« Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation. Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. « (Le Manifeste communiste)
Introduction
Paru dans ECHANGES N°139-Hiver 2011-2012
Au moment où la crise économique et sociale entre dans sa phase de généralisation, où le gestionnisme classique visant à faire semblant de se porter au secours des pauvres et précaires s’épuise dans les pays de l’OCDE, la question d’une confrontation directe avec les pouvoirs d’Etat est enclenchée dans le monde sous des appellations diverses comme les « indignés ». Terme qui porte bien son nom, ce mouvement s’indigne contre la finance, et dans son mouvement se heurte fatalement à l’appareil d’Etat et à sa force publique gérant les conflits de basse intensité.
Certains dans le monde n’en sont plus à s’indigner mais passent directement à l’insurrection et à la guerre de classe directe (comme au Bangladesh, en Thaïlande, en Algérie, en Syrie, en Chine, au Vietnam), toujours vaincus, mais redressant sans cesse la tête à un titre humain, visant l’abolition des conditions inhumaines qui s’imposent à eux. Ceux-ci survivent au pourtour des grandes villes dans des bidonvilles et autres victimes des trafics en tout genre.
Dans ces pays la dite fracture sociale est à vif, et pour contenir les révoltes le dernier recours c’est l’armée financée par l’esclavage salarié. Bientôt, si la crise venait à s’approfondir, la question d’un affrontement planétaire avec le système capitaliste se posera comme seule solution pour la résoudre. Bien entendu, et comme toujours, la finance mondiale et ses armées régionales (les Etats) chercheront une sortie de crise en déclenchant une guerre de « civilisation » anti-islamiste et du côté islamiste une guerre pour la généralisation de la charia ; les fers sont déjà aux feux et la dichotomie visant à paralyser la force agissante du peuple prolétaire est déjà en action dans la zone arabique.
La défense nationale, un organe parasitaire mangeur de plus-value à l’échelle mondiale
C’est quoi, la dite défense nationale de chaque petit territoire de ce monde ? c’est quoi, le territoire pour une victime du subprime virée de son habitat par la force ? l’armée vient elle défendre son territoire ? La réponse est bien sûr non. Pour les « Américains » de la Nouvelle-Orléans victimes du cataclysme Katrina, l’armée n’est intervenue que pour réprimer, suppléée dans sa besogne par la tristement célèbre société militaire privée Blackwater.
C’est quoi la Défense nationale, pour les sans-abris, sans travail, parqués dans des bidonvilles et autres favelas... ? C’est la défense des riches de la propriété privée contre les pauvres.
C’est quoi la défense du territoire, pour les milliers de paysans chassés de leur terre ? Ce n’est rien d’autre que la défense d’intérêts capitalistes. C’est quoi la défense nationale, pour les mitraillés en Syrie, en Egypte... ? des hommes en armes « venant dans leur chaumière égorger leurs fils et leur compagne ».
Dans la zone arabique, c’est quoi la Défense nationale !!!?
Pour les pétromonarchies du Golfe, ce n’est jamais qu’un moyen utilisé par le secteur militaro-industriel des Etats-Unis pour recycler la manne pétrolière. Tout cela fut formalisé en février 1945 par le pacte de Quincy (1) sur le croiseur américain portant ce nom, pacte qui devait déterminer les relations spéciales entre les Etats-Unis et le royaume d’Arabie saoudite. C’est en référence à ce pacte qu’un contrat (2) de 123 milliards de dollars a été signé en automne 2010 entre les Etats-Unis et quatre pays du Golfe. Selon la version américaine il s’agit de renforcer les capacités défensive des pétromonarchies face à l’Iran. Mais en réalité, il s’agit bien plus de soutenir l’indice DFI (3) du secteur de l’armement tout en présentant la mesure comme une solution au chômage endémique qui touche les Etats-Unis. Les 123 milliards, selon la presse, permettraient de maintenir un bassin d’emploi de 75 000 postes sur cinq ans et représentent tout de même un cinquième du flux financier global de la relance par la Fed de l’économie américaine (2010-2011).
Les pétromonarchies ne sont qu’une plaque tournante des Etats-Unis dans la région et l’indépendance dite nationale n’est qu’une caricature visant à masquer que les pétrodollars ont pour fonction d’alimenter les industries de guerre de l’Occident, et de maintenir à flot les Bourses et la valeur refuge de l’industrie d’armement.
« La zone est, en effet, couverte d’un réseau de bases aéronavales anglo-saxonnes et françaises, le plus dense du monde, dont le déploiement pourrait à lui seul dissuader tout éventuel assaillant, rendant superflu un tel contrat. Elle abrite à Doha (Qatar), le poste de commandement opérationnel du Cent Com (le commandement central américain) dont la compétence s’étend sur l’axe de crise de l’Islam qui va de l’Afghanistan au Maroc ; à Manama (Bahreïn), le quartier général d’ancrage de la Ve Flotte américaine dont la zone opérationnelle couvre le Golfe arabo-persique et l’Océan indien. »
(René Naba, sur son blog http://www.renenaba.com/golfe-armem...)
« De surcroît, des barrages électroniques ont été édifiés aux frontières de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis pour décourager toute invasion ou infiltration. Le barrage électronique saoudien a été édifié avec le concours des Français, celui d’Abou Dhabi avec le concours de la firme israélienne AGT (Asia Global Technologies), dont le contrat de 3 milliards de dollars concerne aussi bien la protection des frontières que la protection de quinze sites pétroliers de l’émirat, ainsi que la fourniture de drones, les avions de reconnaissance sans pilote, de fabrication israélienne. »
(René Naba, ibid.)
Pour le peuple grec, c’est quoi la Défense nationale ?
Un journal bien intentionné posait cette question :
« Les milliers de manifestants de gauche qui ont parcouru les rues du centre de la capitale grecque, hier, défendaient leur salaire et leur retraite. Mais aucun slogan du style “Nos salaires, pas des militaires”. Pourtant, les mesures d’austérité – visant à économiser 30 milliards d’euros sur trois ans afin de ramener le déficit budgétaire de 14 % à 3 % d’ici à 2014 – ont curieusement omis de tailler massivement dans l’un des plus importants budgets militaires de la planète (rapporté à la richesse du pays bien sûr). (Libération.)
A cette question nous avons une réponse : le nationalisme grec est encore bien vivace et trouve sa substance dans la lutte contre les mesures de la nomenklatura européenne, et la menace turque (voire islamiste) . Pourquoi donc cette question sur le coût disproportionné de la défense grecque, relayée par le maire de Paris et... les banques ?
L’Union européenne (UE) (et notamment la France) voudrait bien que le budget militaire grec se restreigne, « se modernise » comme ils disent, de manière à rembourser les banques, mais aussi à se faire remplacer pour sa défense par l’armée européenne centralisée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la France de Sarkozy a passé un accord militaire avec la Grèce tout en lui faisant la promotion du parapluie de la défense européenne face à la Turquie et des Rafales de Dassault. La Turquie est soutenue par Obama qui souhaite son entrée dans l’UE, contrairement à Sarkozy qui n’en veut pas. Mais voilà qu’il y a une nouvelle donne dans la région de « l’union pour la Méditerranée » : elle renifle le gaz.
La découverte d’importantes réserves de gaz appelée « Bloc 12 » en Méditerranée orientale, vient de rapprocher (par un accord militaire de juillet 2011 (4) la Grèce et Israël, face à la Turquie qui par le truchement de sa position sur l’île de Chypre, revendique une part du gâteau. Tout cela pousse à la guerre et Israël peut toujours dire que Erdogan, le premier ministre turc, « est un chien qui aboie mais ne mordra pas », il n’en reste pas moins que tous s’arment dans la région, pour le plus grand bien des industries d’armements et de la Bourse. La Syrie vient de tourner ses SCUD vers la Turquie, qui héberge une opposition armée par des puissances étrangères, notamment la France et le Royaume-Uni, avec la bénédiction des Américains. L’industrie d’armement comme valeur refuge pendant la crise Alors que le citoyen moyen cherche dans l’acquisition d’or un moyen de protéger son petit capital de l’inflation et de la banqueroute possible d’Etats, d’autres, plus au parfum du fonctionnement parasite du système capitaliste, misent non pas sur la « relique barbare » qui va s’effondrer dès que les banques centrales mettront de l’or sur le marché, mais sur l’industrie de mort et de destruction. Pour preuve le rapport du GRIP 2011 :
« Vers la fin des années 1990, emportés par les promesses de la “nouvelle économie”, les investisseurs avaient marqué un certain désintérêt pour le secteur de l’armement. Aux Etats-Unis notamment, l’indice du secteur de l’armement DFI (4)sous-performait nettement par rapport aux indices généraux, mais à partir du printemps 2000, l’éclatement de la bulle spéculative autour des valeurs du Nasdaq a signalé un radical retournement de situation.
Dès le 13 mars 2000, alors que le Nasdaq était entraîné dans une chute vertigineuse qui durera deux ans et six mois, le regain d’intérêt pour les valeurs de l’armement fut pratiquement instantané. Un enchaînement de plusieurs “effets d’aubaine”, en particulier les attentats du 11 septembre 2001 et l’invasion de l’Irak le 20 mars 2003, imprimèrent ensuite aux valeurs de l’armement une trajectoire en hausse continue et spectaculaire pour les cinq années suivantes. Sur le continent européen, la surperformance du secteur de l’armement a été nettement moins prononcée,mais néanmoins visible.
Pour le secteur de l’armement, aux Etats-Unis en particulier, la première décennie du XXIe siècle s’est donc déroulée dans un climat d’euphorie sans précédent sur les marchés financiers, semblant un temps accréditer la thèse d’un secteur de l’armement imperturbable et insensible aux fluctuations de l’économie réelle. » (Rapport du GRIP 2011, p.21)
Les guerres pour la conservation de la valeur refuge
Comme les dix principaux producteurs d’engins de mort sont américains, nous savons très bien vers qui les royalties des guerres vont affluer.
« Les cinq premiers groupes américains – les « Big Five » : Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, General Dynamics et Raytheon – ont totalisé un chiffre d’affaires “armement” de 153,7 milliards en 2009, ce qui représente 38,2 % du chiffre d’affaires “armement” total du Top 100.Ce pourcentage est également en hausse de 2 % par rapport à 2008, indice supplémentaire de la concentration croissante du marché mondial de l’armement entre les mains des leaders américains. » (Rapport du GRIP 2011, p.19)
Nous voyons bien ici que la Bourse, les marchés financiers et les banques ne peuvent que pousser à la guerre pour une relance artificielle et parasitaire de l’économie, et pour un recyclage vers les industries d’armement de la manne des hydrocarbures. Voir à ce sujet l’article de Charlie Hebdo du 16 novembre 2011 « Ventes d’armes et pots-de-vin : comment la France a engraissé les princes saoudiens ».
« Quatre ans après le début de la crise financière (que nous fixons au 1er juin 2007), les groupes de l’armement surperforment en effet toujours nettement les indices généraux.Aux Etats-Unis, le 1er février 2011, le secteur de l’armement (indice DFI) affichait une plus-value de 17 % par rapport au 1er juin 2007. » (Rapport du GRIP 2011)
Dans le même temps, le Nasdaq se contentait d’une hausse de 5 %. En Europe les grands groupes de l’armement ont été moins affectés que les autres secteurs industriels : alors que les pertes des indices généraux (depuis juin 2007) enregistraient une perte de 29 % à 32 %, l’indice de l’armement accusait une baisse de 18,6 %. En France, le secteur militaro-industriel nucléarisé est toujours soutenu par les finances publiques, par des commandes d’Etat. Le groupe Dassault, qui n’arrive pas à placer ses chasseurs Rafale, vient de bénéficier d’une anticipation d’acquisition de 11 appareils supplémentaires par an pour un coût de 800 millions d’euros ; 33 Rafales seront livrés au lieu de 22. Comme aux Etats-Unis, l’indice des sociétés européenne sde l’armement (5) a bien passé la crise.
G.Bad
(A suivre )
NOTES
(1) Accord entre le roi Abdel Aziz Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite, et le président américain Franklin Roosevelt, en route pour Yalta et le sommet soviéto-américain portant sur le partage du monde en zones d’influence.
(2) La transaction, conclue à l’occasion de la fête nationale saoudienne, le 23 septembre 2010, implique la modernisation de la flotte aérienne et de la marine saoudiennes. Soixante milliards de dollars seront affectés à la vente à l’Arabie saoudite de 87 chasseurs bombardiers « F-15 », de 70 hélicoptères de combat « Apache » et de 72 hélicoptères « Black Hawk », 36 hélicoptères Little Bird AH-6, ainsi que des bombes, des missiles, y compris la bombe guidée par GPS, JDAM, produite par Boeing et le missile guidé par laser Hellfire. Trente milliards de dollars complémentaires seront affectés à la fourniture de bâtiments de guerre et d’un système de défense balistique, complémentaire au réseau de missiles de type Patriot et au reconditionnement des anciens appareils de l’armée de l’air et de la marine.
(3) DFI : le New York Stock Exchange Arca Defense Index de 14 sociétés parmi les plus représentatives de l’industrie de l’armement aux Etats-Unis. Entre le 30 septembre 1996 et son point culminant du 6 novembre 2007, l’indice DFI a affiché une plus-value dépassant les 1 000 %, tandis que les indices généraux, durablement affectés par la chute du Nasdaq, stagnaient avec un gain de l’ordre de 40 % seulement sur la même période. Sur le continent européen, la surperformance du secteur de l’armement est nettement moins prononcée, mais néanmoins visible.
(4) Les observateurs militaires soulignent que « la mise en marche de l’accord israélo-grec n’a pu se faire sans le feu vert de Washington qui estime qu’il faut prendre les menaces belliqueuses d’Ankara au sérieux .
(5) Dow Jones STOXX TMI Aerospace & Defense (SXPARO.Z), coté à Zurich, et composé de 15 valeurs parmi les plus représentatives de l’industrie européenne de l’armement.
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