Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
SPARTACUS
Archives
Derniers commentaires
20 mars 2024

La dynamique capitaliste des économies étatisées (Adam Buick et John Crump 1986)

Deuxième  partie

La production en vue du profit

Le fait que le capital existe bel et bien dans les pays capitalistes d’État peut être constaté d’après le fait que son corollaire, le travail salarié, y existe et que la richesse s’y présente comme une « immense accumulation de marchandises ». Le capital est de la valeur investie dans la production avec le but d’en obtenir une valeur additionnelle, ou plus-value, dont la source est le travail non payé de la classe travailleuse. Dans les pays capitalistes d’État, le capital est fourni par l’État à des entreprises qui s’engagent dans la production. Nous avons démontré que le capitalisme d’État n’est pas, à proprement parler, une économie planifiée, mais nous ne nions pas que la production au niveau de l’entreprise soit soumise à un processus de planification imposé par les autorités centrales. Les plans sont élaborés en quantités physiques puis convertis en unités monétaires, de sorte que chaque entreprise se voit imposer toute une gamme d’objectifs exprimés en termes à la fois monétaires et physiques.

Il est à noter, en passant, qu’une telle combinaison du calcul physique et du calcul monétaire n’est pas inconnue dans le capitalisme privé. Quand il s’agit de firmes hautement diversifiées et engagées dans plusieurs branches de la production, il est inévitable que le calcul soit une affaire monétaire. Toutefois Rodney Clark a montré que des firmes japonaises spécialisées dans une seule branche de production ont choisi d’éviter quelques-unes des distorsions que l’instabilité monétaire entraîne, en tenant leurs livres de compte en partie en unités physiques — en tonnes d’acier, nombre de véhicules ou bien parts du marché (Clark, 1979, pp. 63-4 et 136). Ainsi, une des raisons pour lesquelles on a recours à des objectifs monétaires dans les pays capitalistes d’État est la nature hétérogène de la production. La plupart des entreprises produisent une variété de produits dont très peu sont suffisamment homogènes pour être utilement mesurés en seules unités physiques. Quand il s’agit d’additionner des produits qui ont une nature physique incompatible, il faut avoir recours à une unité générale qui, dans le capitalisme d’État comme dans le capitalisme privé, s’avère toujours être l’argent.

Toutefois, malgré l’importance de l’argent en tant qu’unité générale de mesure dans laquelle peuvent être exprimés tous les aspects de l’activité d’une entreprise particulière, là n’est pas la raison fondamentale pour laquelle l’argent s’affirme dans le capitalisme d’État. Si c’était le cas, il serait légitime de considérer la planification comme une opération accomplie essentiellement en unités physiques, le calcul monétaire n’y figurant qu’en tant qu’exercice complémentaire. Et c’est effectivement ainsi que la plupart des commentateurs comprennent la planification dans les pays capitalistes d’État. Cette façon de la comprendre mène à l’affirmation assez répandue que le plan de production (physique) « se revêt d’une forme monétaire ». D’après nous, cela inverse la véritable signification des calculs monétaires et physiques dans les pays capitalistes d’État. Nous dirions que, à l’échelle nationale, le calcul financier dans lequel s’exprime la recherche du profit par l’État n’est pas la forme de l’activité économique capitaliste d’État mais en est l’essence même.

Le but de la production capitaliste d’État n’est pas d’obtenir des produits sous forme de valeurs d’usage, mais d’extraire de la plus-value de la classe des travailleurs salariés. C’est là la raison fondamentale pour laquelle le calcul économique dans le capitalisme d’État doit se faire en fin de compte en unités de valeur mesurée par l’argent. Pour l’État, représentant de l’intérêt général du capital dans les pays capitalistes d’État, il ne suffit pas de savoir que X millions de tonnes d’acier ou Y millions de mètres d’étoffe ont été produits. Une telle information ne révèle pas le degré d’« efficacité » de la production dans des termes capitalistes qui intéressent l’État — c’est-à-dire, en termes du montant de plus-value extrait de la classe travailleuse. N’importe quel groupe de capitalistes, qu’ils soient capitalistes privés ou d’État, doit s’assurer que la plus-value extraite des travailleurs est au moins équivalente à celle obtenue par ses concurrents. S’il ne réussit pas à égaler au moins la performance de ses rivaux, il n’aura pas assez de surplus pour maintenir le taux nécessaire d’accumulation du capital ; et, inéluctablement, il deviendra non compétitif et finalement il périra. Comme premier pas pour éviter ce sort qui attend la firme non compétitive dans le capitalisme privé, l’Etat dans les pays capitalistes d’Etat doit avoir à sa disposition une mesure qui lui permette de comparer les taux des plus-value dans les entreprises et dans les diverses branches de l’économie. Cette mesure, c’est l’argent.

En bref, nous disons que la comparaison de l’« efficacité économique » entre secteurs, qui est nécessaire là où la richesse prend la forme de la valeur, ne peut se faire que par le calcul monétaire. En général, des données physiques sont utilisées pour comparer des choses semblables. En d’autres termes, des statistiques sur la production exprimées en unités physiques peuvent être très utiles quand il s’agit de comparer la performance actuelle d’une entreprise avec sa performance dans le passé, ou bien quand il s’agit de comparer la performance de deux entreprises semblables produisant le même article. Mais quand il est question de comparer des entreprises ou des branches économiques engagées dans la production d’articles différents, seul le calcul monétaire est approprié.

La plupart des commentateurs des pays capitalistes d’État nient que le profit y joue un rôle décisif, ceci parce qu’ils voient à tort les entreprises individuelles comme homologues de la firme chercheuse de profit dans le capitalisme privé. Il est effectivement exact que les directeurs d’entreprise, confrontés avec une gamme d’indicateurs parfois contradictoires dont seuls quelques-uns peuvent être réalisés, ne voient pas forcément le profit comme la première priorité. En Russie et dans les autres pays capitalistes d’État, la valeur brute de la production était considérée traditionnellement comme le premier indicateur de la performance d’une entreprise, mais aujourd’hui d’autres indicateurs, tels que la valeur nette de la production et la productivité du travail, commencent à prendre plus d’importance. La plupart des commentateurs ont mis l’accent sur le fait que quelques entreprises capitalistes d’État, voire des branches économiques entières, fonctionnent à perte de façon permanente et planifiée et ne font jamais de profit. Nous discuterons davantage des pertes planifiées dans le paragraphe suivant ; il suffit de signaler ici que, malgré des exceptions bien connues, la règle qui gouverne la quasi-totalité de la production capitaliste d’État est que chaque entreprise doit faire un profit monétaire. C’est une obligation, pour que l’économie nationale atteigne un taux suffisant de plus-value et assure ainsi la survie de l’État.

Dans les pays capitalistes d’État, l’État poursuit son but au moyen d’un réseau d’instructions et d’objectifs qu’il tisse autour des directeurs d’entreprise. Ceux-ci cherchent à conserver leur position et leurs privilèges en utilisant la marge de manœuvre qui leur est laissée en exécutant le plan à la lettre même si ce n’est pas à l’esprit. En face des stratégies et des subterfuges changeants des directeurs d’entreprise, l’État répond en mettant l’accent sur des objectifs différents à diverses occasions. Du point de vue du directeur d’une entreprise, la production capitaliste d’État signifie d’abord réaliser les objectifs qui sont en vogue à un moment donné. A moins que le profit soit précisément l’un de ces objectifs, il ne sera pas prioritaire pour le directeur d’entreprise. L’État, en revanche, ne peut jamais négliger de veiller à l’acquisition de la plus-value. C’est celle-ci qu’il garde en vue en donnant chaque instruction et en établissant chaque objectif. Comme nous l’avons expliqué, le calcul monétaire est un outil qui est indispensable à l’État pour comparer les taux de la plus-value créée dans les diverses entreprises et branches de l’économie. Dès que nous tournons notre attention du niveau de l’entreprise au niveau de l’État, nous pouvons voir que la recherche de la plus-value, exprimée sous forme de profits monétaires, est la caractéristique essentielle du capitalisme d’État.

Marché et plan

L’argument le plus percutant qu’on peut soulever contre la théorie du capitalisme d’État est que la production dans les pays capitalistes d’État n’est pas réglée par le marché à travers une lutte concurrentielle pour les profits. En cela le capitalisme d’État diffère en effet du capitalisme privé. Dans ce dernier il existe un marché des capitaux et on peut voir clairement que le capital fait la chasse aux hauts profits. Le capital y est dans un état de flux constant, quittant les secteurs moins profitables pour ceux plus profitables de l’économie, et c’est à travers ces mouvements spontanés du capital que la production est réglée. Ce processus de régulation de la production n’est pas planifié et dépend de l’existence d’un marché libre où les prix fluctuent selon l’offre et la demande. Du fait de l’influence des monopoles et de l’intervention étatique dans l’économie, il existe très peu de pays où règne un capitalisme privé se conformant aujourd’hui à ce modèle. Mais malgré ces déviations importantes du modèle, cette description du capitalisme privé demeure essentiellement valable.

En revanche, la plupart des conditions qui permettraient aux pays capitalistes d’État de fonctionner selon ce modèle sont absentes. Bien qu’il existe un marché des moyens de production, il n’est pas libre, et bien que les prix soient ajustés s périodiquement, ils ne réagissent pas aux fluctuations à court terme de l’offre et de la demande. Il est vrai que, par sa nature même, le marché noir est libéré de l’ingérence de l’État et que les prix s’ajustent automatiquement dans ce secteur de l’économie capitaliste d’État. De plus, même si les conditions ne permettent pas de l’étudier, un marché illégal des capitaux fait certainement partie de l’économie noire. Cependant, malgré l’importance du marché noir dans beaucoup de pays capitalistes d’État, nous ne voulons pas baser notre argumentation sur son existence et nous l’ignorerons ici. Mettant donc le marché noir de côté, nous pouvons dire que le marché des capitaux est insignifiant dans les pays capitalistes d’État parce que la formation légale de capital est dirigée par l’État.

A proprement parler, donc, la caractéristique du capitalisme que nous avons décrite comme « la régulation de la production par le marché » n’est pas présente dans les pays capitalistes d’État à cause du contrôle exercé par l’État. Cependant le grand paradoxe du capitalisme d’État est que l’État bloque la régulation spontanée de la production par le marché mais se voit lui-même obligé d’introduire un mécanisme similaire. Étant donné que le marché n’est pas libre, plus que les prix sont fixés de façon bureaucratique (et à un coût économique de plus en plus élevé selon qu’ils s’écartent de la loi de la valeur), et que les entreprises n’ont pas d’autonomie financière vis-à-vis de l’État, ce dernier est obligé de prendre la responsabilité de répartir les capitaux de façon à ce qu’un taux de plus-value adéquat puisse être réalisé, au lieu de laisser jouer librement les mécanismes « naturels » du marché libre et des mouvements de capitaux entre les secteurs. En d’autres termes, l’État est obligé de construire un autre mécanisme pour faire consciemment (avec moins d’efficacité, diraient beaucoup, mais ce n’est pas notre problème) ce que le marché fait automatiquement dans le capitalisme privé.

Les admirateurs du capitalisme d’État parlent souvent comme si les planificateurs avaient carte blanche et pouvaient à leur gré répartir les capitaux entre les secteurs économiques. Mais c’est loin d’être le cas. Les pays capitalistes d’État se situent dans le cadre d’un monde capitaliste où ils se trouvent en concurrence sans merci non seulement avec d’autres producteurs dans les pays du capitalisme privé mais aussi avec d’autres pays capitalistes d’État. Tous les pays capitalistes d’État sont donc soumis à une pression pour réaliser un taux global de plus-value au moins égal à celui de ses concurrents. Ne pas réaliser ce taux pourrait empêcher l’accumulation du capital au niveau nécessaire pour pouvoir continuer à concourir avec leurs rivaux internationaux.

Dans le capitalisme privé il existe une tendance automatique (c’est-à-dire, dirigée par le marché) à ce qu’un taux plus ou moins constant de profit se réalise quel que soit l’endroit où le capital est investi. Cette tendance ne se manifeste pas dans le capitalisme d’État. Par exemple, en Russie en 1978 le taux moyen de profit dans l’industrie était de 13,5 % mais il y avait une variation énorme entre les divers secteurs de l’économie, de -3,2 % dans l’industrie charbonnière à 25,3 % dans l’industrie légère (Nove, 1980, p. 185). Même à l’intérieur d’un secteur industriel donné la variation peut être importante. Kushnirsky écrit que dans l’industrie du vêtement les entreprises les plus efficaces ont réalisé des taux de profit quatre fois plus importants que ceux réalisés par les entreprises les moins performantes (Kushnirsky, 1982, p. 22). Dans le capitalisme privé, les entreprises qui ne réalisent que des profits bas ou négatifs disparaissent tôt ou tard, mais cela ne se produit pas dans les pays capitalistes d’État parce que la plupart des pertes (tout comme les profits) ne sont pas supportées par les entreprises mais par l’État. Ce fait est une source majeure de confusion pour beaucoup de commentateurs du capitalisme d’État, qu’ils soient critiques ou admirateurs, car ils identifient le capitalisme par la nécessité pour des entreprises individuelles de faire des profits et d’accumuler du capital. Toutefois il faut comprendre que même si les mécanismes de répartition des profits sont différents dans les deux variantes du capitalisme, ce qu’on répartit est identique, à savoir, la plus-value. Dans les pays capitalistes d’État, on peut tolérer des taux inégaux dans les divers secteurs et entreprises parce que la plus-value créée dans tous les secteurs va d’abord à l’État qui la redistribue ensuite parmi les entreprises et les secteurs. Ceci ne veut nullement dire, cependant, que l’État peut rester indifférent aux profits. Au contraire, comme nous l’avons déjà fait remarquer, si dans un pays capitaliste d’État le taux global de profit tombait sensiblement en dessous de celui réalisé par ses rivaux internationaux, son économie commencerait à s’effriter et les capitalistes d’État risqueraient de perdre leur contrôle du pouvoir politique.

Ce point compris, on peut voir pourquoi la répartition des capitaux par l’État doit se faire en fonction des niveaux de bénéfice. En général, les capitaux sont dirigés vers les entreprises et les secteurs hautement performants, et lorsqu’ils sont investis dans les autres secteurs, cet investissement est accompagné d’une pression énorme pour augmenter le taux de plus-value. Nous avons déjà vu que l’existence de quelques secteurs ayant un niveau de profit bas ou même négatif peut être tolérée dans le capitalisme d’État du fait que c’est l’État qui s’approprie en premier lieu la quasi-totalité de la plus-value produite dans les entreprises et la redistribue ensuite. Mais il ne faut pas imaginer que cette capacité de tolérer des secteurs non profitables est particulière au capitalisme d’État. On peut observer assez souvent le même phénomène dans le capitalisme privé. Moyennant l’intervention étatique, certains secteurs d’une économie capitaliste privée peuvent être autorisés à réaliser moins que le taux moyen de profit ou même de fonctionner à perte. Dans ces cas, soit l’État donne des subventions (dérivées, à travers les impôts, de la plus-value créée dans les autres secteurs de l’économie) aux secteurs non profitables qui peuvent même rester aux mains des capitalistes privés, soit il nationalise ces secteurs et les fait fonctionner comme un service dans l’intérêt général du capital situé à l’intérieur de ses frontières. Pour les pays capitalistes d’État comme pour les pays capitalistes privés, il existe tout de même des limites strictes au degré de non-rentabilité que l’économie peut tolérer. Puisque la subvention des entreprises non profitables réduit le montant total de plus-value à répartir parmi les autres secteurs de l’économie, les planificateurs capitalistes d’État sont aussi réticents que leurs homologues des pays à capitalisme privé pour verser sans fin des ressources à des entreprises peu performantes.

En son temps, Staline se vantait du fait qu’en Russie l’industrie lourde s’accroissait plus rapidement que l’industrie légère, pourtant très profitable ; selon lui cela démontrait que la loi de la valeur ne réglait pas le développement des diverses branches de la production. Comme nombre de déclarations de Staline, celle-ci était tout à fait hors de propos. Car il n’existe aucune loi automatique obligeant ceux qui ont la responsabilité de réaliser de la plus-value, à, choisir nécessairement de maximiser les profits à court terme.

Dans le cadre du capitalisme privé, ces dernières décennies, les performances impressionnantes de plusieurs grandes firmes japonaises sont à attribuer en partie à leur tendance à envisager l’acquisition des profits d’un point de vue stratégique et à plus long terme que beaucoup de leurs concurrents internationaux. Les déclarations même de Staline montrent qu’il pensait à ce genre d’approche stratégique et à long terme. La loi économique qui agit effectivement dans l’économie russe (et dans le monde capitaliste tout entier), c’est la loi qui impose que suffisamment de plus-value doit être créée afin de pouvoir réaliser le taux nécessaire d’accumulation. Staline pouvait s’offrir de sacrifier une partie des hauts profits venant de l’industrie légère, mais il ne pouvait s’offrir le luxe de négliger la nécessité de réaliser un taux suffisant de profit dans l’économie russe considérée comme un tout.

En résumé l’on peut dire que dans le capitalisme privé il y a régulation tendancielle automatique de la production par le marché, et qu’au contraire dans le capitalisme d’État la production est réglée de façon tendancielle car l’État et ses bureaux de planification. Mais cette « planification » étatique est une réponse aux pressions que l’État ne crée pas et qui en fait agissent sur lui impitoyablement. Ces pressions viennent en fin de compte de la concurrence des capitaux rivaux. En d’autres termes, les pressions qui s’exercent sur l’État et ses planificateurs sont les mêmes que celles qui agissent sur leurs homologues à travers le marché dans le capitalisme privé. Exactement comme leurs homologues privés, les planificateurs capitalistes d’État ignorent ces pressions à leurs risques et périls.

Cette similitude fondamentale entre le rôle du marché dans le capitalisme privé et le rôle de l’État dans le capitalisme d’État a un corollaire dans la façon dont s’effectue la formation des prix dans les deux variantes de la. même économie capitaliste. Alors que dans le capitalisme privé, les prix sont fixés spontanément sur le marché, dans les pays capitalistes d’État (la Hongrie et la Yougoslavie étant des exceptions partielles) les prix sont fixés dans une large mesure dans les bureaux de plan. Mais cela ne veut pas dire que les « planificateurs » peuvent fixer les prix comme ils le veulent. Si les autorités capitalistes d’État souhaitent maximiser la plus-value ils doivent utiliser des prix qui prennent en compte la loi de la valeur. Bien entendu un nombre limité de prix peut ne pas en tenir compte sans que des problèmes majeurs surgissent, mais un excès de prix inexacts rendrait impossible l’identification précise des secteurs où il y a un taux satisfaisant de plus-value et des secteurs d’où la plus-value régresse. Si on permettait à cette situation de se prolonger, l’économie ne serait pas assez performante et finalement la position dominante de ceux qui exercent le contrôle politique serait menacée.

L’accumulation du capital

En discutant ci-dessus la nécessité pour le capital (d’État) de réaliser une plus-value suffisante et pour la production d’être réglée par rapport aux taux de plus-value, nous avons prêté peu d’attention à la nature dynamique du capitalisme. Pourtant c’est parce qu’il existe en son sein une concurrence entre capitaux rivaux que le capitalisme est un système économique dynamique. L’innovation et le développement des forces de production sont inhérents au capitalisme du fait que, pour survivre, chaque capital est obligé de chercher à prendre l’avantage sur ses rivaux, notamment en adoptant des méthodes de production plus efficaces qui permettent à ses marchandises de se vendre à des prix plus bas que ceux de ses rivaux. Autrement dit, l’avantage est gagné en accumulant du capital — en investissant dans de l’équipement nouveau capable de produire en plus ou moins de temps (c’est-à-dire, capable de réduire la quantité de travail socialement nécessaire à la production d’une marchandise et par conséquent de faire baisser sa valeur et son prix).

Aucun capital ne peut se permettre d’ignorer cette nécessité d’accumulation. Afin de simplement maintenir sa part de marché, chaque capital est constamment obligé de diriger la majeure partie de la plus-value qu’il réalise vers de nouveaux investissements. Dans un passage bien connu du Capital, Marx écrit :

« Le développement de la production capitaliste nécessite un agrandissement continu du capital placé dans une entreprise, et la concurrence impose les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes à chaque capitaliste individuel. Elle ne lui permet pas de conserver son capital sans l’accroître, et il ne peut continuer de l’accroître à moins d’une accumulation progressive » (Le Capital, I, chapitre XXIV, section III).

Le « capitalisme individuel » dont parle Marx a été quasiment éliminé du capitalisme privé moderne et, inutile de le dire, également du Capitalisme d’État. Mais les « lois coercitives externes » continuent d’agir même sur des multinationales géantes et sur des blocs entiers du capital d’État. Quelle que soit son importance et son étendue, chaque capital doit courir simplement pour rester sur place, et, pas plus que le capital privé, le capital d’État ne peut échapper à la contrainte de l’accumulation. Cependant, les entreprises capitalistes d’État n’ayant pas d’autonomie financière, la nécessité d’accumuler du capital agit en premier lieu sur l’État plutôt qu’au niveau de l’entreprise individuelle.

Pour certains de ceux qui reconnaissent l’existence d’une concurrence entre les pays socialistes d’État et les pays à capitalisme privé, il ne s’agit pas de la manifestation d’une rivalité économique inhérente au capitalisme en tant système mondial. Cette concurrence étant, pour eux, la confrontation entre deux systèmes sociaux opposés, l’un capitaliste, et l’autre non capitaliste. Tandis que nous mettons l’accent sur la similitude fondamentale entre ces pays et sur les racines économiques de leur rivalité, ces commentateurs insistent sur les différences et prônent que les conflits s’expliquent pour des raisons militaires et non pas économiques. Par exemple, Mandel prétend que la concurrence entre la Russie et les autres grandes puissances « prend principalement une forme militaire » et qu’elle n’est pas une « concurrence capitaliste » parce qu’elle « découle précisément du caractère socialement différent de l’URSS et du monde capitaliste qui se font face » (Mandel, 1962, p. 27). Sur cette base, non seulement il est impossible d’exprimer l’hostilité évidente entre des pays comme la Russie et la Chine, mais, selon nous, il est erroné de tenter de distinguer trop nettement entre des considérations militaires et commerciales.

Si les pays rivaux au sein du capitalisme privé (ou rivaux au sein du capitalisme d’État) développent un nouveau secteur économique, par exemple l’informatique, les pays capitalistes d’État doivent en faire autant pour des raisons aussi bien militaires que commerciales. Écoutons le premier ministre adjoint hongrois, Josef Marjai, expliquer en 1983 les pressions commerciales s’exerçant sur son pays :

« Même dans l’actuel climat économique mondial, dans le déséquilibre et la croissance lente, une nouvelle révolution technique est en train de se produire. la Hongrie doit s’efforcer de suivre cette révolution afin de ne pas être laissée sur la touche. Notre priorité économique principale l’amélioration de l’équilibre économique de notre pays — suppose que nous aussi nous changions à fond la structure de notre économie. Qu’est-ce que « le changement structurel » implique dans la pratique ? Il implique que nous fabriquions des produits que le monde va acheter, qui ont un contenu intellectuel plus élevé, et qui requiert moins de matières premières et moins d’énergie pour leur production. En effectuant de tels changements structurels, nous améliorerons directement la balance externe de l’économie hongroise. » (Entrevue, Financial Times, 10.5, 1983).

Si les pays capitalistes d’État omettaient de développer les secteurs économiques nouveaux qui sont apparus ailleurs, non seulement leur système d’armements serait dépassé par ceux de leurs rivaux militaires, mais de plus leurs niveaux de productivité seraient dépassés de la même manière par leurs rivaux commerciaux. Dans la mesure où les économies capitalistes d’Etat sont intégrées dans l’économie mondiale et où elles vendent leurs produits sur les marchés du monde, elles doivent, tout comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste, s’efforcer de produire leurs marchandises aussi bon marché que les produits rivaux. C’est pourquoi la conception de l’« efficacité économique » qui prévaut dans les pays capitalistes d’État ne peut être distinguée de celle qu’on trouve dans le capitalisme privé, et pourquoi les intérêts des travailleurs sont subordonnés à la réalisation des profits. C’est la nécessité de se concurrencer tant militairement que commercialement, et donc d’accumuler du capital, qui explique pourquoi tous les pays capitalistes avancés, qu’ils soient ouvertement capitalistes ou prétendument « socialistes », se conforment au même modèle. Les mêmes secteurs économiques sont visibles et l’organisation de la production se fait d’une façon fondamentalement similaire, où que l’on regarde.

Dans ce chapitre nous avons cherché à démontrer que la dynamique économique des pays capitalistes d’État est fournie par la recherche du profit venant du travail non payé de la classe travailleuse salariée. Le profit est recherché parce que, du fait de la concurrence inhérente au capitalisme mondial, le capital d’État est obligé d’investir la plus-value nouvellement acquise dans le but contraignant de s’accumuler et donc de s’élargir. Malgré certaines ressemblances entre notre interprétation du capitalisme d’État et la théorie de « l’économie-monde » d’Immanuel Wallerstein, nous divergeons fondamentalement avec les partisans de cette école lorsqu’ils voient dans les pays capitalistes d’État des exemples d’expériences manquées de la construction « socialiste ». Selon leur théorie, les pays capitalistes d’État auraient fait des efforts vaillants pour construire « le socialisme » mais ils ont finalement été battus et obligés de faire des compromis avec le système-monde capitaliste beaucoup trop puissant (Chase-Dunn, 1982). En revanche, nous voyons le capitalisme d’État comme une formation anti-socialiste basée sur l’exploitation des producteurs non seulement dans son état de maturité opportuniste mais même dans ses périodes « héroïques » et révolutionnaires dans diverses parties du monde. Le capitalisme est bien en effet un système mondial, mais le capitalisme d’État est aussi bien partie intégrante de ce système que le capitalisme privé.

______________________________________________________________________________

Ce que j'expose ci-dessous contient ce que je ne partage pas et où je diffère de ce qu'Adam Buick et John Crump exposent dans leur texte The Capitalist Dynamics of Statist Economies, que j'espère pouvoir vous envoyer bientôt avec les détails correspondants.

Dans sa révolution victorieuse, la bourgeoisie a fait de l'argent un capital, c'est-à-dire qu'elle a conditionné l'argent à une fonction spécifique dans le processus de production, à savoir la médiation de la formation du produit excédentaire ou de la plus-value par le biais du capital salarial. L'argent, au sens bourgeois, est indexé sur la plus-value, sur le produit excédentaire, et non sur le produit, la plus-value qui est à son tour étroitement liée à la propriété privée des moyens de production et à la propriété privée de la force de travail.

La grande réalisation de la bourgeoisie a été le droit privé inaliénable à la richesse monétaire et à la propriété des moyens de production, ce qui n'était pas le cas sous l'ancien régime parce que les principaux moyens de production, et même la richesse, étaient tenus captifs par le souverain, le roi, y compris les obligations qui accompagnaient la propriété liée parce que leur accomplissement était également suprêmement contrôlé par la couronne.

La monnaie, en étant indexée sur le produit (et non sur la propriété privée des moyens de production et la propriété privée de la force de travail) résout le problème de l'établissement de la révolution communiste - la révolution bourgeoise a également eu lieu en tant que processus dans un temps successivement construit et non comme un coup de baguette magique dans un conte de fées. En d'autres termes, ce n'est pas l'indexation sur un produit excédentaire ou une plus-value qui détermine l'émission monétaire et la quantité de monnaie en circulation, mais l'indexation sur la nature et la culture qui leur donnera une raison d'être tant qu'elles seront socialement nécessaires.

En indexant la monnaie sur la propriété (propriété des moyens de production et propriété de la force de travail), la bourgeoisie a résolu son problème économique. L'argent indexé sur la double propriété privée des moyens de production et de la force de travail est un capital. Et il est capital parce qu'il implique une production sociale exponentielle en même temps que le droit inaliénable de s'approprier les richesses pour ceux qui les possèdent.

La propriété privée de la force de travail est pleinement assumée avec la fin du servage et l'abolition de l'esclavage. Avec la fin du servage et de l'esclavage, la propriété privée de la force de travail devient une réalité sociale.
La révolution communiste, en supprimant l'achat et la vente des moyens de production en même temps qu'elle interdit l'achat et la vente de la force de travail, libère l'humanité à la fois de la tutelle du propriétaire des moyens de production et de l'aliénation du propriétaire de la force de travail.

Le travail cesse alors d'être une humiliation et la propriété n'est plus le privilège de quelques-uns.

Ce que je viens d'expliquer contient ce que je ne partage pas et ce en quoi je diffère des propos d'Adam Buick et de John Crump, et j'espère pouvoir vous envoyer bientôt les détails correspondants.

Pedro Pacheco
Ilha de S. Miguel, Azores

 

Publicité
Publicité
Commentaires
SPARTACUS
  • Information sur le mouvement des conseils ouvriers de la gauche germano-Hollandaise, ainsi que sur la lutte de classe dans le monde. voir en complément le site MONDIALISME. Pour correspondre:
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
SPARTACUS
Visiteurs
Hier 0
Depuis la création 321 424
Publicité