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9 décembre 2013

Paul Mattick De la pauvreté et de la nature fétichiste de l’économie

VENDREDI 14 FÉVRIER 2014 :

 Charles Reeve et Laure Batier

 présenteront la traduction française de « La révolution fut une belle aventure » de Paul Mattick (L’Echappée) sur radio libertaire
(89.4 Mhz.), de 21h à 22h30.

 

 Préface de Paul Mattick Jr son fils

 Le texte que nous publions est le chapitre V (Théorie et réalité) du dernier livre de Paul Mattick, Le Marxisme, Dernier Refuge de la Bourgeoisie, paru, peu après sa mort, aux États-Unis chez M.E. Sharp (New York, 1983) et non publié en français à ce jour. La traduction est de Daniel Saint-James. Paul Mattick dédia ce livre “ à la mémoire de Marinus van der Lubbe ”, le jeune communiste de conseils hollandais qui mis le feu au Reichstag le 27 février 1933 dans le but de réveiller le prolétariat allemand contre le parlementarisme et la capitulation des partis devant le nazisme. Marinus fut condamné à mort suite à un procès truqué qui servit de pretexte aux Stalinistes pour se revaloriser après avoir succombé au régime national-socialiste et de pretexte à celui-ci pour justifier une plus grande répression policière. Il mit en exergue une citation de Rosa Luxemburg : “ La classe bourgeoise dispute son dernier combat sous un drapeau imposteur : le drapeau de la révolution elle-même. ”

 Ab irato, 1998

Préface

 Ce texte est le chapitre V du dernier livre de Paul Mattick Marxism - Last Refuge of the Bourgeoisie ? (Marxisme, dernier refuge de la bourgeoisie ?) (Armonk (NY) M.E. Sharpe 1983). Cet ouvrage, inachevé à la mort de l’auteur en février 1981, a été conçu comme un bilan final d’une vie de réflexion sur la société capitaliste et l’opposition révolutionnaire. L’analyse de la société capitaliste dressée par Marx n’est ni une théorie économique ni une théorie politique. Marx, en montrant que la politique bourgeoise est dominée par les questions économiques et que celles-ci ne sont que la représentation idéologique de relations sociales de classes, a voulu mettre en évidence les limites inhérentes aux deux types de catégories, la politique et l’économique, pour expliquer la réalité sociale. Il a prouvé que le mouvement ouvrier, dans sa lutte contre le capitalisme, aurait à abolir et le capital et l’État, à remplacer l’"économie’’ et la "politique" par l’auto-organisation des producteurs libres et associés. Le but de Mattick en écrivant ce livre, était d’étendre la critique de Marx de l’idéologie bourgeoise aux formes organisationnelles et aux courants de pensée qui ont pris le nom de "marxisme", de les comprendre c’est-à-dire d’y voir des éléments du développement du mode capitaliste de production. Le livre commence par un réexposé des fondements de la critique marxienne de l’économie politique, l’attention étant plus particulièrement attirée sur ces aspects de la théorie de Marx qui ont été l’objet principal des attaques bourgeoises et qui ont conduit les écrivains marxistes à faire retraite dans l’analyse économique bourgeoise. Le chapitre présenté ici est tiré de cette partie.) Le livre retrace ensuite l’histoire des formes principales de la politique marxiste, la social-démocratie et le bolchévisme. Mattick montre comment l’adaptation aux nécessités de la politique bourgeoise a entraîné l’abandon à la fois de la pratique socialiste et de la théorie marxienne. Au cours de cette évolution, depuis l’époque d’Édouard Bernstein jusqu’aujourd’hui, la convergence entre les "économistes marxistes" et leurs collègues bourgeois avérés, s’est renforcée sur deux points : nécessité d’abandonner la théorie métaphysique de la valeur-travail, reconnaissance de l’inexactitude des prédictions sur le devenir de la société capitaliste que Marx avait tirées de cette théorie. Dans Théorie et Réalité, Mattick examine le second de ces points et montre que, en dépit des limites à la prédiction qui résultent du haut degré d’abstraction de la théorie de Marx, les événements des deux cents dernières années n’ont fait que confirmer sa validité en ce qui concerne les tendances essentielles du développement capitaliste. Fondamentalement il est clair que le but de Marx n’était pas tellement de prédire le cours des événements que d’expliciter les choix qui se posent devant la classe ouvrière mondiale. Citons ici Paul Mattick : "En s’appuyant sur ses hypothèses, le modèle de Marx de la production capitaliste débouchait sur l’écroulement du système. Toutefois cet écroulement n’y est pas conçu comme résultat automatique du processus économique, mais comme celui de la lutte de classe prolétarienne." (Marxism : The Last Refuge of the Bourgeoisie, p. 137) Et ceci doit bien être le cas puisque, pour Marx, les processus économiques eux-mêmes se composent d’actions humaines. Il est bon d’insister sur de point, car on affirme souvent que Marx voulait être un "savant de la société" et qu’il avait de l’histoire une vision mécanique, celle d’un processus imposé aux gens plutôt que créé par eux. Mattick avance les arguments pour prouver qu’au contraire, c’est parce que Marx comprenait l’histoire sociale comme un produit des actions humaines que sa théorie a sa valeur explicative et prédictive. .. Le modèle abstrait, que donne Marx de l’accumulation, repose sur l’hypothèse que les relations sociales de production du capitalisme vont rester les mêmes qu’à leur début, en dépit de toutes les modifications possibles de la structure du marché. C’est parce que les "lois économiques" du capitalisme ne sont pas réellement des lois, mais l’apparence fétichiste que prennent les relations sociales, que les actions sociales devront y mettre fin. Marx, par conséquent, dans ses espoirs de révolution, ne s’appuyait pas sur les conséquences pour l’avenir du capitalisme de la loi de la baisse du taux de profit, mais sur les possibles réactions de la classe travailleuse, face à un système capable de se maintenir uniquement par un accroissement de l’exploitation et qui met son propre avenir en danger en minant les conditions mêmes de l’exploitation sur lesquelles il s’appuie. Marx n’attendait pas, ou ne prédisait pas, la fin du capitalisme parce que le taux d’accumulation diminuerait et le taux de profit baisserait, mais parce que ces tendances, immanentes à la production capitaliste, devraient nécessairement amener des conditions sociales qui seraient de plus en plus insupportables pour des couches de plus en plus grandes de la population travailleuse, créant du même coup les conditions objectives dont pourrait sortir la détermination subjective pour un changement social." (Id. p. 93) Paul MATTICK Jr.

Biographie

 Paul Mattick est né en Allemagne, en 1904, dans une famille prolétaire de tradition socialiste. Militant des Jeunesses Spartakistes dès l’âge de 14 ans, il fut élu, pendant la période révolutionnaire, délégué au Conseil ouvrier des usines Siemens à Berlin, où il était apprenti outilleur. Il participe à de nombreusesmattick_69

actions, révoltes d’usines, émeutes de rue, se fait arrêter et sa vie est à plusieurs reprises menacée. En 1920, il quitte le parti communiste, devenu parlementariste et rejoint les tendances communistes de conseils qui forment le KAPD (le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne). À l’âge de 17 ans il écrit déjà dans les publications de la jeunesse communiste et s’installe à Cologne où il trouve du travail et tout en poursuivant son activité d’agitation au sein des Organisations Unitaires Ouvrières, dont Otto Rühle était un des fondateurs. C’est dans ce milieu qu’il se lie d’amitié avec un noyau d’artistes radicaux, les Progressives de Cologne, critiques acerbes des divers avatars de l’art et la culture dite prolétaire. Comme tant d’autres communistes extrémistes anti-bolchéviques, plus encore par son infatigable activité subversive, son nom se trouva vite sur les listes rouges du patronat. Réduit au chômage, poursuivi par la police et les nazis, marginalisé par les communistes orthodoxes, conscient du déclin du mouvement révolutionnaire autonome face à la montée du nazisme et à la bolchévisation des communistes, Paul décide, en 1926, d’émigrer, avec d’autres camarades, aux États-Unis.

 Après quelques années de repli, qu’il met à profit pour étudier Marx, repenser les théories de la crise et ses rapports avec l’activité révolutionnaire, Paul s’installe à Chicago où il travaille comme outilleur dans la métallurgie. Il rentre en contact avec les IWW (Industrial Workers of the World), syndicalistes révolutionnaires actifs dans le mouvement des chômeurs qui se développait alors. Il participe activement à ce mouvement, au sein des groupes de chômeurs radicaux de la région de Chicago (Workers League), lesquels prônaient, contre l’avis des organisations liées au P.C. USA, l’action directe pour obtenir des moyens matériels d’existence. Il rejoint ensuite un petit parti d’orientation communiste de conseils. C’est de ce milieu qui sont issues les revues Living Marxism (1938-1941) et New Essays (1942- 1943) , dont Paul était le rédacteur. C’est également à cette époque qu’il entre en relation avec Karl Korsch, devenu son ami, collaborateur de ces publications, au même titre que Pannekoek et d’autres communistes anti-bolchéviques européens et nord-américains. Le groupe s’attachait particulièrement à analyser les formes de la contre-révolution capitaliste et d’intégration de la classe ouvrière par l’État : les divers fascismes ou le New Deal américain. Pendant la guerre Mattick continue à travailler comme métallo. La bureaucratie syndicale, alors sous le contrôle des communistes américains, imposait la paix sociale dans les usines au nom de la défense de la démocratie et de l’alliance avec la Russie de Staline. Dans les réunions syndicales, Paul attaquait régulièrement la clause anti-grève en rapellant que : “ Maintenant que les patrons ont besoin de nous, c’est maintenant que nous devons les frapper ! ”. Très vite des goriles syndiqués, lui firent comprendre que de tels propos n’étaient pas très convenables, qu’après tout on était à Chicago et que sa santé se porterait mieux s’il évitait les réunions syndicales... À la fin de la guerre Paul vient à New York où il vit avec beaucoup de difficultés matérielles. Il se retirerera ensuite dans un village du Vermont, où il vivra avec sa femme et son fils, en quasi auto-subsistance, sur un petit lopin de terre. Dans les années 60 il s’installe à Cambridge (Boston) où travaille sa femme Ilse et ou, désormais, il se consacrera à l’écriture. En 1969, il publiera, Marx et Keynes, Les limites de l’économie mixte , une des oeuvres majeurs de la pensée marxiste anti-bolchévique de l’après guerre. Mattick montre que, partant d’une répétition bourgeoise de l’analyse critique de Marx, Keynes n’a pu proposer qu’une solution provisoire aux problèmes économiques du capitalisme moderne et que les conditions qui rendaient efficace les mesures keynésiennes disparaissent avec leur application même. D’où son opposition à tous les courants économiques bourgeois et staliniens qui voient dans l’intervention de l’État un facteur de stabilisation et équilibre de la vie économique. En ce sens, son analyse des limites de cette intervention annonçait l’émergence de la réaction bourgeoise néolibérale et, d’un autre point de vue, incitait à un nécessaire retour à la critique le l’économie politique de Marx , seule voie pour comprendre la nouvelle période capitaliste. À la fin des années 60, dans la foulée des mouvements étudiants et des luttes ouvrières, les idées dont il était un des porte-parole trouvèrent un nouveau intérêt parmi la jeunesse. Paul voyagera partout en Europe et au Mexique pour donner des conférences, rencontrer des gens, écrire dans les publications radicales. Jusqu’à sa mort, le 7 février 1981, il défendra l’idée que la transformation du monde et l’abolition du capitalisme ne pourront être menées à bien que par les intéressés eux-mêmes et que personne pourra accomplir cette énorme tâche à leur place. Qui plus est, soulignait-il, l’effort de comprehension du monde n’a de sens que s’il a pour but de le changer. Ceux et celles qui ont eu la chance et le bonheur de le connaître, n’oublieront pas la force de ses convictions, la chaleur et la richesse du contact, son humour corrosif, la qualité humaine de la personne qui donnait vie aux idéaux de l’auto-émancipation sociale. Comme il l’aimait rappeler : “ Aussi réduites que soient aujourd’hui les chances qui s’offrent pour une révolte, ce n’est pas le moment de mettre bas les armes. ”.

Charles Reeve

Bibliographie

 Ouvrages traduits en français . Intégration capitaliste et rupture ouvrière, choix de textes, traduits par S. Bricianer, Paris, EDI, 1972, (introuvable). . K. Korsch, P. Mattick, A. Pannekoek. O. Rühle, H. Wagner : La contre-révolution bureaucratique, Paris, UGE, 1973, (introuvable). . Marx et Keynes, Paris, Gallimard, 1971, trad. S. Bricianer, (épuisé). . Crises et théories des crises, Paris, Champ Libre, 1974. . Le Marxisme hier, aujourd’hui et demain, choix de textes, Paris, Spartacus, 1983. . On peut trouver une bibliographie complète en français (ouvrages, articles et textes publiés dans des revues et livres) ainsi qu’une longue biographie par Michael Buckmiller, dans l’ouvrage, Le Marxisme hier, aujourd’hui et demain (Spartacus).

 2. Texte Paul Mattick (1/3)

 De la pauvreté et de la nature fétichiste de l’économie

 L’appauvrissement universel et la loi générale de l’accumulation

 Le modèle abstrait de l’accumulation du capital présenté par Marx ne s’attache qu’aux contradictions immanentes de ce processus. Il ne prétend pas décrire le cours réel du développement capitaliste, même si la direction générale en est déterminée par les relations de valeur de la production du capital. Le modèle traite des rapports sociaux qui sont à la base du capital en tant que tels et ceci indépendamment de leurs changements d’aspect au cours de l’expansion de l’économie capitaliste. Le modèle révèle une tendance inhérente à la production du capital, mais ce n’est que sur la base d’une connaissance des conditions sociales concrètes et de l’état réel de l’économie que l’on peut s’aventurer à quelque prédiction sur le cours ultérieur des événements et à la mise en forme de politiques prenant en compte ces contingences. La théorie marxiste peut, en toute sécurité, prédire le cycle de crises du développement capitaliste, pourtant elle ne peut prévoir une crise particulière, à moins que celle-ci ne soit déjà apparente dans le marché sous des aspects qui annoncent sa venue certaine. Cette compréhension détaillée s’obtient à partir de l’expérience empirique passée. La théorie marxiste peut, en toute confiance, insister sur l’inévitabilité de la concentration du capital et du processus de centralisation, mais elle ne peut rien dire ni de son rythme ni de ses effets spécifiques sur la formation du capital à tel ou tel instant. Quoique la baisse du taux de profit soit un résultat inévitable de la production capitaliste il n’y a aucun moyen de prédire à quel moment cette tendance dominera les contretendances à travers lesquelles se prouve d’ailleurs son existence et, en particulier, la croissance de la plus-value par rapport à une composition organique du capital particulière. Enfin, quoique le processus d’accumulation déplace le travail, en fonction de la masse croissante de capital, il n’est pas possible de dire à quelle étape du développement le nombre de chômeurs va croître absolument, et cela quelles que soient les conditions de la production capitaliste. La théorie de l’accumulation de Marx déduit le mode de développement capitaliste de la théorie de la valeur ; elle trouve sa vérification empirique dans la croissance réelle de la misère sociale, dans la concentration et la centralisation incessantes du capital, dans la polarisation toujours accentuée de la société entre le travail salarié et le capital, dans le retour récurrent de crises de plus en plus générales qui marquent la capitalisation de l’économie mondiale. Ce développement capitaliste, quoique de nature cyclique, est néanmoins progressif en ce que chaque phase d’expansion est suivie par une autre phase où la composition organique du capital est plus élevée. Cela suppose qu’avec la croissance absolue du capital variable et de la plus-value qu’il crée, et même s’il y a décroissance relative par rapport au capital accumulé, l’expansion du capital puisse, pour un temps indéterminé et pour tant et tant de raisons pratiques, apparaître comme une "réfutation" de l’analyse abstraite du capital effectuée par Marx et de ses perspectives à courte vue. Les modifications que subit le système au cours même de son développement peuvent mettre entre parenthèses les lois générales de l’accumulation, du moins pour des périodes de temps assez importantes et, par conséquent, répondre positivement aux espoirs optimistes de la classe dominante et faire lever des doutes, au sein des classes exploitées, sur la vulnérabilité du capitalisme .

 Comme tout un chacun, Marx est un enfant de son époque : on doit le comprendre dans le contexte de la phase du développement capitaliste qu’il a connue. Sa critique de la société bourgeoise a été établie dans une période de développement capitaliste plutôt rapide. Quoique ce développement fut alors restreint largement à l’Angleterre, il était clair que de manière semblable et aussi rapide il allait conquérir l’Occident, et, à travers le marché mondial, toucher la planète dans son ensemble. Cette situation historique à la fois permettait et exigeait la formulation d’une théorie de la dynamique de la production capitaliste, ne serait-ce que pour saisir son développement réel et ses conséquences sociales. La gestation du capitalisme a certes été un processus tirant en longueur et plutôt lent, mais ce système avait, au milieu du XIXe siècle, déjà atteint une impulsion suffisante pour qu’on puisse se rendre compte de son impact sur l’avenir prévisible. Il avait déjà écarté la plupart des obstacles sociaux et économiques qui gênaient sa propre évolution et montrait, sans qu’aucun doute soit possible, ses propres tares. Au premier rang de celles-ci on comptait l’accumulation rapide du capital au dépens d’une population laborieuse à la misère croissante.

 Il existe une littérature suffisamment abondante sur le développement du capitalisme des débuts, la révolution industrielle, les conditions de vie des classes laborieuses dans diverses nations capitalistes, les premières tentatives pour former des organisations ouvrières et sur les luttes réelles pour obtenir une amélioration des conditions de vie et de travail, pour qu’il ne soit pas nécessaire de discuter ici cette phase du développement capitaliste. La détresse sociale, les remous causés par ces conditions firent grande impression sur toutes les couches de la société et conduisirent à des prévisions pessimistes sur l’avenir du capitalisme. Pourtant, généralement parlant, pour les esprits bourgeois, ce lugubre état de choses n’avait rien à voir avec le mode capitaliste de production mais prenait sa source dans la "mesquinerie de la nature", dans la "multiplication des hommes" et dans la loi, formulée par David Ricardo, des rapports décroissants (diminishing returns). La tendance du développement semblait conduire vers un état stationnaire, avec une misère sociale accrue qui pourrait, peut-être, se trouver adoucie par un système de distribution plus égalitaire.

 Pour Marx, tout au contraire, c’était précisément le développement rapide du capitalisme qui était cause de la croissance de la misère sociale :

 La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation , partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables. Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital amenant la mise en disponibilité de la force de travail, la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse. Mais plus la réserve grossit comparativement à l’armée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée dont la misère est en raison directe du labeur imposé. Plus s’accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s’accroît aussi le paupérisme officiel. Voilà la loi générale, absolue, de l’accumulation capitaliste.11

 À cette déclaration Marx ajoutait : "l’action de cette loi, comme de toute autre, est naturellement modifiée par des circonstances particulières". Mais cela n’affecte pas sa validité générale. Les modifications qu’elle subit sont largement dues aux mouvements cycliques du capital qui augmentent ou réduisent l’armée de réserve et, du même coup, cette "couche des Lazare" de la société qui regroupe les infortunés qui ne sont plus capables de vendre leur force de travail au capital. Puisque la loi générale de l’accumulation s’exprime par la diminution du capital variable, la misère générale ne peut que croître avec la croissance de l’armée de réserve industrielle. Cette misère ne se manifeste pas tant par l’abaissement des salaires, car ceux-ci ne peuvent tomber pour longtemps au dessous du niveau nécessaire à la reproduction de la force de travail, que par l’apparition d’une masse croissante de pauvres vivant, ou plutôt mourant, des déchets de la société. Cette loi générale a été modifiée dans ses effets - et c’est justement là une preuve de sa validité - par la législation sociale mise en place dans les nations capitalistes développées pour atténuer la menace potentielle qu’elle fait peser sur la stabilité de la société. Le coût de ce sous-produit de l’accumulation est réparti sur l’ensemble de la société, bien qu’en fait il ne soit payé qu’à partir de la plus-value produite par les ouvriers productifs. Comme cette plus-value diminue relativement aux exigences de profit du capital en accumulation, ce n’est qu’une question de temps pour que l’accumulation du capital se révèle ouvertement être l’accumulation de la misère sociale.

 Marx prédisait donc une accentuation de la misère au cours de l’accumulation. Cette prédiction rencontra le mépris des apologistes du capitalisme : n’était-il pas évident que le niveau de vie et les conditions de travail des ouvriers s’amélioraient au jour le jour ? Certes, on ne pouvait nier la misère bien réelle qui avait accompagné le développement capitaliste, mais c’était un phénomène irrévocablement révolu, résultat de difficultés liées aux premières étapes de ce développement et qui avaient été surmontées avant même la fin du XIXe siècle. Et si travail et capital étaient prospères quel sens y avait-il à parler de baisse tendancielle du taux de profit ? Une période relativement longue d’expansion capitaliste couronnée de succès créa un optimisme bouillonnant qui toucha aussi la classe ouvrière. Cet optimisme agita passablement le mouvement ouvrier organisé dont les porte-parole se hâtèrent d’annoncer que Marx n’avait pas réellement voulu dire ce qu’il avait dit. Cependant, quoique certainement impressionné par la misère sociale de la classe ouvrière qu’il avait sous les yeux au moment où il écrivait le Capital, Marx n’en a pas moins établi une théorie qui ne découle pas de ce fait mais de son analyse de la production du capital en termes de valeur. Si l’accumulation du capital se fait selon la loi de la valeur, il s’en suit que l’une des conséquences inévitables en est la croissance de la misère de la population laborieuse.

 Marx ne s’intéressait pas à la misère telle qu’elle a pu régner dans telle ou telle société du passé, mais bien à celle qu’entraînent les conditions spécifiques de la production capitaliste. Chômage et paupérisme ont été une caractéristique flagrante du capitalisme tout au cours de son développement, même s’ils ont été plus ou moins émoussés ou saillants selon les hauts et les bas du cycle des affaires. La partie de la classe ouvrière au chômage a cru avec l’accroissement de la classe elle-même, faisant diminuer ou se stabiliser le taux des salaires pratiqué. Le chômage a été le problème dominant de la société capitaliste pendant des périodes prolongées, celles de dépression, imposant à la bourgeoisie quelques modifications de la loi générale de l’accumulation. Si l’on regroupe les périodes d’expansion et de contraction de l’économie, ce qu’on doit faire pour traiter le processus d’accumulation comme un tout, il ne fait aucun doute que le chômage a cru constamment, car l’absorption d’une partie de l’armée de réserve industrielle dans les périodes d’expansion n’a pas compensé entièrement les expulsions de travailleurs hors du processus de production effectuées pendant les périodes de dépression. Si l’on considère ensemble les bonnes et les mauvaises périodes, on ne peut guère douter que le rapport du nombre des ouvriers au chômage à celui de ceux qui ont un emploi a cru avec l’accumulation du capital, car cette dernière sous-entend un déclin relatif du capital variable au sein du capital total.

Même si leur fiabilité varie avec les pays, il est bien connu que les estimations du chômage ne sont pas sûres : toutes tendent à en sous-estimer l’ampleur. Aux États-Unis, par exemple, "la méthode de calcul du chômage est truquée et délibérément fabriquée pour cacher la vérité : le niveau réel est à peu près divisé par deux".2 Mais, même en retenant de telles statistiques inadéquates, l’Organisation Internationale du Travail estimait à la fin de 1975 que le chômage a atteint le plus haut niveau enregistré au cours des quarante dernières années dans les vingt trois pays couverts par cette étude. Le nombre total de sans-emploi dans dix-huit pays européens, les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Australie et la Nouvelle Zélande a atteint 17,1 millions. Au creux de la dépression mondiale des années 30, le chômage dans ces mêmes vingt trois pays avait atteint le chiffre record de 25 millions, la proportion de sans-emploi ayant, elle, atteint pour certains d’entre eux la valeur de 20 à 35% de la force de travail. Si on tient compte de ceux qui dépendent des travailleurs sans emploi pour vivre, 40,4 millions de personnes souffraient de la situation de chômage en 1975.3

 Comme le nombre de personnes au travail peut croître en même temps que le chômage, on avance aujourd’hui l’idée que pour juger des performances de l’économie mieux vaut porter l’attention sur le niveau de l’emploi que sur celui du chômage, "car l’image que l’on retire du taux d’emploi diffère de manière significative de celle qui résulte de l’examen du chômage seul".44 Peut-être, mais cela ne change rien au fait que le taux de chômage croît plus vite que le taux d’emploi. Et cela montre simplement que l’expansion des affaires, enregistrée les années passées, n’était pas suffisante pour absorber un nombre décisif de chômeurs, comme cela avait été le cas au cours de périodes d’expansion antérieures. Par conséquent, le chômage et la paupérisation qui l’accompagne, demeurent, en dépit du nombre croissant des emplois, des différentes mesures sociales et des assurances chômage, Une étude demandée par le Congrès et menée par M.H. Brenner de l’Université John Hopkins, analyse les statistiques des États-Unis couvrant une quarantaine d’années et montre qu’il y a un lien direct entre "les actions qui agissent sur l’activité économique nationale - et particulièrement le taux de chômage - touchent la santé physique, mentale et influent sur le nombre des agressions criminelles."5 5 C’est sans doute tout a fait évident et point n’est besoin de preuve statistique, mais il s’agit d’effets bien différents de la faim pure et simple que connurent les États-Unis et d’autres pays pendant la grande dépression. Cela peut expliquer l’espèce de suffisance qui est de règle face à la détérioration systématique de la vie sociale. Or, exactement comme le prix de la force de travail varie avec les conditions historiques, sa valeur correspondant à plus ou moins de marchandises, la misère a un caractère historique, présentant des états différents dans des circonstances différentes. La misère n’est pas ressentie lorsqu’on subit un état de famine spécifique, mais lorsqu’on connaît un appauvrissement par rapport au niveau de vie habituel. Les réactions des gens à une dégradation persistante de leurs conditions de vie habituelles peuvent être aussi radicales que celles qui résulteraient d’un état de semi-famine, produit par la croissance constante de la paupérisation. Le sens de l’expression "misère croissante" est en fait déterminé par ceux qui la subissent et ne découle pas d’une quelconque "mesure objective" de ce que les gens sont capables d’endurer. Vues sous cet angle, les modifications de la loi générale de l’accumulation capitaliste n’éviteront pas, même dans les nations capitalistes hautement développées, que croisse la misère sociale.

Selon Marx, la croissance de la misère sociale est due non à celle de l’exploitation, mais aux limitations que met à cette dernière le caractère valeur de la production capitaliste. Accroître l’exploitation d’un nombre donné de travailleurs - et ceci est sans relation particulière avec leur niveau de vie et leurs conditions de travail - permet la croissance du capital, mais, du même coup, réduit sa composante variable et, par conséquent, la potentialité d’une accumulation ultérieure. Dans le monde en général, le pauvre souffre à la fois de la capitalisation et du manque de capitalisation, de même, dans chaque pays capitaliste, le prolétariat souffre à la fois de l’exploitation et du manque d’exploitation, quoique de manière plus intense dans le deuxième cas. À l’époque de Marx, le capital était restreint à quelques nations et c’était donc dans ces régions que la loi générale de l’accumulation pouvait révéler sons sens concret : le fléau du chômage, Mais avec l’extension territoriale du mode de production capitaliste et la domination capitaliste du marché mondial, cette répartition entre chômeurs et non-chômeurs s’est répandue, affectant les différentes nations de manière inégale selon le niveau de leur développement capitaliste. Donc, dans la mesure où la croissance du capitalisme peut être tenue pour responsable de celle de la misère à l’échelle mondiale, par suite de l’impact de ce système sur les régions sous-développées, il faut rajouter cette misère à celle qui provient directement de l’accumulation du capital dans les pays capitalistes développés.

 Développement technologique et relations de valeur

Comme les historiens du capitalisme qui ont produit toute une librairie de preuves documentées sur la misère des "basses couches sociales" dans les débuts du système, on peut aligner une collection non moins impressionnante de données sur l’appauvrissement croissant des "nations en voie de développement", c’est-à-dire de la plus grande partie de la population du monde. Il n’y a pas lieu d’ajouter de nouvelle description à tout ce matériel, et ce d’autant plus que les faits sont bien connus et ne sont pas contestés. Cet appauvrissement à peu près universel qui a accompagné l’extension du capitalisme vers un système mondial, montre la validité de la loi générale de l’accumulation énoncée par Marx. Cette loi n’est pas contredite mais plutôt confirmée par l’amélioration énorme du sort de larges couches de la classe ouvrière dans les pays capitalistes dominants : celles-ci ne constituent en effet qu’une petite fraction du prolétariat mondial, même si elles forment une part plus importante, quoique minoritaire, de celui de leurs propres nations. Processus de concentration et de centralisation, l’accumulation réduit à la fois le nombre d’entités de capital par rapport à la masse totale et le nombre de travailleurs employés dans l’industrie. Il devient de plus en plus difficile de créer de nouvelles unités de capital dans les nations capitalistes avancées, mais c’est encore plus difficile dans les pays moins développés, à moins que du capital venu des premières n’entre dans le tissus social des seconds. Mais ceci sert principalement l’expansion du capital des nations capitalistes dominantes et freine la formation de capital dans les pays sous-développés. Les avantages concurrentiels que possèdent les entités de capital existant depuis longtemps et hautement concentrées sont tels que, chez elles comme à l’étranger, ces entités interdisent l’apparition de nouvelles entreprises capitalistes de composition organique plus faible et, par conséquent, employant plus de force de travail. Alors que le mode capitaliste de production se généralise de plus en plus, il n’absorbe pas la même quantité de force de travail qu’il s’assimilait à des stades antérieurs. En se déroulant, l’expansion du capital crée une population en surplus, incapable de vivre en dehors comme en dedans du système capitaliste.

Il y a peu de doute : Marx croyait que les manifestations concrètes de la loi générale de l’accumulation apparaîtraient plus tôt et de manière plus convaincante que cela a été. On ne peut cependant réfuter la loi sous le prétexte que son impact n’est pas encore total. Mais, bien entendu, et pour la même raison, on ne peut pas la démontrer, car le capitalisme pourrait se modifier d’une manière inconnue jusqu’ici et la rendre caduque. Tout ce qu’on peut demander aujourd’hui c’est de déterminer si la loi est à l’oeuvre ou non dans les tendances discernables de la production capitaliste. Et, vu sous cet angle, on ne peut en fait douter de son existence même si les conséquences ont été moins directes et plus estompées que ce que Marx envisageait.

 Marx semble avoir sous-estimé la résilience (résistance aux contraintes (NdT)) du capitalisme et sa capacité de s’adapter aux conditions changeantes du processus d’accumulation. Il lui était difficile de prévoir le degré de développement de la productivité et de l’exploitabilité du travail que permet, à un moment donné, l’utilisation des machines et l’avancement des sciences appliquées. Pourtant Marx a insisté sur le fait qu’un rapide développement des sciences accompagne et conditionne - tout en étant conditionné par elles - croissance et expansion du capital. Les changements technologiques du processus de production furent d’abord tout à fait accidentels et sporadiques, mais, rapidement, on les rechercha de manière systématique dans la quête concurrentielle de nouveaux produits et de méthodes de production moins coûteuses. Ce genre de changements améliore la productivité ce qui entraîne une réduction du travail vivant par rapport aux moyens de production et à la masse produite (output) . Or la croissance de la composition organique du capital peut être compensée par celle de la masse de marchandises, de sorte que le taux de profit puisse être maintenu voire accru, ne serait-ce que pour quelque temps. C’est pourquoi il n’est guère possible de prévoir exactement quel impact la science et la technologie auront sur le processus de production capitaliste déterminé par la valeur.

 Le concept de croissance de la composition organique du capital fait référence à la totalité du processus de reproduction sociale, c’est-à-dire à la fois aux relations et aux forces sociales de production. On ne peut les séparer en ce sens que seules les unes déterminent les autres. Quand on considère des sociétés différentiées au cours de l’Histoire, il est possible d’y reconnaître des forces sociales de production spécifiques qui correspondent à des relations sociales définies et de les distinguer de celles développées par d’autres formations sociales. Mais, au sein d’une société donnée, il est impossible de dériver les changements de relations sociales de production du développement des forces sociales de production. Dans le capitalisme les forces productives changent constamment, mais dans le cadre de relations sociales de production inaltérées et c’est précisément la constance de ces dernières qui permet l’accumulation du capital en termes physiques et en termes de valeur. Alors même que les relations capital-travail stimulent le développement des forces productives, elles peuvent tout autant le freiner dès que celui-ci entre en conflit avec les relations sociales de production.

 Pour Marx, "le développement du capital fixe montre à quel point l’ensemble des connaissances (knowledge) est devenu une puissance productive immédiate, à quel point les conditions du processus vital de la société sont soumises à son contrôle et transformées selon ses normes."66 Pourtant cet aspect du développement des forces productives et son immense accélération dans le cadre des relations capitalistes de production sont toujours restés subordonnée aux relations de valeur entre travail nécessaire et surtravail, à leur modification déterminée par l’accumulation du capital ; En lui-même, le développement scientifique et technologique peut être pertinent pour une société à venir en ce qu’il détermine les conditions de l’existence sociale, mais, dans le système capitaliste, il n’a aucune indépendance significative. C’est pour cette raison que, selon Marx, les forces de production ne peuvent se ramener à une simple question de développement technologique car elle comprennent tout autant les activités sociales créées au cours de ce développement déterminé par les relations de classes. De même que ce n’est ni la science, ni la technologie mais le capital qui représente les forces productives et qui détermine leurs limites dans la société moderne, de même c’est la révolution prolétarienne qui représentera la plus grande des forces productives en détruisant les relations capitalistes de production. L’histoire est l’histoire de la lutte de classes, pas celle de la technologie.

 Pour la bourgeoisie elle-même, et ceci jusqu’à une date toute récente, "les changements technologiques étaient la terra incognita de l’économie moderne."7 Ils ne jouaient aucun rôle dans la théorie statique du marché. Du point de vue de cette théorie, la formation de capital résulte de l’épargne qui, en faisant croître le capital physique et technique par travailleur, augmente ce que celui-ci produit pour un niveau technologique donné. Une fonction mathématique, la "fonction de production" sert à analyser les changements structurels entre les divers "facteurs de production", permettant ainsi de déterminer la proportion à établir entre eux pour obtenir la plus grande masse de produits (output) pour une fourniture à l’entrée (input) donnée. Plus la production devient intensive en capital, plus le produit (output) augmente et plus s’améliore le bien-être de la société. Et, comme du point de vue bourgeois c’est la consommation qui règle l’allocation des ressources économiques, les technologies ne sont qu’une image des relations d’offre et de demande sur le marché.

 Les économistes qui ne sont intéressés à la dynamique de la production capitaliste, comme Thorstein Veblen et Joseph Schumpeter, ont découvert sa force directrice dans les changements technologiques. Ceux-ci pouvaient détruire l’équilibre du marché, mais seulement pour le rétablir à un niveau technologique plus élevé, Selon ces auteurs, ce n’est pas le capital mais la technologie qui est l’élément décisif dans l’évolution du système capitaliste.

De manière analogue, alors que les économistes néoclassiques négligeaient l’aspect physique et technique de l’expansion du capital, on en vint à rejeter cette attitude lorsqu’on énonça les diverses "théories de la croissance" (growth theories). Ce qui avait été jusqu’alors largement ignoré, devenait la seule caractéristique de ces théories économiques, le tout dans le but d’expliquer le développement capitaliste sans sacrifier les concepts d’équilibre de la théorie du marché. Ici nous voulons essentiellement attirer l’attention sur ce renversement de la théorie sans plus entrer dans le détail, et rendre clair une fois pour toutes le fait qu’il n’existe aucune relation entre la théorie de l’accumulation de Marx et ces théories de la croissance que l’on rencontre ordinairement. De fait, ces dernières tentent soit d’accommoder les aspects physiques de l’expansion capitaliste aux choix imaginaires du consommateur sur le marché, soit de déterminer la distribution du produit social par les relations technologiques au sein du processus de production. Pour Marx, la loi générale de l’accumulation s’affirme quelles que soient les modifications apportées au processus de reproduction capitaliste par la croissance des forces productives, celle-ci s’exprimant par la masse et le caractère du capital fixe et leurs effets sur l’exploitabilité de la force de travail. C’est précisément cette croissance qui révèle les contradictions du système capitaliste et fait prévoir sa chute finale. (...) 3. Texte Matick (2/3)

Concentration de la propriété et contrôle du capital

 Le développement technologique tel qu’il est déterminé par l’accumulation du capital - ou, et c’est la même chose, par l’aspect valeur d’usage de la valeur d’échange ou capital - sous-entend centralisation du capital en termes physiques et en termes de valeur. Selon Marx, cette centralisation étend l’expropriation originelle des classes laborieuses pré-capitalistes, créant ainsi les travailleurs salariés "libres" pour le plus grand profit du capital, et faisant passer la propriété de nombreux capitalistes aux mains de quelques uns. Cette monopolisation accrue du capital social que l’on peut déduire de la théorie de la valeur, correspond, bien entendu, à un processus qui se déroule sur une période de temps indéterminée. Il n’est pas possible de dire à quel instant précis la formation incessante de capitaux nouveaux finira par ralentir pour laisser l’exploitation du prolétariat mondial aux mains d’un nombre décroissant de compagnies géantes, capables par leur existence même d’empêcher toute ascension victorieuse d’entreprises capitalistes nouvelles. Toutefois la concentration et la centralisation du capital est un phénomène observable empiriquement tant dans son amplitude que dans ses effets sur l’économie capitaliste dans son ensemble. C’est pour cette raison que concentration et centralisation du capital, découvertes en premier par Marx, sont des faits qu’on ne nie plus aujourd’hui. Elles ont fait l’objet d’une immense littérature8 8, mais elles ont été aussi à l’origine de nombreuses tentatives, non couronnées de succès, qui voulaient en arrêter le cours par des mesures législatives. Que le revenu provienne du profit, de l’intérêt ou de la rente, il est, dans chaque cas, lié à la propriété, éventuellement partielle, d’une affaire particulière. Une telle affaire peut être une compagnie géante, un établissement industriel grand ou petit, une ferme commerciale, une affaire d’extraction, mine ou scierie, un courtage en propriété foncière, etc. Toutes ces affaires représentent une certaine valeur sur le marché, exprimable en termes de monnaie. La plupart des grosses affaires sont propriété de plusieurs porteurs de parts. Les droits de propriété d’une firme, ce qu’elle rapporte, peuvent être mis sur le marché et sont l’objet de tout un trafic sur le marché boursier. Les ressources réelles d’une compagnie et l’évaluation qu’en fait le marché ne sont pas identiques, et les porteurs de parts peuvent se partager non seulement les profits réels mais aussi ces "profits" qui résultent de la vente de leurs parts. Lorsqu’on espère de forts dividendes e prix des parts augmente, il diminue au contraire si on craint un déclin de la profitabilité de la firme. Le capital d’une compagnie moderne a donc une grandeur fluctuante qui peut varier d’un jour à l’autre, alors que sa base matérielle, c’est-à-dire propriété et équipements réels, ne peut changer que par l’accumulation (ou la désaccumulation). Aux débuts du capitalisme les entreprises étaient, pour la plupart, possédées par des individus ou des petits groupes qui, en général, voyaient dans le coût de leur équipement en capital la base de la capitalisation. Dans les conditions modernes, c’est aussi bien la profitabilité réelle que celle qu’on espère qui fixe l’évaluation projective d’une entreprise. Les espérances peuvent être ou ne pas être réalistes, d’où le caractère spéculatif du marché du capital. Cependant, les gains et les pertes spéculatifs, quoique modifiant les fortunes individuelles, n’affectent en rien l’état réel de l’économie et sa profitabilité réelle, même si un "boom à la bourse", c’est-à-dire une expansion spéculative de capital et de profits fictifs, peut porter une situation de crise déjà existante sur les sommets, comme ce fut le cas aux États-Unis en 1929 ? Certes il existe encore de nombreuses petites entreprises dont le capital appartient à des particuliers ou à des familles, et même de grandes compagnies (surtout dans les industries d’extraction et dans le domaine foncier) dont les avoirs sont contrôlés par des personnes privées, toutefois la grande masse du capital est concentrée dans de grandes corporations et prend la forme d’actions largement distribuées. Aux États-Unis par exemple, il y a 17 millions de porteurs d’actions. Bien des gens en possèdent sans doute plusieurs, mais la plus grande partie ne l’est que par quelques personnes. Ainsi 2% des porteurs d’actions possèdent 58% des actions ordinaires et 1%, 46% des actions privilégiées. Lebig business est toujours entre les mains de multimillionnaires qui contrôlent les compagnies grâce à la concentration de leurs actions. Dans les années 50, par exemple, feu J. Paul Getty, président de la Getty Oil Company , possédait 12.570.039 parts, représentant 79% du capital de sa compagnie et une valeur mercantile de plus de 300 millions de dollars. Des familles comme les Mellon, les Ford ou les du Pont, contrôlaient, grâce à leur concentration d’actions, les compagnies auxquelles elles étaient associées et, dans bien des cas, leurs avoirs excédaient la valeur de la propriété d’un Getty. Détenir 10% des actions prestigieuses de la Standard Oil Company représente un portefeuille de 21.658.999 parts, soit plus de 1 milliard 516 millions de dollars. Il y a des cas ou même 1% correspond à des sommes d’argent stupéfiantes. La famille Watson a des intérêts dans l’International Business Machine Corporation (IBM), dont ils sont les fondateurs, qui représentent 243.570 parts, une valeur mercantile de 108 millions de dollars et qui pourtant ne forment que l% de la valeur mercantile totale estimée à 12,2 milliards pour cette compagnie. On compte, dans de nombreuses compagnies, des porteurs individuels qui détiennent plus de 10% de toutes les actions, les valeurs mercantiles correspondantes ne montant à des centaines de millions de dollars. Ces concentrations peuvent être comparées au nombre moyen de parts possédées par un porteur pour une compagnie donnée : 275 pour la Général Motors, 17 pour Woolworth (grande chaîne de magasins).99 Cette concentration de la propriété s’est encore accélérée depuis que ces estimations ont été faites et elle s’est internationalisée par le biais des multinationales, atteignant un point tel que le volume des ventes de quelques grosses compagnies dépasse le produit national brut de bien des nations.1010 Cette tendance n’est pas restreinte aux États-Unis, mais s’observe dans tous les pays capitalistes. À côté de ces compagnies privées, il existe des compagnies "utilitaires", qui produisent et/ou distribuent l’eau, le gaz, l’électricité, le pétrole, s’occupent des égouts, des communications, des transports. Dans quelques nations, et plus particulièrement en Europe, ce genre de compagnies est directement possédé par la municipalité ou l’État. Dans d’autres pays, comme les États-Unis, elles restent propriétés privées, mais leur fonctionnement est en partie réglementé par la loi. Ce contrôle public consiste essentiellement en une fixation des tarifs exigibles par ces compagnies pour leurs services et en une détermination du rapport (return) de leur investissements ; en général il s’agit d’un "rapport correct" comparable au taux de profit enregistré par ailleurs. Il arrive aussi qu’une quelconque forme de réglementation s’applique à leur politique d’investissement. Le contrôle de ces compagnies est, là aussi, très centralisé, grâce à l’intervention de compagnies de holding associées à de grandes banques. Pour garantir ce contrôle hautement concentré, l’émission d’actions reste limitée, le financement passe plutôt par l’émission de bons à long terme. La manière dont le contrôle est assuré diffère selon les pays et les compagnies, mais les opérations réelles de ces compagnies utilitaires, qu’elles soient de statut privé, public ou mixte, ne diffèrent pas de la pratique des autres compagnies.

Posséder des parts dans une grande compagnie ne veut pas dire la contrôler. Il est clair que les 2 millions de possesseurs d’actions de l’American Telephone and Telegraph (ATT) ne peuvent exercer aucune forme de contrôle sur ses transactions. La grande diffusion des propriétaires d’actions non seulement permet le contrôle par une minorité, mais l’exige et plus cette dispersion est grande, et moins il faut d’actions pour s’assurer le contrôle d’une compagnie. Ordinairement 10% suffisent. En théorie les porteurs d’actions contrôlent en dernier ressort le management de ces compagnies puisqu’ils ont légalement le droit de le révoquer. Mais, dans la pratique, des porteurs minoritaires, mais "concentrés", font bloc avec le management pour s’emparer du pouvoir de décision et ne peuvent guère être contestés. Même si ce n’est pas nécessairement le cas, les managers et les directeurs de compagnie possèdent souvent des actions. Cependant leur puissance ne découle pas tant des parts qu’ils possèdent que de leur position. Plus une compagnie est importante, plus le nombre de ses porteurs de parts est élevé et plus s’accroît dans la pratique cette séparation entre propriété et contrôle. Mais plus est concentrée la propriété des actions au sein d’une compagnie, plus grand est le contrôle exercé sur le management par la minorité "concentrée" de porteurs de parts.

Le contrôle minoritaire sur le capital est encore renforcé par la "pyramidisation" ou l’"amplification" que pratiquent les compagnies de holding et les "directions imbriquées". La compagnie de holding est un système qui permet de prendre le contrôle d’une ou plusieurs compagnies en utilisant le vote "pyramidal" pour contrôler leurs titres et, ainsi, une grande quantité de capital avec un minimum d’investissement. Les directions imbriquées correspondent à cette pratique où une même personne siège comme membre du comité de direction de plusieurs compagnies, en principe séparées, pouvant alors imposer une politique commune à l’ensemble. Même si on laisse de côté les possesseurs d’actions sans droit de vote associé, et si on ne s’attache qu’aux propriétaires avec droit de vote, il est clair que ceux-ci ne sont guère capables de l’exercer et d’ailleurs, ordinairement, ils n’essayent ni se soucient d’influencer la politique de leur compagnie. Cette dernière est menée sous la responsabilité du comité directeur, un petit nombre de personnes qui, à leur tour, choisissent le management professionnel qui mène les opérations sur le terrain. Les directeurs sont en principe élus par les porteurs d’actions, mais ces derniers ne peuvent en général le faire directement et utilisent donc des mandataires (proxies) qui les représentent et exercent leur droit de veto. Dans un trust ordinaire, le mandataire sera un membre du comité directeur et quoique, de temps en temps, il y ait des "bagarres de mandataires" pour le contrôle de la compagnie, elles ne touchent guère le management , groupe qui se perpétue lui-même en cooptant ses successeurs. De manière générale, les porteurs ordinaires d’actions se trouvent dans la situation passive de possesseurs de concessions minières.

 Si propriété et contrôle ne coïncident pas dans la compagnie moderne, il n’y a pas, normalement, de divergence d’intérêt entre les possesseurs passifs de concessions et les dirigeants actifs de l’affaire. Les uns comme les autres ont intérêt à ce que les profits soient maximaux. Comme le capital en général, le capital d’une compagnie doit mener des opérations productrices de profit, conduisant à la formation de capital additionnel. Un manque de profitabilité, une perte de capital ont pour conséquence l’extinction finale de l’organisation, Il ne peut pas non plus y avoir de divergence d’intérêt entre les propriétaires et les managers , car la position et le revenu de ces derniers (même s’ils ne possèdent rien ou pas grand chose) dépend de l’existence et donc de la profitabilité de la compagnie qu’ils gèrent. En fait la classe des managers forme le groupe singulier le plus important de la population des porteurs d’actions, ce qui renforce l’intérêt qu’ils portent à la profitabilité de l’entreprises à cause de leur double qualité : manager et possédant.

 Le management des compagnies, quoique largement indépendant de la plus grande partie des porteurs d’actions, peut néanmoins être soumis au contrôle de banques d’investissements et de groupes financiers qui leur fournissent les crédits à long terme. La finance peut affirmer son pouvoir sur une firme lorsque celle-ci est, soit en expansion rapide, soit en détresse financière. Ceux qui accordent un concours financier à une compagnie, en particulier lorsque celle-ci veut effectuer une réorganisation, exercent un droit de regard sur sa politique, intervenant dans le choix de son comité directeur et de ses cadres supérieurs, Mais, même indépendamment des besoins do crédit, la finance peut prendre de l’influence grâce à des techniques comme l’achat de participations minoritaires, la création de cartels de votes, la "pyramidisation" chère aux compagnies de holding. Toutefois la puissante des banques et de la finance sur le monde des affaires a été quelque peu ébranlée ces derniers temps par l’entrée on lice des compagnies d’assurances et de pensions qui se sont lancées dans la course aux bons industriels, et aussi par le recours plus fréquent des compagnies à l’autofinancement de leur expansion à partir de leurs gains. Mais que le contrôle centralisé de la compagnie soit exercé par un management "interne" ou "externe", le fonctionnement n’en exige pas moins qu’un accent identique soit mis sur la profitabilité, comme c’est le cas lorsque propriété et contrôle direct coïncident.

 Monopole et concurrence, aspect d’un même processus de marché

 La concentration et la centralisation du capital se traduisent en un mouvement contradictoire vers la monopolisation. Par analogie avec la physique newtonienne où des forces d’attraction et de répulsion maintiennent l’univers en équilibre, les économistes ont vu dans les forces du marché, l’offre et la demande, un mécanisme d’équilibre, équilibre assuré par la concurrence dans les conditions du laissez-faire .11 Tout d’abord, cette idée n’est pas tant une description de la réalité qu’une exigence politique exprimant les besoins de la bourgeoisie montante dans les conditions mercantiles de la société féodale. Quoique l’"idéal" de non-intervention dans le marché concurrentiel ne fut jamais atteint, et ne pouvait l’être, il n’en reste pas moins que jusqu’au début du XXe siècle, c’est la concurrence sur le marché privé qui détermina largement le caractère et le développement de la société capitaliste. Quoi que puisse penser le businessman de la libre concurrence, il doit, dans la conduite de ses affaires, essayer pratiquement d’échapper aux pressions de celle-ci par des moyens et des méthodes qui, dans leurs effets, réduisent le nombre de ses concurrents, soit dans l’absolu, soit relativement à la croissance de l’économie. Par des moyens honnêtes ou déloyaux, il recherchera des profits supplémentaires, une position monopoliste sur le marché, afin de satisfaire une part plus grande de la demande, tout cela pour éviter de se faire démolir par la concurrence toujours menaçante. Toute réduction isolée des coûts entraîne un avantage sur le marché, rapidement perdu lorsque son application se généralise. C’est de cette manière que la concurrence entretient la monopolisation et que la monopolisation succombe sous les coups de la concurrence. Il n’est donc pas possible réellement de parler de concurrence sans parler de monopole l’un et l’autre sont des aspects d’un seul et même processus du marché. Dans la théorie bourgeoise du marché, le monopole n’est pas intimement lié à la concurrence mais est au contraire présenté comme son opposé direct qui gêne le fonctionnement correct du mécanisme des prix. Jusqu’à une date récente, la théorie du marché retenait un modèle abstrait de concurrence parfaite. Mais ce modèle perdit la pertinence limitée qu’il pouvait avoir avec la croissance progressive de la monopolisation du monde des affaires. On parle aujourd’hui de concurrence "imparfaite" ou "monopoliste" pour décrire des situations de marché qui ne sont ni parfaitement concurrentielles ni complètement monopolisées. Dans un tel marché, aucune firme ne peut contrôler les prix à volonté, mais la limitation du nombre de concurrents modifie réellement les prix, qui ne sont pas ce qu’ils seraient dans des conditions de concurrence plus parfaite. L’achat et la vente de marchandises sur une très grande échelle assurent, jusqu’à un certain point, un contrôle monopoliste des prix. La concurrence imparfaite est donc associée au big business et, parce que ce dernier domine le capitalisme d’aujourd’hui, les économistes ne parlent plus de concurrence parfaite mais de "concurrence réalisable " (workable), un terme qui couvre tous les degrés et combinaisons de concurrence et de monopole. L’attitude du businessman face à la concurrence et au monopole est essentiellement variable. S’il se trouve lui-même en position de monopole sur le marché, il en jouira sans arrière-pensées sinon il dénoncera les monopoles et se prononcera en faveur d’une concurrence "loyale". Si l’exercice de la concurrence s’accompagne toujours de l’existence momentanée de situations de monopole, parce que certaines entreprises réussissent avant d’autres à baisser leurs coûts, l’apparition de monopoles peut aussi être le résultat d’un combat au couteau entre concurrents. Pour faire disparaître des concurrents, certaines firmes peuvent délibérément s’infliger des pertes temporaires en discriminant leurs prix, en faisant des remises excessives ou des rabais, etc. De cette manière elles s’assurent un plus grand contrôle des prix et satisfont une part plus grande de la demande présente sur le marché. La concurrence "au couteau" est plus particulièrement pratiquée par les grandes comme les petites affaires dans les périodes de dépression. Mais, tout à fait indépendamment de toute concurrence "déloyale", c’est la croissance même de l’économie de marché résultant de la concurrence qui a conduit à la concentration et à la centralisation du capital et à ses entreprises gigantesques. Elle a accentué les aspects monopolistes du marché réel qui est à la fois concurrentiel et monopoliste. Si, dans le capitalisme des débuts, il y avait plus de concurrence que de monopoles, dans le capitalisme tardif, il y a plus de monopole que de concurrence. La grande variété des situations de marché pouvant influencer les prix par la diminution ou l’augmentation du nombre de concurrents, soit du côté de la demande, soit du côté de l’offre, a conduit à forger toute une variété d’expressions techniques : oligopole, duopole, oligopsone, duopsone. Il est rare, si cela arrive jamais, que ces termes décrivent des relations de marché ayant leur contrepartie dans la réalité, mais ils servent aux théoriciens de l’économie pour construire leurs spéculations. Le monopole (un seul vendeur) et sa contrepartie le monopsone (un seul acheteur) peuvent exister temporairement dans un domaine particulier des affaires. Mais cette situation peut difficilement se maintenir. Le monopole est toujours accompagné par la concurrence et est lui-même une forme de celle-ci. Il domine, à des degrés variés, diverses sortes d’activité, certaines tendant plus que d’autres à la monopolisation. La grande industrie par exemples connaît moins la concurrence que l’agriculture et par conséquent contrôle mieux les prix que cette dernière. Mais même les domaines, où la concurrence est la plus forte, voient se développer des tentatives pour surmonter ce désavantage en réalisant un certain mode de monopolisation ; citons par exemple les essais des paysans de contrôler les prix en formant des coopératives. Il existe donc, dans chaque nation et dans le monde en général, un large conglomérat d’affaires où la concurrence ou le monopole dominent plus ou moins et dont le contrôle sur les prix varie de zéro à une détermination complète.

Les prix de monopole eux-mêmes ne sont pas arbitrairement fixés, mais gardent une certaine relation avec la situation du marché dans son ensemble. Plus le prix de monopole est élevé, plus la demande pour les marchandises offertes à ce prix sera faible. Ce qui aura, pour ainsi dire, été "surpayé" dans le prix de monopole ne pourra être utilisé pour acquérir des marchandises soumises à des conditions de concurrence plus ouvertes. La demande dans la sphère de la concurrence va donc diminuer, la concurrence s’exacerber et les entreprises en concurrence baisseront leurs prix. Pour les firmes à faible marge de profit cette baisse peut entraîner la ruine. Sur la base d’un revenu social donné qui détermine la demande existante, les prix de monopole forcent les autres prix à être inférieurs à ce qu’ils seraient dans des conditions de concurrence plus parfaite. On assiste alors à un "transfert" de revenu de la sphère des affaires en concurrence vers celles qui le sont moins. Toutefois ce "transfert" n’affecte pas nécessairement la taille des revenus d’une affaire donnée si celle-ci se trouve dans une situation de flux, c’est-à-dire s’il y a croissance du revenu social et expansion de la demande sur le marché. La croissance de la productivité sociale et l’extension du marché peuvent être telles que les prix de monopole comme ceux du secteur concurrentiel puissent rester suffisamment hauts pour assurer une profitabilité suffisante. Ce n’est que dans des conditions de stagnation ou de déclin que la monopolisation accrue s’accompagne d’une destruction continue d’entreprises plus petites, plus soumises à la concurrence, processus qui devrait trouver sa fin logique dans la monopolisation totale de l’économie, et du même coup la fin du marché capitaliste. Les conditions de concurrence imparfaite qui règnent aujourd’hui, incorporent encore une grande partie de concurrence non "dissoute". Il y a partout dans le monde capitaliste d’innombrables petites affaires, en particulier dans l’agriculture et le commerce de détail, qui n’ont pas le moindre contrôle sur les prix. De telles affaires sont encore ouvertes à ceux qui ont les fonds nécessaires et qui gardent l’illusion du succès dans un monde dominé par le big business . Le prix de leurs coûts sont codéterminés par les prix fixés par la concurrence monopoliste tandis que leurs prix de vente sont souvent fixés par le résultat d’une concurrence acharnée. Le taux de faillite de ce type d’affaires est très élevé et leur poids relatif dans le monde des affaires est aussi faible que leur nombre est grand. Par conséquent, il existe simultanément deux marchés : le marché traditionnel où offre et demande déterminent les prix de concurrence, et un marché où des prix "administrés" déterminent l’offre et la demande, Ces prix "administrés" peuvent être, ou ne pas être, l’indication de l’existence d’une concurrence monopoliste. Au lieu de s’engager dans une concurrence coûteuse, certaines entreprises préfèrent s’aligner sur des prix plus on moins uniformes, soit en passant, par la concertation, des accords non-écrits, soit en acceptant purement et simplement les prix fixés par les entreprises les plus grosses du secteur. S’il s’agit d’un produit homogène, l’acier par exemple, les prix s’élèveront ou diminueront au gré de la compagnie dominante. On dit souvent que l’absence de prix de concurrence dans la plus grande partie du marché moderne ne signifie pas la disparition de la concurrence mais plutôt un changement de forme de celle-ci : la concurrence des prix est remplacée par une autre qui s’exprime dans la publicité, les marques de fabrique, les crédits et les variations et améliorations des produits eux-mêmes. Mais cette rivalité a plus une fonction restrictive que concurrentielle, car elle tend à renforcer et étendre les monopoles existants et à les protéger des attaques d’envahisseurs possibles. La répugnance à s’engager dans la concurrence des prix n’est pas une caractéristique réservée aux grandes entreprises : même les petites ne sont guère favorables à ce type de concurrence sans frein que les économistes présentent comme essentielle pour assurer un fonctionnement correct de l’économie. Quoi que ceux-ci puissent penser sur la nécessité d’un mécanisme concurrentiel des prix, le souci du businessman sur le terrain reste la profitabilité et cela quelles que soient les conditions sur le marché. S’il peut faire un profit plus élevé en baissant ses prix, forçant du même coup les autres à lui emboîter le pas, il le fera vraisemblablement. Mais c’est précisément parce qu’il peut mieux accroître son profit en recourant aux prix "administrés" qu’il préfère réduire sa production plutôt que son prix. Ce choix ne résulte pas d’un dessein pernicieux : violer les "lois économiques" et s’en prendre à l’"intérêt public", mais découle du principe de maximisation des profits, condition nécessaire pour assurer l’existence et l’avenir de toute affaire. Avec la croissance de leur taille, les entreprises enregistrent celle de leurs frais fixes et de leurs frais généraux. Ces derniers sont relativement constants alors que les ventes d’une firme peuvent fluctuer largement. Or, pour que la profitabilité se maintienne, il faut que les ventes soient dans un rapport bien défini avec les coûts. Si ceux-ci sont abaissés, les prix des marchandises peuvent l’être aussi, mais cela ne garantit pas une augmentation des ventes, ou même des ventes suffisantes pour que les profits l’emportent sur les coûts. Ce que une firme peut gagner en termes de ventes par une réduction des prix reste souvent négligeable par comparaison aux exigences de la profitabilité. Pour que les profits ne baissent pas, il faut, dans le contexte de la concurrence des prix, que la demande sur le marché croisse rapidement. Si cette croissance n’a pas lieu, les prix les plus bas et les coûts les plus "visqueux" vont se traduire par une réduction de la marge de profit. Si la demande ne croit pas suffisamment, baisser les prix se fait à perte. Dans de telles conditions, les businessmen préféreront restreindre leur production et passer des accords informels pour stabiliser les prix au niveau de profit le plus confortable. Le déclin de la concurrence des prix n’est pas seulement une conséquence de la montée du big business mais aussi un résultat de la baisse du taux d’expansion du capital, que les businessmen interprètent comme une baisse de la demande sur le marché. La concentration du capital devrait avoir rendu évident le fait que le mécanisme de concurrence des prix, tel que le conçoit la théorie bourgeoise de l’équilibre, n’a aucun effet sur le développement du capitalisme. Dans le jargon bourgeois on dit pourtant que les "économies de la production à grande échelle", créées par la croissance de la productivité résultant de l’augmentation et de l’amélioration de l’équipement en capital, réduisent purement et simplement les coûts de production et font baisser les prix. Mais elles éliminent aussi les producteurs à haute coûts et les chassent du marché. Instrument de la concurrence, la production de masse est aussi instrument de concentration et de monopolisation. Pourtant il a fallu que cette évolution se poursuive pendant plus de cent ans pour que la théorie bourgeoise découvre l’existence des monopoles au sein du système de laissez-faire et leurs effets sur les profits et les prix, et abandonne l’analyse de la concurrence pour se tourner vers celle de la formation des prix monopolistes.

 Monopolisation du capital et loi de la valeur

 Tout au contraire, la théorie de la valeur et de l’accumulation de Marx trouve sa vérification empirique dans le fait incontestable et généralement reconnu de la croissance de la concentration et de la centralisation du capital. Dans le modèle marxien de la production du capital, la concurrence "régule" l’économie capitaliste par la formation d’un taux de profit moyen. Il est alors clair que

 l’élimination progressive de la concurrence doit interférer avec la formation d’un taux de profit général et ainsi rompre son caractère régulateur. Tandis que la loi de la valeur continue de déterminer le développement capitaliste, son effet sur la distribution de la plus-value diminue lorsque croit la monopolisation du capital. Cette dernière fait passer une quantité disproportionnée de la plus-value sociale entre les mains des monopoles et réduit celle qui revient au capital soumis à la concurrence. Mais, comme la concurrence, la monopolisation ne peut affecter que la répartition de la plus-value sociale disponible, pas sa masse réelle. La tendance à la baisse du taux de profit demeure et se montre d’abord dans la réduction des profits du secteur où règne la concurrence en faveur du secteur monopolisé. Ce que l’un gagne l’autre le perd. En sortant du processus de moyenne lié à la concurrence, le capital de monopoles entraîne, par son contrôle des prix, une réduction des prix et des profits pour les capitaux soumis à la concurrence, et, du même coup, réduit leur nombre dans le capital social total. Dans la mesure même où le capital de monopoles se débarrasse de la concurrence, il détruit la source de ses profits monopolistes qui tendent à devenir des profits déterminés par le degré réel de l’exploitation rapportée au capital total. Les profits de monopole deviendront le profit social moyen, profit qui augmentera on diminuera avec la productivité du travail, en relation avec l’évolution de la composition organique du capital total.

 L’élimination de la concurrence par la concurrence et la monopolisation croissante qui en résulte n’affectent pas la théorie de l’accumulation de Marx, ni l’effet de cette accumulation sur le taux général de profit, si ce n’est dans la mesure où la perte progressive de la force "régulatrice" de la concurrence dans le domaine de la distribution de la plus-value, fait croître le désordre général du système capitaliste et sa prédisposition aux crises et dépressions.

 Avec les effets de la monopolisation sur l’allocation du travail social en termes de valeur d’usage, les situations de crise deviennent plus dévastatrices et plus difficiles à surmonter. La distribution de la plus-value sociale, par le biais du taux de profit général, est aussi un mécanisme par lequel les exigences du processus de reproduction du capital sont satisfaites, tant en termes de valeur d’usage que de valeur d’échange. En revanche, un taux de profit monopoliste, fixé de manière plus ou moins arbitraire, altère cette étroite relation en faveur de l’expansion privilégiée de la valeur d’échange du capital monopoliste. Le capital est contraint de perdre, dans une mesure croissante, même ce degré de cohérence qui permettait de satisfaire à ses propres exigences sociales dans un stade antérieur de son développement.12

 Si on dépouille cette centralisation croissante du capital de son caractère contradictoire (c’est-à-dire capitaliste) alors, selon Marx, la tendance indubitable vers la centralisation indique : que la production perd son caractère privé et devient un processus social, non pas formellement - dans le sens que toute production soumise à l’échange est sociale à cause de l’interdépendance absolue des producteurs et de la nécessité qui s’impose à eux de présenter leur travail comme un travail social abstrait (par l’intermédiaire de la monnaie) - mais dans la réalité des faits. Car les moyens de production sont mis en oeuvre comme des moyens de production sociaux, communaux et par conséquent ne sont pas déterminés par le fait qu’ils sont propriété d’un individu mais par leur rapport à la production. De même le travail est exécuté sur une échelle sociale.1313 Diminution de la classe ouvrière industrielle et croissance de la classe ouvrière en général Toutefois ce même processus qui permet d’envisager la perspective socialiste de développement ultérieur de la société, ne fait qu’intensifier la contradiction entre les forces sociales et les relations sociales de production capitalistes et, par conséquent, l’aggravation des conflits sociaux dans des conditions économiques allant se détériorant. Bien qu’on ne nie pas la centralisation du capital et qu’on ne puisse plus passer sous silence les crises qu’on a subies directement, on considère généralement comme fausse la prédiction de Marx selon laquelle la société capitaliste va, avec une croissance de la misère, se polariser en deux classes principales. La classe ouvrière industrielle est certainement beaucoup plus nombreuse qu’il y a cent ans, mais elle ne comprend toujours qu’une faible partie de la population mondiale. Si on y inclut les cols blancs et les travailleurs de l’agriculture capitaliste des nations développées comme sous-développées et bien qu’ aucun chiffre exact ou quasi exact pour le total ne puisse être avancé, on peut dire avec sécurité que (la classe ouvrière) regroupe au moins 500 millions de personnes. Mais c’est là moins que la population de la Chine, de l’ordre de celle de l’Inde, probablement aux alentours d’un peu moins du sixième de la population mondiale. Le nombre de gens à absorber (dans le système capitaliste) est donc énorme, mais celui qui l’a été déjà, aussi, Le taux d’expansion nécessaire pour absorber ce reste... n’est certainement pas plus grand que celui réalisé jusqu’ici.14 Comme le dit John Hicks, cinq sixièmes de la population mondiale restent en dehors du système capitaliste, mais subissent néanmoins son impact sur leurs conditions de vie. Nous voyons là les difficultés qu’il y a à maintenir, ou accroître, le taux d’expansion du capital à cause des niveaux de concentration et de centralisation déjà atteints et de leurs effets sur sa partie variable. L’expansion, pour prendre place, n’exige pas le même nombre de travailleurs additionnels que dans le passé, même pour atteindre un taux identique. La grande masse de la population mondiale ne peut plus poursuivre une existence traditionnelle, mais ne peut non plus trouver place sur le marché du travail. Et, comme le capital n’est rien d’autre que de la plus-value extraite, il devrait, par nature, être enclin à absorber un maximum de force de travail, car la plus-value absolue peut aussi servir à augmenter le capital. Le fait qu’à l’échelle mondiale, la masse de chômeurs ou de sous-employés s’accroisse en permanence ne signifie peut-être pas que le monde est polarisé entre capital et travail salarié, mais qu’il est certainement polarisé entre bénéficiaires du capitalisme et un prolétariat augmentant sans cesse et dont seule une partie décroissante peut être comptée dans la classe ouvrière. Les économistes bourgeois voient dans la relative réduction du nombre de travailleurs industriels résultant de l’expansion du capital, une réfutation de la théorie marxienne. "Dans les pays développés", dit-on ainsi, "il existe encore un vrai prolétariat mais il est devenu minorité et bien plus, malheureusement, une minorité impuissante. Dans ces circonstances, l’interprétation de l’histoire présentée par Marx cesse d’avoir grand sens."15 Comme nous l’avons vu plus haut, certains économistes attendent avec confiance que le système capitaliste absorbe tout le monde comme travailleurs ; d’autres, au contraire, estiment que la classe ouvrière a déjà cessé d’exister, en ce sens qu’elle est complètement intégrée dans le système capitaliste. La société intégrée, ou société sans classe, est réalisée "par le processus de dialogue politique, par les compromis et par l’effet pur et simple des conséquences sociales d’un processus de croissance économique longuement poursuivi."16 De telles projections optimistes reposent sur une compréhension totalement erronée du système capitaliste et des tendances de son développement. C’est précisément à cause de la diminution du nombre de travailleurs productifs que l’intégration apparente de la classe ouvrière ne transforme en désintégration du système capitaliste et interdit cette absorption espérée du prolétariat mondial dans le système, par suite de la réduction progressive de son taux d’expansion.

 En fait, il est certain que la plus grande partie, environ 80%, de la population des pays capitalistes développés est formée de salariés qui doivent vendre leur force de travail, soit aux entreprises capitalistes, soit aux institutions publiques. Il est vrai que la différence de revenus entre les membres de cette grande masse de salariés interdit de les décrire simplement comme appartenant à une classe ouvrière uniforme. Il n’en reste pas moins que leur revenu intégré est soumis aux relations changeantes de valeur et de plus-value dans le système capitaliste dans son ensemble. Alors qu’une part de la classe ouvrière se reproduit par la valeur de sa propre force de travail, une autre tire son revenu de la plus-value obtenue par l’application du capital variable. Le processus de production exige un processus de circulation dont les coûts doivent être couverts par la plus-value gagnée dans la production. Quoique la relation capital-travail règne dans le processus de circulation comme dans celui de la production, les salaires payés dans le premier doivent être retirés des profits faits dans le second. Le coût de la circulation réduit la masse de la plus-value disponible pour la consommation capitaliste et pour l’accumulation du capital.

 La croissance de la productivité du travail qui sous-entend le déclin relatif du capital variable par rapport au capital productif total, non seulement doit éviter une chute possible du taux de profit général, mais elle doit aussi compenser la croissance des coûts de la circulation. Cette croissance est elle-même une conséquence de celle de la productivité du travail, car la masse accrue de marchandises produites par de moins en moins de travail exige une croissance disproportionnée du travail employé dans la distribution. Cette disproportion prend sa source, d’un côté dans l’extension du marché et de l’autre dans la contradiction non encore résolue d’un accroissement plus lent de la productivité dans le processus de distribution que dans celui de production. Alors que le processus de production se concentre dans des entreprises de moins en moins nombreuses et de plus en plus grandes, celui de distribution est de plus en plus "décentralisé" pour pouvoir atteindre un marché de consommateurs qui s’étend au loin et est très dispersé. L’avancement plus lent de la productivité, dans ce qu’on appelle le secteur des services de l’économie, déprime le taux de profit. Et, tandis que cette croissance disproportionnée permet d’absorber une partie des travailleurs déplacés par la productivité croissante dans le processus de production, elle se comporte comme un facteur additionnel dans le déclin du taux d’accumulation, par lequel une décroissance de la profitabilité du capital se révèle.

 La pression exercée sur le taux de profit par la croissance disproportionnée du travail non-productif par rapport au travail productif (c’est-à-dire producteur de profit) ne peut être relâchée que par une croissance supplémentaire de la productivité du travail en général et de celle du travail productif en particulier. Dans l’intervalle, les mouvements du taux de profit affectent les deux couches de la population travailleuse et les placent’ dans la même opposition objective à la nécessité pour le capital de maintenir sa profitabilité. Ce n’est donc pas le caractère de son occupation qui définit le prolétariat mais sa position sociale de travailleurs salariés. La diminution de la classe ouvrière industrielle sous-entend en fait la croissance de la classe ouvrière en général, compte non tenu du type d’emploi que celle-ci remplit.

Il y a encore des groupes sociaux qui possèdent quelque degré d’indépendance vis à vis de cette relation mutuelle travail-capital, mais leur disparition progressive participe de la polarisation de la société du capital qui se poursuit. Largement déterminés par les relations capitalistes de production, certains secteurs, essentiellement l’agriculture, le commerce de détail et les professions libérales, permettent néanmoins l’existence de ces groupes hors du système du salariat. Ces couchée sociales forment la classe moyenne, voletant entre capital et salariat. Le déclin progressif de cette classe est un phénomène observable à un moment où le commerce de détail est battu en brèche par les supermarchés et où les formes familiales laissent la place à des entreprises industrielles utilisant de la main d’oeuvre salariée. Ce processus s’observe partout, mais plus particulièrement aux États-Unis. On le découvre dans la baisse croissante de la population paysanne, l’élimination du métayage et dans la haute capitalisation de l’agriculture. Selon l’Agriculural Department Census Bureau (Bureau de la statistique du ministère de l’agriculture) des États-Unis, moins d’un Américain sur vingt cinq vit, en 1975, sur une ferme, alors qu’il y en vivait un sur quatre en 1935. La population agricole a décliné de 14% entre 1970 et 1976 ; 37% de cette perte s’est faite pendant la seule année 1975-1976. Au cours des six dernières années, le nombre de Noirs vivant sur une ferme est passé do 900.000 à 500.000. La réduction du travail agricole s’est accompagnée d’une croissance de 20% de la production et d’une augmentation des surfaces cultivées. Le nombre de fermes est tombé de 6,8 à 2,8 millions dans la période de 1935 à 1976.1717 Marx prévoyait qu’à un certain stade du développement capitaliste l’accroissement de la productivité dans l’agriculture deviendrait plus rapide que dans l’industrie. Cette évolution se manifeste dans la mécanisation de la première qui a, de fait, accru sa productivité au delà de celle observée dans la seconde. Avec cette mécanisation, encouragée, voire imposée, aux grandes fermes par une industrie agro-alimentaire hautement concentrée, l’agriculture s’est transformée de branche de production au travail intensif en branche au capital intensif. Ce phénomène a créé une surpopulation qui est venue grossir les centres urbains. Par ailleurs, si, d’une part, il fait croître le taux de profit, il a, d’une autre, pour résultat une plus grande composition organique du capital social total. Il n’y a aucun moyen do maîtriser ce développement contradictoire sauf à passer par une croissance supplémentaire de la productivité. Alors qu’un déclin de la productivité réduit le taux d’accumulation, la chute de ce dernier intensifie encore la baisse de la productivité. Depuis 1965, la productivité a décliné aux États-Unis, ce qui est une autre manière de dire que le taux d’accumulation a baissé. Encore une fois, cela sous-entend une profitabilité insuffisante, empêchant l’expansion du capital au niveau nécessaire pour maintenir ce qu’on appelle le plein-emploi et la pleine utilisation des forces productives. Phénomène cyclique, il ne fait que répéter avec quelques variations, ce qui s’est produit au cours de toutes les périodes précédentes où la baisse de la profitabilité s’est manifestée par une baisse du taux d’accumulation.

 Quels que soient leurs défauts pour estimer la productivité, les statistiques économiques fournissent néanmoins quelques données pour l’apprécier. Selon le Council of Economic Advisers (Conseil des experts économiques) du gouvernement des États-Unis, le déclin de la productivité trouve sa cause principale, entre autres, dans l’"inadaptation des investissements".

Entre 1948 et 1973, les dépenses du business pour de nouvelles usines ou des équipements nouveaux ont représenté un ajout de 3% par an aux investissements de capital ramenés à l’heure de travail. Depuis cette époque, le rapport capital-travail n’a cru que de 1,75% par an.18

 Bien entendu les raisons de ce déclin ne sont pas recherchées dans la production du capital elle-même, mais dans le montant excessif des salaires ou dans la politique gouvernementale avec ses taxes qui "ralentissent l’introduction de machines permettant de réduire les coûts et d’économiser le travail", poussent à l’inflation et, par conséquent, "rendent les businessmen de plus en plus hésitants à investir dans de nouvelles machines". (...)

 L’écroulement des marges de profit et l’euthanasie de la classe capitaliste

Cette situation soulève la question de la profitabilité du capital. Seul un déclin des profits, relativement au capital existant, peut expliquer la répugnance capitaliste, ou son incapacité, à étendre la production par des investissements additionnels plus productifs. Comme dans tous les états de dépression antérieurs, le taux de profit, relation pratique, devient théorique. Toutefois ce taux peut être calculé à partir des données statistiques, si les méthodes utilisées dans ce but sont traitées de manière cohérente, ramenées à des dénominateurs communs. Dans ce cas, même des données inadéquates vont fournir une tendance déterminée pour l’évolution au cours du temps, montrant si le taux de profit croît baisse ou reste le même. Selon une étude menée par William D. Nordhaus1919, le taux de rapport (return) du capital non financier des compagnies aux États-Unis a baissé de manière continue depuis 1966, en dépit d’une érosion du taux effectif des taxes imposées aux compagnies et d’une libéralisation de la dépréciation des dettes. Cette faible performance des profits des compagnies s’observe aussi dans la plus grande partie de l’Europe Occidentale. Aux États-Unis la part de tous les profits des compagnies dans le produit national brut est tombée de manière considérable, quoiqu’avec des oscillations, dans la période 1948-1973. Le rapport de 1971-1973 n’était que 57% de sa valeur en 1948-1950. "Le déclin qui a suivi la guerre s’est produit en deux mouvements distincts : 1948-1954, 1966.1970, séparés par une période pendant laquelle ce taux fluctua dans une bande étroite, essentiellement à cause de mouvements cycliques."2020 Le déclin depuis 1966 a été suffisamment radical pour conduire Nordhaus à poser les questions suivantes : " Qu’y a-t-il derrière cet écroulement des marges de profit ? " Ce déclin est-il un artefact statistique ? Le monde du travail a-t-il pu accroître sa part par une politique de marchandage plus agressive ? Ou cette décroissance de la part qui revient au profit annonce-t-elle l’euthanasie de la classe capitaliste et, de fait, du capitalisme lui-même ?"21 21 Nous nous intéressons ici seulement à cette reconnaissance de la chute réelle du taux de profit telle qu’elle résulte de l’étude de Nordhaus et non à l’explication que celui-ci en donne.2222 D’autres explications, comme par exemple le déclin de la productivité pendant la même période, sont avancées par d’autres économistes. Bien sûr, tout cela débouche sur une seule question : pourquoi y a-t-il eu un tel déclin puisqu’il aurait pu être évité par un taux plus rapide d’accumulation ? Et nous sommes revenus à la question originelle de la raison de la baisse du taux de profit. Les résultats de Nordhaus furent d’ailleurs rapidement contestés, pas les faits eux-mêmes il est vrai, mais leur interprétation. Dans un papier de 1977, présenté devant le Brookings Panel on Economic Activity (Tribune de Brookings sur l’activité économique), Martin Feldstein, tout en reconnaissant l’importance de la chute récente du taux de profit, qui atteint son minimum des trente dernières années en 1974 avec 6,4%, avance l’idée que cela provient de circonstances spéciales, ce qui ne permet pas, selon lui, d’en déduire qu’il y a une tendance graduelle à la chute des taux de rapport (return).2323 Dans le passé, et pourquoi pas maintenant ?, une période de bas rapports a été suivie par une remontée des profits. La probabilité d’une chute permanente est donc exclue. Bien entendu, une chute permanente du taux de profit signifierait une dépression permanente et par conséquent une fin rapide du capitalisme. C’est la chute réelle du taux de profit qui trouble suffisamment les économistes bourgeois pour les conduire à réexaminer ce problème oublié depuis longtemps. Déjà, dans des périodes de crise et de dépression , cette question avait attiré l’attention, mais pour être oubliée dès qu’un nouvel essor était apparu. Comme les profits sont présumés venir grossir le capital dans sa capacité de "facteur de production", on a recherché l’origine du déclin n’importe où sauf dans les relations capitalistes de production et, par conséquent, dans la composition en valeur du capital. Pourtant ce qui nous intéresse ici, c’est que la réalité du développement capitaliste s’impose même aux économistes. Voilà qui justifie, fut-ce indirectement, la théorie de l’accumulation de Marx. Tous les résultats obtenue par Marx finissent par se refléter dans la théorie bourgeoise qui tente de s’en accommoder, voire de les transformer à l’avantage du capitalisme. Et, comme le développement réel de ce système ne suit pas strictement le modèle abstrait donné par la théorie marxienne, simplement parce qu’il y a des réactions capitalistes au cours des événements déterminé par la valeur, on peut rejeter la théorie tout en gardant en considération les conditions concrètes qui la vérifient. Toutes les appréciations critiques de la théorie de Marx sont centrées sur la baisse du taux de profit, niant la consistance logique de l’argumentation et sa vérification empirique. Dans le fatras de ces estimations critiques, on peut choisir au hasard le livre récent de F.M. Gottheil qui étudie les prédictions économiques de Marx en général et celle de la baisse du taux de profit en particulier. Gottheil affirme correctement que, pour Marx, "le taux de profit chutera quel que soit le taux de plus-value"2424 Toutefois, ajoute-t-il, Marx a bien vu que "s’il permet à la plus-value de varier sans restriction, il ne peut plus dire grand chose sur la baisse du taux de profit."2525 De plus, proclame Gottheil, si la relation entre plus-value et taux de profit dépend du taux de productivité, alors "le taux de profit croît lorsque le nombre de travailleurs décroît. Et aussi la production (output) totale."2626 Jusque là Gottheil ne fait que reformuler les propositions de Marx. Mais, alors que le modèle de l’expansion du capital présenté par ce dernier sert à clarifier la théorie de la baisse du taux de profit, en supposant l’existence d’une limite supérieure à cette expansion, c’est-à-dire un point à partir duquel il n’est plus possible de contrebalancer la baisse du taux de profit par une croissance de la plus-value, Gottheil, lui, maintient qu’"une croissance infinie de la plus-value fera croître indéfiniment le taux de profit, quelle que soit la composition organique du capital."2727 "Si on incorpore des considérations de productivité dans la démonstration que fait Marx de l’existence d’une limite supérieure", dit-il, "on altère les conclusions de manière substantielle."2828 En d’autres termes, Gottheil trouve que la théorie de Marx présente une faille logique parce qu’"on doit supposer des valeurs spécifiques aux paramètres dans les équations du taux de profit pour faire apparaître le déclin. Quoi que Marx ait pu faire par ailleurs, il n’a pas prouvé que ces valeurs spécifiques, exigées pour prédire une chute du taux de profit, puissent être dérivées à partir de son modèle."2929 De l’impossoble “ croissance infinie ” de la plus-value Or ce n’est pas la théorie de Marx qui doit apporter la preuve de la réalité de la chute du taux de profit, mais c’est le déclin périodique réel de celui-ci qui l’apporte, déclin que la théorie de Marx tente d’expliquer par l’application de la théorie de la valeur-travail à l’analyse de l’expansion capitaliste. Quelles sont donc les restrictions qui empêchent qu’une "croissance infinie" de la plus-value tienne en échec la croissance de la composition organique du capital et son effet sur le taux de profit ? Selon Marx ces restrictions sont par construction présentes dans le système à cause de la double nature de la production du capital : production de valeur d’échange et de valeur d’usage. L’expansion "infinie" de la valeur d’échange - et c’est seulement elle qui est recherchée par le capital - est limitée par l’aspect valeur d’usage, c’est-à-dire par le degré d’exploitabilité de la force de travail, sans même parler des contraintes écologiques qui sont indépendantes de toute formation sociale. Gottheil peut bien s’imaginer avoir pu démontrer l’existence d’une erreur chez Marx sur la base même des arguments de celui-ci - c’est-à-dire sur la base de la théorie de la valeur - mais sa démonstration fait référence au processus de production en tant que tel et pas à sa détermination par la valeur. Il va de soi que si on voit la production capitaliste comme essentiellement un processus de production matérielle, si on élimine, pour ainsi dire, de son aspect technique l’hypothèse d’une croissance de la productivité faisant croître régulièrement le capital, alors on ne trouve pas de baisse du taux de profit. Quoique Gottheil fasse remarquer que "la valeur de la force de travail est déterminée par la subsistance réelle de l’unité familiale, ou par les coûts réels de la reproduction de la classe travailleuse"3030, il néglige le fait que ces coûts supposent une relation (changeante) entre travail nécessaire et surtravail dans le processus de production déterminé par la valeur. Pour avoir une reproduction de la classe travailleuse meilleur marché, il faut réduire la part nécessaire de la production totale et ainsi assurer la formation accélérée de capital. Mais cette part nécessaire ne peut être réduite à zéro, si bien que son déclin doit ralentir la croissance de la productivité du travail au fur et à mesure que le capital accumule. Ce que Gottheil ne comprend pas, c’est que la croissance de la productivité du travail n’est qu’un autre aspect de la décroissance de la valeur de la force de travail, c’est-à-dire de la réduction du rapport du capital variable au capital constant. Ce n’est pas la croissance de la productivité du travail en termes de valeur d’usage mais l’appropriation croissante du surtravail en termes de valeur d’échange qui rend possible l’expansion continue du capital. Quelle que soit la croissance de la productivité du travail, elle se traduit toujours par une réduction relative du nombre de travailleurs employés par un capital donné et, en accord avec ce fait, par un glissement des relations de valeur qui ne peut qu’affecter le taux de profit du capital total. Ce n’est alors qu’une question de temps pour que la disparité entre production croissante du travail et utilisation décroissante de la force de travail (l’une compensant l’autre, mais aussi entrant en conflit avec elle), se traduise ouvertement par un taux d’accumulation plus bas et une croissance ralentie de la composition organique du capital. Pour qu’on nous comprenne bien, rappelons que la croissance de la productivité en termes de valeur d’échange reste toujours liée à cette croissance en termes de valeur d’usage. Marchandise comme les autres, la force de travail est en même temps source de plus-value parce que son utilisation contient à la fois du travail nécessaire et du surtravail, mesurés par le temps de travail payé et non payé, La productivité du travail et la quantité de ses produits ne peuvent être séparés du temps de travail passé dans le processus de production. Parce que le temps de travail nécessaire ne peut être réduit au point où tout travail devient du surtravail, il y a là une limite à la croissance de la productivité car celle-ci ne peu être accrue à volonté au delà de ce qui est supportable par l’homme. Lorsqu’on garde à l’esprit l’existence de ces limites absolues et si on fait l’hypothèse d’un système fermé et d’une population ouvrière constante, on en déduit logiquement que la croissance de la productivité est finie, comme la croissance de la plus-value, et qu’elle a une limite supérieure qu’elle atteindra avec l’augmentation de la composition organique. Le capitalisme n’est pas un système fermé à population laborieuse constante. Il n’en reste pas moins que le mécanisme façonné par Marx en faisant l’hypothèse contraire, doit caractériser, bien qu’avec des modifications à longue portée, l’expansion réelle du capitalisme avec sa population laborieuse variable, car c’est bien ce mécanisme qui, au premier chef, rend le capitalisme possible. C’est pour ainsi dire sa "logique interne". Elle détermine le cours de son développement dans une direction définie et permet la prédiction de ses tendances. Dans un capitalisme en expansion la croissance de la productivité du travail s’accompagne d’une augmentation absolue du nombre de travailleurs, si bien que la diminution de leur nombre, relative par rapport à la croissance du capital, peut passer inaperçue, sauf si on remarque la formation de l’armée de réserve industrielle. Le taux de profit peut rester le même, voire croître, alors que la composition du capital augmente. La baisse du taux de profit n’est donc qu’une tendance du processus d’accumulation. Mais cette tendance est néanmoins réelle, comme la loi de la valeur qui est à l’oeuvre, même si on ne peut la percevoir dans les relations de prix du marché. En fait la théorie de la baisse du taux de profit est un autre nom de la théorie de la valeur travail de Marx. La théorie de la valeur travail trouve sa confirmation dans les crises capitalistes et elle la trouve aussi dans la réduction de la profitabilité du capital. La perte de profitabilité et la périodicité des crises ne peuvent être expliquées sans recourir au désaccord entre les profits réellement productifs et ceux qu’exigent une expansion continuée et profitable. Quoi qu’elles aient pu avancer pour expliquer ce fait, toutes les théories s’accordent sur un point : la crise sous-entend manque de profitabilité, désinvestissement au lieu d’investissement, destruction étendue de capital et chômage à grande échelle. Toutes s’accordent aussi sur le fait que la fin de la crise et de la dépression que celle-ci a entraînées dans son sillage, présuppose la restauration de la profitabilité du capital. Toutefois les moyens suggérés pour atteindre ce but diffèrent avec la théorie des crises considérée. D’un point de vue marxien, la généralité de la crise - c’est-à-dire le fait qu’elle embrasse tous les aspects de l’économie - prend sa source dans la baisse du taux de profit ou, et c’est la même chose, dans le pouvoir "régulateur" de la loi de la valeur qui contrôle un processus de production par ailleurs non "régulé" et aveugle. Selon Gottheil, le fait que le taux de profit doive baisser par suite de la production même de capitale est une pure hypothèse de Marx. Si on ne rend pas explicite la relation entre taux de plus-value et composition du capital, aucune loi concernant le mouvement du taux de profit ne peut être formulée...Si on admet certaines valeurs des paramètres, alors le taux de profit va chuter. Si. cependant, on choisit d’autres valeurs pour l’ensemble des paramètres, alors il va croître. Comme Marx ne donne aucune indication pour estimer les valeurs à venir de ces paramètres, toute prédiction concernant la baisse du taux de profit est logiquement intenable.3131 Ce que Gottheil exige de Marx ce n’est pas une prédiction qui repose sur les relations sociales de production observables et leurs conséquences pour le développement capitaliste, mais une connaissance quantitative exacte du rapport futur, entre taux de plus-value et composition du capital. Ce rapport n’est pas connu aujourd’hui et est encore plus hors d’atteinte pour l’avenir, C’est dans la nature du développement fétichiste du capital qu’on ne puisse rien saisir des relations changeantes entre taux de plus-value, composition du capital et taux de profit en tant que tels. Toutes ces modifications ne manifestent dans l’expansion ou la contraction de l’économie déterminées par les changements de prix. Mais comme ces relations de prix, quelles qu’elles puissent être, dérivent des relations de valeur de la production capitaliste, les mouvements du capital, dans leur dépendance du taux de profit, peuvent être ramenés aux relations sociales de production en tant que relations de valeur. Marx n’a pas essayé de résoudre des problèmes insolubles ; il a simplement tenté d’expliquer le développement capitaliste réel dans le domaine du possible. Et, ici, les valeurs des paramètres des différentes catégories économiques quoique variant dans leur application, le font dans le cadre invariable des relations capitalistes de production qui déterminent le poids changeant de ces différentes valeurs pour le système dans son entier et au cours de son développement.

 Inéxistence des “ lois économiques ” et illusion d’immortalité

Ce n’est pas la possible baisse du taux de profit à laquelle les critiques de Marx font objection, mais à son élévation au statut de "loi économique" qui détermine les tendances du développement capitaliste. Et, de fait, si la baisse du taux de profit ne fait que rendre compte du cycle des affaires et n’a pas d’autres conséquences, alors il n’y a aucune raison de supposer un mouvement séculaire unidirectionnel vers l’écroulement final du système capitaliste. Bien entendu, pour Marx, les "lois économiques" per se n’existent pas, même si le processus de production et de reproduction est, à tout moment et en toutes conditions, non seulement une relation sociale, mais aussi le métabolisme entre l’homme et la nature. Ce dernier aspect est une nécessité naturelle et non une "loi économique". Parler de "lois économiques" c’est faire référence à des arrangements changeants installés par l’homme. Ce sont des relations sociales de production qui gouvernent, pendant qu’elles durent, un mode spécifique de production, mais qui ne jouent pas dans des circonstances différentes. La "loi de la baisse du taux de profit" n’est rien d’autre qu’une loi de l’expansion capitaliste et ne l’est qu’aussi longtemps que la production de la valeur détermine le processus social de production. Ici la soumission de la classe ouvrière aux relations capital-travail d’exploitation est si profondément mystifiée qu’elle apparaît comme une "loi économique" inaltérable qui domine la société comme si elle était une loi naturelle alors qu’elle n’est en fait rien de plus qu’un système modifiable de relations de production à la perspective historique limitée. Pour démontrer l’existence de limitations historiques du mode capitaliste de production, il faut découvrir la présence de ces limitations déjà à l'œuvre dans le système en tant que tendances objectives du développement, et celles de forces subjectives s’opposant à elles. Reconnaissant l’impossibilité de prévoir l’avenir dans ses moindres détails et les limitations de l’analyse économique dans la compréhension des événements économiques, Marx se contenta d’avoir découvert la loi générale de l’accumulation, fondée sur les relations sociales de production.

 La validité de la théorie de Marx apparaît dans la réalité d’un monde assailli par des crises récurrentes aux dimensions toujours plus grandes et au pouvoir destructeur toujours accentué. Les contradictions inhérentes au système capitaliste, depuis longtemps à l'œuvre, avant même que Marx ne soit né, ont formé le point de départ de son analyse économique. Ces contradictions sont toujours là, mais aujourd’hui nous ne faisons pas que les subir, nous les comprenons. La théorie de Marx de l’accumulation tient ou s’écroule non à cause des limitations mises à l’analyse économique par le système analysé lui-même, mais par suite du développement réel du capitalisme, en tant que système social de production viable.

 Il est intéressant, mais compréhensible, que la plupart des critiques de Marx planent dans la sphère de la théorie "pure", cherchant à contester la consistance logique de tel ou tel aspect. Lorsqu’ils présentent des preuves empiriques, ils le font de manière tout à fait sélective, insistant sur les phases de succès de l’expansion du capital et laissant de côté les périodes passées de crise et de dépression qu’ils considèrent comme des aberrations qui ne touchent pas à la stabilité essentielle du système.

 Cette nonchalance fut abandonnée pendant la grande dépression de 1929, mais pour être reprise après la deuxième guerre mondiale, avec le nouvel essor de la production capitaliste. D’un point de vue marxien, c’est la phase de contraction et non la phase d’expansion qui a l’importance primordiale. Car c’est dans les périodes de dépression durable et sérieuse que l’irrationalité du système se révèle le mieux et que l’illusion de son immortalité est la plus ébranlée. À ce moment les conditions concrètes contredisent ouvertement les constructions idéologiques et permettent une plus grande prise de conscience de la véritable nature du capital. À cause de la base étroite de l’exploitation qui caractérise l’accumulation du capital, l’expansion de celui-ci a pour conséquence sa grande susceptibilité aux crises et aux dépressions de dureté accentuée. Comme toute l’activité économique est en prise avec l’accumulation du capital, elle doit se contracter avec tout déclin du taux d’accumulation et, par conséquent, avec toute chute du taux de profit telle qu’elle se traduit dans un changement des relations de marché.

 Les difficultés qui ne dressent sur le chemin de l’ajustement aveugle du taux d’exploitation aux nécessités de l’accumulation du capital, apparaissent au grand jour dans la fréquence et la sévérité des dépressions capitalistes. Toutefois, une situation où les crises reviennent souvent correspond en même temps à un situation où la reprise de l’accumulation est relativement aisée : c’est le cas de la première époque du capital. Plus tard les dépressions deviennent moins fréquentes mais d’une nature plus dévastatrice, concernant une masse plus importante de capital et une plus grande partie de la population, L’extension globale du capital a mené à des crises de nature mondiale, affectant dans une mesure croissante les régions sous-développée du point de vue capitaliste. Celle-ci ont vu se superposer à leur triste état ces effets de leur contact avec le monde capitaliste. C’est dans la profondeur et la durée croissantes des crises capitalistes que la baisse séculaire du taux de profit se montre, et toute description objective de l’histoire du capitalisme jusqu’aujourd’hui fournit la preuve empirique de la validité de la théorie de Marx.

L’incapacité, ou la mauvaise volonté, dont fait preuve la théorie bourgeoise d’aujourd’hui - et pas seulement la théorie bourgeoise - pour comprendre le système capitaliste et son développement, repose sur une conviction profonde qui caractérise aussi l’économie politique classique : il ne peut y avoir d’autre mode de production que le mode capitaliste. Le système lui-même est supposé fournir à la société la rationalité nécessaire lorsque ses membres poursuivent leurs intérêts propres. Si la confiance dans la "main invisible" qui était de règle dans les débuts a largement disparu, la croyance dans la nécessité et la rationalité des relations de production existantes n’en a pas été affectée, même si ces relations exigent aujourd’hui, et de manière de plus en plus accentuée, l’intervention de nombreuses mains visibles. Le "principe de rationalité" exige, bien sûr, que la production soit faite de manière à satisfaire les besoins de consommation de la société. Même certains marxistes ont de grandes difficultés pour voir dans le système capitaliste un système irrationnel ; aussi restreignent-ils leur critique à l’inégalité de la distribution qui va de pair avec les relations capital-travail. Ils estiment que cette inégalité cause les disproportions du processus de production, destiné qu’il est à la production de biens de consommation, si bien que la sous-consommation des travailleurs devient cause d’une surproduction de marchandises et, par conséquent, du cycle de crises du système capitaliste. Pour Marx pourtant, le capitalisme est un système irrationnel précisément parce qu’il "accumule pour accumuler" et, pour cette raison, trouve ses bornes en lui-même. "Produire pour produire" est visiblement irrationnel, mais, de plus, semble-t-il, ce comportement se trouve exclu, par le besoin capitaliste de réaliser la plus-value dans la sphère de la circulation ; Peut être que le meilleur moyen pour comprendre le système capitaliste est de partir de l’idée d’un système social dans lequel le principe capitaliste, supposé mais inapplicable, de la production pour la production est réalisé. Dans ce cas la production et son expansion sont déterminée par les besoins, variables, de la consommation de la population. Ce sont ces besoins, dans leur forme de valeur d’usage qui doivent être satisfaits par la production et celle des moyens de production dans leur forme de valeur d’usage. La rationalité d’un tel système est de caractère purement technique et organisationnel. On n’y prend pas en considération la valeur des marchandises qui, par nature, est indépendante de leur valeur d’usage et qui, par conséquent, est sans lien avec les exigences de la production et de la consommation sociales, si et n’est dans la mesure où ces exigences servent à amasser du capital dans sa forme valeur abstraite. Dans un système libéré des relations de valeur, production et consommation sont des processus complémentaires et les difficultés que l’on peut rencontrer en coordonnant les unes et les autres sont aussi de nature purement technique et organisationnelle.

 Ce n’est pas le cas du capitalisme. La quête des profite maximaux qui motive chaque entreprise et est, de fait, nécessaire pour le maintient de son existence, demande que la plus-value à l’échelle sociale totale excède les exigences de la consommation qui doivent être satisfaites à partir de cette plus-value produite. Une partie de cette dernière doit être réinvestie pour permettre à l’économie de s’étendre, extension par laquelle se réalise l’accumulation du capital dans sa forme valeur. Le montant de cette partie ont déterminé par celui du capital déjà accumulé, indépendamment de son rapport à la part consommable de la plus-value. Et, de même que la croissance du capital social total est seule à permettre l’expansion d’entités individuelles de capital, de même la profitabilité de ces dernières est une précondition de l’expansion du capital total. L’accumulation du capital implique alors l’expansion de la production, en relative indépendance de la consommation et même à ses dépens, et détermine une croissance des moyens do production relativement plus rapide que celle de la production en général.

 La croissance des moyens de production, indicatrice d’une accumulation du capital couronnée de succès, accroît ex retour la production des biens de consommation par le biais d’une croissance absolue du capital variable et par une affluence plus grande que celle exigée par la consommation des capitalistes. Pourtant une question demeure : comment la valeur du capital constant qui s’étend de manière disproportionnée et qui retient sa valeur capital dans sa partie fixe, se reproduisant et s’élargissant sans cesse, (les moyens de production), comment cette valeur peut elle être réalisée à travers le processus d’échange dans la sphère de circulation ? Cette question, bien sûr, ne se pose que si on suppose que le système capitaliste tend vers un état d’équilibre. Si on abandonne cette hypothèse, qui n’est d’ailleurs pas garantie, le problème se résout par l’accumulation du capital. Or, dans toute son existence, le capitalisme s’est trouvé en état de déséquilibre, situation qui a pu durer à cause des relations capital travail et de l’extraction de plus-value. Déterminée par l’accumulation du capital, l’allocation, variable, du travail modifie les relations de marché en faveur des biens en capital, quoique les moyens de production élargis entraînant une croissance de la productivité amènent une plus grande production de biens de consommation. Le rapport capital-produit (output) peut, on ne peut pas, faire croître la quantité produite (output) de sorte que soit justifié le capital additionnel. Mais il ne peut le faire en termes de valeur, à moins que la productivité ne dépasse la croissance de la composition organique du capital. Si ce n’est pas le cas, la valeur de ces produits (output) plus nombreux restera à la traîne de la valeur du capital accumulé, même si les deux ont augmenté. Vue sous l’angle du capital social total, une partie de la plus-value produite, celle qui est réinventie dans des moyens de production supplémentaires, ne peut être réalisée dans les relations d’échange d’un marché donné, car elle ne peut trouver de contrepartie équivalente dans le processus de circulation. Les producteurs individuels de biens en capital trouvent, bien entendu, un marché pour leurs produits, à tout le moins aussi longtemps que le capital, dans son ensemble, s’étend. Mais ils trouvent ce marché, pour ainsi dire, en dehors du processus de circulation de l’échange des marchandises puisqu’ils mènent leur production au delà des confins du marché donné. Ce qui se passe ici est quelque peu semblable à l’image développée par la macro-économie keynésienne, c’est-à-dire celle d’une expansion de la production au delà de la demande effective du marché, avec cette différence cependant qu’elle est restreinte au capital productif s’étendant par anticipation de profite à venir et de marchés croissants, C’est une addition au capital existant qui, quoique mesurée en termes de prix et par conséquent de valeur, rompt avec les relations d’offre et de demande données, dans la mesure où celles-ci trouvent leur détermination dans les exigences de consommation de la société capitaliste. Le rapport capital-produit (output) peut rester le même ou être modifié, ce qui est produit change pourtant qualitativement en s’incorporant une masse relativement plus grande de biens en capital. Ce processus est rendu possible (et opaque) par la forme monnaie de la valeur, par le fait que la monnaie en circulation à un moment donné, ne représente qu’une part de la masse totale des marchandises qui circulent. Comme toute marchandise peut prendre la forme monnaie, et celle-ci la forme d’une marchandise quelconque, le capital peut s’exprimer en termes de monnaie et la monnaie être considérée comme du capital latent. Le capital existant représente, mais n’est pas une certaine quantité de monnaie, Mais à travers sa dénomination monétaire, il peut remplir la fonction de la monnaie. De même la monnaie, quelle que soit sa source, peut être transformée en capital. Quoique la quantité de monnaie croisse avec l’expansion générale de la production, elle ne le fait pas nécessairement dans la même mesure. En fait, c’est un principe de la production de capital que de minimiser l’usage de la monnaie marchandise, pour réduire le coût de la circulation. Il n’y a donc aucun obstacle sur la voie d’une expansion continue du capital qui provienne du côté monétaire, même si une contraction de l’économie apparaît comme un manque de monnaie, par suite de la contraction du processus de circulation.

 La masse des biens en capital, en excès par rapport à ceux nécessaires pour assurer la simple reproduction du capital, et la masse des biens de consommation, déterminées qu’elles sont par les relations de distribution antagoniques, représentent une part de la plus-value ayant la forme de capital additionnel. Il apparaît alors que l’accumulation prend en charge les conditions de déséquilibre dans lesquelles le capital est contraint d’évoluer. Aussi longtemps que le capital s’étend grâce à la croissance de la productivité du travail, il n’y a pas de problème de réalisation en dépit de la variation de l’allocation du travail qui lui est associée, et cela en dépit de la relative décroissance du capital variable. La décroissance relative de la consommation ne fait alors que laisser une part de plus-value plus grande pour l’expansion et la production des moyens de production se fait à un rythme plus rapide que la production générale. C’est de cette manière que le capital s’"approfondit" et s’étend de lui-même, devenant un processus d’industrialisation à l’échelle mondiale, réalisant ainsi l’ensemble de la plus-value. Comme le capital en expansion peut s’exprimer sous forme de monnaie, la possession de ce capital sous forme physique satisfait aux exigences de la production capitaliste - c’est-à-dire la transformation d’une certaine quantité de monnaie en une plus grande.

 Il rente vrai, bien sûr, que chaque entreprise capitaliste doit justifier son expansion par le rapport (return) de son capital et que, dans ce but, elle doit être capable de vendre, sur le marché sa production élargie (output). Mais ce marché croît et, en fait, ne croît qu’à cause de l’expansion générale du capital avec ses investissements additionnels tirés de la plus-value existante. La reproduction du capital sur une échelle élargie, but de la production capitaliste, trouve son apogée dans la capitalisation progressive de l’économie mondiale. Il n’y a donc aucun obstacle matériel sur la route d’une expansion continue du capital car le monde est loin d’être entièrement capitalisé. Cette capitalisation exige seulement des moyens de production additionnels et l’utilisation de la force de travail.

 L’unique solution suggérée par les capitalistes

 Les difficultés du capitalisme doivent donc être recherchées ailleurs, puisqu’elles ne peuvent être trouvées ni dans le processus physique de production, ni dans celui de circulation. La seule cause restante pour les crises et la stagnation, c’est le processus d’accumulation lui-même ou, plutôt, plutôt, l’incapacité récurrente de produire suffisamment de plus-value pour assurer la profitabilité du capital en expansion. En croissant le capital augmente la quantité de produits. Parmi ces derniers il y a aussi des biens en capital qui constituent l’expansion physique du capital. En termes monétaires, et pour se répéter, l’expansion du capital, au sein de l’expansion totale de la production, ne soulève aucun problème étant donné que la plus-value présente dans ce processus trouve sa réalisation dans l’élargissement de l’appareil de production. Toutefois le capital sous forme de moyens de production ne produit aucune plus-value : il ne fait que transférer sa propre valeur, sur des intervalles de temps plus courts on plus longs, aux marchandises produites qui vont sur le marché. Avec la décroissance relative du capital variable, la source de plus-value diminue relativement au capital accumulé, même si le rapport capital-production (output) reste le même. Pour que le taux de profit ne décline pas, il faut que la production (output) croisse plus vite que le capital constant. C’est là une autre manière de dire que le taux d’exploitation doit dépasser le taux d’accumulation. Pour autant qu’on puisse l’établir à partir des statistiques peu fiables que l’on possède, tel a bien été le cas pendant le siècle dernier, même si l’accumulation a été interrompue par une série de dépressions. Sur la base de la structure du capital existant alors, il semble bien que le taux d’exploitation ait été suffisant pour assurer le processus d’expansion. Ainsi peut s’expliquer l’accumulation plutôt rapide du capital pendant cette période. Depuis la première décennie de ce siècle, cependant, le rapport capital-production (output) s’est stabilisé, ce qui revient à dire que le taux d’accumulation s’est ralenti par rapport au capital existant. Mais, comme l’accumulation du capital est aussi un processus de concentration qui regroupe davantage de profit dans moins de mains, les capitaux accumulés ne se rendirent pas compte, du moins pendant un certain temps, du déclin des profits. Et, parce que le processus de centralisation peut faire croître le taux de profit même en l’absence de concentration du capital, par la simple réorganisation et une utilisation différente du capital existant, une relative stagnation du capital ne se traduit pas immédiatement en diminution des profits. Par ailleurs, la concentration et la centralisation accélérées du capital peuvent être aussi envisagées comme des mesures imposées à celui-ci par le maintient de sa profitabilité. Dans la mesure où ces dispositions compensent un manque de nouveaux investissements, elles brident la montée de la composition organique du capital et soutiennent le taux de profit, mais aux dépens de l’accumulation. Et, alors que le taux de profit peut être stabilisé, l’activité économique générale stagne car elle ne peut progresser sans production de capital additionnel. Tôt ou tard, la stagnation conduit à une crise qui peut être surmontée par la reprise du processus d’accumulation. Aussi longtemps que la part de plus-value dans la valeur du produit (output) total permet à la fois la consommation capitaliste et de nouveaux investissements en adéquation au capital existant, le taux de profit ne tombera pas, même si la composition organique du capital croît ou, pour s’exprimer en termes bourgeois, si le rapport capital-produit net (net output) augmente. Mais c’est justement le nœud de la question ; alors que le taux de profit doit baisser avec la croissance de la composition organique du capital, une croissance plus rapide du taux d’exploitation, visible dans l’accroissement du produit (output) évite que cette tendance n’apparaisse dans les t aux de profit réels. Pour progresser le capitalisme doit constamment élever la productivité du travail, c’est-à-dire réinvestir dans des moyens de production plus efficaces, par l’accumulation du capital,, Un ralentissement du taux d’accumulation , ou même la stagnation du capital, peuvent, d’un côté, réduire ou éviter la croissance de la composition organique et ainsi stabiliser le taux de profit, mais, d’un autre, ils conduisent à une chute brutale des profits par la réduction de la production totale, consécutive au manque d’investissements nouveaux. Une partie de la plus-value reste nous forme monétaire ; elle ne produit aucune plus-value et, dans cette mesure, réduit, au cours du temps, la masse totale de profits.

 La production capitaliste c’est la production de capital par le truchement de la production de marchandises. Il s’en suit qu’un manque d’investissements ne peut avoir qu’une cause : la crainte que ces investissements se révèlent non profitables et, par conséquent, dénués de sens. Cette peur n’est pas un phénomène psychologique, elle provient directement du fait que le taux de profit du capital existant montre déjà une forte tendance à décliner. La raison de ce déclin n’est pas discernable, car elle est liée au capital dans son ensemble, à la masse sociale totale de plus-value dans son rapport au capital social total. Mais, même si elle n’est pas discernable, elle n’en affecte pas moins, bien qu’à des degrés divers, tous les capitaux individuels et elle détermine les décisions individuelles dans les politiques d’investissement. La baisse du taux de profit précède le déclin ou l’arrêt de l’accumulation qui n’est, par conséquent, que l’expression manifeste de cette baisse inhérente à l’expansion du capital. La baisse du taux de profit est donc le signal de la rupture du déséquilibre en spirale de la production du capital, condition nécessaire de son développement continu.

 Sans reprise du processus d’accumulation, la raison d’être32 32 de la production du capital disparaît. C’est donc dans les réactions capitalistes à la décroissance de la profitabilité que la théorie de Marx de l’accumulation trouve sa vérification évidente. Ces réactions, quelles que soient leurs conséquences, n’ont qu’un but : faire croître la plus-value par une croissance accentuée de la productivité du travail, le tout pour restaurer la profitabilité du capital en expansion. C’est là, et cela a toujours été, la seule solution, suggérée par les capitalistes et la "science de l’économie", pour surmonter une période de déclin économique, même si cela signifie accumuler pour accumuler, sans souci des conséquences sociales.

 Notes

 1 K. MARX: Le Capital I, op. cit. ,Bibliothèque de la Pléiade, vol. I, p.1162

 2Cf. J. CONYERS Jr: Jobless Numbers( le nombre de chômeurs) in The New York Times,1 Janvier 1976.

"Comment le ministère du travail s'y prend-il pour fournir des statistiques biaisées? La méthode est très simple. Il suffit de donner une définition très étroite du chômage et d'appeler non-chômeurs ceux qui ne le sont en aucune manière. Il est étonnant de constater que des millions de gens qui ont cherché du tr

avail pendant si longtemps qu'ils ont fini par abandonner, ne sont pas considérés officiellement comme sans emploi, parce qu'ils n'entrent pas dans la catégorie "chômeurs" du ministère ( un chômeur doit avoir cherché du travail dans les quatre semaines qui précédent le recensement mensuel.)... Si on ajoute les 5,3 millions de chercheurs d'emploi découragés et la moitié des travailleurs à temps partiel ( 1,8

millions) aux 7,7 millions de chômeurs officiels, on arrive au total énorme de 14,8 millions."

 3The New York Times, 30 novembre 1975.

 4I.L. KELLNER: Counting the Employed, Not the Unemployed ( Compter ceux qui ont un emploi, pas les chômeurs), in The New York Times , 31 Octobre 1976.

 5Rapporté par le même journal: The New York Times , 31 octobre 1976.

 6K. MARX: Grundrisse, p. 576, trad. in Principes d'une Critique de l'Économie Politique, Bibliothèque de la Pléiade, Tome p. 307.

 7J. SCHMOOKLER: Invention and Economic Growth ( Invention et croissance économique ), Cambridge, Mass. Harvard University Press, 1966, p. 3.

8 Voir par exemple: The Temporary National Economic Committee, Monograph 29 (Monographie 29 du comité temporaire national pour l'économie ):The Distribution of Ownership in the 200 Largest Nonfinancial Corporations ( Distribution de la propriété dans les 200 compagnies non-financières le

s plus importantes ) (1940); D. LYNCH: The Concentration of Economie Pover ( La concentration de la

puissance économique) (1946); G.C. MEANS: The Corporate Revolution in America( La révolution des compagnies en Amérique) (1962); F. LUNDBERG: The Rich and the Super-Rich ( le riche et le super-

riche ) (1968); M. MINTZ et J.S, COHEN: America Inc. ( La Cie Amérique) (1971); J.M. BLAIR:

Economic Concentration ( La concentration économique) (1972); A.D. CHANDLER Jr.: The Visible Hand: The Managerial Revolution in American Business( La main visible: la révolution des managers dans le business américain) (1977).

 9 Pour avoir des données complètes et détaillées voir L.H. KIMMEL: Share Ownership in the United States.( Qui possède des parts aux États-Unis? ) Washington D.C. The Brookings Institution(1952).

 10 En 1966, les ventes de la General Motors se montèrent à 20,2 milliards de dollars, c'est-à-dire entre le PNB des Pays Bas, 20,8 milliards et de l'Argentine 18,7 milliards.Les ventes nettes de Ford et de la

Standard Oil of New Jersey , environ 12,2 milliards de dollars chacun, se trouvaient entre le PNB de la Tchécoslovaquie, 13,4 milliards, et de l'Union Sud-Africaine, 11.9. Les ventes nettes de la Royal Dutch Shell,de la General Electric, de Chrysler,d'Unilever et de Mobil Oil étaient de l'ordre de grandeur des PNB du Vénézuéla, de la Norvège, de la Grèce, de la Colombie et de la Nouvelle Zélande.

 11En français dans le texte. On désigne ainsi une politique et une doctrine économiques

florissantes dans tout le XIXe siècle et qui préconisent une intervention minimale sinon

nulle de l'État, l'équilibre se réalisant de lui-même, grâce à l'action de la main invisible sur le marché. Clairement elles font une allusion idéalisée au capitalisme des débuts, supposé libéral intégral.L'expression proviendrait d'une phrase qui remonterait à 1736 et serait due au marquis d'Argenson, un partisan des physiocrates: laissez faire, laissez passer . (NdT)

 12 L'effet de la détermination monopoliste des prix sur la distribution de la plus-value a été récemment dramatiquement démontré, dans une branche unique, mais importante, de la production, par l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) qui, en collaboration avec l'International Oil Cartel( Cartel international du Pétrole ) a imposé une augmentation d'un facteur six des prix du

pétrole en quelques années. Cela affecte, bien que dans une mesure différente, et les nations développées et les sous-développées, en distordant la reproduction de leur économie, le commerce international et les relations de paiement. Moins dramatiques mais peut-être plus dévastatrices, sont

les politiques de prix du type "self-service" que mènent les monopoles en général. En ce qui concerne le pétrole, J.M. BLAIR écrit dans The Control of Oil (le contrôle du pétrole ), New York, Pantheon (1977), p. 320: "Il semble aussi clair que les pays de l'OPEP et les compagnies les plus importantes n'ont

guère pris en considération les vastes conséquences économiques et sociales de leurs actions, comme, par exemple, le retard au développement des nations les plus pauvres du monde qui voient s'épuiser leur possibilités d'échange avec l'étranger, l'aggravation d'une récession mondiale sérieuse, la mise en danger de la base monétaire du commerce international."

 13K. MARX:Theorien über dem MehrWert ( Théories de la plus-value ). Nous traduisons d'après la version anglaise Theories of Surplus-Value, vol. III, p. 447.

14 J.HICKS: A Theory of Economic History ( Une théorie de l'histoire économique ), New York, Oxford University Press (1969), p. 158.

 15 K. BOULDING: The Meaning of the Twentieth Century(La signification du Xxe siècle), New York, Harper and Row, (1964), p. 171.

 16 Id.,p. 170.

17 Rapporté par The New York Times, 15 avril 1977.

 18 Rapporté par Time:5 février 1979, p.127

 19 W.D.NORDHAUS : The Falling Share of Profits ( La décroissance de la part allouée aux profits),Brookings papers on Economie Activity,1, (1974).

 20 Id,p.169

 21 Id,p.170

 22 Reprenant a son compte l' étrange concept selon lequel les profits sont une récompense pour la prise de risque et son déterminés par l' importance de ceux ci, Nordhaus que la raison principale du déclin du taux de profit provient de la chute, plus ou moins grande mais continue, des « coûts en capital », chute qui résulte d' un changement «  dans le climat économique général, lui-mème dû aux interventions gouvernementales dans l' économie, celle-ci éliminant progressivement « la peut d'une nouvelle Grande Dépression ».Comme les possesseurs de titres « veulent maximiser leur capital tout en étant adversaires du risque », la chute de la prime de risque » a fait baisser le taux de rapport (return) du capital et ainsi, sa part dans le PNB.

23 Selon M. FELDSTEIN, les plus évidentes de ces circonstances particulières sont :

1) le contrôle des prix et des salaires,2) l'embargo sur le pétrole et le saut du prix de l' énergie,3)la rapide croissance de l' inflation. Le contrôle des prix non seulement a limité directement les profits, mais a aussi créé des pénuries qui ont encore diminué ceux-ci. L' embargo sur le pétrole a causé des pénuries supplémentaires et le saut du coût de l' énergie signifie que le capital existant n' est pas assez optimal pour correspondre aux prix à l'entrée (imput) couramment pratiqués. Si le développement a pu faire croître le rapport (return) des nouveaux équipements, il a fait baisser celui des vieux par rapport au coût de remplacement...La rapide croissance de l' inflation a conduit à une chute des profits économiques, parce que les méthodes de calcul couramment utilisées par les firmes les ont conduit à surestiler les profits et par conséquent, à fixer leurs prix de manière incorrecte. « in Is the Rate of Profit Falling ? (le taux de profit baisse-t-il?) Brookings papers on Economie Activity 19,(1977) p.221. Tout ce que cite Feldstein représente des réactions à une chute du taux de profit antérieure et ne peut , par conséquent expliquer celle d' aujourd'hui. Les résultat de la baisse du taux de profit sont pris pour sa cause.

 24 F.M. GOTTHEIL : Marx's Economic Predictions ( Les prédictions économiques de Marx)III, Northwestern University Press, (1966)p.96.

 25 Id,p.97

 26 Id,p.98

27 Id,p.97

28 Id,p.98

29 Id,p.103

 30 Id,p.105

 31 Id,p.116

32 en français dans le texte (NdT).

 

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