitaliste du processus de production pourrait être sérieusement menacé. Si les salaires s'élèvent au-dessus de ce niveau, la pointe du bénéfice s'émousse et l'accumulation du capital se ralentit jusqu'au moment où les salaires retombent à un niveau correspondant à ses besoins de mise en valeur.
Toutefois, c'est seulement lorsque le rapport entre les parties constante et variable ne change pas dans l'accumulation du capital que la chaîne d'or, que le salarié se forge à lui-même, se relâche. Mais, en fait, les progrès de l'accumulation entraînent une grande révolution dans ce que Marx appelle la composition organique du capital. Le capital constant grandit aux dépens du capital variable; la productivité croissante du travail a pour conséquence que la masse des moyens de production grandit plus vite que la masse de force de travail qui y est incorporée; la demande de main-d'oeuvre n'augmente pas au même rythme que l'accumulation du capital, au contraire, elle diminue en valeur rela-tive. Sous une autre forme, le même effet est réalisé par la concentration du capital qui s'accomplit indépendamment de son accumulation, du fait que les lois de la concurrence capitaliste aboutissent à l'absorption du petit capital par le gros. Tandis que le capital supplémentaire engendré au cours de l'accumulation attire de moins en moins d'ouvriers par rapport à sa grandeur, le vieux capital reproduit avec une nouvelle composition évince de plus en plus les ouvriers qu'il employait précédemment. Ainsi, prend naissance une population ouvrière relativement superflue, c'est-à-dire superflue pour les besoins d'exploitation du capital, une armée industrielle de réserve; en périodes d'affaires mauvaises ou moyennes, cette armée est irrégulièrement occupée et payée au-dessous de la valeur de sa force de travail, ou bien encore livrée à la bienfaisance publique; dans tous les cas, elle sert à paralyser la résistance des ouvriers occupés et à maintenir leurs
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salaires à un niveau inférieur.
Produit nécessaire de l'accumulation ou du développement de la richesse sur une base capitaliste, l'armée industrielle de réserve devient inversement le levier du mode de production capitaliste. Avec l'accumulation et le développement de la force productive du travail qui l'accompagne, grandit la force d'expansion soudaine du capital, qui a besoin de grandes masses humaines pour pouvoir les jeter brusquement, et sans pour chacun d'eux, le moyen d'appropriation de la marchandise de l'autre n'était que l'aliénation de sa propre marchandise et cette marchandise ne pouvait être produite que par le travail Maintenant, la propriété apparaît, du côté du capitaliste, comme le droit de s'emparer du travail d'autrui non payé ou du produit de ce travail, du côté de l'ouvrier comme l'impossibilité de s'approprier le produit fabriqué par lui-même.
Lorsque les prolétaires modernes eurent commencé à discerner ce rapport, lorsque le prolétariat urbain de Lyon eut fait sonner le tocsin, que le prolétariat agricole d'Angleterre lâcha le coq rouge, les économistes vulgaires inventèrent la «théorie de l'abstinence» d'après laquelle le capital prend naissance grâce à l' «abstinence volontaire» de là classe capitaliste, théorie que Marx fouaille tout aussi impitoyablement que Lassalle l'avait fouaillée avant lui. Mais ce qui contribue réellement à l'accumulation du capital, c'est l' «abstinence » imposée aux ouvriers, l'abaissement forcé du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, ayant pour but de transformer partiellement en fonds d'accumulation du capital le fonds de consommation nécessaire des ouvriers. Nous trouvons là l'origine réelle des jérémiades sur la vie «luxueuse» des ouvriers, les litanies interminables sur la bouteille de champagne que des maçons auraient un jour vidée pour leur petit déjeuner, les recettes de cuisine à bon marché des réformateurs sociaux chrétiens et tout ce qui appartient à ce domaine de la mesquinerie capitaliste.
Voici donc ce qu'est, en fait, la loi générale de l'accumulation capitaliste. La croissance du capital implique la croissance de sa partie variable ou partie transformée en force de travail. Si la composition du capital reste invariable, si une quantité déterminée de moyens de production a toujours besoin de la même masse de force de travail pour être mise en mouvement, la demande de main-d'oeuvre et le fonds de subsistance des ouvriers grandissent en relation directe avec le capital, d'autant plus vite que le capital grandit plus vite. De même que la reproduction simple reproduit continuellement le même rapport capitaliste, de même, l'accumulation reproduit le rapport capitaliste à un niveau supérieur : augmentation du nombre des capitalistes ou de leur importance à un pôle, augmentation du nombre des ouvriers salariés à l'autre. L'accumulation du capital est donc la multiplication du prolétariat, et, dans le cas envisagé, elle a lieu dans les conditions les plus favorables pour les ouvriers. Une partie plus grande de leur propre surproduit - qui augmente et se mue en nouveau capital - leur revient sous forme de moyens de paiement, en sorte qu'ils peuvent élargir le cercle de leurs besoins et accroître leur fonds de consommation, de vêtements, de meubles, etc. Toutefois, le rapport de dépendance où ils se trouvent n'en est pas modifié, pas plus qu'un esclave bien vêtu et bien nourri cesse pour cela d'être un esclave. Ils doivent continuer de fournir une certaine quantité de travail non payé, qui peut diminuer il est vrai, mais jamais jusqu'au point où le caractère, capitaliste du processus de production pourrait être sérieusement menacé. Si les salaires s'élèvent au-dessus de ce niveau, la pointe du bénéfice s'émousse et l'accumulation du capital se ralentit jusqu'au moment où les salaires retombent à un niveau correspondant à ses besoins de mise en valeur.
Toutefois, c'est seulement lorsque le rapport entre les parties constante et variable ne change pas dans l'accumulation du capital que la chaîne d'or, que le salarié se forge à lui-même, se relâche. Mais, en fait, les progrès de l'accumulation entraînent une grande révolution dans ce que Marx appelle la composition organique du capital.
Le capital constant grandit aux dépens du capital variable; la productivité croissante du travail a pour conséquence que la masse des moyens de production grandit plus vite que la masse de force de travail qui y est incorporée; la demande de main-d'oeuvre n'augmente pas au même rythme que l'accumulation du capital; au contraire, elle diminue en valeur relative. Sous une autre forme, le même effet est réalisé par la concentration du capital qui s'accomplit indépendamment de son accumulation, du fait que les lois de la concurrence capitaliste aboutissent à l'absorption du petit capital parle gros. Tandis que le capital supplémentaire engendré au cours de l'accumulation attire de moins en moins d'ouvriers par rapport à sa grandeur, le vieux capital reproduit avec une nouvelle composition évince de plus en plus les ouvriers qu'il employait précédemment. Ainsi, prend naissance une population ouvrière relativement superflue, c'est-à-dire superflue pour les besoins d'exploitation du capital, une armée industrielle de réserve; en périodes d'affaires mauvaises ou moyennes, cette armée est irrégulièrement occupée et payée au-dessous de, la valeur de sa force de travail, ou bien encore livrée à la bienfaisance publique; dans tous les cas, elle sert à paralyser la résistance des ouvriers occupés et à maintenir leurs salaires à un niveau inférieur.
Produit nécessaire de l'accumulation ou du développement de la richesse sur une base capitaliste, l'armée industrielle de réserve devient inversement le levier du mode de production capitaliste. Avec l'accumulation et le développement de la force productive du travail qui l'accompagne, grandit la force d'expansion soudaine du capital, qui a besoin de grandes masses humaines pour pouvoir les jeter brusquement, et sans interruption du cycle de la production, dans d'autres sphères, sur d'autres marchés ou dans de nouvelles branches de production. La marche caractéristique de l'industrie moderne, le cycle décennal, entrecoupé de petites oscillations, de périodes de vigueur moyenne, de pro-duction à toute vapeur, de crise et de stagnation, repose sur la formation continue, l'absorption plus ou moins grande et la reconstitution de l'armée industrielle de réserve.
Plus est grande la richesse sociale, le capital fonctionnant, l'ampleur et l'énergie de sa croissance, donc aussi la grandeur absolue de la population ouvrière et la force productive de son travail, plus est grande la surpopulation relative ou armée industrielle de réserve. Sa grandeur relative augmente avec la puissance de la richesse. Mais plus est grande l'armée industrielle de réserve par rapport à l'armée ouvrière active, et plus sont massives les couches ouvrières dont la misère est en raison inverse de leur peine au travail; Plus est grande enfin la couche de Lazares de la classe ouvrière et l'armée industrielle de réserve et plus est important le paupérisme officiel. Telle est la loi générale absolue de l'accumulation capitaliste.
De cette loi, découle également la tendance historique de cette accumulation. Parallèlement à l'accumulation et à la concentration du capital se développent de plus en plus la forme coopérative du travail, l'application technique délibérée de la science, l'exploitation commune systématique de la terre, la transformation des moyens de travail en machines utilisables seulement d'une manière collective, l'économie de tous les moyens de production grâce à leur utilisation en temps que moyens de production communs du travail social combiné. Tandis que diminue sans cesse le nombre des magnats capitalistes qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette transformation, on voit grandir la masse de la misère, de l'oppression, de la servitude, de la dégradation, de l'exploitation, mais aussi de l'indignation de la classe ouvrière, en augmentation continue, instruite, unie et organisée par le mécanisme même du processus de production capitaliste. Le capital monopolisateur devient une entrave au mode de production, qui se développe avec et sous lui. La concentration des moyens de production, et la socialisation du travail atteignent un degré où elles deviennent incompatibles avec leur enveloppe capitaliste; Le glas de la propriété capitaliste privée sonne, les expropriateurs sont expropriés.
La propriété individuelle, fondée sur le travail individuel, se rétablit, mais sur la base de la conquête de l'ère capitaliste: en tant que coopération d'ouvriers libres, en tant que propriété commune de la terre et des moyens de production fabriqués par le travail même. Il va sans dire que la transformation en propriété sociale de la propriété capitaliste reposant déjà sur là production socialisée est loin d'être aussi longue, pénible et difficile que fut la transformation en propriété capitaliste de la propriété morcelée reposant sur le travail des individus. Il s'agissait dans ce dernier cas de l'expropriation de la masse du peuple par quelques usurpateurs; il s'agira dans l'autre cas de l'expropriation de quelques usurpateurs par la masse du peuple.
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Franz MEHRING
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                                 Rosa Luxembourg 
                

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    III. Les deuxième et troisième livres 116


Avec les deuxième et troisième livres de son oeuvre, Marx eut le même sort qu'avec le premier; il espérait pouvoir les publier aussitôt après la parution de ce dernier, mais de longues années passèrent et il ne devait pas lui être donné d'achever ces deux livres pour les remettre à l'impression.
Des études toujours nouvelles et de plus en plus approfondies, de longues maladies, la mort enfin l'empêchèrent de terminer l'oeuvre entière; voilà pourquoi Engels rédigea les deux livres en se servant des manuscrits inachevés de son ami. C'étaient des brouillons, des esquisses, des notes, tantôt de grands chapitres cohérents. tantôt des remarques rapidement jetées sur le papier, comme un chercheur a coutume de faire pour son usage personnel - gigantesque travail intellectuel qui s'étend, avec de longues interruptions, de 1861 à 1878.
Ces circonstances expliquent que nous ne devons pas chercher dans les deux derniers livres du Capital une solution achevée de tous les grands problèmes de l'économie politique, mais seulement leur énoncé partiel, avec des indications sur la direction où il convient de chercher cette solution. Comme l'ensemble des conceptions de Marx, son oeuvre essentielle n'est pas une bible de vérités définitives, établies une fois pour toutes; c'est, au contraire, une source inépuisable d'incitations au travail intellectuel, à la recherche et à la lutte incessante pour la vérité.
Ces mêmes circonstances expliquent qu'au point de vue extérieur également, dans la forme littéraire, les deuxième et troisième, livres ne soient pas aussi achevés que le premier, n'étincellent pas d'esprit comme lui. Pourtant, et justement dans la simplicité de leur effort de pensée, étranger à tout souci de forme, ils offrent à plus d'un lecteur une jouissance encore plus élevée que le premier.
Bien qu'aucune popularisation n'en ait tenu compte, bien qu'ils soient, par conséquent ignorés de la grande masse des ouvriers éclairés, ces deux livres n'en constituent pas moins un complément et un développement essentiels du premier, indispensables à l'intelligence de tout le système.
Dans le premier livre, Marx étudie la question cardinale de l'économie politique : D'où provient l'enrichissement, où est la source du profit ? Avant que Marx entrât en lice, la réponse à ces questions était donnée dans deux directions différentes.
Les défenseurs « scientifiques» du meilleur des mondes, celui où nous vivons, des hommes dont certains, comme Scbulze-Delitzsch, jouissaient également de la considération et de la confiance des ouvriers, expliquaient la richesse capitaliste par toute une série de raisons plus ou moins plausibles et de manipulations habiles: résultat de l'adjonction systématique au prix des marchandises d'un supplément « dédommageant » le patron pour le capital noblement « abandonné par lui dans la production; indemnité pour le « risque » couru par chaque patron ; rémunération pour la « direction spirituelle» du patron, et ainsi de suite. Toutes ces explications visaient le même but: présenter comme « légitime » et immuable la richesse des uns, donc la pauvreté des autres.
En revanche, les critiques de la société bourgeoise, dont les écoles socialistes qui apparurent avant Marx, expliquaient pour la plupart l'enrichissement des capitalistes comme du pillage pur et simple, voire comme un vol pratiqué au détriment des ouvriers et rendu possible par l'interposition de l'argent ou par le manque d'organisation du pro-cessus de production. Partant de là, ces socialistes aboutirent à divers plans utopiques sui la façon de supprimer l'exploitation par la suppression de l'argent, par l' «organisation du travail » ,etc..
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116 1. Dans sa préface de mars 1918:-Franz Mehring écrit : « Afin de donner, dans les limites étroites de mon exposé un tableau tout à fait clair des livres Il et 111 du Capital, j'ai demandé l'aide de mon amie Rosa Luxembourg. Les lecteurs la remercieront, autant que moi-même, d'avoir répondu si volontiers à mes désirs ; la troisième section du douzième chapitre a été écrite par elle. Je suis heureux d'incorporer à cet ouvrage ce joyau dû à sa plume.- ».(N. R.)
Or, dans le premier livre du Capital, Marx révèle la véritable origine de l'enrichissement capitaliste. Il ne s'occupe ni de justifier les capitalistes, ni d'accuser leur injustice : il montre pour la première fois comment apparaît le profit et comment il tombe dans les poches du capitaliste. Il explique le phénomène par deux faits gconomiques décisifs : en premier lieu, la masse des ouvriers se compose de prolétaires, obligés de vendre leur force de travail en tant que marchandise, en second lieu, cette marchandise qu'est la force de travail possède aujourd'hui un degré de productivité tellement élevé qu'elle peut
engendrer en un temps donné une quantité de produits beaucoup plus grande qu'il lui en faut à elle-même pour se maintenir pendant ce laps de temps. Ces deux faits purement économiques, qui découlent du développement historique objectif, ont pour conséquence que le fruit du travail du prolétaire tombe tout à fait naturellement en possession du capitaliste et s'accumule mécaniquement, pour constituer des quantités de plus en plus énormes de capitaux au fur et à mesure que se maintient le système du salariat.
Marx n'explique donc pas l'enrichissement capitaliste comme un quelconque dédommagement du capitaliste compensant des sacrifices et des bienfaits imaginaires ; il ne l'explique pas davantage comme de l'escroquerie ou du vol pur et simple au sens courant de ces mots ; il l'explique comme un échange absolument régulier au point de vue juridique entre le capitaliste et l'ouvrier, échange entièrement conforme aux lois qui régissent n'importe quel autre acte de vente et d'achat de marchandises.
Pour élucider à fond le mécanisme de cette affaire irréprochable, qui porte des fruits magnifiques pour le capitaliste, Marx dut développer jusqu'au bout, en l'appliquant à la marchandise force de travail, la loi de la valeur énoncée à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles par les grands classiques anglais Smith et Ricardo, cest-à-dire l'explication des lois internes de l'échange des marchandises.
La loi de la valeur, dont dérivent le salaire et la plus-value, c'est-à-dire l'explication du processus par lequel, sans aucune escroquerie violente, le produit du travail salarié se partage de lui-même en moyens d'existence misérables pour l'ouvrier et en richesses obtenues sans travail pour le capitaliste tel est le contenu fondamental du premier livre du Capital. Et là réside également sa grande importance historique : il a montré que pour supprimer l'exploitation il faut avant tout, il faut exclusivement, que soit supprimée la vente de la force de travail, autrement dit le salariat.
Dans le premier livre du Capital, nous nous trouvons sans cesse sur le lieu même du travail ; dans une fabrique, dans une mine ou dans une exploitation agricole moderne. Ce qui y est exposé vaut pour n'importe quelle entreprise capitaliste. Nous avons uniquement affaire au capital individuel en tant que type de tout le mode de production.
Quand nous fermons ce premier livre, la naissance quotidienne du profit est pour nous parfaitement claire, le mécanisme de l'exploitation élucidé jusque dans ses derniers recoins. Sous nos yeux s'élèvent des montagnes de marchandises de toutes sortes, telles qu'elles sortent directement de l'atelier, encore imbibées de sueur ouvrière; et, dans la valeur de chacune d'elles, nous pouvons nettement discerner la partie issue du travail non payé du prolétaire et qui devient tout aussi légitimement que la marchandise entière, propriété du capitaliste. Nous touchons ici du doigt la racine de l'exploitation.
Mais la moisson du capitaliste est encore loin pour cela d'être engrangée. Le fruit de l'exploitation est là, mais sous uue forme encore inutilisable pour le patron. Tant qu'il ne possède ce fruit que sous les dehors de marchandises accumulées, le capitaliste ne peut s'estimer satisfait de l'exploitation. C'est que précisément il n'est pas le propriétaire d'esclaves du monde gréco-romain de l'antiquité, non plus que le seigneur féodal du moyen âge, qui ne dépouillaient le peuple travailleur que pour leur propre luxe et la grande vie de cour.
Le capitaliste a besoin de sa richesse en monnaie sonnante pour l'employer à entretenir le « train de vie de sa condition» et pour accroître sans répit son capital. Il faut, à cet effet, que soient vendues les marchandises produites par l'ouvrier salarié, y compris la plus-value contenue en elles. Du dépôt de fabrique ou de la ferme, la marchandise doit
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accéder au marché; le capitaliste la suit du comptoir à la Bourse, au magasin, et nous marchons sur ses traces dans le deuxième livre du Capital.
Dans le domaine de l'échange des marchandises, où se déroule le deuxième chapitre de l'existence du capitaliste, maintes difficultés attendent ce dernier. Dans sa fabrique, à la ferme, il était le maître L'organisation la plus stricte, la discipline et l'ordre y régnaient. Sur le marché, par contre, règne l'anarchie complète, ce qu'on appelle la libre-concur-rence. Ici, nul ne se soucie du voisin et personne de l'ensemble. Et pourtant, an milieu même de cette anarchie, le capitaliste sent combien il dépend à tous égards des autres, de la société.
Il doit marcher du même pas que ses concurrents. S'il perd plus de temps qu'il est strictement nécessaire avant la vente définitive de ses marchandises, s'il ne se munit pas d'assez d'argent pour acheter à temps des matières premières et tout ce qui est nécessaire pour que l'entreprise ne subisse aucun temps d'arrêt, s'il ne veille pas à ce que son argent, tel qu'il lui revient de la vente des marchandises, ne reste pas inactif, mais soit investi quelque part d'une façon rémunératrice, il est éclipsé d'une manière ou d'une autre. Or, les chiens mordent les derniers et le patron isolé qui ne fait pas en sorte que, dans le va-et-vient continuel entre la fabrique et le marché, son affaire marche aussi parfaitement que la fabrique même, ce patron donc, aussi consciencieusement qu'il utilise ses ouvriers, n'obtiendra pas le profit usuel. Une partie de son profit «bien acquis» restera accrochée quelque part, pas dans sa poche en tout cas.
Mais ce n'est pas tout. Le capitaliste ne peut accumuler des richesses que s'il produit des marchandises, donc des articles de consommation. Mais il ne doit produire précisément que les sortes de marchandises dont la société a besoin, et seulement autant qu'elle en a besoin. Sinon, les marchandises restent invendues et la plus-value qui s'y trouve enfermée s'en va à nouveau en fumée.
Mais comment un capitaliste isolé saurait-il tout cela? Personne ne lui dit de quels articles et, en quelle quantité la société a besoin à un moment donné; personne ne le lui dit parce que, précisément, personne ne le sait. Ne vivons-nous pas dans une société sans plan, anarchique? Chacun des patrons pris séparément est dans la même situation. Et pourtant, il doit sortir de ce chaos, de ce désordre un tout qui permette aussi bien l'affaire individuelle des capitalistes et leur enrichissement que la satisfaction des besoins de la société et la continuation de la société prise dans son ensemble.
Plus précisément, il faut que le désarroi du marché déréglé permette néanmoins, en premier lieu, le cycle permanent du capital individuel, donne la possibilité de produire, de vendre, d'acheter et à nouveau de produire, le capital muant sans cesse de sa forme argent à sa forme marchandise et inversement: ces phases doivent coïncider, l'argent doit exister en réserve, afin de saisir toute conjoncture d'achat sur le marché, afin de couvrir les dépenses courantes de l'entreprise : par ailleurs, il faut que l'argent - qui revient au fur et à mesure de la vente des marchandises – trouve aussitôt à s'employer à nouveau. Les capitalistes isolés, en apparence complètement indépendants les uns des autres, forment ici déjà une grande confrérie; en fait, au moyen du crédit et des banques, ils s'avancent continuellement les uns aux autres l'argent nécessaire et puisent dans l'argent en réserve, permettant ainsi la continuation ininterrompue de la production et de la vente des marchandises pour l'individu comme pour la société. Le crédit, que l'économie politique bourgeoise ne peut expliquer autrement que comme une habile institution destinée à «faciliter la circulation des marchandises», Marx, dans le deuxième livre de son oeuvre, montre, tout à fait en passant, qu'il n'est qu'un simple mode d'existence du capital, un lien entre les deux phases de la vie du capital: dans la production et sur le marché, ainsi qu'entre les mouvements en apparence autonomes des divers capitaux.
En second lieu, il faut que dans la confusion des capitaux isolés soit maintenu le cycle permanent de la production et de la consommation de la société dans son ensemble, et cela de telle façon que demeurent assurées les conditions de la production capitaliste: fabrication des moyens de production, ravitaillement de la classe ouvrière, enrichisse-ment progressif de la' classe capitaliste, c'est-à-dire accumulation, et activité croissante
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du capital global de la société. La façon dont l'ensemble résulte des innombrables mouvements indépendants des capitaux isolés, dont ce mouvement de l'ensemble est toujours ramené au juste rapport par les variations continues tantôt dans la surabondance de la haute conjoncture, tantôt dans l'effondrement de la crise, pour s'en échapper à nouveau l'instant d'après, la façon dont ce qui n'est aujourd'hui qu'un moyen dans la société- sa propre subsistance et le progrès économique-et ce qui est son but-l'accumulation continue des capitaux - découle de tout ce qui précède en prenant des proportions de plus en plus formidables, tout cela, Marx ne l'a sans doute pas définiti-vement résolu dans le deuxième livre de son oeuvre, mais il l'a placé pour la première fois depuis cent ans, depuis Adam Smith, sur les bases sérieuses de la loi scientifique.
Mais la tâche épineuse du capitaliste n'est pas encore épuisée avec tout ce que nous avons déjà vu. Une fois le profit transformé dans une mesure croissante en or, et au cours même de cette transformation, une grande question se pose en effet: celle du partage du butin. Des groupes fort divers formulent leurs prétentions : à côté de l'industriel se présentent le marchand, le bailleur de fonds, le propriétaire foncier. Tous ont permis à leur manière l'exploitation de l'ouvrier salarié et la vente des marchandises produites par lui, et tous réclament maintenant leur part au profit; Mais cette répartition est une tâche beaucoup plus complexe qu'il peut paraître au premier abord. Car parmi les industriels, il existe également selon la nature de l'entreprise, de grandes différences, dans le profit réalisé, tel qu'il est pour ainsi dire puisé sur le lieu de travail.
Dans telle branche de production, la fabrication de marchandises et leur vente sont très rapidement expédiées et le capital revient, accru, dans le temps le plus bref; il permet d'aller bon train dans les affaires et le profit. Dans les autres branches, le capital est solidement fixé pendant des années dans la production et ne rapporte de profit qu'au bout d'un temps fort long. Dans certaines branches, le patron doit investir la majeure partie de son capital dans des moyens de production morts: bâtiment, machines coûteuses, etc., qui ne rapportent rien par eux-mêmes, ne fournissent aucun profit, pour autant indispensables qu'ils soient à l'obtention du profit. Dans d'autres branches encore, avec un outillage très réduit, le patron peut employer la majeure partie de son argent au recrutement d'ouvriers dont chacun est une poule diligente qui pond pour lui des oeufs d'or.
C'est ainsi qu'apparaissent dans l'obtention même du profit de grandes différences entre les divers capitaux, différences qui constituent à la face de la société bourgeoise une «injustice» beaucoup plus criante que le « singulier » partage entre le capitaliste et l'ouvrier. Comment parvenir ici à un équilibre, comment partager « équitablement » le butin, de telle sorte que chaque capitaliste reçoive «son dû» ? De plus, tous ces problèmes doivent être résolus sans aucune règlementation consciente et systématique. La répartition est, en effet, aussi anarchique que la production dans la société actuelle.
C'est qu'il n'y a pas de « répartition » véritable dans le sens d'une quelconque mesure d'ordre social il y a exclusivement échange, circulation des marchandises, vente et achat. Comment, dès lors, chaque catégorie d'exploiteurs et chaque exploiteur pris isolément obtiennent-ils par le seul canal de l'échange aveugle des marchandises une portion «équitable » - équitable du point de vue de la domination capitaliste - des richesses tirées de la force de travail du prolétariat ?
Dans son troisième livre, Marx répond à ces questions. De même que dans le premier livre il a démembré la production au capital et révélé le secret du profit, de même qu'il a dépeint dans le deuxième livre le mouvement du capital entre la fabrique et le marché, entre la production et la consommation de la société, de même, il suit pas à pas dans le troisième livre la répartition du profit.
Et toujours en observant les trois conditions fondamentales ; tout ce qui se passe dans la société capitaliste n'est pas arbitraire, mais répond à des lois déterminées, agissant régulièrement, bien qu'absolument inconscientes pour les intéressés ; en second lieu, les rapports sociaux ne reposent pas sur des mesures violentes de vol et de brigandage ; et, enfin, aucune sagesse sociale n'apparaît pour agir systématiquement sur l'ensemble. C'est uniquement à partir du mécanisme de l'échange, c'est-à-dire de la loi de la valeur
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et de la plus-value qui en découle, que Marx développe progressivement, avec une clarté et avec une logique pénétrantes, tous lés phénomènes et rapports de l'économie capitaliste.
Si l'on considère l'oeuvre dans son ensemble, on peut dire : Le premier livre, avec ses développements sur la loi de la valeur, le salaire et la plus-value, met à nu les bases de la société actuelle ; le deuxième et le troisième livres montrent les étages de l'édifice construit sur ces fondations. On pourrait encore dire, en se servant d'une tout autre image le premier livre nous montre le coeur de l'organisme social; où est produit le sang vivifiant ; le deuxième et le troisième montrent la circulation du sang et la nutrition de l'ensemble jusque dans les dernières -cellules de la peau.
En ce qui concerne le contenu, nous nous mouvons, dans les deux derniers livres, sur un plan tout différent du premier. Dans celui-ci nous découvrions la source de l'enrichissement capitaliste à la fabrique, dans les profondes assises sociales du travail. Dans les deuxième et troisième livres, nous sommes à la surface, sur la scène officielle de la société. Magasins, banques, Bourses, affaires financières, « agrariens nécessiteux » et leurs soucis occupent ici le premier plan. L'ouvrier n'entre plus en ligne de compte. Dans la réalité, il ne s'occupe d'ailleurs pas de ces choses, qui se passent derrière son dos, alors qu'il a déjà été écorché. Et dans la cohue bruyante de la foule affairée, nous ne rencontrons en fait les ouvriers qu'à l'aube, quand ils gagnent en troupes les usines, et au crépuscule, lorsque leurs ateliers les rejettent à nouveau en longues théories.
On peut, à cet égard, ne pas apercevoir l'intérêt que peuvent présenter pour les ouvriers les divers soucis privés des capitalistes dans la course au profit et leurs querelles pour le partage du butin. Mais, en fait, les deuxième et troisième livres du Capital contribuent autant que le premier à la connaissance définitive du mécanisme social contemporain. Il est vrai qu'ils ne revêtent pas pour le mouvement ouvrier moderne l'importance historique, décisive et fondamentale, du premier. Mais ils contiennent une foule de considérations qui sont également d'une valeur inestimable pour l'armement spirituel du prolétariat en vue de la lutte pratique. En voici deux exemples seulement.
Dans le deuxième livre, en traitant de la façon dont la nutrition régulière de la société peut résulter de l'action chaotique des capitaux isolés, Marx en vient naturellement à parler des crises. On ne peut s'attendre ici à une étude systématique et magistrale des crises, mais seulement à des remarques incidentes. Cependant, l'utilisation de ces remarques serait d'un grand profit pour les ouvriers éclairés et pensants. C'est un argu-ment qui a pris droit de cité dans l'agitation social-démocrate, et notamment syndicale, que « les crises résultent avant tout de l'étroitesse de vues des capitalistes : ces derniers ne veulent malheureusement pas comprendre que les masses de leurs ouvriers sont leurs principaux clients et qu'il suffirait seulement de leur payer des salaires plus élevés pour conserver une clientèle solvable et conjurer le danger de crise ».
Si populaire qu'elle soit, cette conception des choses n'en est pas moins diamétralement contraire à la réalité et Marx la réfute dans les termes suivants :
C'est une pure tautologie de dire que les crises découlent du défaut de consommation payante ou de consommateurs capables de payer. Le système capitaliste ignore le consommateur autrement que payant, sauf sous la forme de la charité ou de la a «grivèlerie». Le fait que des marchandises soient invendables signifie tout simplement qu'il ne s'est pas trouvé pour elles d'acheteurs capables de payer, donc de consommateurs. Mais si l'on veut donner à cette tautologie un semblant de preuve plus profonde en disant que la classe ouvrière - ne reçoit qu'une partie trop faible de son propre produit et que le mal serait conjuré du moment qu'elle en recevrait une partie, plus grande, du moment donc que son salaire augmenterait, il suffit alors de remarquer que les crises sont toujours précédées par une période où le salaire augmente d'une façon générale, où la classe ouvrière reçoit une part relativement plus grande du produit annuel destiné à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers du sain et «simple » bon sens, cette période devrait, au contraire, éloigner la crise. Il semble donc
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que la production capitaliste implique des conditions - indépendantes de le bonne ou de la mauvaise volonté - qui ne permettent que momentanément cette prospérité relative de la classe ouvrière, et toujours comme signe avant-coureur d'une crise117.
En fait, les explications du deuxième livre comme du troisième donnent une vue profonde de la nature des crises; celles-ci apparaissent tout simplement comme des conséquences inévitables du mouvement du capital, un mouvement qui, dans son élan impétueux vers l'accumulation, vers l'accroissement, franchit toutes les barrières de la consommation, même si cette consommation est étendue autant qu'on veut par l'augmentation du pouvoir d'achat d'une catégorie sociale ou par la conquête de débouchés tout à fait nouveaux. Il faut donc aussi abandonner l'idée de l'harmonie des intérêts entre le capital et le travail, méconnue seulement par la myopie du patronat, idée qui se dessine au fond de cette agitation syndicale populaire; il faut aussi renoncer a tout espoir d'un raccommodage susceptible d'amoindrir l'anarchie capitaliste. La lutte pour l'élévation matérielle du prolétaire salarié possède dans son arsenal spirituel mille armes par trop acérées pour avoir besoin de cet argument théoriquement sans valeur et pratiquement douteux.
Autre exemple. Dans le troisième livre, Marx donne, pour la première fois, une explication scientifique d'un fait que l'économie politique considère bouche bée depuis qu'elle existe: dans toutes les branches de production, et bien qu'investie dans les conditions les plus différentes, les capitaux ont coutume de produire le profit dit «courant». A première vue, ce phénomène semble contredire une explication donnée par Marx lui-même, à savoir l'explication de la richesse capitaliste uniquement par le travail non payé du prolétariat salarié. Comment, en fait, le capitaliste obligé d'investir des parties relativement considérables de son capital dans des moyens de production morts peut-il obtenir le même profit que son collègue, qui n'a que peu de dépenses de cet ordre et qui peut, par conséquent, employer une quantité plus grande de travail vivant?
Or, Marx résout l'énigme avec une simplicité surprenante en montrant comment les différences de profits s'équilibrent par la vente d'une marchandise au-dessus de sa valeur, par la vente de l'autre au-dessous, et comment se réalise de la sorte un «profit moyen» identique pour toutes les branches de la production. Sans s'en douter, sans aucun accord délibéré entre eux, les capitalistes procèdent dans l'échange de leurs marchandises de telle sorte que chacun d'eux apporte au tas commun la plus-value tirée de ses ouvriers et que tous ensemble se partagent fraternellement cette moisson générale de l'exploitation, donnant à chacun selon l'importance de son capital. Le capitaliste individuel ne bénéficie donc pas du profit obtenu personnellement par lui, mais seulement d'une partie -celle qui lui revient- des profits réalisés par tous ses compagnons.
Dans la mesure où il s'agit du profit, les divers capitalistes se comportent ici comme de simples actionnaires d'une société anonyme où les parts au profit sont uniformément distribuées en pourcent et ne diffèrent, par conséquent, pour les divers capitalistes que selon la grandeur du capital placé par chacun d'eux dans l'entreprise commune, après sa participation relative à l'entreprise globale.
Combien cette loi en apparence tout à fait sèche des «taux de profit moyen» nous permet, de pénétrer profondément dans la solide base matérielle de la solidarité de classe des capitalistes qui, frères ennemis dans l'agitation quotidienne, n'en constituent pas moins contre la classe ouvrière une franc-maçonnerie hautement et personnellement intéressée à son exploitation globale !
Sans que les capitalistes se rendent naturellement compte de ces lois objectives, leur instinct infailliblé de classe dominante révèle une perception de leurs propres intérêts de classe et de leur antagonisme à l'égard du prolétariat, instinct qui s'affirme malheureusement beaucoup plus sûrement à travers tous les orages de l'histoire que la conscience de classe des ouvriers, éclairée et fondée justement par les oeuvres de Marx et d'Engels.
   Puissent ces deux brèves illustrations, prises au hasard, donner une idée des trésors intacts qui s'offrent encore au prolétariat éclairé dans les deux derniers livres du Capital, trésors de stimulation à la recherche et à l'étude, qui attendent encore un exposé populaire.Inachevés, tels qu'ils sont, ils offrent quelque chose d'infiniment plus précieux que toute vérité achevée: l'incitation à la pensée, à la critique et à l’autocritique, qui constitue l'élément le plus original de la doctrine laissée par Marx.

Rosa Luxemburg

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117 Marx : le Capital, t. Xlll, p. 19. Edit. Costes.

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