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15 octobre 2017

Concentration, centralisation, crédit: le capitalisme dans des limites toujours plus étroites

 

MultinationalesLa centralisation du capital est bien différente de sa concentration. En effet le capitalisme, à peine sorti de ses langes en Europe, va aspirer à un espace vital dépassant les cadres nationaux afin d’écouler son trop-plein de marchandises et réaliser la plus-value extorquée à ses prolétaires autochtones. A ce stade, l’exportation des capitaux accompagne l’exportation des marchandises.

La révolution industrielle avait changé la donne, ce n’était plus le capital commercial qui dirigeait les affaires mais le capital industriel accapareur de travail gratuit (plus-value). En son sein va germer le crédit, simple fonction technique au début visant à aider l’accumulation de plus-value relative  ; celui-ci va s’autonomiser pour devenir la fonction d’un capital particulier, le capital financier, « une arme additionnelle et terrible de la guerre de la concurrence, [qui] se transforme enfin en un immense machinisme social destiné à centraliser les capitaux  » (K. Marx, Le Capital, Livre premier, Le développement de la production capitaliste, VIIe section : Accumulation du capital, chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste, II).

Le crédit, pour reprendre Marx, va agir comme escroc et prophète  : «  Le monde se passerait encore du système des voies ferrées, par exemple s’il eût dû attendre le moment où les capitaux individuels se fussent assez arrondi par l’accumulation pour être en état de se charger de cette besogne  » (K. Marx, ibid.).

En effet, contrairement à la concentration, qui s’opérait sur la base de la propriété privée où les petits capitaux finissaient toujours par se faire digérer par les plus gros, la centralisation financière se présente comme une socialisation à l'intérieur du capitalisme lui-même, elle permet d'intervenir pour accélérer la rotation du capital. De même en ce qui concerne les fusions-acquisitions (F&A), qui permettent des économies d’échelle (en fait le licenciement des doublons) et à la périphérie l’élimination des «canards boiteux», les petites entreprises pauvres en capital. Il en résulte alors une hausse de la productivité dont l’objectif est de contrecarrer la tendance à la baisse du taux de profit, compensée alors par sa masse. Telle est, brièvement résumée, la saga du capital devant nous permettre de saisir l’importance des fusions-acquisitions de 2015-2016.

C'est toujours quand les taux d’intérêts sont les plus bas que nous assistons au retour des fusions-acquisitions. Ces fusions-acquisitions témoignent de la lutte qui se mène au niveau mondial, pour rester sur le marché. Lutte pour conserver la taille critique et procéder à de nouveaux gains de productivité, afin de compenser la baisse du taux de profit par sa masse.

C'est donc une véritable guerre que se livrent les capitalistes pour savoir qui restera sur le podium des vainqueurs? Et pour rester à ce niveau toujours plus élevé il faut des sommes toujours plus considérables, d’où l'intervention du crédit et à ce niveau du capital financier.

L’année 2015 fut l’année la plus fertile en fusions-acquisitions  : 544 opérations selon Fusions & Acquisitions Magazine, pour un montant de 4700  milliards de dollars (1). La banque d’affaire Goldman Sachs (2), qualifiée de banque qui dirige le monde, en est la championne, selon le classement annuel de Thomson Reuters. La banque d’affaires a cumulé 1  759  milliards de dollars  ; rapporté aux 4  700 dans le monde, c’est 37,4  % du marché mondial que cette banque contrôle.

Ces F&A  interviennent dans un contexte de croissance en berne, les mises de fonds sont énormes pour centraliser le capital. Sur certains secteurs, il est recensé pas moins de dix transactions de plus de 50 milliards de dollars, dont sept aux Etats-Unis. A plus de 100 milliards de dollars ABInbev SABMiller dans la bière se positionnent maintenant comme oligopoles.

Au début de l’année 2016, on pouvait lire dans la presse qu'une pause des F&A serait affectée par le ralentissement chinois, la chute du prix du pétrole et la santé du secteur financier. Nous n’aurons pas les chiffres avant 2017, mais déjà nous avons quelques indications permettant de dire que les F&A se poursuivent.

A la mi février 2016, le conglomérat chinois HNA se payait le rachat, via sa filiale Tianjin Tianhai Investment, du grossiste californien de produits électroniques Ingram Micro (3). Visiblement le capital financier chinois est très actif, ses prises de participations aux Etats-Unis seraient de 23,3 milliards de dollars, plaçant la Chine populaire comme premier acquéreur aux Etats-Unis avec l’Irlande et le Canada qui totalisent 88  % des acquisitions dans ce pays.

De même la reprise du suisse Syngenta, premier producteur mondial de semences et de pesticides, par le chinois ChemChina montre les capacités financières de la Chine à pénétrer l’économie mondiale. Monsanto s’était positionné pour reprendre Syngenta, mais il a échoué étant lui même en difficulté. La ChemChina a finalement, avec l’accord nécessaire des Américains (4), fusionné avec le suisse Syngenta.

Cette fusion fait suite à une vague de fusion dans l’agrochimie

Si nous prenons la dernière et spectaculaire fusion entre Monsanto et Bayer, décriée par la presse et les écologistes, sous l’angle d'un accroissement de la pénétration des organismes génétiquement modifiés OGM, nous voyons que cette fusion correspond à un affaiblissement des résultats de Monsanto. En effet, la célèbre multinationale qui produit l’herbicide Roundup est en difficulté depuis plus d’un an (baisse du prix des matières premières, baisse des achats de semence par les agriculteurs, mauvaise presse contre le Roundup, contestation de sa suprématie en Inde et au Burkina Faso). Le groupe a fini par perdre en une année plus d'un tiers de sa valeur, le contraignant à procéder à un rapprochement avec l’allemand Bayer, numéro 2 mondial de l’agrochimie.

Ce regroupement correspond à une concurrence acharnée du secteur de l’agrochimie et d'une concentration-centralisation du capital sans précédent, faisant suite à la fusion fin 2015 (5) puis au rachat, en février 2016, du suisse Syngenta par le chinois ChemChina. Ces mouvements aboutissent à la formation d’oligopoles, selon un observateur, Stéphane Lemarié (6), économiste à l’Institut national de recherche agronomique (Inra) de Grenoble, cité par Reporterre.

«  Les deux tiers du marché mondial des semences commerciales sont aujourd’hui contrôlés par dix sociétés seulement. Et six  compagnies de pesticides dominent les trois quarts du marché, selon le groupe de recherche indépendant  » (Lorène Lavocat pour Reporterre, 15  septembre 2016  : https://reporterre.net/Monsanto-fusionne-avec-Bayer).

Un incroyable processus de concentration a eu lieu ces dernières années sur le marché commercial des semences. Des multinationales comme Monsanto, Bayer et Syngenta qui, jusqu’alors, se concentraient sur l’agrochimie, ont méthodiquement renforcé leur département semences, essentiellement par le rachat d’autres entreprises spécialisées. La constitution de ces mastodontes va mettre un peu plus les agriculteurs sous leur dépendance. En France, 900  000  agriculteurs seraient concernés.

Les canadiens Potash Corp. of Saskatchewan et Agrium ont décidé de créer ensemble le numéro un mondial des engrais. Cette fusion intervient parce que Potash a vu son action divisée par quatre depuis l’année 2008. Une conséquence de la chute des demandes d'engrais (7), principalement de la Chine et l’Inde et des pays émergents. Il est bon de rappeler que Potash avait échappé en 2010 à une tentative de rachat par le groupe minier anglo-australien BHP Billiton, rachat bloqué par le gouvernement canadien. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Belgique a dans un premier temps refusé le CETA, pour finir par signer cet accord de libre-échange entre l’UE et le Canada en s’accordant un droit de regard sur le volet agricole, crucial pour la Wallonie.

Le cas de la France

Les opérations majeures de l’année 2015 en France  :

  • fusion entre Lafarge et Holcim (26,6 milliards d’euros)  : béton, ciment et granulats. Ce nouvel ensemble baptisé LafargeHolcim, n°1 mondial des matériaux de construction, est dorénavant présent dans 90 pays et emploie 115 000 personnes  ;

  • acquisition de la branche énergie d’Alstom par GE (10,5 milliards)  ;

  • de Portugal Telecom par Altice (7,4 milliards)  ;

  • deal GVT / Telefonica (7,2 milliards)  ;

  • rachat de Corio par Klépierre (7,2 milliards)  ;

  • cession d’actifs d’Holcim/Lafarge à CRH (6,5 milliards)  ;

  • reprise de Suddnlink par Altice (près de 6 milliards).


En achetant Général Electric (GE), Alstom met la main sur les activités de signalisation de GE et compte se développer en co-entreprises avec GE dans les énergies renouvelables, les turbines nucléaires, les réseaux électriques dans le monde.

Fin septembre, nous apprenons que Renault-Nissan vise la prise de contrôle du japonais Mitsubishi , projetant le groupe comme n°1mondial de l’automobile, dans un secteur de plus en plusdominé par les oligopoles (8).

 Pour conclure, nous venons d’apprendre que la Deutsche Bank est en situation de faillite et les banques italiennes en difficultés. Il n’en fallait pas plus pour relancer l'union bancaire mise en chantier en 2012 pour digérer les effets de la crise financière de 2008. Le Figaro a publié une tribune signée Les Arvernes, un groupe «  de hautes fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs  », affirmant «  Il faut relancer l’intégratin bancaire  ». On peut y lire ceci  : «  Il faut progresser de manière décisive dans la constitution d'une vraie finance européenne intégrée. Pour avancer, il faut assainir enfin complètement les secteurs bancaires nationaux fragiles (notamment l'Italie), les recapitaliser et si le secteur privé n'est pas prêt à le faire, commencer à utiliser les instruments de résolution de l'union bancaire. Les très grandes banques européennes restent elles aussi trop grosses, trop peu capitalisées et font peser un risque systémique réel. Elles doivent elles aussi renforcer encore leurs fonds propres, comme le demande le FMI. Mario Draghi vient de déclarer que l'Europe compte trop de banques.  » (http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2016/10/13/31007-20161013ARTFIG00119-deutsche-bank-banques-italiennes-il-faut-relancer-l-integration-bancaire.php)

Mais encore  :

«  La création de l'euro devait servir à affirmer un pôle financier européen autonome face au dollar. Il n'en a rien été. Les banques européennes continentales ont rêvé de rivaliser avec les géants de Wall-Street dans la finance de marché, elles se sont perdues dans une compétition dont elles ne maîtrisent pas les armes. La crise de Lehman Brothers et celle de l’euro ont été synonymes de pertes abyssales pour l’épargnant européen, notamment en Allemagne dont les excédents courants des années 2000 ont disparu en fumée dans de mauvais investissements, au sud de l’Europe (immobilier) et aux Etats-Unis (subprimes).  »

Et de conclure  :

«  Le Brexit offre l'opportunité de remettre à l'honneur une conception plus continentale de la finance. Il appartient à la France de porter en Europe cette ambition. Elle en les moyens, grâce à son industrie bancaire qui peut jouer un rôle de leader dans la recomposition bancaire européenne.  »

Nous avons ici tous les ingrédients poussant à d'importantes concentrations-centralisations du secteur bancaire de l’Union européenne ou, il faut envisager le pire, à un éclatement de l’Union européenne.

G.Bad fin octobre 2016

Notes

1-5000 Mds de dollars selon Dealogic.

2-Goldman Sachs possède 25  % des droits de vote d'Eurotunnel, 20  % de la Banque industrielle et commerciale de Chine, et 12  % de l'assureur chinois Taikang. Elle est propriétaire du groupe ISS, leader mondial du «  facility services  » et de la compagnie allemande Xella. Le groupe a investi 500 millions de dollars dans Facebook.Le 13 août 2015, Goldman Sachs met fin à 34 ans d’investissement dans les matières premières, en vendant ses mines de charbon en Colombie, Colombia Natural Resources.

3--Ingram Micro commercialise des produits de sociétés telles qu'Apple ou Cisco. (Sai Sachin R à Bangalore; Bertrand Boucey pour le service français)

4-les Américains disposent d’une arme imparable: l’assentiment du Committee on Foreign Investments in the United States (CFIUS). Sans cette autorisation, Syngenta devrait se retirer de l’immense marché agricole américain, si rentable.

5- Le groupe DuPont pévoit un vaste plan de réduction de ses coûts, de l’ordre de 700  millions de dollars, passant notamment par la suppression de 10  % de ses effectifs.

6-Stéphane Lemarié est ingénieur agronome. Ses recherches en économie analysent les stratégies d'innovation dans le secteur de l'agrofourniture et leur impact économique.

7-le prix de la tonne de potasse passant d'environ 900 dollars à 150 dollars.

8-Voir à ce sujet le Livre «  Restructuration et lutte de classe dans l' inductrie automobile mondiale  » d' Echanges et mouvement, toujours disponible au prix de 6€.

 

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  • Information sur le mouvement des conseils ouvriers de la gauche germano-Hollandaise, ainsi que sur la lutte de classe dans le monde. voir en complément le site MONDIALISME. Pour correspondre:
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