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9 septembre 2015

« La prochaine fois, le feu 1», à Baltimore.

Curtis Price - 3 juin 2015     Echanges N°152

Le 27 avril 2015, Baltimore a été le théâtre de ce que l’on pourrait désigner comme les pires émeutes urbaines dans une grande ville américaine depuis celles de Los Angeles en 1992. Des centaines de bâtiments ont été pillés et brûlés, et il y eut tant d’incendies que la ville vint à manquer d’équipement pour les éteindre et dut faire appel aux pompiers des comtés voisins. Le gouverneur du Maryland fit intervenir la Garde Nationale, et le maire de Baltimore décréta un couvre-feu nocturne pour les cinq jours suivants.

 Les causes et le déroulement de l’émeute sont familiers et connus de longue date, mais s’y ajoutent des aspects nouveaux qui n’apparaissaient pas en 1992 à Los Angeles. À Ouest- Baltimore, épicentre de l’émeute, les taux de mortalité infantile sont au niveau de ceux du Belize et de la Moldavie, d’après une étude réalisée par la John Hopkins School of Public Health2. Les quartiers les plus pauvres de Baltimore ont une espérance de vie inférieure de vingt ans à celle des quartiers aisés3. Un trafic de drogue violent et florissant déferle sur cette misère sociale.

 Pendant des années, le trafic de drogue à Baltimore a ét le fait de gangs locaux qui se disputaient un territoire. Mais au cours de la décennie écoulée, le trafic de drogue s’est organisé avec l’arrivée de cartels plus importants et plus ambitieux. Des cartels tels la Black Guerilla Family (BGF), dont le nom évoque un groupe nationaliste Noir de l’époque trouble des années 1970 qui sévissait dans les prisons californiennes, a monté une opération sophistiquée qui, de manière remarquable, impliquait la présence de groupes qui leur servaient de couverture pour infiltrer des groupes d’action communautaires et a publié un manifeste pour apprendre à devenir entrepreneur indépendant qui leur a valu les éloges dithyrambiques des autorités académiques locales (y compris ceux d’un ancien candidat à la mairie) qui ignoraient leurs lien avec le gang4.

 De manière plus significative, le BGF (c’est ainsi qu’on l’appelle dans la rue ici) a pris le contrôle de la prison de la ville, du centre de détention de Baltimore, en enrôlant des gardiens pour y introduire de la drogue, des téléphones portables et de l’argent. L’un des principaux chefs du BGF a eu des enfants avec deux gardiennes, qui ont fait tatouer son nom sur leur bras. Le centre de détention a fini par faire l’objet d’un raid et le contrôle de l’état a été rétabli, mais cet épisode témoigne de la portée et de l’ambition du BGF. (Une femme que je connais et qui travaillait aux entrées du centre de santé du centre de détention pendant la prise de pouvoir du BGF m’a raconté qu’elle a compris que quelque chose allait se passer lorsqu’elle s’est aperçue de la présence de prisonniers soi-disant SDF, qui étaient en réalité des policiers clandestins. Elle reconnaissait toujours les infiltrés à leurs chaussettes toujours propres même si leurs vêtements étaient sales et usés)5.

 La police et les gangs de la drogue ont une relation symbiotique. Pour la police, les gangs sont devenus un moyen de réclamer plus de fonds, plus d’hommes et plus d’autorité. Les gangs utilisent la police pour « cafeter » leurs rivaux dans le but de s’emparer d’un marché à leurs dépens. La corruption est très répandue au sein de la police et bon nombre d’agents touchent des pots de vin ou même vendent de la drogue.

La brutalité policière est également bien documentée : la ville a dû payer 5.7 millions de dollars de dommages et intérêts aux victimes entre 2011 et 2014, et il ne s’agit probablement que la partie émergée de l’iceberg car peu de victimes ont assez de persévérance et de moyens pour défendre leur cas face à un système dont la plupart d’entre eux pense, avec raison, qu’il les défavorise. Au nombre de ces victimes figurait une grand-mère dont l’épaule avait été cassée lorsqu’un flic l’avait jetée à terre et arrêtée6. Entre juin 2012 et le 15 avril de cette année, le centre de détention de la ville de Baltimore a refusé 2600 personnes arrêtées et amenées par la police au motif que leurs blessures et leurs maladies étaient trop graves pour être soignées en prison. Il est vrai que nombre d’entre elles dataient d’avant l’arrestation. Mais 123 blessures étaient des traumatismes crâniens, signes révélateurs de maltraitance policière7.

 À cela s’ajoutent des niveaux peu communs de violence de rue, où bousculer quelqu’un accidentellement dans la rue peut vous valoir une balle, ainsi que les fusillades aléatoires et inexplicables qui ont affecté presque toutes les familles noires des quartiers défavorisés de Baltimore et aussi quelques-unes à l’extérieur : des membres de la famille du maire de Baltimore, Stephanie Rawlings-Blake et de Bernard « Jack » Young, le président du conseil municipal, ont été abattus lors d’épisodes de violence de rue8.

 Tout le monde assiste à ces fusillades, mais personne n’a rien vu lorsqu’il s’agit de témoigner ou d’identifier les tireurs. Les raisons en sont à la fois compliquées et faciles à comprendre. Non seulement les gens redoutent la vengeance des gangs - crainte qui n’est pas sans fondement comme le prouve la bombe incendiaire qui a tué sept membres de la famille Dawson dans East Preston Street parce que la mère s’était élevée contre le trafic de drogue dans son quartier – mais ils redoutent également la police. Ils ne savent jamais quel flic ripoux va les dénoncer aux dealers. Parmi les rumeurs, dont certaines sont fondées et d’autres fictives, tant sont nombreux ceux qui, dans l’ombre, ont intérêt à encourager la désinformation, ce remous qui balaie les rues de Ouest-Baltimore, qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est « trivial » ?

 Par conséquent, on se méfie à juste titre de la police. La police, à son tour, voit de la complicité dans ce refus de coopérer. En traitant tous les résidents comme des collaborateurs potentiels, la police en vient à agir à Ouest-Baltimore, et ailleurs, comme les troupes américaines au Vietnam lorsqu’elles pacifiaient les villages : tout le monde devient un ennemi potentiel. Les conséquences d’une arrestation et d’une condamnation n’attentent pas seulement à votre dignité dans l’immédiat, mais elles ont des effets durables sur vos possibilités d’emploi, notamment dans le secteur des services.

 Mais cette profonde méfiance qu’inspire, à juste titre, la police n’est qu’un aspect de l’absence généralisée de confiance en la société qui agit à la fois comme un mécanisme de survie et de défense, et elle s’exerce également contre l’action politique ou collective au sens habituel, y compris contre la politique de la gauche. Cette confiance s’exprime de multiples manières dans la vie quotidienne. J’ai travaillé avec une femme qui refusait les virements sur son compte bancaire, car comment pouvait-elle savoir qu’ « ils » n’allaient pas tenter de la voler ? Elle exigeait un chèque, par souci de sécurité. Là où je travaille actuellement, les émissions les plus populaires auprès des Afro-américaines d’une cinquantaine d’années sont des « documentaires » relatant des crimes réels, tel le bien nommé « Crains ton voisin » qui remet en scène des crimes impliquant des proches : l’amant qui se transforme tout à coup en meurtrier, les voisins qui sont en réalité des violeurs ou des tueurs en série, les pasteurs mariés de longue date qui s’enfuient soudain avec les fonds de leur église pour financer l’addiction au crack d’une petite-amie adolescente dont personne ne soupçonnait l’existence. C’est ce qu’on peut entendre dans le cri tourmenté d’une femme que j’ai entendue hurler de toutes ses forces  un jour dans le métro de Baltimore: « La famille vous mettra encore plus dans la merde que les amis. »

 Le côté aléatoire de toutes ces morts prématurées dans la rue explique en grande partie la colère qui se déverse sur les cas de brutalité policière. Comme l’a déclaré au Wall Street JournalHanifa Shabazz, conseillère municipale à Wilmington, Delaware : « On ne sait jamais ce qui va se passer ni qui sera la prochaine victime.9 » Avec la police, au moins, on est face à quelqu’un qui peut rendre des comptes. Quand il s’agit des fusillades aléatoires ou des règlements de comptes qui font partie de la vie des quartiers défavorisés, on ne peut désigner ou accuser personne. C’est ainsi que protester contre la brutalité policière devient un mode de vie à part entière ; c’est l’un des nombreux scénarios sous-jacents qui expliquent les émeutes de Baltimore.

 Les pressions sur les plus jeunes augmentent de façon irréversible. Sur les chaînes de la BET et de la VH110, les émissions téléréalité de hip-hop mettent en scène la richesse fabuleuse des magnats du hip-hop tels Kanye et Rick Ross, leurs nombreuses demeures et voitures de luxe, leur soirées dans les clubs de striptease d’Atlanta où ils boivent du cognac, un monde de richesses et de plaisirs sans fin hors de portée à Baltimore quand bien même on y vivrait douze vies.

 Ouest-Baltimore est envahi par de jeunes rappeurs ambitieux qui tentent de vendre au coin des rues les CDs qu’ils fabriquent chez eux, font du mixage dans le sous-sol de leurs grand-mères où ils dorment, dealent un peu d’herbe ou de coke pour arrondir leurs fins de mois, en rêvant à leur jour de chance. Car, contrairement à ce qui se passait au cours de la génération précédente, où ceux qui ne chantaient pas comme David Ruffin11, se contentaient d’un travail bien payé, quoique monotone, à l’usine Chrysler, le hip-hop, par le biais de la démocratisation de la technologie musicale, fait une star potentielle de tous ceux qui sont assez débrouillards et assez chanceux. Car, après tout, il n’y a pas grande différence entre les capacités d’un P. Diddy ou d’un Jay Z et celles d’un gamin d’Ouest-Baltimore. Et en fin de compte, tout le monde sait qu’il n’existe plus de travail comme chez Chrysler , qu’il n’y a plus que des petits boulots précaires, dévalorisants et mal payés dans des fast food ou des hôtels pour riches touristes. Et puisque, de toute manière, on sera mort à 25 ans, pourquoi ne pas vivre tout de suite ? Les émeutes de Baltimore n’étaient pas uniquement celles de l’armée de travail de réserve. Ces émeutes étaient également, voire encore davantage, celles de l’armée de réserve des consommateurs, selon l’expression bouleversante d’un criminologue britannique.

 On ne sait pas très bien ce que font miroiter ces noms de marques et de produits. D’une part, d’une certaine manière, ils représentent le désir, même s’il est perverti, d’obtenir plus de la vie. D’autre part, ils représentent la captation personnelle de ce désir de quelque chose de mieux. On prend ce qu’on veut et tant pis pour les autres. Cela fait alors partie de la lutte individuelle pour la survie et la réussite. Tout gauchiste qui croit que le pillage est dirigé contre la propriété privée serait promptement détrompé s’il s’avisait de reprendre son butin à un pilleur.

 La gauche est complètement à côté de la plaque en exigeant du « travail » et la réouverture des centres de loisir fermés (à Baltimore, bon nombre de centres de loisir ont été vendus ou fermés ces dernières années) où les gamins peuvent jouer au ping-pong, alors qu’en réalité ceux-ci ne veulent que leurs propres Nintendos et leurs propres Game-Boys. Bien sûr, la pauvreté, le chômage et toutes les autres causes profondes jouent un rôle dans cette agitation. Mais ces facteurs matériels sont filtrés à travers des rêves et des espoirs qui ne seraient même pas satisfaits s’il leur tombait du ciel un travail payé 25 dollars de l’heure et proposant de bonnes prestation sociales. Cette impatience et cette insatisfaction font le lit d’autres conflits à venir, des conflits qui pourraient aboutir à plus d’agitation dans la rue. Ou tout aussi aisément se transformer, par le biais de l’Internet, en bagarres entre bandes rivales d’Est ou d’Ouest-Baltimore à Inner Harbor.

 Les plus âgés vivent les choses autrement. Tous ceux qui ont la cinquantaine et plus se souviennent des dévastations causées par les émeutes de 1968, des longues décennies de désinvestissement qui ont frappé Pennsylvania Avenue, West Baltimore Street et Gay Street à l’est, où les magasins incendiés et les vitrines aveugles ont perduré et perdurent encore dans certains quartiers. Et ceux qui sont encore plus âgés se souviennent de l’époque où dans Pennsylvania Avenue, la 125eRue de Baltimore, se trouvaient d’excellents établissements tels le Royal Theater où se produisaient Moms Mabley, Red Foxx et Pigmeat Markham. Ou que leurs pères, qui travaillaient dans les fours à charbon de Bethlehem Steel, l’endroit le plus dangereux de Sparrows Point où étaient consignés les travailleurs noirs, partaient toujours au travail vêtus d’un costume et d’une cravate, par souci de dignité. Aux yeux des plus âgés, les jeunes semblent s’être engouffrés sur la voie de l’autodestruction.

 À tout cela, il faut ajouter l’absence totale d’espoir et la dureté de l’environnement, le dépérissement de toutes les institutions sociales intermédiaires tels les syndicats et les groupes communautaires, et la transformation des autres, telles les églises dont les racines plongeaient dans le gospel de la société sudiste, comme le montre la progression d’énormes églises et de pasteurs médiatiques comme T.D. Jakes. Cette église devient une version hyper métastatique de l’ « encerclement de force » qu’Earl Shorris décrivait dans New American Blues, son livre sur les Américains pauvres au début des années 1990. S’inspirant de la manière dont les animaux acculés par leurs prédateurs renoncent et n’essaient pas de s’échapper, Shorris comparait la situation désespérée des Américains pauvres à un « encerclement » permanent.

Voici donc une vue partielle du contexte qui a produit l’explosion sociale de Baltimore après la mort de Freddie Gray le soir du 11 avril dans un fourgon de police, et au cours des années à venir, ce climat changera encore de tonalité. Gray a été soumis à ce que l’on appelle « une balade rodéo », pendant laquelle on transporte les accusés à grande vitesse et au hasard des rues dans le but de les réduire à l’impuissance et de les pousser à coopérer, et à un moment que personne n’est capable de préciser, la moelle épinière de Freddie Gray s’est brisée. La mort de Gray venait après d’autres, telle celle de Tyrone West en 2012, mort d’un problème cardiaque au cours d’une lutte avec la police. Cela donnait généralement lieu à de petites manifestations de colère, et le silence retombait.

 On ne sait toujours pas pourquoi la mort de Gray a déclenché des émeutes. Mais la couverture médiatique des émeutes de Ferguson y est sans doute pour quelque chose. Tout à coup, affronter la police dans la rue n’était plus une idée abstraite, mais une chose vue à la télévision toute l’année précédente. En découdre avec la police devenait au moins normal, sinon socialement acceptable. Dans les heures qui suivirent les funérailles de Gray, les jeunes réagirent en utilisant les médias sociaux pour organiser un rassemblement éclair à Mondawmin, une galerie marchande plus ancienne à la lisière d’Ouest-Baltimore.

 Des critiques hostiles soutiennent qu’il n’y avait rien de politique dans ces émeutes car depuis plusieurs années, on assistait à une série de rassemblements éclair indétectables pour piller des magasins, pour s’attaquer à des passants pris au hasard, ou pour se battre12. Cette vision des choses n’est peut-être pas totalement erronée, mais elle échoue à montrer que si l’élan initial était apolitique, quelle que soit la définition de ce terme, sitôt qu’il eut lieu, l’affrontement devant Mondawmin devint soudain très politique, en dépit des mobiles des émeutiers.

 Au cours des heures qui suivirent, des jeunes livrèrent à la police, qui n’y était pas préparée, une bataille acharnée à coups de pierres, de briques, de bouteilles et de tout ce qui leur tombait sous la main. Les portes de la galerie marchande furent forcées et les magasins pillés. Cette nuit-là, dans toute la ville, on assista à de grosses batailles de rue et à des incendies volontaires. Des voitures de police furent brûlées et des magasins pillés. Certes, les émeutes de 2015 n’ont pas eu l’envergure de celles de 1968, qui réduisirent de vastes pans de Baltimore en ruines fumantes. Mais on a fait intervenir la Garde Nationale, on a décrété un couvre-feu, et, comme on l’a appris plus tard, le FBI a même organisé en secret une surveillance aérienne des troubles. Le décompte final fait état de 200 entreprises cambriolées, de 200 arrestations et de 150 incendies, y compris celui d’une nouvelle maison de retraite pour les personnes âgées à bas revenus qui était sur le point d’ouvrir, ce qui a déclenché la colère de nombreux résidents âgés13.

 Il est difficile de savoir comment cela a affecté les jeunes d’Ouest-Baltimore qui ont déclenché les émeutes. Pour la plupart, ils continuent à être inaudibles, en dépit de la couverture médiatique. Les représentants que les médias choisissent pour parler au nom des jeunes sont le plus souvent des étudiants noirs un peu plus âgés, ceux qui ont organisé les manifestations de Ferguson pour Eric Garner et savent donc mieux traiter avec les médias, même s’ils ne faisaient pas eux-mêmes partie des émeutiers.

Mais tout à coup, on entendait les jeunes de Baltimore, ne serait-ce qu’à travers leurs actions. La société dressait l’oreille. CNN leur demandait ce qu’ils pensaient. De jeunes anarchistes leur distribuaient des bouteilles d’eau et leur dispensaient des informations sur l’aide légale. Dans d’autres villes, des étrangers manifestaient en leur nom. Pour beaucoup, ce fut certainement une expérience enivrante et transformatrice, de celles qui se diffuseront lentement dans le tissu social pendant des années.

 Au cours de cette semaine de tensions, la police s’est discréditée encore davantage, lorsque le commissaire de police Anthony Batts a déclaré que des « agitateurs extérieurs », mystérieux et anonymes, avaient envahi Baltimore dans le but d’exciter les quartiers émeutiers et qu’il avait des informations révélant que des gangs rivaux tels le BGF et les Crips menaçaient de s’unir et de « descendre » des policiers pour venger la mort de Gray. (Il s’avère que le BGF et d’autres rencontraient alors les responsables des églises locales et des fonctionnaires municipaux dans le but d’inciter au calme)14.

Plus tard dans la semaine, le procureur de Baltimore a annoncé la mise en examen des six flics concernés. Cette mise en examen fut à juste titre interprétée comme une victoire et les rassemblements se transformèrent tout à coup en fêtes spontanées. Quelques jours plus tard, Rawlings-Blake a demandé au Département de la Justice d’intervenir et d’enquêter sur les violations systématiques de la loi par la police. Ces deux interventions mirent fin aux manifestations. Le lendemain des mises en examen, une marche nationale à laquelle avait appelé Malik Shabazz, de l’association des Avocats Noirs pour la Justice et ancien dirigeant du Nouveau Parti des Black Panthers, n’a attiré que quelques milliers de personnes, bien que Shabazz ait annoncé que 10 000 manifestants descendraient dans Ouest-Baltimore. Le 16 mai, un rassemblement en faveur de l’amnistie de tous les émeutiers n’a attiré que quelques dizaines de personnes. Pour le moment, les rues sont calmes.

Mais par le biais des mises en examen ainsi que des enquêtes du Département de la Justice, la classe politique noire qui gouverne Baltimore, prise au dépourvu, essayait de reprendre le contrôle en faisant des concessions. Au cours des mois à venir, elle organisera sans doute des évènements, telles les conférences d’ « Émancipation de la Jeunesse » dans le but de « soigner » la ville et d’avancer dans un sens « positif » (c’est-à-dire en élisant plus de Démocrates).

 Toutefois, cela fait apparaître l’un des aspects les plus importants des émeutes de Baltimore que peu d’observateurs ont remarqué. Ces émeutes étaient la première révolte d’une grande ville gouvernée par des Noirs. Baltimore n’était pas Ferguson, où une faction politique Blanche gouverne une majorité de Noirs privés de leur droit de représentation. Cette ville est gouvernée par une majorité noire depuis plus de dix ans.

 Mais dans des quartiers comme Ouest-Baltimore, peu de choses ont changé au cours de la lente ascension de la classe politique noire dans le parti Démocrate. De fait, la situation a empiré et on a rarement tenté d’atténuer la brutalité systématique et l’impunité de la police. Dans l’ensemble, la classe dirigeante noire de Baltimore a détourné les yeux et s’est occupée de ses propres intérêts en tant que coutiers chargés de représenter la « communauté noire ». Comme Adolph Reed l’a pressenti en 1979 dans sa note TELOS sur le concept de « communauté noire », « Révision de la spécificité noire » : ces classes dirigeantes ont tendance à extrapoler leurs propres intérêts puisqu’ils voient que leur légitimité et leur intégrité sont liées à une vision monolithique de la vie des Noirs. En réalité, cette conception apparaissait dans la mythologie Unitarienne du nationalisme noir de la fin des années 1960. La représentation de la communauté noire en tant que sujet collectif masquait opportunément le système hiérarchique qui servait de médiateur entre les « dirigeants » et les « dirigés »15.

 À Baltimore, cela a abouti à la mise en examen et à la destitution de l’ancien maire Sheila Dixon, habile populiste qui savait aussi bien flatter les hommes d’affaire du centre-ville que serrer les mains dans les rues des quartiers défavorisés, pour avoir volé une poignée de cartes-cadeaux destinées à des enfants sans domicile dans un refuge.

 Il est trop tôt pour savoir si on retiendra cette leçon, à savoir que nous serons trahis par les élites noires comme par les blanches. Mais le 11 avril, le fait que les tortionnaires de Freddy Gray représentent parfaitement la « diversité » (trois blancs et trois noirs, hommes et femmes) n’a pas servi à grand-chose. En fin de compte, ils se sont tous comportés comme le leur dictait leur rôle social.

NOTES 

1 NdT : La prochaine fois le feu est le titre d’un recueil d’essais de l’écrivain afro-américain James Baldwin dans les années 1960.

 2 Diamond D. (2015) : « Pourquoi Baltimore s’est embrasée. » d’après un article de Forbes.

 3 Ibid.

 4 Fenton, J. & Neufeld, S. (2009) : « Les éducateurs approuvent le livre du chef du gang de la Black Guerilla Family. », d’après un article du Baltimore Sun.

 5 Peters, J. (2013) : « Comment un gang intitulé Black Guerilla Family a pris le contrôle des prisons de Baltimore. » d’après un article de Slate.

 6 Friedersdorf, C. (2015) : « Brutalité de la culture policière à Baltimore. » d’après un article de l’Atlantic.

 7 Daily News (2015) : « La prison de la ville de Baltimore refuse de recevoir 2600 suspects blessés, mettant en doute les méthodes de la police : le reportage.) D’après un article du New York Daily News.

 8 Boradwater, J. & Fenton (2013) : « Le cousin du Maire est tué par balle. » D’après un article du Baltimore Sun.

 9 Calvert, S. (2015) : « Les luttes des plus grandes villes du Delaware ayant un taux de meurtres élevé. » D’après un article du Wall Street Journal.

 10 BET : Black Entertainment Television ; VH1 : chaîne de television musicale.

 11 David Ruffin (1941-1991) : chanteur principal des Temptations.

12 McDonald, H. (2015) : « Baltimore brûle. » D’après un article du City Journal.

 13 Sherman, N., (2015) : « Suite au nettoyage des émeutes de Baltimore, certains craignent des conséquences économiques à long terme. » D’après un article du Baltimore Sun.

14 Puente, M. & Green, E. (2015) : « Le Maire et le commissaire de police dénoncent l’action d’agitateurs extérieurs. » D’après un article du Baltimore Sun.

Fenton, J. (2015) : « La police de Baltimore déclare que des gangs sont en train de « se former » pour abattre des policiers. » Baltimore Sun.

Donovan, D. et al. (2015) : « Les experts mettent en doute l’intervention des gangs dans les émeutes. » Baltimore Sun.

 15 Reed, A. (1979) : « Révision de la spécificité noire ». TELOS 39, printemps.

 

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